Re: 3 septembre 1939 : Hitler s'attendait-il à la guerre ?
Posté: 10 Sep 2009, 06:32
de Gérard Noiriel http://cvuh.free.fr/spip.php?article188 :
A ceux qui, ne se laissant pas arrêter par son écume, ne trouvent pas le débat ennuyeux, et qui préfèrent en chaque intervention trier le positif, je propose que nous réfléchissions à la notion de "source" telle qu'elle vient d'être agitée.
Il ne faudrait pas tomber dans une sourçomanie : j'ai un texte collant trait pour trait avec ce que j'affirme, tu n'en as pas, tu passes ton tour. Noiriel nous appelle au questionnement scientifique, et à la confrontation des sources.
Les deux préceptes se rapportent à ce que j'appelle ici l'obligation de ne pas s'arrêter au premier degré.
Des milliers de documents et de témoignages montrent un Hitler cultivant le goût du secret, feignant des colères ou des contrariétés, pratiquant un art consommé de la surprise. En voilà, des sources qui montrent que pour juger de ce qu'il a en tête et si on veut vraiment comprendre ce qui se passe, on ne peut jamais se contenter d'une parole sortie de sa bouche, une seule fois qui plus est.
Cela dit, une autre règle d'or est de ne pas considérer que sa méthode, ou sa thèse, est la bonne, du moment qu'on a invalidé celles d'un contradicteur. La contradiction est faite pour stimuler chacun et l'inciter à approfondir son point de vue, elle n'est pas un match au terme duquel on désigne un vainqueur, en proclamant que lui a atteint la vérité historique!
Quand Hitler se retourne vers Ribbentrop, après l'annonce de l'entrée en guerre de l'Angleterre, en disant d'un air contrarié "Et maintenant ?", la question n'est pas de savoir si on a un témoin pour certifier qu'en sortant de la pièce il a rigolé de la naïveté de Ribbentrop en compagnie de complices sachant depuis des mois voire des années qu'il voulait faire éclater cette guerre à ce moment. Cela pourrait être, ou ne pas être. ll semble que ce ne soit pas. Il faut donc trouver autre chose. Sauf si on veut rester à la surface des choses, mais ce n'est peut-être pas la vocation première de l'historien.
Dès lors et heureusement les sources deviennent fort abondantes, puisqu'on ne se concentre plus sur un fait matériel peu significatif -une phrase de deux mots dans la bouche d'un menteur- mais on cherche à dégager le sens de toute une stratégie, au moins depuis Munich.
Dès lors la comparaison avec la crise des Sudètes n'est pas un luxe mais une nécessité. Et là tout plaide dans le même sens, celui même du "bluff hitlérien" auquel beaucoup de gens croyaient à juste titre en 1938, et auquel ils ont hélas cessé de croire, même pour 1938, devant le spectacle de 1939. En 1938, rien n'est prêt sur aucun plan, ni matériel, ni diplomatique ni surtout moral. La masse des Allemands se fiche bien des Sudètes, détachés d'elle depuis des siècles -alors que l'ablation, 20 ans plus tôt, de Dantzig et du corridor a été un drame national tissé de petits drames familiaux. En 38, les officiers supérieurs allemands n'ont nullement été chambrés au Berghof lors de grandes réunions où Hitler pèse le pour et le contre, comme c'est le cas en 39 dès le mois de mai. Diplomatiquement, outre le pacte germano-russe sur lequel je ne reviens pas, il y a la provocation du 15 mars qui déchire les accords de Munich sur deux plans : violation de leur lettre et surtout de leur esprit, puisqu'en 38 le Reich avait juré qu'il ne demandait que le regroupement des germanophones et "ne voulait pas de Tchèques", tandis que ce 15 mars Hitler parade à Prague en conquérant et brode sur le thème de "l'espace vital".
Tout cela ne peut que cabrer Chamberlain, et est visiblement fait pour. Mais pendant ce temps, Hitler garde un contact étroit avec la diplomatie polonaise, sur un double thème : il va falloir régler Dantzig; mais nous pourrions nous entendre contre les Russes. Dès lors Beck, dictateur polonais, est poussé à chercher vers l'ouest seulement une protection, et c'est la garantie anglaise, soulignée d'un voyage à Londres. Hitler tient son prétexte pour déclencher la guerre au moment exact où il l'aura voulu.
Face à un comportement aussi clair, des petites phrases contrariées pèsent peu... pour démontrer le contraire. En revanche, elles sont précieuses pour rappeler que Hitler devait impérativement faire semblant de n'en vouloir qu'à la Pologne et de croire que Paris et Londres se contenteraient d'une énième protestation. Faute de quoi tout le monde se replongeait dans Mein Kampf et comprenait soudain qu'il était "plus tard que tu ne penses".
