Avant de répondre à ton dernier message, je rappellerai le premier, en avril dernier, juste après ton inscription :
Puyol a écrit: Sujet du message: Re: Le vol de Rudolf Hess
MessagePosté: Sam Avr 09, 2011 12:18 pm
Dans ce post, j’aborde trois sujets :
- Le comportement et les paroles de Hitler le 11 mai 1941
- La lettre de Hess adressée à Hitler
- La folie réelle ou supposée de Hess
Il faut écarter certaines contre-vérités.
A la page 9 du fil, on nous explique que Hitler garde son calme quand il apprend que Hess s'est envolé en direction de la GB. Hitler n'a pas désavoué Hess avant d'avoir la confirmation que ce dernier a échoué dans sa tentative d'obtenir un traité de paix avec les autorités britanniques.
N'est-ce pas une contre-vérité ?
Nous savons que Hitler a immédiatement laissé éclater sa colère lorsqu'il apprend la nouvelle le dimanche en fin de matinée. L'officier d'ordonnance de Hess est mis aux arrêts dans les minutes qui suivent.
Avant le 11 mai 1941 Hitler n'a jamais dit qu'il souhaitait la mort de Hess. C'est ce jour là qu'on lui remet la lettre dans laquelle Hess explique qu'il a pris un avion pour s'envoler en direction de la GB. Hitler fait comprendre à son entourage que la mort de Hess serait préférable. Hitler est très inquiet à l'idée que Hess puisse atteindre la GB. On tente immédiatement de rassurer le Führer en lui disant que Hess est probablement mort aux commandes de son avion. « J'espère qu'il s'abîmera dans la mer ! » Il est consterné en songeant que Hess va peut-être tomber entre les mains des Britanniques. Tandis que les heures passent, la colère de Hitler se transforme en fureur.
Comment va-t-on expliquer aux Allemands que Hess a disparu ? Après beaucoup d'ébauches, on se mit finalement d'accord sur un brouillon d'explication : Hess avait, contre le règlement, réquisitionné un avion et disparu. On supposait que son appareil s'était écrasé ; il avait laissé une lettre avant de partir. C'est ce brouillon qui servit de base à l'annonce radiophonique diffusée à 8 heures du soir. On se gardait bien d'indiquer la destination de Hess. Personne ne devait savoir qu'il cherchait à rejoindre la GB. Il ne fallait pas que Mussolini se fasse des fausses idées ; il pourrait imaginer que l'Allemagne cherchait à négocier un compromis avec l'Angleterre à l'insu de l’Italie.
Fräulein Fath entendit la nouvelle par la radio alors qu'elle était à table. Le ton du commentateur était si peu agréable qu'elle pensa : « Est-ce là le remerciement pour une vie de dévouement ? »
Personne ne peut nier que Rudolf Hess a pris des risques considérables. Son avion aurait pu s'abîmer en mer. A cela s'ajoute le risque d'être abattu par un Spitfire ainsi que le danger lié au saut en parachute. Hess n’avait aucune expérience dans ce domaine : « Je ne m’étais jamais demandé comment on sautait ; je pensais que c’était trop simple ! ».
En lisant le post de Francis Deleu à la page 14 du présent fil, nous avons le témoignage de Hess lui même. Il semblerait qu'il a frôlé la mort. Il a failli être abattu par un Spitfire.
http://www.livresdeguerre.net/forum/con ... ndex=33804
Je fonçai droit dans cette couche de brume, mis pleins gaz, et à quelques milliers de mètres de la côte, atteignis une vitesse terrifiante. Cette manœuvre m'évita d'être intercepté et abattu par le Spitfire qui m'avait pris en chasse. (...) Je descendis jusqu'à quelque 5 mètres au-dessus du faite des arbres, des toits des maisons, des troupeaux et des gens, accomplissant ainsi ce que les aviateurs appellent faire du « rase-mottes ». Et l'aviateur anglais que je rencontrai par la suite fut visiblement ébloui par ma performance.
Et la lettre de Hess ?
gibraltar114 a écrit:
quid de la lettre envoyé par rudolf a adolf le jour de son départ,
quelqu'un a le texte ?
elle existe vraiment ?
adolf a piqué une crise en la lisant ?
La lettre existe vraiment.
gibraltar114 a écrit:
adolf a piqué une crise en la lisant ?
Oui.
Daniel Laurent a écrit:
Ceci dit, il serait effectivement intéressant d'avoir ce texte et, essentiel, de tenir compte en le lisant qu'il s'agit d'un texte nazi donc pas nécessairement sincère voire probablement mensonger.
Ce n'est pas un texte nazi. C'est quasiment un testament. C'est une lettre écrite par un homme qui croit, à juste titre, qu'il risque de mourir lors de son escapade vers l'Ecosse.
gibraltar114 a écrit:
quelqu'un a le texte ?
J'ai le texte. Je l'ai trouvé dans l'un de mes ouvrages préférés.
