Nicolas Bernard a écrit:Je crois qu'on aurait tort de limiter l'analyse du talent militaire de Hitler au seul domaine... militaire. Le dictateur raisonnait bien au-delà du champ de bataille, essayait de s'insinuer dans le crâne de ses ennemis pour mieux les manipuler, bref se fondait toujours sur une vision d'ensemble de la situation, laquelle échappait à ses généraux. Chez lui, tout est lié : armée, génocide, économie, religions, diplomatie.
Exemple ? La fameuse décision d'obliquer les Panzer sur Kiev en août 1941, qui lui a longtemps été reprochée. En vérité, et quoique audacieux, Hitler ne pouvait guère prendre le risque d'avancer sur Moscou en dédaignant les armées soviétiques d'Ukraine. D'un autre côté, il avait absolument besoin d'un triomphe militaire qui le mettrait en position de force :
1) vis-à-vis du peuple allemand, lequel se laissait aller à critiquer l'extermination des malades mentaux - or, c'est au même moment que Hitler mettait en marche l'annihilation des Juifs, et il a du suspendre la directive d'extermination... jusqu'en octobre-novembre ;
2) vis-à-vis des Occidentaux, pour décourager les Etats-Unis, qui tempéraient jour après jour leur neutralité ;
3) vis-à-vis de l'armée, qu'il fallait reprendre en main en douceur, pour lui rappeler qui était le vrai dirigeant ;
4) vis-à-vis des Soviétiques, enfin, en s'emparant de leurs ressources alimentaires, en conquérant une base de départ pour le pétrole caucasien, bref en préparant une guerre qui s'annonce plus longue que prévu, tout en déprimant davantage les peuples d'U.R.S.S. et en sécurisant la prochaine offensive sur Moscou.
Résultat ? L'Ukraine sera conquise, tout un groupe d'armées soviétiques anéanti, et le Volk plus que jamais enclin à croire aux vertus stratégiques de son "guide". De fait, le 8 novembre 1941, Hitler peut à nouveau relancer le processus d'extermination des Juifs d'Europe, suspendu depuis début août dans les zones situées hors des territoires soviétiques occupés, à commencer par le Grand Reich.
Autre exemple : la campagne de France. Contrairement à la légende, c'est Hitler qui a eu l'idée du "coup de faux" et - mieux encore - la mettra en pratique de telle manière que la manoeuvre sera totalement imprévisible pour le monde entier pendant la première semaine de la campagne, y compris même des généraux allemands, à commencer par Heinz Guderian.
Hitler, le premier, a songé à Sedan pour y effectuer une percée, en octobre 1939, mais il ne matérialisera définitivement sa volonté d'en faire le centre de gravité de l'invasion qu'après sa rencontre avec Von Manstein en février 1940. Au moins tient-il compte, envers et contre tous, de l'avis de ce brillant officier. Cela étant, c'est bel et bien Hitler qui imposera le "coup de faux", Manstein n'ayant rien prévu de bien précis après succès de la percée sur la Meuse. Afin d'adapter le mouvement des troupes à sa guise, le Führer a diaboliquement réparti les officiers requis aux postes clés : Guderian pour accélérer la marche, Kleist pour la ralentir. C'est que l'offensive militaire va s'accompagner d'une démarche politique visant à expédier à Londres et Paris des émissaires suédois chargés d'une mission de paix. En encerclant les armées alliées dans la poche de Dunkerque, Hitler espère s'emparer d'otages qui pousseront les Alliés à négocier une paix avantageuse qui lui permettra d'envahir l'Union soviétique.
Précisons pour finir que le concept du tandem char-avion a été appuyé par Hitler dès les années trente. En l'absence du Führer, jamais Guderian n'aurait réussi à vaincre les réticences de l'O.K.H., et notamment du Generaloberst Ludwig Beck, opposant acharné à Hitler... et aux idées développées par "Heinz le rapide".
En d'autres termes, la première réaction à avoir face à une décision apparemment irrationnelle de Hitler en matière militaire n'est pas de la lui reprocher, mais de se demander quel(s) intérêt(s) politique(s), diplomatique, économique, racialiste elle était susceptible de lui apporter.
1) L'option ukrainienne fut la première grande crise entre
Hitler et ses généraux, en août 1941.
