HELENE VIANNAY née Mordkovitch
Helena Victoria Mordkovitch est née à Paris le 12 juillet 1917 dans le 14° arrondissement de parents russes. Tous deux révolutionnaires, ses parents se sont rencontrés pendant la guerre de 14-18 pour défendre la France, terre des libertés.
Son père, bolchevik, s'engagea volontaire dans l’armée française. Sa mère, menchevik exilée, était infirmière et le soigna. Lorsqu'elle a 3 mois, son père rentre en Russie pour aider la Révolution, Hélène ne le reverra jamais. Elle grandira élevée par sa mère dans l'amour de la France et des valeurs morales exigeantes.
Cette dernière s'éteindra en novembre 1937 en prophétisant une guerre imminente entre la France et l'Allemagne et que celle-ci, après la défaite des Français, se retournerait contre l'Union soviétique.
Pour Hélène, ce n'est pas une révélation mais une évidence. Aussi, lorsque la paix est signée par Pétain, en qui elle n'a aucune confiance, elle n'est pas prise au dépourvu comme le seront tant de Français.
1940 LE REFUS DE LA DEFAITE
Seule et démunie, ne possédant qu'une bicyclette, Hélène continue ses études à la Sorbonne. Elle va participer à l’accueil des réfugiés de Belgique puis traverser la France pendant l’exode pour se réfugier à Rodez.
En septembre 1940, le directeur du laboratoire de géographie physique de la Sorbonne l'engage comme assistante. Dans le train qui la ramène vers Paris, deux soldats allemands s'intéressent de près à une jeune fille assise ses côtés. Lorsque l'un d'eux tente de caresser la joue de sa voisine, Hélène a une réaction de colère : elle gifle le soldat à toute volée ! Heureusement, ce geste sera sans conséquence mais il détermine les choix d'Hélène, elle ne peut pas les supporter, elle veut qu'ils s'en aillent.
"C'est comme ça qu'on devient résistant, ce n'était pas plus compliqué" commente-t-elle simplement 50 ans plus tard.
En arrivant à Paris, Hélène voit des gens faire la queue devant les magasins d'alimentation et des Allemands en train de les photographier.
Une bouffée de rage lui monte alors à la gorge : "J'ai eu honte et je me suis dit : jamais je ne ferai la queue". Dès lors, la farouche détermination de cette jeune femme ne connaîtra plus de limites et elle emploiera tout son courage et ses ressources physiques à bouter l’Allemand hors de France.
Elle évolue dans un milieu très patriote et il lui vient l'idée d'écrire et de distribuer discrètement des tracts ainsi libellés : "Français, relevez la tête, ne vous abaissez pas devant les Allemands". Tapés à la machine, ces tracts sont déposés dans les boîtes à lettre par Hélène qui déambule ainsi chaque nuit dans Paris, à moitié affamée.
A la rentrée de 1940, elle est chargée des cours de cartographie par le professeur Lutaud. C'est là qu'elle rencontre un ex-séminariste, étudiant en philosophie, Philippe VIANNAY. Il a 23 ans et vient d'être démobilisé après avoir reçu la Croix de Guerre.
Pétainiste, issu de la grande bourgeoisie et catholique fervent, Philippe veut toujours avoir raison.
Hélène, étudiante brillante et parfaitement athée, rejette la Révolution nationale et adhère rapidement au mouvement initié par de Gaulle.
Malgré ces différences, tous deux sont animés par un même refus de la défaite et la volonté d'éveiller l'opinion.
Ils refusent de gagner Londres, l'action militaire et les activités de renseignement ne sont pas faits pour eux qui sont des rebelles dans l'âme.
C'est en métropole qu'ils vont agir car pour Philippe "c'est ici qu'il faut se battre, c'est bien plus difficile, mais c'est d'ici qu'il faut se battre". Le ton est donné, la lutte sera exigeante et sans concessions. Et c'est dans le milieu qu'ils connaissent bien, celui des étudiants et des universitaires qu'ils vont trouver de l'aide.
"Nous étions jeunes et nous étions étudiants, alors tout naturellement pour recruter je me suis tournée vers mes camarades étudiants. Nous nous sommes alors réunis, nous avons discuté et nous avons pris la décision de faire un journal clandestin" raconte Hélène Viannay.
