Article paru dans l' Humanité, en 2004
Elle était une figure exemplaire du XXe siècle, modeste et magnifique de fermeté intellectuelle, belle et droite, fidèle et souvent révoltée.
Ceux qui côtoyèrent jadis la librairie du PCF, rue Racine, se souviennent évidemment de Marguerite MONINO-ORLIANGES, cette " vieille dame " que rien ne surprenait et que certains, emportés et inspirés par une onde d'amitié quasi filiale, surnommaient parfois " deuxième maman " ou " ma tante ".
Comme un symbole. Comme une préface à une vie sans soumission. Il y a quelques jours, notre Marguerite s'en est allée, dans sa 98e année, le corps paisible.
Née en 1905, petite soeur en quelque sorte du journal fondé par Jean Jaurès un an plus tôt, elle eut le destin de ces femmes qui croisèrent l'Histoire en essayant, autant que possible, avec courage et douleurs, de la dominer.
Adhérente du PCF dès 1924, reçue à l'École des arts décoratifs et instruite au marxisme par Charles Rappoport, elle entre chez Gallimard en 1930 avec le " titre " de responsable du cabinet de lecture - l'amour éperdu des lettres ne la quittera plus.
Lorsqu'elle croise, quatre ans plus tard, son futur mari, le fils d'aristocrate désargenté Juan, l'engagement fusionne avec l'amour.
D'abord la guerre d'Espagne, où l'homme, officier dans l'armée républicaine, sert en Andalousie. Marguerite s'engage elle aussi et encadre le Secours rouge international auprès des brigadistes français.
Juan arrêté, il n'échappe à ses geôliers fascistes et nazis qu'en 1943.
Il retourne à Paris où Marguerite, depuis longtemps déjà, joue un rôle actif dans la Résistance comme agent de liaison où elle aide un certain Joseph Epstein, fusillé au Mont-Valérien.
Après la Libération, la passion littéraire la rattrape et ne la quittera plus, autant à la CGT qu'auprès des communistes.
Dès 1950, elle participe activement aux " batailles du livre " lancées par Elsa Triolet. Les bibliothèques fleurissent et sa cour rayonne.
Cette " passeuse de savoir " conseille, lit à haute voix, apprend, transmet, n'hésitant jamais à égratigner son " Parti " quand elle le juge nécessaire.
En 1980, elle perd Juan, l'homme de sa vie. Et en 1994, son fils José, l'autre homme de sa vie.
Grâce à elle, des générations entières de jeunes, communistes ou pas, ont découvert des auteurs et appris l'histoire dans les livres ", se souvient un ami. Dans ses cinquième et sixième arrondissements de Paris qu'elle aimait tant, son ombre belliqueuse et rêveuse continue de flotter.
À la terrasse des cafés, ne vous étonnez donc pas si les pages de vos livres tournent plus vite que prévu…
Elle était ma grand-mère, toute-puissante et invivable, mais une grande dame...
Ce Joseph Epstein n'a jamais livré sous la torture le nom de ma grand-mère qui lui doit la vie.
Cet homme avait l'étoffe d'un héros...