Ce n'est que le dimanche 11 mai que la lettre de Hess fut remise à Hitler au Berghof. Albert, le frère de Martin Bormann, fit irruption pour annoncer que l'officier d'ordonnance de Hess voulait voir le Führer pour une question urgente. Albert fut mis à la porte : « Ne voyez-vous pas que je suis pris par un rapport militaire et ne veux pas être dérangé ? » Au bout d'une minute, Albert, la figure blême, rentra en rasant les murs. Mais cette fois, il ne se laissa pas renvoyer. Il insista, disant que la question était importante, qu'il y avait peut-être du danger et il tendit la lettre écrite par Hess. Hitler mit ses lunettes et commença de lire sans beaucoup d'intérêt, mais dés qu'il arriva aux mots : « Mon Führer, lorsque vous recevrez cette lettre, je serais en Angleterre » il se laissa tomber dans un fauteuil et poussa de tels hurlements, qu'on pouvait l'entendre en bas : « Oh, mon Dieu, mon Dieu ! Il est parti pour l'Angleterre en avion ! » Il parcourut du regard le détail des circonstances du vol ; la lettre exposait aussi que le but de Hess était de réaliser le rêve du Führer : une alliance avec l'Angleterre ; mais il avait gardé le secret sur son départ parce qu'il savait que Hitler l'aurait interdit. La lettre continuait ainsi :
« Et, mon Führer, si ce projet — qui, je l'admets, a très peu de chances de succès — se termine par un échec, et si le destin travail contre moi, cela ne peut nuire ni à vous ni à l'Allemagne. Il vous sera toujours possible de nier toute responsabilité. Dites simplement que je suis un peu fou. »
Blanc comme un linge, le Führer ordonna à Engel de faire venir le Reichsmarschall au téléphone. Hitler hurla dans le combiné : « Goering venait ici immédiatement ! ». Il cria encore plus fort à Albert Bormann d'aller chercher son frère et Ribbentrop, puis il arpenta la pièce avec colère.
Rudolf Hess a tout à fait raison quand il écrit que son projet a très peu de chances de succès. Il a tort lorsqu’il écrit que cela ne peut nuire ni à Hitler ni à l'Allemagne. Je ne vois pas comment Hitler aurait pu donner son assentiment à un projet aussi farfelu. Cela me semble quasiment impossible.
Rudolf Hess était-il fou ?
dynamo a écrit:
J'ai du mal à croire à la folie de Hess.
Je pense que Hess n'était pas fou.
Les historiens évoquent le « manque de réalisme » de Hess. J'approuve entièrement ce jugement. Hess était coupé des réalités. Comment a-t-il pu croire que le duc de Hamilton avait une influence considérable ? Je suis persuadé que Hitler n'aurait jamais fait une telle erreur d'appréciation.
A mes yeux le manque de réalisme de Hess contraste avec l'intelligence et la lucidité de Hitler.
Hess était un homme assez peu intelligent. En outre il était dépressif depuis plusieurs mois, ce qui peut expliquer la faute professionnelle qu'il a commise. Un historien allemand évoque la "nature hypocondriaque" de Hess. Il décrit les faiblesse du suppléant du Führer et explique les véritables motifs de sa fuite : A l'heure actuelle, il est à peu près certain que cet acte fut dicté par toute une série de mobiles relevant presque tous de la neurasthénie. De l'avis de Douglas M. Kelley, psychiatre délégué auprès du tribunal de Nuremberg, Hess se trouvait, dès 1940, dans un état « proche d'une grave dépression nerveuse ». Hess lui même devait déclarer en Angleterre que s'il avait pris cette décision, « la plus grave » de toute sa vie, c'était parce qu'il voyait sans cesse devant ses yeux « d'innombrables rangées de cercueils d'enfants accompagnés de leurs mères en larmes ».
Tu t'es donc rangé parmi les tenants les plus classiques de la théorie du "Hess solitaire", qui le jugent soit fou, soit bête (pour toi : bête), et font le plus grand cas de ses prestations devant les psys d'Angleterre ou de Nuremberg, comme des colères du comédien Hitler. Or à cette date, sous la stimulation de ce débat, j'avais pris progressivement conscience de l'importance du télégramme Lequio, l'un des rares pièces solides de la démonstration de Martin Allen, et en avais donné la première version intégrale dans une langue autre que l'italien, le 15 mars 2011 (ayant loupé d'un jour son soixante-dixième anniversaire !) : viewtopic.php?f=17&t=27497&start=50 . J'ai eu un mal fou à obtenir que les tenants du "Hess solitaire" commentent cette pièce et quand j'y ai réussi les réponses ont tourné autour de "ben quoi, il est appeaser donc il appease, les chiens ne font pas des chats !", sans que fût prise le moins du monde en compte l'énormité d'une telle conduite de la part d'un ambassadeur, en pleine guerre, consistant non seulement à prendre une initiative de paix contre l'avis de son premier ministre et de son ministre des Affaires étrangères, mais à annoncer qu'il allait bientôt les virer tous les deux !
A présent tu prends enfin en compte le télégramme Lequio :
Puyol a écrit:Si Hoare souhaitait réellement une entente avec Hitler (via Max Hohenlohe), il se peut que Halifax soit tenu au courant. Mais on ne saura sans doute jamais le rôle exact de Halifax dans cette affaire.
