Post Numéro: 95 de François Delpla 04 Nov 2011, 17:20
Faisons donc un peu le point des acquis anciens et récents.
A tout seigneur tout honneur : notre sourcier s'appelle Martin Allen. Il a été le premier, en 2003, à tirer quelque chose du télégramme Lequio, publié en 1986. Mais s'il a l'instinct du découvreur de sources il n'a aucun talent pour les exploiter. Forgeant ou, en tout cas, utilisant des faux, il nous invente une conspiration britannique entre plusieurs dizaines de personnes, d'un niveau d'information égal, et démarrant en août 1940 : une complicité au long cours entre Churchill et Halifax, largement connue du Foreign Office et des services secrets, pour faire croire à Hitler qu'ils sont à la lutte et que le second va bientôt l'emporter.
En recentrant le débat sur ce télégramme et en éliminant toutes les pièces démontrées ou soupçonnées fausses, on trouve quelque chose de beaucoup plus limité, et dans le temps, et dans les complicités. Halifax est complètement hors du coup et le pilier, à part Churchill, semble être Eden. Ils convainquent Samuel Hoare de jouer au traître une fois et une seule, pour solde de tout compte, le 6 mars. Ce que Harlequin-Wurmann nous apprend d'intéressant, par rapport à Lequio, c'est que Hoare avait donné à Hohenlohe quelques précisions sur la suite : il allait se passer des choses en avril (1941, ô Brehon !), et Hohenlohe devait être prêt à accourir à Madrid. Intéressante aussi est la phrase finale "Hohenlohe donna son accord, mais on n'entendit plus parler de Hoare et les Allemands ont toujours pensé que c'est parce que les Anglais avaient connaissance à l'avance de la guerre imminente avec la Russie."
En d'autres termes, Hitler, voyant passer avril sans que se produise à Londres le changement de gouvernement espéré, et sans que Hohenlohe soit rappelé à Madrid, n' a pas soupçonné ou, dans sa folie d'envoyé de la Providence, pas VOULU soupçonner une manoeuvre concertée entre Churchill et Hoare. Il s'est dit : les Anglais ont pensé à juste titre que mes préparatifs à l'est n'étaient pas pour enfiler des perles, et Churchill a fermé le clapet de la tendance Hoare en disant qu'il fallait attendre le résultat. Maintenant (mai 42), il est là, le résultat : je joue mon va-tout vers le Caucase et Stalingrad mais pour le cas où cela foire il faut reprendre langue avec Hoare et lui demander s'il est ravi à l'idée de voir les hordes rouges à Calais.
Seulement il est coincé par son souci de sauver le nazisme, le racisme et autres joyeusetés aryanophiles : il faut faire admettre à Hoare qu'il aura à s'entendre, sinon avec Hitler, du moins avec Himmler. Si le poisson mord, on verra bien : Hitler relégué dans une fonction honorifique... ou suicidé, et toute la gamme des solutions intermédiaires.
Quelqu'un voit-il des éléments qui contredisent ce schéma ?