Post Numéro: 5 de François Delpla 10 Mar 2016, 15:00
ça y est, on m'a scanné la chose :
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L'Obs jeudi 10 mars 2016, p. 81,82,83
DÉBATS AU PLUS PRÈS DE HITLER
PAR MAXIME LAURENT
La personnalité du Führer reste entourée de mystère. La réédition de deux documents dévoile un homme à la fois courtois et colérique, qui se voyait en père de la nation, voulait installer des colons allemands dans toute l'Europe de l'Est et prônait la standardisation des lavabos dans le Reich n illuminé qui sut longtemps tirer profit des événements ? Un fin tacticien à deux doigts de réussir son pari ? Plus de soixante-dix ans après son suicide dans son bunker de la chancellerie, la personnalité de Hitler n'est toujours pas élucidée. Et pour cause : tantôt machiavéliquement génial, tantôt aux confins de l'irrationnel, l'homme qui prit le pouvoir en janvier 1933 et conduisit en douze ans l'Allemagne au désastre fut sans doute tout cela à la fois. « Un homme tel que Hitler ne tient pas dans une formule simple », résumait André François-Poncet dans ses « Souvenirs d'une ambassade à Berlin. 1931-1938 ». Publiés au sortir de la guerre, ces écrits proposent, outre une solide analyse du phénomène nazi, le portrait saisissant des hiérarques du Reich, à commencer par leur Führer. Le chef de la représentation française à Berlin avait beaucoup à dire : inexpérimenté mais germanophone, le normalien François-Poncet fut l'un des rares diplomates étrangers autorisés à échanger en tête à tête avec cet « homme énigmatique, en perpétuelle représentation ». Première rencontre, le 8 avril 1933 : « Parfaitement courtois, nullement embarrassé de son personnage et très à son aise, quoique assez réservé et plutôt froid, Hitler s'exprime avec clarté et netteté et a tous les dehors de la franchise. » Il faut dire que le dictateur ne recule devant aucun mensonge : « Si j'ai une ambition, c'est qu'on puisse un jour m'élever un monument, comme à l'homme qui aura réconcilié la France et l'Allemagne ! » Mais François-Poncet, devenu l'objet d'attentions répétées et publiques de la part de Hitler, a lu « Mein Kampf » et son programme guerrier. « Il avait foi dans son étoile, dans son génie », explique l'ambassadeur qui décrit un maître du Reich habité par sa Weltanschauung, cette « vision du monde » censée « rénover la face de l'Allemagne et de la terre, la marquer, pour mille ans, de son empreinte ». Il note, aussi, l'« imagination romantique échevelée » du dictateur et son « pouvoir de décision subit et implacable ». D'abord, François-Poncet s'étonne de « la vulgarité de ses traits », de « l'insignifiance de son visage ». Tout change lorsque Hitler s'emporte : « Coloré, transporté par la passion, les narines palpitaient, l'appétit de domination, l'impatience de toute contrainte, la haine de l'adversaire, une audace cynique, une énergie féroce, prête à tout renverser, un visage "de tempête et d'assaut" [Sturm und Drang], un visage forcené. » Et s'il se détend, comme lors d'un déjeuner à Berchtesgaden ? « Un homme quelconque, rustique, épais, vulgaire, facile à amuser, riant d'un gros rire bruyant. » Le 18 octobre 1938, alors que le mirage de la paix né des accords de Munich se dissipe, François-Poncet est nommé à Rome. Hitler l'invite pour une « audience d'adieu » dans sa résidence des Alpes bavaroises, au Berghof. Là, le chef nazi renouvelle ses promesses de paix et évoque de futures « crises ». Dans son compterendu adressé au Quai-d'Orsay, François-Poncet écrit : « Je n'ai, certes, aucune illusion sur le caractère d'Adolf f Hitler. Je sais qu'il est changeant, dissimulé, contradictoire, incertain. Le même homme d'aspect débonnaire, sensible aux beautés de la nature et qui m'a exposé autour d'une table à thé des idées raisonnables sur la politique européenne, est capable des pires frénésies, des exaltations les plus sauvages, des plus délirantes ambitions. » La guerre déclarée et la France occupée, Hitler aura vent de cette dépêche assassine.
