Post Numéro: 66 de François Delpla 16 Oct 2009, 07:00
Comprendre, disais-je. Seb ajoute à juste titre : en scrutant les faits. Bruno s'en montre fort capable à d'autres propos, alors qu'ici il n'a de cesse d'amalgamer et de généraliser. Cela lui passera si tous les autres restent sereins.
On a répandu tant de confusion autour du mot "communisme" qu'il est aujourd'hui rigoureusement impossible à définir sans ajouter une demi-page pour préciser de quoi on parle.
Celui de 1939 quel est-il ? En laissant provisoirement de côté Trotsky, il s'agit d'une entreprise internationale structurée depuis la capitale d'un vaste pays censé commencer à incarner l'Idée. Ce qui offre une contradiction essentielle : les communistes non soviétiques doivent le matin travailler à saper leurs gouvernements et le soir les acclamer, pour peu que leur politique extérieure serve les intérêts de l'Etat soviétique ou du moins ce que Staline considère provisoirement comme tel. Mais ces mêmes communistes non soviétiques son également non fous et non suicidaires : ils ont tendance, pour entraîner leurs compatriotes, à trouver dans leurs propres traditions nationales tout ce qui se rapproche plus ou moins de l'Idée... surtout quand Staline flirte avec leurs gouvernements. En France, il le fait dès le premier semestre 34, affolé par le pacte germano-polonais de janvier, et accessoirement par le 6 févier français qui laisse craindre une tache d'huile fasciste en Europe occidentale. Et d'un coup de baguette magique, le communisme français anarchisant de 1930, qui jouait surtout à cache cache avec les flics, devient tricolore, militariste, syndicaliste, électoraliste, familial, etc. etc.
Le changement de décor brutal du 23 août 39 fait-il repartir le pendule totalement à l'opposé ? Voilà au fond ce dont nous discutons sur ce fil. Et il est évident que non. Perplexité à tous les étages. Aucune envie de lâcher la proie pour l'ombre. Ne pas oublier non plus le ressort principal de la victoire à plate couture des communistes sur les socialistes au congrès de Tours (1920) : la haine de la guerre et d'une direction qui n'a pas su trouver autre chose que "l'union sacrée" avec la bourgeoisie, sans négociation aucune, en 1914, alors que, pour faire advenir le conflit, Poincaré avait soufflé sur les braises autant que Guillaume II, et laissé tuer Jaurès tout en couvrant son cercueil de larmes de crocodile. Or en 1939, l'agression allemande ne fait aucun doute. On peut donc approuver le pacte, au nom du fait qu'il protège la révolution russe d'une destruction certaine (ou au moins d'un danger immense), tout en disant à Hitler : "viens chez nous si tu l'oses, tu verras de quel bois antinazi nous nous chauffons".
Pour commencer un tout petit peu à changer cette mentalité, il faudrait des consignes moscoutaires claires, fermes et assorties des pires sanctions. Or ce n'est pas l'intérêt de Staline de les donner. Il n'est en effet pas marié avec Hitler, juste d'accord pour ne pas subir son choc, et partager le territoire limitrophe. Pour le reste, il juge comme la planète entière ce Hitler plutôt mal parti face à une coalition qui tient les mers, et il fait la planche.
Alors évidemment, comme la dialectique a besoin de retomber sur ses pieds, le discours démocratique et antinazi de l'Internationale fait place à un autre, renouvelé précisément de 1914, sur la "guerre impérialiste". Et à tous les niveaux des communistes le comprennent comme une invitation à ne pas trop en faire. Mais peut-être y a-t-il plus machiavélique (au petit pied), notamment quand en Norvège la balance commence à pencher en faveur du Reich : quelques sabotages bien calculés et manipulés en haut lieu pour pouvoir dire à Hitler, s'il gagne, qu'on lui a donné un coup de main ?
Ce qui n'enlève rien à ce que je disais l'autre jour : quand la ruine de la France se précise, Staline refait aux Occidentaux des clins d'oeil appuyés.
Ce danseur donne le tournis à toutes ses partenaires !
Mais Hitler, qui paraît faire tapisserie, dirige en sous-main le ballet.