Ce journal, né de l'espoir tenace que rien n'est perdu et du refus de la défaite, ce sera DEFENSE DE LA FRANCE.
1941 DEFENSE DE LA FRANCE
Dès l'automne 40, ils sont quatre mousquetaires enragés par la déroute : Hélène, Philippe, Robert Salmon, un évadé également décoré de la Croix de Guerre, et Marcel Lebon, patron de Gaz Lebon, futur Gaz de France. C'est ce dernier qui fournira l'argent nécessaire à l'achat d'une offset.
Utilisant sa position au laboratoire de géographie de la Sorbonne, Hélène installe l'imprimerie clandestine dans les caves dont elle a les clefs.
De septembre à décembre 1940, la petite équipe écrit et diffuse des tracts dénonçant l'Occupation. Et s'attèle début 41 à la confection du premier numéro consacré à l'Alsace de "Défense de la France". Les séances d'impression artisanale ont lieu trois nuits par semaine, parfois jusqu'à 5 heures du matin et le journal clandestin paraît pour la première fois à la date symbolique du 14 juillet 1941.
Ce ne sont au début que cinq modestes pages au format 21 x 27 tirées à 5000 exemplaires, enfouies dans des sacs à dos et distribuées par les camarades qu'Hélène a recrutées. Parmi elles, Génia Deschamps (qui deviendra Eugénie Gemähling) lui dit "Non, moi je ne veux pas faire de résistance, je n'y crois pas mais je veux bien vous aider". Génia les aidera jusqu'à la fin de la guerre "mais elle a toujours dit non" s'amuse Hélène.
Le journal est mis sous enveloppe, déposé dans les boîtes à lettres. Plus tard, lorsque l'équipe sera rôdée au travail de faussaire, il sera expédié par la poste, avec de faux timbres. Mais ce petit journal va devenir un colosse. A partir de 1943, le tirage dépassera 100 000 exemplaires et atteindra le chiffre fabuleux de 450 000 en janvier 44, ce qui en fera le premier journal de la presse clandestine.
Ainsi, 47 numéros paraîtront jusqu'à la Libération. Ils sont rédigés par une très petite équipe constituée pour la plupart de "Sorbonnards" aux noms de plume évocateurs qui sonnent comme des cris de guerre : Robert Salmon adopte le pseudonyme de "Robert Tenaille", Jean-Daniel Jurgensen est "Jean Lorraine", Jacques-William Lapierre, "Scrutator" et Jacques Lusseyran signera "Vindex".
Philippe quant à lui, trouvera un nom qui donne bien le ton : "Indomitus", l'insoumis.
D'autres encore rejoindront l'équipe rédactionnelle, comme Robert d'Harcourt, Mgr Chevrot, Aristide Blanck et Geneviève de Gaulle dont la signature a des allures de drapeau : "Gallia".
Si elle assure la diffusion du journal et l'organisation de l'impression (il faut tout le temps déménager les presses sous peine d'être pris), Hélène Mordkovitch ne participe pas à la rédaction.
Parce que cela ne lui vient tout simplement pas à l'idée : "Croyez-vous que j'aurais proposé d'écrire quelque chose, moi, avec tous les tracts que j'avais faits avant ? Il ne me venait pas à l'esprit de les donner, parce que Salmon était un normalien, Philippe était un philosophe, moi j'étais scientifique".
Plus diplômée que son mari, elle ne songera jamais à écrire un article, alors qu'elle assiste avec d'autres femmes à toutes les réunions de rédaction.
Inconsciemment, Hélène et ses compagnes reproduisaient des schémas d'avant la première guerre. Mais plus tard, elle aimera rappeler que si elle fut une résistante de la première heure, elle dut comme toutes les autres Françaises attendre les années 60
pour pouvoir user d'un carnet de chèques ou acheter un meuble sans l'accord de son mari...
Autour du journal se crée un mouvement de résistance. Une fois de plus c'est Hélène, forte de sa culture révolutionnaire, qui structure l'organisation et la protège par le système du cloisonnement. Et malgré quelques épisodes dramatiques, DEFENSE DE LA FRANCE restera l'un des mouvements ayant le mieux résisté à l'oppression allemande.
