Bonjour à tous.
L'odyssée de la Kampfgruppe PEIPER dans les Ardennes du 17 au 22 décembre 1944 est connue du plus grand nombre. Les équpiages de Panzer SS obligés de s'échapper à pied dans la nuit du 24 au 25 décembre, abandonnant quantité de Panther et Tiger à La Gleize, faute de carburant, a fortement marqué les esprits. Esprits d'autant plus marqués par l’épouvantable navet "La bataille des Ardennes" de Ken ANNAKIN (1965) où d'arrogants jeunes SS stéréotypés doivent atteindre la Meuse selon un scénario minuté où chaque litre d'essence compte.
La réalité est à nuancer fortement.
Voici quelques éléments de comparaison.
Dès la fin des années '40, l'historien officiel US Hugh M. COLE présente l'avis suivant :
- à la veille de l’offensive dans les Ardennes, les réserves allemandes de carburant à l'Ouest sont équivalentes à celles de juin 1944 ;
- le Heeresgruppe B, chargé de l'attaque, dispose de 15 millions de litre de carburant ;
- MODEL réclamait 5 unités de consommation(*) pour l'offensive, 1,5 à 2 étaient disponibles sur le front le 16 décembre, 9 ou 10 étant disponibles sur les têtes de ligne à l'ouest du Rhin.
Les besoins théoriques étaient donc couverts, et par delà.
COLE relève au moins 3 raisons qui privèrent les formations de combat allemandes du carburant nécessaire à la progression :
1. la logistique fut incapable d'amener en suffisance le carburant des dépôts de corps aux divisions de pointe et des têtes de ligne aux dépôts de corps ;
2. le mauvais temps et le terrain défavorable aux unités mécanisées augmentèrent la fréquence des ravitaillements ;
3. l'hypothèse de pouvoir se ravitailler sur du carburant de prise était erronément optimiste (2.000 m3 furent capturés au 18 décembre pour une consommation quotidienne de 1.000).
On peut considérer 2 phases dans le ravitaillement allemand au cours de cette bataille :
Phase 1, avant le 23 décembre : la faiblesse du réseau routier et les embouteillages empêchent l'acheminement des carburants et lubrifiants vers les formations en pointe. Ainsi, le 20 décembre, la 12.SS-Pz.-Div. attend l'acheminement de son carburant, le 21 décembre la 2.Pz-Div. perd 36 heures à attendre son ravitaillement, à partir du 22 décembre, le XLVII.Pz-Korps ne reçoit plus suffisamment de carburant au-delà de Bastogne.
Phase 2, à partir du 23 décembre : les conditions météorologiques changent, d'une part d'importantes chutes de neige paralysent la logistique allemande dans l'Eiffel et l'aviation alliée commence à matraquer les têtes de ligne à l'ouest du Rhin. Du 23 au 25 décembre, la 6.Pz-Armee ne reçoit plus rien ; la 5.Pz-Armee le 24. Lorsque la météo permettra à la logistique de redémarrer de manière sporadique, le ravitaillement repartira au compte-goutte. Fin décembre 8 unités de carburant sont disponibles dans les dépôts à l'ouest de Bonn... ...sans moyens de les acheminer jusqu'au front.
Une analyse plus récent de Yves BUFETAUT (Batailles n°67 de janvier 2015) va dans le même sens.
En septembre 1944, lorsque HITLER ordonne la planification d'une attaque à l'Ouest, 10.000 tonnes de carburant sont estimés disponibles au 20 octobre 1944. Les besoins de l'offensive sont alors estimés à 17.000 tonnes.
Les 28 octobre, les besoins en carburant de l'offensive sont arrêtés à 15 millions de litre. L'hypothèse de dépôts capturés est établie mais n'entre pas en ligne de compte dans la planification (sorte de bonus pris à l'ennemi par les unités de pointe).
Durant tout l'automne 1944, l'OKW rationne drastiquement les livraisons de carburant à l'Ouest pour constituer la réserve nécessaire.
Dès lors, à l'image de ces 2 sources (l'une classique et l'autre plus contemporaine), le carburant ne manque pas à la veille de l'offensive allemande dans les Ardennes.
(*) selon la logistique allemande, 1 unité de consommation permet de déplacer de 100km, 100% des véhicules figurant à l'ordre de bataille.