Bonjour,
Tout d'abord, je ne suis pas historien, mais le titre même de ce sujet me semble disutable. Il faut savoir rester humble dans toute démarche historique et ne jamais oublier qu'un fait est avéré jusqu'à preuve de son contraire. Ceci étant, et au sujet de certaines intervention, il me semble utile de rappeler certains éléments :
1/ La chaîne du haut commandement allemand en 1940 :- Hitler est l'Oberbefehlshaber des Wehrmacht (commandant suprême des forces armées),
- Sous ses ordres, l'on trouve le Generaloberst Keitel, chef de l'Oberkommando der Wehrmacht, ou O.K.W. (haut commandement des forces armées),
- Sous les ordres de l'O.K.W., sont placés (entre autres) l'Oberkommando der Luftwaffe (O.K.L.), l'Oberkommando des Heeres (O.K.H.), et l'Oberkommando der Kriegsmarine (O.K.K.), respectivement haut commandement de l'armée de l'air, de l'armée de terre et de la marine.
Hitler n'est donc pas directement aux commandes de l'O.K.H., mais, bien évidemment, il peut agir à sa guise sur l'O.K.H. par l'intermédiaire de l'O.K.W., ce qu'il ne manquera pas de faire à plusieurs reprises. Il suffit par exemple de lire ses directives pour constater que c'est bien lui qui décide de la façon dont seront appliqués ses ordres, je cite :
Extrait de la directive n° 6 du 9 octobre 1939, transmise au Generaloberst Keitel, ainsi qu'aux commandants en chef des trois armes (O.K.L, O.K.H. et O.K.K) :
"
Je prie Messieurs les Commandants en chef de me faire parvenir leurs intentions sur la base de ces directives le plus rapidement possible et de me tenir Informé au jour le jour, via l'O.K.W., de l'état d’avancement de leurs préparatifs.
Adolf HITLER. "
Le dictateur se réserve donc le droit d'apprécier la façon qu'auront les trois armes d'obéir à cette directive, et donc bien évidemment d'y apporter des modifications s'il le juge nécessaire.
Plus marquant et par exemple, le 11 novembre 1939, Hitler ordonne, via Keitel le transfert du XIX. A.K. (mot.) de Guderian de la H.G. B à la H.G. A. C'est une preuve évidente qu'il reste le maître de l'affectation des A.K. s'il le désire, et l'O.K.H. n'a pas son mot à dire. Du reste, l'ordre est transmis dans la foulée par l'O.K.H. et le XIX. A.K. (mot.) change de secteur.
Extrait de la directive n° 8 du 20 novembre 1939 :
"
3. Les opérations sur terre devront être conduites suivant les principes des directives de l'avance datée du 29-10. Il y aura lieu, en complément, d'agir comme suit :
a) prendre toutes les mesures nécessaires pour transférer rapidement le centre de gravité des opérations de la Heeres-Gruppe B à la Heeres-Gruppe A dans le cas où la répartition momentanée des forces ennemies permettrait de laisser supposer que l'on pourrait y obtenir des succès plus grands et plus rapides qu'en face de la Heeres-Gruppe B ;"
Accompagnant cette directive, Hitler ordonne en conséquence que le XIV. Armee-Korps (mot.) soit placé en réserve à la jointure entre les Heeres-Gruppen B et A. et, une fois encore, l'ordre est immédiatement exécuté par l'O.K.H.
Pire encore, toujours dans cette même directive, je cite :
"
La 7. Flieger-Division ne sera engagée que lorsque la possession des ponts sur le canal Albert sera assurée. La transmission rapide de cette information devra être assurée entre le commandement supérieur de la Heer et celui de la Luftwaffe. "
En conclusion, il ne sert à rien d'affirmer qu'Hitler n'est pas aux commandes des unités de la Heer. Bien évidemment, il lui suffit d'ordonner à Keitel de faire appliquer ses décisions à l'O.K.H. pour qu'elles soient immédiatement exécutées, et ce, que ce soit à l'échelon d'une Armee, d'un A.K., ou même d'une Division. Sa prise de contrôle directe de l'O.K.H. quelques mois plus tard n'est qu'un raccourcissement de cette chaîne de décision, car il pense que ses ordres sont parfois entravés par les échelons inférieurs. Dans les faits, il exerce déjà la maîtrise des troupes allemandes.
Prétendre le contraire ce serait, par parallèle, affirmer qu'un sergent refuse d'obéir à un général sous prétexte que l'ordre ne vient pas de son chef direct qui est un lieutenant...
2/ Les cartes :En tant que cartographe, je peux préciser les éléments suivants, en les illustrant par des exemples précis. L'on peut critiquer longuement le positionnement d'une unité à l'échelon divisionnaire sur une carte, mais tout cela reste sans fondement. Et c'est pour une raison très simple.