Hélène s'occupe des liaisons ente les différents ateliers qui impriment le journal et de sa diffusion.
A cette activité viendra s'ajouter un atelier de faux papiers extrêmement performant : on estime à un million le nombre de faux documents qui seront produits par Défense de la France, ce qui en fait l'organisation de faux papiers la plus importante. Là encore, c'est Hélène qui s'occupera de tous les détails.
LE MAQUIS
Philippe et Hélène se marient en 1942. L'année suivante, leur premier enfant Pierre vient au monde. Et la nature fait bien les choses puisque le petit Pierre naît… un 14 juillet !
Ce jour de fête est aussi celui d'un coup d'éclat du mouvement : les membres de Défense de la France distribuent dans le métro des milliers d'exemplaires d'un numéro spécial.
Mais l'effervescence et la joie causée par cette naissance vont bien vite être assombries :
six jours plus tard, le 20 juillet, une vague d'arrestation frappe l'organisation et Hélène doit quitter précipitamment la clinique où elle se trouve avec son bébé. Elle sera recueillie par Marie-Hélène Lefaucheux.
Jusqu'à ce que Philippe la réclame… "J'ai laissé tomber le bébé sans un moment d'hésitation - il n'avait pas un an -, sans le recommander, sans dire « si nous sommes tués... », rien. Je suis partie aussitôt avec mon vélo, le train et j'ai rejoint Philippe. Un jour où nous avons failli être tués tous les deux, vraiment, je me suis dit : « Pierrot va rester orphelin », sans plus".
En juin 44, elle rejoint son mari dans le maquis de Ronquerolles (Seine-et-Oise Nord) qu'il dirige et assure la liaison entre le maquis et la capitale. Après la blessure de Philippe, elle assure à sa place la coordination des différents secteurs et jusqu'à la libération du secteur début septembre 1944, elle collaborera aux prises de décisions de l'état-major du maquis.
APRES-GUERRE
La Libération de Paris arrive enfin. Philippe est député à l'Assemblée provisoire. Défense de la France, devenu l'un des journaux les plus importants, devient France Soir et les deux époux sont écartés de la direction sur la ligne de laquelle ils ne sont pas d'accord.
Ce sont des années difficiles pour le couple : Philippe est désœuvré et dégoûté par les manœuvres politiciennes et Hélène est physiquement épuisée, elle ne songe qu'à dormir après ces années passées à travailler de jour comme de nuit, à courir d'un atelier à l'autre, à se cacher. Et elle n'oublie pas que la guerre n'est pas finie, que des hommes continuent à se battre, à se faire tuer. Tous deux attendent le retour des 80 membres qui ont été arrêtés, dont le frère de Philippe.
Les distributions de médailles ne sont pas pour eux. Hélène constate qu'"à la France Libre à Londres, on n'a jamais cité nos articles, on a donné une fois le nom de Défense de la France au cours d'une émission. Nous n'étions pas très aimés".
Ils ont le sentiment de n'avoir pas été reconnus, pas respectés pour ce qu'ils avaient fait, "Lors de la Libération, le Général De Gaulle a généreusement offert une Croix de la Libération pour le mouvement Défense de la France, une !"
Défense de la France n'a siégé ni au Conseil National de la Résistance ni à l'Assemblée consultative.
Rebelles ils étaient, rebelles ils resteront. "Nous n'avions pas très envie de donner beaucoup de détails [sur leurs actions], parce que nous avons fait ce que nous estimions devoir faire. Il fallait faire quelque chose et puis après c'était fini, on tournait la page et on parlait de l'avenir et d'autres choses".
Mais l'avenir semble incertain. Philippe ne se retrouve pas dans la société d'après-guerre et Hélène a du mal à joindre les deux bouts avec deux enfants à nourrir. Après leur éviction de France Soir, Philippe va créer le Centre de Formation des Journalistes, dont sortiront plus tard quelques noms illustres tels que ceux de Bernard Pivot, Pierre Lescure ou encore Patrick Poivre d'Arvor.