L’objectivité de l’historien est donc relative, car l’histoire s’écrit toujours à partir d’un point de vue particulier. Il est préférable, selon nous, de le reconnaître, plutôt que de faire croire à une objectivité qui n’est le plus souvent qu’une subjectivité qui s’ignore. Mais cela n’empêche nullement qu’un véritable historien doit nécessairement respecter les trois grandes règles de son métier : la pertinence du questionnement scientifique, le refus des jugements de valeur et la confrontation des sources.
A ceux qui, ne se laissant pas arrêter par son écume, ne trouvent pas le débat ennuyeux, et qui préfèrent en chaque intervention trier le positif, je propose que nous réfléchissions à la notion de "source" telle qu'elle vient d'être agitée.
Il ne faudrait pas tomber dans une sourçomanie : j'ai un texte collant trait pour trait avec ce que j'affirme, tu n'en as pas, tu passes ton tour. Noiriel nous appelle au questionnement scientifique, et à la confrontation des sources.
Les deux préceptes se rapportent à ce que j'appelle ici l'obligation de ne pas s'arrêter au premier degré.
Des milliers de documents et de témoignages montrent un Hitler cultivant le goût du secret, feignant des colères ou des contrariétés, pratiquant un art consommé de la surprise. En voilà, des sources qui montrent que pour juger de ce qu'il a en tête et si on veut vraiment comprendre ce qui se passe, on ne peut jamais se contenter d'une parole sortie de sa bouche, une seule fois qui plus est.
Cela dit, une autre règle d'or est de ne pas considérer que sa méthode, ou sa thèse, est la bonne, du moment qu'on a invalidé celles d'un contradicteur. La contradiction est faite pour stimuler chacun et l'inciter à approfondir son point de vue, elle n'est pas un match au terme duquel on désigne un vainqueur, en proclamant que lui a atteint la vérité historique!
Quand Hitler se retourne vers Ribbentrop, après l'annonce de l'entrée en guerre de l'Angleterre, en disant d'un air contrarié "Et maintenant ?", la question n'est pas de savoir si on a un témoin pour certifier qu'en sortant de la pièce il a rigolé de la naïveté de Ribbentrop en compagnie de complices sachant depuis des mois voire des années qu'il voulait faire éclater cette guerre à ce moment. Cela pourrait être, ou ne pas être. ll semble que ce ne soit pas. Il faut donc trouver autre chose. Sauf si on veut rester à la surface des choses, mais ce n'est peut-être pas la vocation première de l'historien.
Dès lors et heureusement les sources deviennent fort abondantes, puisqu'on ne se concentre plus sur un fait matériel peu significatif -une phrase de deux mots dans la bouche d'un menteur- mais on cherche à dégager le sens de toute une stratégie, au moins depuis Munich.
Dès lors la comparaison avec la crise des Sudètes n'est pas un luxe mais une nécessité. Et là tout plaide dans le même sens, celui même du "bluff hitlérien" auquel beaucoup de gens croyaient à juste titre en 1938, et auquel ils ont hélas cessé de croire, même pour 1938, devant le spectacle de 1939. En 1938, rien n'est prêt sur aucun plan, ni matériel, ni diplomatique ni surtout moral. La masse des Allemands se fiche bien des Sudètes, détachés d'elle depuis des siècles -alors que l'ablation, 20 ans plus tôt, de Dantzig et du corridor a été un drame national tissé de petits drames familiaux. En 38, les officiers supérieurs allemands n'ont nullement été chambrés au Berghof lors de grandes réunions où Hitler pèse le pour et le contre, comme c'est le cas en 39 dès le mois de mai. Diplomatiquement, outre le pacte germano-russe sur lequel je ne reviens pas, il y a la provocation du 15 mars qui déchire les accords de Munich sur deux plans : violation de leur lettre et surtout de leur esprit, puisqu'en 38 le Reich avait juré qu'il ne demandait que le regroupement des germanophones et "ne voulait pas de Tchèques", tandis que ce 15 mars Hitler parade à Prague en conquérant et brode sur le thème de "l'espace vital".
Tout cela ne peut que cabrer Chamberlain, et est visiblement fait pour. Mais pendant ce temps, Hitler garde un contact étroit avec la diplomatie polonaise, sur un double thème : il va falloir régler Dantzig; mais nous pourrions nous entendre contre les Russes. Dès lors Beck, dictateur polonais, est poussé à chercher vers l'ouest seulement une protection, et c'est la garantie anglaise, soulignée d'un voyage à Londres. Hitler tient son prétexte pour déclencher la guerre au moment exact où il l'aura voulu.
Face à un comportement aussi clair, des petites phrases contrariées pèsent peu... pour démontrer le contraire. En revanche, elles sont précieuses pour rappeler que Hitler devait impérativement faire semblant de n'en vouloir qu'à la Pologne et de croire que Paris et Londres se contenteraient d'une énième protestation. Faute de quoi tout le monde se replongeait dans Mein Kampf et comprenait soudain qu'il était "plus tard que tu ne penses".