Post Numéro: 15 de Camille François 21 Sep 2011, 14:36
Dans le livre consacré à la poche sud de Saint-Nazaire, j'ai relaté l'histoire de l'Opération Chariot.La voici:
Opération Chariot (28 mars 1942)
Saint-Nazaire.
Il est minuit vingt-cinq, ce 28 mars, lorsque les sirènes mugissent.
Une alerte. Une de plus.
La plupart des Nazairiens descendent dans les caves et les abris. De leur côté, les Allemands se mettent à couvert aussi, dans les abris qui leur sont réservés.
Cinq avions de la R.A.F. se font très vite entendre, survolant la ville à basse altitude. La Flak allemande riposte aussitôt avec violence. Canons anti-aériens et mitrailleuses crachent leur feu dans un ciel éclairé par de puissants faisceaux lumineux.
— Tiens ! Ils tournent en rond mais ne lancent pas de bombes !
Et chacun de se faire la même remarque. Alors ce sont des avions de reconnaissance sans doute ; ce n’est pas la première fois qu’ils viennent tourner ainsi, quoique d’habitude, cela dure moins longtemps.
Une heure plus tard, la D.C.A. faiblit. La fin de l’alerte va sonner, on se prépare à quitter les abris. C’est alors qu’un vacarme assourdissant retentit : éclats d’obus, crépitement de mitrailleuses, coups de fusils. Mais que se passe-t-il ?… Un parachutage ?… Des bruits, des murmures commencent à circuler :
— On se bat dans les rues, sur les quais !
— Les Allemands courent en tous sens !
— Des destroyers anglais se dirigent vers l’entrée « nord » !
Le téléphone ne marche plus, les fils sont coupés.
— Des troupes anglaises sont signalées dans les chantiers !
Des estafettes qui vont et viennent, apportent d’autres nouvelles :
— Les Allemands sont complètement débordés !
De deux heures à trois heures trente, on se bat toujours. Les gens, terrés dans les abris, ne peuvent en sortir. A quatre heures, l’adjoint au maire s’entend annoncer :
— Il y a un Débarquement !
Nantes est alertée. Quelques Nazairiens, courageux, se glissent dehors.
Mais enfin que se passe-t-il ?
Outre qu’elle est une des plus importantes bases navales de la Côte Atlantique, Saint-Nazaire possède une cale sèche : la forme-écluse Joubert, joignant le bassin de Penhoët à la Loire.
Longue de trois cent cinquante mètres, large de quarante-six, pouvant recevoir un cuirassé de trente-cinq mille tonnes, elle est fermée à chaque extrémité par une porte roulante, haute de quinze mètres et large de six.
L’arrivée du « Tirpitz » dans la forme-écluse, mettrait en danger le sort du ravitaillement et du matériel américain en cas d’un débarquement. C’est pourquoi le Bureau des Opérations Combinées du Grand État-major Impérial Britannique, décide un coup de main, dont l’objectif principal est la mise hors service de la forme-écluse.
Créé au tout début de la guerre, le service spécial des Opérations Combinées est baptisé « Commandos ». A partir du 17 octobre 1941, le capitaine Lord Louis Mountbatten en prend la tête en qualité de Commandant en chef.
Dès 1940, ces Commandos effectuent quelques missions, notamment près de Boulogne-sur-Mer et contre Guernesey, puis en 1941, en Campanie italienne, contre les îles Lofoten, contre le Spitzberg et en Norvège. Mais, en ce 28 mars 1942, le Commando Britannique a rendez-vous à Saint-Nazaire. L’Opération Chariot vient de commencer.
Placées sous le commandement du lieutenant-colonel Newman, les forces navales se composent d’un vieux destroyer américain le Campbeltown, commandé par le Capitaine de corvette Beattie ; d’une canonnière à moteur, commandée par le Lieutenant de vaisseau Curtis ; d’une vedette lance-torpilles et de seize vedettes à moteur, dont douze chargées des hommes du Commando et quatre des torpilles.
Le 26 mars, la flottille quitte l’Angleterre et prend la direction de la Rochelle pour tromper l’ennemi. Le 27 au soir, elle remonte vers le nord-est.
A minuit, Saint-Nazaire est là, droit devant…
Occupés par l’alerte, les Allemands ne remarquent pas ces sombres navires. Un guetteur pourtant finit par repérer « des tâches noires qui cherchent à rentrer ». Il les interroge de son télégraphe optique :
— Vedette rapide lui répondent-elles.
Bien que rassuré, l’Allemand envoie tout de même un faisceau lumineux pour confirmation. L’arrière du navire apparaît alors en pleine lumière, ainsi que… « L’Union Jack » qui flotte au vent !
— Les Anglais ! Les Anglais !
L’alerte est aussitôt donnée, branle-bas de combat à tous les postes de D.C.A. C’est à partir de ce moment que les Nazairiens, dans les abris, entendent un vacarme assourdissant.
Entre les Britanniques et les Allemands commence un véritable feu d’enfer, tandis que le destroyer, la proue renforcée et certaines parties du pont fortement blindées, continue sa route, franchit le filet anti-sous-marin qui protège l’entrée de la forme-écluse et éperonne, à pleine vitesse, la porte roulante.
Le but de la mission est atteint.
