Source : Les blindés français, article de Philippe Naud, page 20-29, Vae Victis n°62, mai-juin 2005.
L'auteur s'est appuyé sur de nombreux ouvrages dont celui de G.Saint-Martin, L'arme blindée française, t.1, Economica 1998.
J'ai respecté le découpage des chapitres, lorsque je donne ma pensée, je précède ma phrase d'un *. Je me suis arrêté volontairement à mai 40, pour ne pas allonger démesurément le propos, l'article continuant et traitant la campagne de France, et fera l'objet d'un traitement ultérieur.
1) Les origines : l'artillerie d'assaut, 1915-1918.
En 1918, l'armée française est la plus avancée quant à l'utilisation des chars. L'un des premiers théoriciens de l'arme nouvelle est le colonel d'artillerie d'Estienne qui le 1er décembre 1915 écrit à Joffre :
"Je regarde comme possible la réalisation de véhicule à traction mécanique permettant de transporter, à travers les obstacles et sous le feu, à une vitesse supérieure à 6 km/h, de l'infanterie avec armes et bagages, et du canon."
Toutefois les anglais sont les premiers a engagé des "cuirassés terrestres" (*toujours l'esprit pragmatique british ...les français ont les idées, les anglais les appliquent !!), leur donnant le nom de camouflage de tanks, toujours synonyme de char aujourd'hui (le nom officiel du tank anglais et landship, "navire terrestre".).
Toujours est-il qu'en 1918, suivant les principes du désormais Général de division D'Estienne, l'armée française fait un usage intensif de cette "artillerie d'assaut", le meilleur exemple en étant le 16 juillet, l'attaque du général Mangin depuis la forêt de Villers-Cotterêt, sans préparation d'artillerie, mais précédée de chars Renault FT-17.
Dès 1919, le général Fayolle préconisait de former des avant-gardes motorisées pour intervenir en Allemagne, mêlant automitrailleuses, cyclistes, génie, infanterie, artillerie motorisée, transmission, préfiguration de la collaboration inter-armes allemande, 20 ans plus tard !!
2) Nul n'est prophète ...La sclérose (1920-1936).
En 1920, l'artillerie d'assaut disparaît, rattachée à l'infanterie pour devenir les "chars de combat". La volonté d'Estienne d'en faire une arme autonome est abandonée sous la pression des galonnés. Le corps des officiers est fort conservateur, comme dans toutes les armées d'Europe et chaque arme défend ses intérêts. Estienne, Inspecteur des chars de combat défendra ses idées jusqu'en 1923. Il sera écouté pour une de ses idées, le "char de rupture". Cet engin lourd et puissant (50 voire 100 tonnes !) prend forme dans les années 20 avec les quelques FCM 2C de 69 tonnes, puis les Renault B1 et B1 bis, de 31 tonnes. Mais le corps de 100 000 hommes, équipé de 4 000 chars et 8 000 autres véhicules, capable d'agir par suprise grâce à sa grande mobilité dont il défend la nécessité restera un voeu pieux.
C'est ce modèle que reprendra Charles de Gaulle en le modernisant dans "Vers l'armée de métier", en 1934. Il demandera la mise sur pied d'une "armée mécanique" de 2 500 chars.
D'autres officiers se feront aussi les avocats de cette armée tels les généraux Flavigny et Delestraint, en vain ! Un Hering, apôtre des groupes interarmes, en 1926, un Weygand, cavalier "ayant la passion du matériel", chef d'Etat-major en 1930-1931 va accélerer la motorisation, jusqu'à un Gamelin, qui s'interrogera en 1936 sur la pertinence des crédits pour les fortifications, argent certainement plus utile pour développer les chars et l'artillerie mobile ! Mais sa réflexion restera lettre morte.
Mais les généraux français, s'ils ne sont pas hostiles à la modernisation, s'obstinent à adhérer à une doctrine qui prend ses racines dans la Grande Guerre. Il faut 3 grands types de chars.
- un char lourd ou de rupture, appelé aussi "forteresse".
- un char léger, dont le FT-17 est l'exemple type, servant à accompagner l'infanterie. La France en possède 3 200 en 1919, il participera à toutes les campagnes françaises jusque dans les années 30 et reste quasiment le seul char présent dans les colonies en 1939.
- enfin un char moyen ayant pour mission de combattre les autres blindés.
Comment ses matériels doivent-il être mis en oeuvre ? Les instructions sur l'emploi tactique des unités (IGU) sont révélatrices. L'IGU 21 rédigée au lendemain de la Grande Guerre porte la patte de Pétain et met l'accent sur le feu car "l'attaque est le feu qui avance, la défense est un feu qui arrête." 15 ans plus tard, ces instructions seront repris mot pour mot dans l'IGU 36 qui stipule :
" (...) la décision, demain comme hier ne s'obtiendra que par la manoeuvre dont la vitesse et la mobilité sont les éléments essentiels" et que "le feu est le facteur prépondérant au combat" mais pour ajouter que "l'infanterie est chargée de la mission principale au combat" alors que la 1ere Panzerdivisionen vient d'être crée l'année précédente !!