Si Hoare souhaitait réellement une entente avec l'Allemagne...
.... avec des "si"...
En mars 1941 Hoare rencontre Hohenlohe à Madrid. Tout cela est bien étrange. On se perd en conjectures.
Comme nous avons avancé ! Mes escapades londoniennes n'y sont peut-être pas étrangères. La confirmation du télégramme par la mission Harlequin de 1943, et l'ajout à cette occasion de l'information que Hohenlohe s'était vu promettre par Hoare un signe en avril, changent en effet la donne (puisque le seul argument de ceux qui refusaient d'examiner tout rapport possible entre la conversation de Madrid et le vol de Hess était que cette conversation ayant lieu deux mois avant, Hitler et Hess, le 10 mai, ne pouvaient plus rien en attendre).
Mais permets-moi de faire observer que tu creuses dans le mauvais sens, tout comme ce "Plavix". A présent vous croyez à l'existence d'une vaste conspiration, englobant Halifax. Donc à un "parti de la paix" structuré, bien organisé et franchissant même le Rubicon lors de cette conversation de Madrid.
Il resterait à expliquer quand, comment et pourquoi ils ont repassé le Rubicon dans l'autre sens... puisqu'ils n'ont rien fait d'autre, jamais, en direction de l'ennemi, après les trois manoeuvres très "limite" de Halifax en mai-juin 40 (conversation avec Bastianini le 25 mai, conversation Butler-Prytz en se réclamant de Halifax le 17 juin -seul moment où un appeaser britannique annonce à l'Axe un prochain renversement de Churchill, à part la conversation Hoare-Hohenlohe-, manoeuvres avec Hoare en direction de Franco pour lui promettre Gibraltar s'il reste neutre, contre la volonté de Churchill, fin juin).
Mon explication n'est-elle pas beaucoup plus logique ?
-l'énergie churchillienne étouffe Halifax, le paralyse et l'empêche de relancer des sondes pacifistes en direction du Reich, à partir de juillet 40;
-Winston brise toute possibilité de conspiration Hoare-Halifax en casant le dernier nommé à Washington fin décembre;
-il a dès lors les mains libres pour enrôler Hoare dans une intoxication ponctuelle du Reich;
-celle-ci (la conversation Hoare-Hohenlohe, absolument sans lendemain du côté britannique) est d'autant plus efficace qu'elle survient dans un ciel serein : elle fait accroire au gouvernement nazi que sous la surface des discours belliqueux de Winston le parti conservateur bouillonne sans interruption depuis juin 40 et réclame de plus en plus la paix.
En résumé, tu banalises la conversation Hoare-Hohenlohe, en te persuadant que ce n'est là qu'un bruit de fond habituel, une manifestation de plus de ces appeasers que Churchill domine. Cela peut impressionner Hess parce qu'il est bête, mais non Hitler, parce qu'il est intelligent. Il me semble que tu prends cette position acrobatique, bien plus impensable qu'une collusion Hess-Hitler et bien moins documentée, parce que tu as un besoin énorme de croire en la version traditionnelle du "Hess solitaire" et comprends très bien que, si la conversation de Madrid est elle-même solitaire, inouïe, sans précédent depuis juin 40 et sans suite aucune, ta thèse est fort compromise.
Je résume la mienne :
-Hess pilote tant et plus malgré une interdiction de vol de Hitler dont même l'ambassadeur d'Angleterre était au courant avant 1939; à partir de l'automne 40 il s'entraîne sur un prototype de Messerschmitt en vue d'un vol au long cours;
-lui et Hitler mitonnent en septembre 1940 avec les deux Haushofer une lettre proposant au duc de Hamilton, de la part des plus hautes autorités du Reich, une rencontre à Lisbonne pour causer de paix; la lettre part le 23 septembre, en mars le MI 6 recrute Hamilton pour intoxiquer le Reich par un rendez-vous à Lisbonne, finalement fixé au 14 mai (sans qu'on ait à ce jour la moindre trace d'un contact avec les Allemands à ce sujet mais il a nécessairement eu lieu, au plus tard fin avril, à moins de supposer que le MI 6 se moque complètement de la figure de Hamilton);
-le vol de Hess, probablement précédé d'un contact qui lui fait croire qu'il aura un comité d'accueil à Prestwick (seule explication au fait qu'il se parachute sans s'y être préparé, ayant probablement manqué le terrain ou manqué d'essence avant d'y parvenir), est risqué, certes, mais aucunement bête : il procède des divers leurres faisant croire à l'existence d'un parti de la paix qui peine à renverser Churchill, et dont la présence d'un représentant aussi autorisé du Führer pourrait crédibiliser considérablement la démarche.
En revanche, si elle n'est nullement contradictoire avec l'intelligence, et de Hitler, et de Hess, la démarche doit quelque chose à la folie du premier nommé : sa croyance que Churchill est un pantin des Juifs, et que la Providence l'a désigné pour éradiquer ceux-ci, l'aide à tenir pour vrais les leurres hoaresques et hamiltoniens.