A cet échelon, il est strictement impossible de visualiser l'ensemble des positions des unités organiques divisionnaires par une forme plus ou moins oblongue sans rendre la carte parfaitement illisible, donc inexploitable. S'il est exact que les unités organiques divisionnaires peuvent s'étaler sur des dizaines, voire une centaine de kilomètres, par convention, à cet échelon, l'on a coutume de positionner les gros d'une division, ou son QG.
L'exemple suivant permettra de comprendre ces raisons, imaginez ce que serait cette carte si, pour chaque division, nous étalions ses positions sur des dizaines, voire une centaine de kilomètres :
Ce serait encore bien pire si la carte montrait l'ensemble du front ouest. En revanche, il est possible de compléter ce type de carte par un texte apportant des précisions.
Le positionnement précis des unités divisionnaires est tout à fait possible, mais, dans ce cas, la carte n'est pas du tout à la même échelle et il est dans ce cas impossible de montrer l'ensemble d'un front sur une seule carte sans que celle-ci prenne des dimensions inexploitables, comme illustré sur ce second exemple :
Imaginez la taille d'une carte qui proposerait autant de précision pour la globalité du front tout en restant visuellement exploitable, à fortiori si elle doit être publiée...
3/ Les archives :Incontestablement, les archives sont une source primaire d'informations fort utiles aux historiens et aux amateurs d'Histoire. Mais elles ne sont pas dénuées de lacunes, elles non plus. Tout d'abord, il est courant de trouver des informations différentes, voire contradictoires d'une archive à l'autre.
En ce qui concerne les archives allemandes, il faut de plus parfaitement maîtriser la langue pour être certain de bien en comprendre le sens. Traduire de façon erronée un mot par un autre peut remettre en cause bien des choses, comme nous l'avons vu sur certains sujets de ce forum.
De plus, un roll NARA, par exemple, peut rassembler des centaines de pages sur un seul et même sujet et il ne faut pas perdre de vue que si elles ont été écrites c'est qu'il y avait une raison. Elles peuvent par exemple fournir de nombreuses explications sans lesquelles il est facile de se méprendre sur le sens d'une donnée, exploitée seule.
Ensuite, il est fondamental de replacer les archives dans leur contexte historique. Je vais illustrer cet élément par un exemple bien précis et facile à comprendre. Si l'on consulte les archives de l'IRGD à Stonne l'on constate que l'unité revendique 33 chars français détruits le 15 mai au matin alors que les rapports français démontrent que seuls deux H39 ont été perdus, les autres chars touchés (B1 bis et H39) ont tous regagné leur ligne de départ, bien que quelques B1 Bis, immobilisés, ont du être remorqués. De toute évidence, ce rapport allemand a été rédigé pour justifier l'échec de l'IRGD dans sa reprise de Stonne et expliquer ses lourdes pertes.
Plus généralement, baser des conclusions sur la seule étude d'archives divisionnaires ou d'échelons militaires supérieurs est très largement insuffisant pour tirer des conclusions sur la stratégie globale d'une armée. Il est impératif de les replacer dans leur contexte géopolitique et de maîtriser le mode de raisonnement et la personnalité des chefs qui la dirigent. Ainsi, et sans prendre partie dans le vaste débat du Haltbefehl, mais en le prenant comme exemple, faire abstraction d'une partie de ces données ne pourra que fausser les conclusions que l'on peut en tirer, ou tout du moins les hypothèses les plus plausibles.
Il faut ainsi avoir une solide connaissance du fonctionnement du régime nazi et de ses rouages pour appréhender des questions de ce type. C'est là qu'est le vrai travail de l'historien. Il doit placer chaque pièce du puzzle à sa juste place et lui accorder l'importance qu'elle doit avoir, ni plus, ni moins.
Par exemple, les chars opérationnels lors de l'offensive allemande devant Moscou en 1941 seront bien moindres que ceux encore disponibles à la veille du Haltbefehl, et pourtant, l'offensive sera ordonnée et exécutée, et sur un terrain et par un climat pour le moins bien plus difficiles.
Je ne veux pas pour autant dire que la quantité de chars opérationnels à un instant "T" n'est pas une donnée importante, je prétends simplement que c'est une donnée parmi d'autres, et que c'est l'ensemble qui doit être pris en considération pour tenter de trouver un sens historique à un fait.
Etre historien est un métier fort difficile. Il faut, comme je disais, faire preuve d'une grande humilité et surtout regrouper le plus d'informations disponibles afin de les recouper de façon objective, et être prêt à accepter de modifier ses conclusions si d'autres éléments probants apparaissent.
Si obtenir un doctorat en Histoire est une démarche longue et difficile, c'est que cette qualité nécessite bien des apprentissages, tant en méthodes qu'en qualités humaines. Pour ma part, je doute d'être à la hauteur de ce sinueux parcours, et je me contente donc, dans mes articles, de surtout aborder des éléments qui ne touchent en rien le niveau géopolitique de l'Histoire. Et cela me convient très bien.