Si la France s'est déjà dotée de moyens de combats modernes, commes les divisions légères mécaniques, le char demeure toujours un moyen d'appui.
3) A chacun son char.
Les engins blindés français demeurent, jusqu'à la guerre, fortement marqués par leur corps d'origine. Le règlement de 1937 est quasi à l'identique de celui de la guerre 14-18, à part que les R-35 et H-35, en service depuis 1936, remplacent le FT-17, c'est à dire une mission d'accompagnement de l'infanterie.
La cavalerie se révèle le corps le plus novateur. Elle débutera assez tôt sa motorisation avec la transformation de ses "chasseurs cyclistes" en "dragons portés", transportés en semi-chenillés Citroën P 19, à partir de 1931, en raison d'un bataillon par division de cavalerie. Sous l'impulsion du général Flavigny, inspecteur général de l'arme entre 1931 et 1936, la cavalerie est à l'origine de la première division blindée française, la DLM, constituée en 1933, soit deux ans avant la 1ere PzD.
Mais force est de constater, lors des manoeuvres, que cette DLM met l'accent sur des missions de renseignement et de couverture au service de l'infanterie plutôt que l'exploitation autonnome.
Mais la cavalerie a d'une part mauvaise presse auprès du généralissime Gamelin, d'autre part, les officiers de cavalerie sont réfractaires à la motorisation, parant leur monture de toutes les vertus ! La formule "pétrole-picotin" restera la pierre angulaire de l'arme jusqu'en 1940. Même Weygand, pourtant passionné de matériel, trouvera les idées de Flavigny trop avant-gardistes ! (*la réflexion toujours écrasée par les pratiques de la Grande Guerre. La victoire a stérilisé la théorie militaire et l'innocation. La Défaite l'a plutôt favorisé, en Allemagne...). De plus les blindés de la cavalerie suivent leur propre exigence à l'instar de l'infanterie, ils resteront des automitrailleuses, seule l'infanterie pouvant posséder des chars !
La baisse des crédits pour l'équipement, en partie mangée par la construction de la ligne Maginotn'arrangeront rien. (*l'idée que le Front Populaire aurait baissé les crédits est un mythe qui a la peau dure, un peu comme "le coup de poignard dans le dos" responsable de la défaite allemande en 18. Les crédits militaires sont relativement en baisse depuis 1919 !)
4) Un réveil tardif et confus (1936-1940).
Paradoxalement, le Front Populaire semble avoir préféré les "canons au beurre" même si il a incarné, pour certains, "l'esprit de jouissance" (*A voir le très beau film de Julien Duvivier, avec Gabin et Vanel, envoûtés par la belle Viviane Romance, dans La Belle Equipe, qui se déroule l'année 36).
A un Gamelin stupéfait,Daladier, ministre de la Guerre, promet 14 milliards de francs sur 4 ans ! Plus de 23% seront consacrés à la motorisation et seulement 8,5% aux fortifications, infléchissement de la distribution des crédits, un peu trop tardif ! Bref n'en déplaise aux poourfendeurs des 40 heures qu'on oppose à une soi-disante efficacité germanique, mythique, le Front Pop', même si il a entraîné certains désordre dans l'industrie, reste à l'origine du réarmement !
Quel usage pour cette manne tombée du ciel ?
La cavalerie va équiper, en 1937, sa deuxième DLM, puis une autre fin 1939. Elles doivent toutes recevoir le Somua S-35, un engin très moderne en 1940, et préféré aux AMC de Renault et à la piètre Panhard-Schneider P 16, reléguée à la reconnaissance et rebaptisée AMR. Cependant, le coût le coup de la motorisation de l'arme est trop élevé pour commander les 600 Somua prévus ! (*On ne rattrape pas 20 ans d'errements en un an !). Le volume est donc réduit de moitié, et la cavalerie se rabat sur les Hotchkiss H-35, armées du même canon de 37 mm du FT-17 sans réelles capacités antichars !
L'infanterie va utiliser les nouveaux crédits pour renouveler son parc de blindés. 3 modèles sont pressentis, le R-35, le H-35 et le FCM 36. Des trois, le dernier est préféré mais les Forges et Chantiers de la Méditerranée (FCM) ne peuvent pas répondre à la demande et seuls deux bataillons seront produits. Les deux autres se taillent donc la part du lion. 5 projets de divisions cuirassés voient le jour entre 1936 et 1938, mais aucune d'elles ne verra l'ébauche d'une réalisation !
Par contre, certains généraux demandent qu'un bataillon de chars soit intégré à chaque division d'infanterie (*le fameux saupoudrage au détriment de la concentration !).