Pendant ce temps, dans la rade, les vedettes et la canonnière continuent le combat tout en cherchant à débarquer des troupes. Mais les vedettes en bois, équipées de réserves de carburant sautent ou brûlent sur une mer en feu. Cependant, certaines réussissent à aborder et débarquent les hommes du Commando. De son côté, la canonnière continue à tirer, mais prise sous le feu d’une batterie située sur le toit de la base sous-marine, doit très vite, sur l’ordre du commandant Ryder, se replier. A terre, le Lieutenant-colonel Newman et ses hommes se glissent silencieusement dans les rues cernées par les Allemands qui hurlent :
— Les Anglais ont débarqué !
A présent, les objectifs à atteindre sont de détruire les postes de manœuvre amont et aval des portes, et la station de pompage. Le tableau électrique est démoli, le poste aval totalement saccagé. Trois hommes sont tués au moment où ils s’apprêtent à faire sauter la porte « nord » de la forme-écluse.
A l’entrée « sud » du port, des équipes de destructions sont également en place. Quant à l’entrée « est », la vedette lance-torpilles y projette des engins à retardement.
Trois heures du matin. Les équipes anglaises survivantes se regroupent sur le port dans le Vieux Môle. Les unes ont accompli leur mission, les autres ne l’ont pu, rencontrant une trop forte résistance ennemie.
A présent que faire ? D’un côté, la mer, de l’autre la ville infestée d’Allemands. Newman donne l’ordre : se fondre dans la nuit et essayer de traverser la ville pour gagner la campagne et rejoindre l’Angleterre par ses propres moyens.
Si les assaillants disparaissent dans le noir, les germains de leur côté se ressaisissent : par petits groupes, ils parcourent les rues, descendent dans les caves et les abris en hurlant :
— Tommies ! Tommies !
Les civils sont sortis rudement à l’air libre.
Cinq heures. Un petit groupe anglais essaie de pénétrer dans la base sous-marine. Impossible, les portes sont bien gardées. Dans la ville les Allemands fouillent partout, regardent dans les armoires et sous les lits.
Six heures. Quelques rares coups de feu espacés. Tandis que les derniers civils sortent des caves, l’ennemi rigole :
— Tommies alles kaput !
La population est triste et déçue.
Six heures trente. La B.B.C. annonce :
— Un coup de main sur Saint-Nazaire a été réussi, les buts ont été atteints !
Dès huit heures trente, les rues se remplissent de curieux. On discute, on cherche une explication à cette nuit terrible. Beaucoup se pressent sur le port, au bord de la forme-écluse, côtoient les Allemands pour voir le Campbeltown. Finalement il n’a fait que peu de dégâts à la porte. Sous la rudesse du choc, son avant s’est soulevé hors de l’eau et s’est posé sur la porte elle-même. L’arrière est affaissé, le destroyer est maté, l’avant en l’air.
Les Allemands considèrent le vieux destroyer d’un œil suspect :
— Que signifie ce « éperonnage » ?
L’interrogatoire de deux Anglais faits prisonniers ne leur apporte qu’une réponse :
— Pas de danger !
Quarante officiers et experts allemands se décident :
— Alors, vous venir avec nous. On va visiter…
A onze quarante-cinq, les cinq tonnes de cheddite contenues dans la cale du Campbeltown explosent dans un vacarme effroyable, pulvérisant toute vie humaine qui se trouve à bord et au voisinage, faisant à peu près quatre cents victimes. Il ne reste plus rien des officiers et experts allemands, ni des deux prisonniers anglais. Des débris humains sont éparpillés sur plus de deux kilomètres.
Cette fois, la porte de l’écluse est arrachée et la station de pompage totalement détruite. Par l’énorme brèche ouverte dans la porte, l’eau s’engouffre en une vague gigantesque dans la forme, projetant le vieux destroyer éventré jusqu’au milieu du bassin du « Normandie ». Deux grands navires qui s’y trouvent en réparations se heurtent, puis sous la poussée des flots vont frapper contre la porte amont, lui occasionnant d’énormes dégâts.
Le 30 mars, à seize heures, alors que l’on va procéder aux obsèques des victimes du raid, une violente explosion ébranle la ville : c’est la première des torpilles à retardement qui saute, soixante heures après avoir été placée devant la porte du bassin, à l’entrée « est » du port.
Cette nouvelle attaque déclenche la fureur des Allemands qui se retournent contre la population civile, tirant sur tout ce qui bouge. Au matin du 31 mars, on compte seize tués et vingt-six blessés.
Les pertes, côté britannique, s’élèvent à une cinquantaine de tués dans les combats de rues, une soixantaine de prisonniers, parmi lesquels le Lieutenant commandant le Campbeltown, et près de deux cents noyés, soldats et marins, dont on retrouvera les corps à Mindin, Pornichet et jusqu’à La Bernerie et La Turballe.
Côté allemand, elles se montent à une quarantaine de tués dans les combats de rues, à une cinquantaine sur le Campbeltown, et à une vingtaine dans les échauffourées du lundi, soit en tout une centaine de morts. S’ajoutent à cela les quatre cents morts tués au cours de l’explosion du destroyer.
Le Commando Britannique sur Saint-Nazaire a réussi sa mission. Le « Tirpitz » ne viendra jamais trouver refuge dans la forme-écluse Joubert.