Guderian était plutôt pour foncer vers Moscou, quitte à laisser, sur ses flancs, une masse importante de troupes soviétiques, Hitler était pour prendre l'Ukraine, grenier à blé de l'URSS, et disposant de matières premières nécessaires au
Reich, comme le Nickel. Certains historiens disent, que si l'encerclement de Kiev fut une formidable tactique, elle fut une défaite stratégique, puisque le temps perdu en Ukraine ne se rattapera pas !
Je rajouterai que la crise d'août 1941, souligne la mauvaise évaluation du potentiel soviétique et la relative faiblesse des effectifs allemands, notamment en chars, pour prétendre à attaquer dans trois directions différentes, Léningrad, Moscou et Kiev ! C'est d'ailleurs après cette réunion avec ses généraux, qu'
Hitler se serait exprimé sur le fait que les militaires ne comprennaient pas la dimension économique de cette guerre !
2)
Hitler qui a eu l'idée du "
coup de faux" ? Tu en es sûr ? Quelles sont tes références pour appuyer cette thèse ? J'ai toujours entendu dire que le Plan par les ardennes était une idée de
Manstein, repoussé par l'OKH et validé, par la suite, par Hitler lui-même.
3)
Hitler avait un côté aventurier qui le poussait à plutôt choisir des options originales au détriment de stratégies militaires conventionnelles et il a bien évalué le parti qu'il pouvait tirer de la
Blitzkrieg.
On peut dire que la formidable victoire sur la France peut lui être attribuée, même s'il n'a pas complètement exploité celle-ci, avec ses fameux "
haltbehfel" qui ont permis le succès de l'
Opération Dynamo et l'évacuation du corps expéditionnaire anglais. La victoire radicale sur la France fut tellement inattendue que personne n'avait réfléchi à la suite ...D'où un flottement bien compréhensible, et comme le résuma
Ciano, l'impression que le
Führer, comme un joueur de poker qui avait réussi un gros coup, voulait se retirer de la table !
Or comme
Pierre Marie de la Gorce, dans son livre
Une guerre inconnue, 1939-1945, je pense que les allemands ont manqué une occasion unique de vaincre les anglais, entre juin et décembre 1940 ou en tout cas d'investir toute l'Afrique du Nord. Les britanniques après la défaite française sont très affaiblis, et ils ne disposaient que de 25 000 hommes en Egypte. Une simple division blindée allemande aurait suffit à prendre la terre des Pharaons et à l'époque,
Hitler avait les moyens de faire plier
Franco. Si il n'y a pas de compte-rendu officiel de l'entrevue d'Hendaye, entre le
Führer et le
Caudillo, nous savons, par la correspondance de
Franco avec son beau-frère,
Serrano Suner, que l'espagnol voulait rentrer en guerre du côté de l'allemagne à condition d'avoir le Maroc français. Or,
Hitler, en acceptant Vichy, signifiait déjà le futur statu quo en Méditerranée et implicitement, la future option russe.
Le choix d'attaquer l'URSS fut donc plus idéologique que rationnel. Après juin 1940, il aurait été possible, pour
Hitler, de faire céder l'Angleterre. L'Afrique du Nord, trop faiblement défendue, aurait été facile à prendre avec les troupes Italiennes,
Gibraltar prit sans coup férir avec les espagnols, il ne restait plus qu'à essayer de débarquer sur les îles Britanniques, entreprise toujours incertaine, mais jouable, juste après la défaite de la France.
Raeder, dans ses deux
Mémorandums a essayé de rallier le
Führer à cette stratégie, mais l'opération
Otarie n'a jamais vraiment intéressé
Hitler, puisque de toute façon, dès juin 40, il a son regard qui se tourne vers l'Est.
4) Enfin
Hitler n'a pas vraiment saisi les implications logistiques de la guerre moderne. C'est avant tout un politique qui pense que la volonté peut tout, même faire plier la réalité ! D'où ces errements en Russie, où ils assignent à ses troupes des objectifs irréalisables, comme en juin 1942, avec le trop ambitieux
Plan Bleu ! Si le
Führer a bien saisi la dimension économique de cette guerre, il a évacué la dimension logistique de ses troupes en opération.
La crise de décembre 1941 où il a commandé à ses troupes de ne plus reculer, ce en quoi il avait raison, a renforcé, chez lui, cette dimension volontariste de la guerre.
En résumé, si on peut dire que l'autodidacte
Hitler a quelques fulgurances stratégiques, on peut souligner, aussi, son amateurisme dans les questions logistiques et sa conception limitée de l'art de la guerre, se réduisant uniquement à une affaire de volonté !