Toutefois, l'infanterie reçoit enfin les chars puissants rêvés, avec les célèbres B1 bis, qui vont supplanter le Renault D2, "char de bataille" succédant au D1, dont elle pensait se doter au cas où les budgets ne permettent pas de s'équiper du B1 bis. Les B1 bis apparaissent en 1935, après la gestation laborieuse du médiocre B1. Mais la capacité de production de ce char est faible. Jusqu'en 1939, l'industrie française ne sortira que 35 exemplaires par an , soit un bataillon !!
Le général Hering fort mécontent de voir la cavalerie et l'infanterie ne pas collaborer est à l'origine du projet le plus intéressant avec deux groupements de combat ressemblant furieusement aux "combat command" américains.
Mais en 1939, Gamelin résumera l'intérêt réel qu'il porte aux blindés en affirmant :
"Il ne faut pas exagérer l'importance des divisions mécaniques !"
Chez les artilleurs, le conservatisme règne aussi en maître ! Alors que la production des automoteurs d'artillerie sur châssis Somua, disponibles dès décembre 1937, elle ne sera en fait lancée qu'en novembre 1939, les artilleurs renâclant à mettre en oeuvre des canons automoteurs !
5) La Drôle de guerre: réussite industrielle, échec doctrinal.
Le nombre de blindés disponible connaît un spectaculaire bond en avant, durant la drôle de guerre. En métropole, en septembre 1939, l'infanterie dispose de 1 288 chars modernes, plus 630 FT-17 et la cavalerie, 999 automitrailleuses modernes.
Les colonies ne drainent qu'une part modeste du parc d'engins blindés avec 180 R-35 et D1 pour l'infanterie et 70 H-35, H-39, AMR 33 et autres AMC médiocres pour la cavalerie. (*un repli sur l'AFN pour continuer la guerre, n'aurait pas permis une posture offensive.)
La produciton se rationalise, la cavalerie ne recevant plus que 2 types d'engins, les S-35 et H-39 pour ses DLM, ses derniers remplaçant les insuffisants Somua. Quant aux AMD, elles se limitent désormais à l'excellent AMD 35 Pahnard.
Dans l'infanterie, le H-39 et R-35, supplantent les autres modèles de chars légers. La production des puissants B1 bis bât elle, tous les records. Si seuls trois bataillons sont disponibles en septembre 39, 8 le sont, fin avril 40, et les prévisions tablent sur 12 pour septembre 40 ! On envisage même d'en doter en partie le Royal Tank Regiment qui ne dispose , en mai, que des Matildas I, armés de mitrailleuses, et de quelques Matildas II, armés d'un canon de 40 mm.
Le char de forteresse est remis au goût du jour, pour attaquer le Westwall. La société FCM proposant un cuirassé terrestre, de 140 t, armé d'un cancon de 90 mm et d'un de 75 mm en tourelles et de deux 25 mm en casemate !
La doctrine d'emploi des chars, n'a pas vraiment évolué durant la drôle de guerre, même si des enseignements ont été tirés de la campagne de Pologne. Mais curieusement, dans le sens des généraux français ! Gamelin et ses adjoints, condescendants envers la petite armée polonaise, constatent que cette campagne a confirmé la justesse de leur doctrine, notamment la faiblesse du char face aux armes antichars ...
D'ailleurs les projets de renforcement en armes antichars marquent le pas. Les chasseurs de chars automoteurs Laffy,sont considérés comme trop visibles, et on préfèrera attendre les livraisons de canons de 47 mm, tractés sur sur affût triflèche.
Quand en janvier 40, De Gaulle envoie son mémoire intitulé "L'avènement de la force mécanique", il prêche encore dans un désert !(*la suffisance, l'auto-satisfaction voire l'auto-célébration de certains généraux français sont parfois sidérantes !)
Toutefois, le générallisime Gamelin conçoit, à la lumière des enseignements polonais, qu'on ne peut plus construire des véhicules de combat faiblement blindés. La cavalerie doit donc recevoir des automitrailleuses plus puissantes, dont la Pahnhard 201, qui donnera naissance après-guerre à l'EBR. De la même façon, la 3e DLM reçoit des H-39 comme AMR pour ses dragons portés, il en va de même pour la 4e DLM, prévue pour juillet 40. Les divisions de cavalerie deviennent des divisions légères de cavalerie (DLC), avec moins de chevaux et mieux motorisées.
Quant à l'infanterie, elle saute le pas et crée ses premières divisions blindées , les fameuses Divisions Cuirassées de Réserve (DCR), qui loin d'être la réplique des PzD ne font que prolonger la doctrine de l'accompagnement !
La DCR de 1940, malgré ses 70 B1 Bis et 90 H-39, dispose de peu d'infanterie et de génie et quasiment pas de moyens de reconnaissance, même si une escadrille aérienne d'observations doit lui être rattachée. 3 voient le jour entre janvier et mars 1940, aucune n'a le temps d'acquérir une véritable cohésion.
Le 1er avril 1940, le général Keller, inspecteur des chars, note suite à un exercice de la 1e DCR que :
"la manoeuvre dans son exécution n'a pas donné l'impressin de force et de vitesse, caractères essentiels de la manoeuvre d'une DCR."
OUf ....