Page 7 sur 18

Re: Le télégramme "Lequio"

Nouveau messagePosté: 11 Oct 2011, 13:12
de alberto
En fait ainsi que tu le rapportes joliment, il n'aurait pas eu le temps de réunir son conseil au cabinet ! ::pipo::

Re: Le télégramme "Lequio"

Nouveau messagePosté: 13 Oct 2011, 11:34
de Nicolas Bernard
François Delpla a écrit:Bingo !
L'idée qui m'est venue le 26 août (message ci-dessus Sam Aoû 27, 2011 10:47 am) est confirmée par un texte célèbre et depuis peu accessible en français, la page du 19/8/41 du journal de Goebbels relatant ses conversations de la veille avec Hitler.

Ce texte nous avait valu des disputes homériques qui doivent être encore en ligne, il y a quelques années, car je l'utilisais pour suggérer que Hitler avait très envie d'une paix séparée avec Staline. [...]


Sachant qu'à ce titre j'estimais qu'il n'en était rien. Cependant, mes recherches ultérieures tendent à indiquer que le Führer s'est vite pris à espérer un traité de paix avec Staline, qui aboutirait à une sévère amputation de l'Union soviétique mais également à la survie politique du régime stalinien, invité à se défouler en Asie et à laisser l'Europe au Reich.

Bref, il n'est jamais trop tard pour changer d'avis, et déplorer le ton que j'ai adopté à l'époque.

Re: Le télégramme "Lequio"

Nouveau messagePosté: 13 Oct 2011, 17:45
de Chef Chaudart
François Delpla a écrit:Je suis heureux de cette réaction, s'agissant d'une lecture entre les lignes, un exercice dont la légitimité n'est pas toujours reconnue et qui est effectivement très casse-gueule... sauf avec le nazisme, qui ne peut être approché autrement. On est bien obligé, soit de lire entre les lignes, soit d'avouer l'impuissance de l'histoire (et quand on ne l'avoue pas on tombe à bras raccourcis sur ceux qui essayent de lire entre les lignes).


C'est d'autant plus étonnant qu'en Histoire, cette "lecture entre les lignes" est quasi obligatoire, et acceptée, plus on va dans le passé e l'on manque de sources. Certaines théories ne reposent que sur l'interprétation d'une phrase sybilline trouvée chez un seul et unique auteur... Et ça ne se ferait pas dans l'Histoire contemporaine? On n'aurait pas le droit de soupçonner l'homosexualité de Louis XIII, la réalité de l'existence du Christ sous prétexte que rien n'est dit clairement ou issus de texte apocryphes et de seconde main?

Re: Le télégramme "Lequio"

Nouveau messagePosté: 14 Oct 2011, 12:22
de François Delpla
Le nazisme lance à l'historien un double défi :

-il doit s'abstenir de jugements de valeur, or il s'agit d'un régime malfaisant au regard de tous les codes moraux;

-il doit appuyer ses démonstrations sur des documents or les décisions essentielles de ce régime ont été par lui-même nimbées du plus épais brouillard.

Des journalistes puis des historiens ont écrit sur ce mouvement puis ce régime depuis 1920 en se débrouillant plus ou moins bien avec ces deux défis.

Il reste beaucoup à faire.
Notre télégramme Lequio -lui-même venu en discussion grâce au faussaire Allen !- a le mérite d'être un document prouvant que pour avancer il ne faut pas avoir peur de faire des hypothèses, au départ, mal documentées, mais propres à nous guider sur les bonnes pistes.

Re: Le télégramme "Lequio"

Nouveau messagePosté: 20 Oct 2011, 18:16
de François Delpla
Du neuf et du lourd !

Dans un dossier "Hohenlohe" des archives britanniques déclassifié en août 2010, cote KV 2 /3289.

Extrait de l'interrogatoire du major allemand Wurmann, de l'Abwehr, coincé en AFN par le débarquement car il était membre de la commission allemande, et capturé par les Anglais en 1943.

Le prince de Hohenlohe, qui avait reçu chez lui lord Runciman durant la crise tchécoslovaque, est l'un des "gentleman agents" très spéciaux, et de toute confiance, de Canaris. Le prince est utilisé uniquement dans des affaires qui nécessitent une pénétration des sommets diplomatiques ou de la haute société à l'étranger. Wurmann raconte qu'en février 1941 Canaris lui demanda de faire dé-réquisitionner la villa que le prince possédait à Biarritz, et qu'il y vint peu après. Il savait que Wurmann était le représentant de l'Abwehr à Biarritz et il lui confia qu'il était allé à Madrid voir Samuel Hoare (à son invitation ou à l'instigation de Canaris, le point n'est pas clair -mais il est certain que Canaris connaissait à l'avance le rendez-vous projeté). Hoare demanda à Hohenlohe s'il serait prêt à servir d'intermédiaire entre les gouvernements anglais et allemand pour transmettre certaines propositions qui pourraient être faites, ce à quoi Hohenlohe donna son accord. Hoare accompagna Hohenlohe à la gare pour prendre congé et lui dit : "Vous entendrez parler de moi courant avril 1941 et je voudrais avoir votre parole que, où que vous vous trouviez, vous viendrez tout de suite à Madrid lorsque je vous télégraphierai." Hohenlohe donna son accord, mais on n'entendit plus parler de Hoare et les Allemands ont toujours pensé que c'est parce que les Anglais avaient connaissance à l'avance de la guerre imminente avec la Russie.


