Ce faussaire a publié au XIXème les poèmes d'un barde médiéval nommé Ossian, qu'il prétendait avoir trouvés dans de vieux grimoires et qui étaient intégralement de lui, ce qui ne les empêche pas d'être classés dans les chefs-d'oeuvre de la littérature universelle.
En l'occurrence, Allen a forgé, ou s'est laissé mettre en main par des faussaires, des documents qui permettent de suivre pas à pas une conspiration des services secrets britanniques, pilotée par Churchill en personne, pour attirer un haut responsable allemand en Angleterre.
Cependant, il y a dans sa construction pas mal d'éléments incontestés qui suffisent à étayer la thèse, même si on suit de moins près les méandres de la conspiration.
Le plus important et troublant me semble être celui-ci, qu'il ne cite pas intégralement et que je viens d'aller récupérer en bibliothèque :
Madrid, le 14 mars 1941 [70 ans hier !]
Le prince de Hohenlohe séjourne à Madrid. Ce grand propriétaire terrien de la région des Sudètes est bien connu dans les milieux financiers de Londres, de New-York et également de Madrid, pour avoir épousé une très riche Hispano-Américaine, Madame Yturbi. C'est aussi un homme de confiance de Hitler, qui se sert souvent de lui pour sonder les humeurs et les tendances du camp ennemi, ainsi que pour remplir des missions secrètes à titre d'agent officieux.
Il me revient de source sûre que Hohenlohe s'est entretenu ces jours-ci avec l'ambassadeur d'Angleterre, sir Samuel Hoare, et en a obtenu des déclarations qui peuvent se résumer ainsi : "La situation du gouvernement anglais ne serait plus aussi solide. Churchill, malgré la récente loi américaine en faveur d'une aide à la Grande-Bretagne, ne disposerait plus d'une majorité. Hoare prévoit, en conséquence, qu'il sera tôt ou tard rappelé à Londres pour prendre la direction du gouvernement, avec l'objectif précis de rechercher une paix de compromis. Sur ce chapitre, il a déclaré avec la plus grande énergie qu'il n'accepterait cette charge qu'à condition de disposer des pleins pouvoirs. Il a ajouté qu'Eden serait écarté de la direction des Affaires étrangères pour occuper un autre poste dans le cabinet, et remplacé par l'actuel sous-secrétaire d'Etat Butler, qu'il a présenté comme un homme plein de bon sens et parfaitement à la hauteur de la dure tâche qui lui incombera.
L'ambassadeur d'Allemagne, également informé de l'entretien en question, a adressé à Berlin des informations similaires.
(source : Documenti diplomatici italiani, Nona serie, vol VI, Istituto poligrafico e Zecca dello Stato, Rome, 1986, p. 701.)
D'après Allen, Hoare jouait déjà ce jeu-là depuis novembre. Cela me paraît douteux, pour toutes sortes de raisons. En revanche il est clair qu'à la mi-mars il rattrape le temps perdu ! Mais une chose n'est pas moins claire : une telle démarche ne saurait être faite qu'avec l'aval de Churchill et en en coordination étroite avec lui (notamment par l'intermédiaire d'Alan Hillgarth, son homme de confiance et celui du MI 6 en Espagne). On ne voit pas en effet un "parti de la paix", englobant Butler, annoncer avec autant de netteté à Hitler qu'il entre en conspiration... si c'était vrai.