Le matin du 24 juin 1948, un convoi partait de Liège en passant par Spa jusqu'à Stavelot. La journaliste de ‘La Meuse’, Suzanne Romiée, était présente : « Les gens qui regardent passer le grand car brillant pourraient penser qu'ils sont ‘d'aimables excursionnistes’. Ils se trompent. Ces messieurs, qui contemplent en silence le paysage doré, ils ont déjà beaucoup parlé depuis Liège. Ce sont les officiers et les avocats qui se rendent à Stavelot pour voir la scène des crimes de guerre avant que ne commencent les audiences du tribunal militaire. » Le cortège comprenait les membres du Conseil de Guerre, menés par le Président de la Cour Jacques Mairlot, l’Auditeur Militaire Jules Closon, les avocats de la défense allemande, des dizaines de gendarmes armés et un grand nombre de journalistes.
Il était presque 10h30. Une légère brume planait sur la vallée de l'Amblève alors qu'ils descendaient la route de Francorchamps. Traversant le centre de Stavelot, ils s'arrêtèrent au pont de l'Amblève, où une foule nombreuse s'était rassemblée. Mairlot semblait impénétrable tandis que les autres membres de la cour et les journalistes affluaient autour de Closon. Celui-ci expliqua qu'en décembre 1944, les Allemands avaient traversé de la rive droite à la rive gauche. Ils s’étaient retrouvés coupés après que les Américains eurent repris le pont. Les spectateurs virent les portes arrière des deux fourgons pénitentiaires s'ouvrir et dix prisonniers apparaître, chacun enchaîné à un gendarme. Un journaliste du journal local ‘l'Annonce’ décrivit l'expression du visage de Heinz Goltz comme cynique, un autre prisonnier souriait et l'un d'eux pleurait. Möller, le chef de file de la défense allemande, avait averti les prisonniers qu'il était dans leur propre intérêt de ne pas rire ou sourire. L'un des autres avocats allemands marmonna qu'il aurait préféré rester chez lui. Les femmes de la foule portaient leurs robes de deuil noires, les hommes crachaient par terre : « Sales Boches ! » Une femme âgée sanglotait : « ils ont tué mon fils, abattez-les ». Quelques minutes plus tard, les prisonniers regagnaient les fourgons et la foule se mit à crier : « A mort les Boches ! » alors que le convoi se dirigeait vers Trois- Ponts.
Ils s'arrêtèrent aux deux viaducs où Closon expliqua à Mairlot la raison de leur présence à cet endroit. Après quelques échanges en aparté, le procureur s'exclama : « Pourquoi ne demanderions-nous pas à Kilat ? » L'ancien membre du Kampfgruppe Peiper, âgé de 20 ans s'avança et regarda autour de lui avec l'expression d'un enfant étonné : « Je ne connais pas cet endroit. » Le convoi repartit alors en direction de Renardmont. Romiée écrivit : « Par des chemins hostiles aux pneus, la voiture et son imposante escorte atteignirent la ferme Legrand. Et, comme il n'y a pas de sot métier, on aperçoit monsieur l’auditeur Closon qui fait fonction d'agent de la circulation. Indifférents, les criminels de guerre traversent la foule, où des enfants, un doigt dans la bouche, ne réalisent pas bien ce qui se passe. Ils entendent leurs mères sangloter et leurs pères lancer des « Schweinhund » (Batard) à l’adresse des SS d'Hitler. » Yvon Boulanger se souvient que l'un des villageois s’était emporté contre les prisonniers en allemand. C'était Albert Terf. Il avait appris la langue alors qu'il avait été prisonnier durant cinq ans dans un camp de prisonniers de guerre allemand. Lorsqu'il était enfin rentré chez lui en 1945, il avait appris que son père François Terf, sa sœur Jeanne Klein - Terf et son petit neveu Bruno avaient été assassinés. Les gendarmes tentèrent de repousser les badauds mais Terf se fit entendre. Il fallut le retenir de lancer une pierre sur les prisonniers. Plus de conciliabule entre Closon et Mairlot. Edgar Leithold fut invité à s'avancer. L'ancien SS, âgé de 22 ans, répéta qu'il avait placé de la paille dans le hangar après la fusillade, mais accusa un Fallschirmjäger non identifié d'y avoir mis le feu. « Maintenant, ça devient sérieux », fit remarquer Closon, alors que les prisonniers regagnaient à nouveau les fourgons. Leur prochain arrêt fut la ferme Loffet. « Une vieille maison modeste où il ne devait jamais arriver d’évènements extraordinaires jusqu’à l’arrivée des Boches », écrit Romiée, « Goltz, le numéro un au visage d'intellectuel, avait patrouillé dans les bois avec ses hommes. Il dit qu'il n'avait pas ordonné le massacre de la famille Loffet ; le père, la mère, la fille. Quant à Tremmel, il avait entendu des coups de feu. Qui avait tiré les coups? Mystère. Les dix sont restés silencieux. » Un homme s'avança. Il voulait fournir des informations mais on lui demanda de ne pas le faire car le Conseil de guerre n'était pas autorisé à écouter les déclarations des témoins en dehors du tribunal. La foule ne comprit pas et une certaine hostilité s'éleva de la masse des villageois. Mairlot comprit qu'il était temps de passer à autre chose, « vous n'êtes pas d'accord, monsieur l'Auditeur ? » Closon accepta. L’un des avocats allemands fit remarquer que la matinée n’avait pas été concluante et qu'ils n'étaient guère avancés.
L’après-midi, le ciel s’était couvert. Il y avait des menaces d’orages lorsque le convoi s'arrêta à la maison Legaye où une foule nombreuse s’était rassemblée. Closon commença un petit discours tandis que les avocats allemands consultaient laborieusement leurs notes. On montra aux journalistes la haie où les civils avaient été abattus ainsi que la maison Dejardin où la plupart des suspects avaient été capturés. Goltz commença à poser des questions. Cependant Mairlot voulut en finir et dit à l'ancien SS-Obersturmführer de consulter son avocat. Romiée remarqua qu'à ce moment-là même les spectateurs semblaient fatigués de crier leur haine : « c'est tellement inutile. Comment fut cette journée à Stavelot ? Des larmes dont certains se seraient bien passés, une promenade qui pouvait être agréable pour d'autres. » Le journal local ' l'Annonce ' était également loin d'être impressionné : « Une vaste comédie » qui n'ajoutait rien au dossier de l'accusation mais avait ravivé les blessures psychologiques de centaines de civils et les avait contraints à contenir leur colère. « Cette 'promenade' des accusés à travers nos quartiers était indécente. » A 16h00, le convoi rentra à Liège.
Photo: 24 juin 1948 : les prévenus arrivent à Stavelot, sous haute surveillance, afin d’assister à la reconstitution judiciaire des assassinats. Au centre de la photo - vêtu d'une veste sombre, d’une chemise sombre et une cravate sombre - l'ancien commandant de la Stabskompanie Heinz Goltz