Je livre à la méditation générale les ressemblances et les différences de ce document avec le télégramme Lequio.

Re: Le télégramme "Lequio"

Nouveau messagePosté: 25 Oct 2011, 06:57
de François Delpla
Si je ne vous connaissais pas je penserais que tout cela vous ennuie !

Mais puisque je vous connais je sais que vous êtes tout ouïe.

Alors un petit mot de travailleur depuis la mine.

Je suis à Londres et je vais photographier tout ce qui est accessible sur les activités de Hohenlohe. D'ores et déjà j'ai la date de la fameuse conversation : le 6 mars. Et des bruits qui ne sont que des bruits mais intéressants : vers la fin de la guerre les Anglais sont persuadés que Hohenlohe est non seulement un poisson pilote de Hitler et un homme de Canaris, mais un cadre du SD. Ce n'est pas seulement un mondain très utile, mais un SS (ou équivalent) de haut vol.

Hillgarth de son côté vient facilement à Londres. Il y est en avril. Il faudrait pouvoir le repérer en février mais chou blanc pour l'instant.

En revanche, une chose croustillante : les dossiers ordinaires du FO montrent un Hoare expliquant laborieusement à Cadogan (premier sous-secrétaire, adjoint direct d'Eden... et chargé des affaires de services secrets au sein du ministère) qu'il a dû rencontrer Hohenlohe en catastrophe le 6 mars parce que ce dernier repartait tout de suite... et donner non pas le mot à mot de la conversation mais un "mémorandum" sur elle, bien dans la ligne ! L'Angleterre ne traite pas avec Hitler etc.

Il faut voir ce qu'en dit Cadogan dans son journal, édité en 1971. En attendant, j'ai fait un saut à Cambridge pour photographier l'original. Je ferai les comparaisons au retour.

Apparemment Hoare fait le sourd devant la demande de mot à mot que lui adresse respectueusement Cadogan. C'est là qu'apparaît le coup de génie, peut-être forcé, de Churchill, consistant à nommer ambassadeurs des gens qui sont des poids morts et des dangers à Londres. Il les contrôle beaucoup mieux de loin tout en utilisant leurs idées à ses fins propres. Hoare est très officiellement, selon le titre de son livre, "ambassadeur en mission spéciale", c'est-à-dire dépendant à la fois du FO et du premier ministre. D'où le respect avec lequel Cadogan l'engueule (il se doute qu'il y a du Churchill là-derrière et qu'il ne faut pas trop creuser) et la timidité qu'il met à lui rappeler qu'un principe on évite "ce genre de conversation dont les avantages en termes d'information sont faibles et balancés par les inconvénients".

Re: Le télégramme "Lequio"

Nouveau messagePosté: 25 Oct 2011, 09:09
de JARDIN DAVID
Pas de soucis François, s'il n'y a pas de réponses (du moins de ma part) c'est:
- que je déguste en direct la dissection
- comme il faut faire preuve d'éducation, on ne doit pas parler en mangeant
- et qu'il n'y a pas de jeux de mots souhaitables pour le moment

Re: Le télégramme "Lequio"

Nouveau messagePosté: 25 Oct 2011, 14:43
de alberto
Oui, et puis aussi on est feignant (surtout moi !)

Je me mélange un peu dans les dates...

Et puis un truc me titille : a quelle date Winston a-t-il eut pu avoir connaissance de l'imminence de Barbarossa ?

En te souhaitant de fructueuses découvertes !

PS : seras-tu devant France 2 ce soir ?

Re: Le télégramme "Lequio"

Nouveau messagePosté: 25 Oct 2011, 22:37
de François Delpla
La journée d'aujourd'hui a été plus que fructueuse.

Je suis sur de très gros coups ! Et pas que sur cette affaire. Hitler infiltrait les Anglais sur une vaste échelle et l'affaire "Lequio" est l'une des rares exceptions inverses (je veux dire au sommet; dans l'action quotidienne peut-être les infiltrations s'équilibrent-elles ou sont-elles à l'avantage des Alliés).

Il va falloir ouvrir d'autres fils.

Le plus énorme : un SS de haut vol qui se prend à douter et passe chez les Anglais fin 1942 après avoir été soi-disant arrêté par ses pairs pour avoir aidé la résistance polonaise. Les Anglais lui font toute confiance tant ils ont besoin de savoir qui pense quoi et fait quoi au sommet de la pyramide nazie, puis brusquement au lendemain de la guerre, en interrogeant les autres, ils perdent confiance et l'homme finira en prison dans les années 60, accusé d'avoir tué 5000 Polonais.

Ce genre de réussite, paradoxalement, aide à comprendre que Hitler ait pu mordre à l'hameçon Churchill-Hoare : excès de confiance.

Re: Le télégramme "Lequio"

Nouveau messagePosté: 25 Oct 2011, 22:41
de fbonnus
Voila que cela devient passionnant. Vite les détails ... J'ai toujours été persuadé qu'Hitler avait largement infiltré les "Alliés" et que ces derniers ne s'étaient aperçus de même pas le dixième de l'ampleur de l'infiltration ... L'ancêtre des Services Secrets dignes de la Stasi ::dubitatif:: ... ?

A te lire

Amicalement