Ian Kershaw dans son Hitler, 1936-1945, Flammarion 2000, pages 457 à 469, sougligne que lorsque le Führer signa sa directive n°16, le 16 juillet, pour les préparatifs d'une opération de débarquement contre l'Angleterre, le préambule, rempli de conditionnel souligne bien le peu de foi que le dictateur allemand avait dans ce plan :
"Puisque l'Angleterre, en dépit de sa situation militairement désespérée, ne donne encore aucun signe reconnaissable d'inclination à trouver un accomodement, j'ai résolu de préparer une opération de débarquement contre l'Angleterre et, si besoin est, de l'exécuter. Le but de cette opération est d'exclure la patrie anglaise en tant que base pour continuer la guerre contre l'Allemagne et, si ce devait être nécessaire, de l'occuper complètement."
On peut remarquer les formules comme "si besoin est", "si ça devait être nécessaire" qui indiquaient la tiédeur d'Hitler.
D'ailleurs Rundstedt, son commandant en chef sur le front ouest, ne prit pas au sérieux cette opération et, il ne se donna jamais la peine d'assister aux exercices de débarquement amphibie !!
Hitler confia même à Goering, en privé, qu'il n'avait pas l'intention de mener à bien cette opération.
3 jours plus tard, le 19 juillet, à l'Opéra Kroll, le dictateur allemand, magnanime, dans une superbe forme oratoire, d'après William Shirer, offre une ouverture de paix à Londres. Le lendemain, Ciano rapporte qu'Hitler ne se faisait plus d'illusions sur des possibilités d'arrangement avec les anglais, après leur réaction négative, et il tint des propos belliqueux envers les britanniques en présence de l'italien. Kershaw pense que ce discours était surtout fait pour impressionner le gendre du Duce, car rencontrant Goebbels, juste après, il changea de langage, et souligna qu'il espérait encore que Londres se montre raisonnable, avec un peu de temps.
Le 21 juillet, en présence de ses chefs militaires, Hitler, selon les dires de Brauchitsch, malgré sa décision d'activer les préparatifs d'invasion, espèrait toujours une solution diplomatique.
3 jours après, Raeder déclara que la Marine ne serait pas prête avant le 15 septembre, il faudrait remettre l'invasion en mai prochain. D'ailleurs Brauchitsch était très sceptique sur la faisabilité d'un débarquement (Le chef de l'OKH a-t-il un jour cru à la faisabilité d'Otarie ? J'en doute, puisque dès juin 40, l'OKH avait lancé, de son propre fait, les plans pour l'invasion de l'URSS, sous la dénomination de Plan Otto.)
Kershaw indique que Halder et Brauchitsch réfléchirent aux possibilités d'affaiblir la position de la Grande-Bretagne outre-mer par des attaques sur Gibraltar, Haïfa et Suez, mais aussi en soutenant les italiens en Egypte (Halder KTB, vol.2,Page 43, 30 juillet 1940).
Le 31 juillet, Hitler réunit ses chefs militaires au Berghof et Raeder réitère sa conclusion sur la chronologie d'une future invasion qui ne pourrait commencer, au plus tôt, que le 15 septembre et se dit partisan d'ajournement de l'opération au mois de mai suivant.
Le Führer va alors garder deux fers au feu. D'un côté il a décidé d'attaquer à l'Est, de l'autre, il espère que les offensives aériennes sur la Grande-Bretagne feront plier celle-ci :
"Si les résultats de la guerre aérienne sont peu satisfaisants, les préparatifs de l'invasion seront arrêtés. Si nous avons le sentiment que les britanniques s'effondrent (...) nous passerons à l'attaque."
Mais il n'en reste pas moins très sceptique sur une invasion et il en arriva à sa conclusion capitale : éliminer la Russie de l'équation. Dans ses notes Halder souliga les points sur lequels Hitler insista :
"La Russie écrasée, le dernier espoir de la Grande-Bretagne serait anéanti."
Le lendemain de la réunion au Berghof, le 1er Août, Hitler signa la directive n°17, intensifiant la guerre aérienne et navale contre la Grande-Bretagne, en vue de son assujettissement final.
L'échec de la Bataille d'Angleterre mit fin au projet Seelowe, le général Otto Hoffman von Waldau, chef d'état major opérationnel de la Luftwaffe déclara qu'il aurait fallu une flotte aérienne quatre fois plus importante pour mettre la Grande Bretagne à genoux.
Mais Hitler, d'après les témoins, n'a jamais été vraiment convaincu que l'offensive aérienne allemande réussirait à jeter les bases d'une invasion qui le laissait en tout état de cause sceptique. Le 17 septembre, il ordonna l'ajournement de l'opération "Lion de Mer".
En conclusion, Hitler n'a jamais vraiment cru à cette opération Seelowe, il faut dire que le grand-Amiral Raeder n'était guère chaud, non plus, et que l'OKH était plus préoccupé par planifier l'invasion de l'URSS, de son propre chef, que de réfléchir à l'invasion des îles Britanniques.
Le Führer a longtemps espéré que les britanniques allaient s'asseoir à la table des négociations, et il avait un vague espoir que l'offensive aérienne et les bombardements de terreur allaient jouer ce rôle. Mais l'offensive d'Août, portée surtout par Goering, en mal de gloire, qui avait promis monts et merveilles au dictateur, laissa Hitler toujours sceptique.
Avec Dunkerque, Seelowe fut une erreur d'appréciation de l'allemand sur les rapports de force au sein du cabinet britannique ainsi qu'une méconnaissance de la politique anglaise, intraitable avec la puissance dominante sur la Continent. Les hésitations d'Hitler, les occasions manquées en Afrique du Nord, notamment en Méditerranée, ne se reproduiront plus.
Certes, l'option russe, était fort alléchante, et promettait d'établir une domination totale sur le continent. Mais comment croire que battre le Russe allait être un jeu d'enfant, alors que l'armée rouge et la puissance industrielle soviétique étaient fort méconnues par les services de renseignement allemands ? Le dictateur n'est pas seul en cause, puisque l'OKH s'était montré, aussi, fort légère, dans son premier plan Otto, qui ne mettait en jeu que 80 divisions pour l'invasion de l'URSS !!