Son auteur, jusqu'ici considéré comme « le plus fin des diplomates », sera interné au Tyrol, coupable d'avoir vu juste : car les « délirantes ambitions » pullulent dans les « Propos intimes et politiques. 1941-1942 », recueil de paroles prononcées par Hitler devant ses fidèles, prises en note, dactylographiées et archivées dans les services de Martin Bormann, responsable du parti nazi et proche parmi les proches. Déjà publiées en 1951 dans une version tronquée puis mal traduite, ces transcriptions longtemps sous-estimées sont livrées de manière brute, sous la forme de quasi-monologues journaliers. On y découvre la pensée de Hitler pendant l'assaut contre l'URSS, son état d'esprit face à la résistance britannique ou devant l'entrée en guerre des Etats-Unis, et une masse de considérations qui font de l'ensemble une sorte de « Mein Kampf » en action. Capable de disserter sur l'architecture et sur le rôle des femmes, de ressasser son expérience de la Première Guerre mondiale et la conquête du pouvoir faite « à l'intuition », Hitler réécrit l'histoire depuis a l'Antiquité, livre des analyses économiques alternant précisions alambiquées et statistiques bidon, confie sa « joie » de retrouver le Duce et même une croyance en la réincarnation. « Exécutant d'une volonté historique » et convaincu de ne pas dépasser les 70 ans, il se veut l'« indispensable » père de la nation qui « chérit ses enfants » ; omniscient, il donne sa vision d'une justice efficace, prophétise les énergies du futur, émet des idées pour de nouveaux programmes scolaires, prône la standardisation des lavabos dans le Reich, sans oublier d'imposer la « formule du buffet froid » pour les « réceptions du parti ». Obsédé par les « perspectives économiques » de son futur empire, Hitler assure qu'il « crée les conditions de la vie » grâce à la conquête des vastes territoires de l'Est « sur lesquels les Germains ont déjà vécu ». Les populations autochtones « doivent rester analphabètes » et subir la loi de colons allemands, « paysans-soldats » rejoints par des Norvégiens, des Suédois, des Danois, des Néerlandais, dont les pays disparaîtront donc dans le grand Reich. Le modèle de Hitler ? Les Britanniques et la colonisation de l'Inde : « La démesure de l'espace les a obligés à gouverner des millions d'habitants avec peu d'hommes. » L'avenir du Lebensraum, l'« espace vital » ? « La région doit perdre son caractère de steppe asiatique et être européanisée ! Pour cela nous construisons aujourd'hui les grandes voies de pénétration vers la pointe sud de la Crimée, et vers le Caucase. Tout au long de ces voies s'aligneront, comme des perles sur un fil, des villes allemandes et tout autour s'installeront les colons allemands. » Et « dans trois siècles, ce sera un paysage verdoyant d'une beauté inouïe ! » A l'Ouest, les frontières incluront l'Alsace et la Lorraine, arrachées à une France que Hitler se félicite d'avoir soumise. « Nos Allemands - et c'est là l'essentiel - devront former une société cadenassée comme une forteresse - le dernier de nos palefreniers doit être supérieur à tout indigène de la périphérie », promet Hitler, qui voit encore plus loin, et se projette dans une époque où « le national-socialisme et le christianisme ne pourront plus cohabiter ». Enfin, « Berlin, comme capitale mondiale, ne se comparera qu'à l'ancienne Egypte, à Babylone ou à Rome ! En face, que sera Londres, que sera Paris ! » Dès lors, le national-socialisme rayonnera au point d'« incliner vers l'ordre nouveau les plus libéraux des démocrates de l'Ouest ». Cependant, l'« épopée héroïque » des troupes nazies ne terrasse pas l'URSS. Le 11 juillet 1941, Hitler laisse déjà entrevoir de possibles négociations : « Staline est une des grandes figures de l'histoire du monde. [ ] Le rusé Caucasien est prêt à lâcher la Russie d'Europe, s'il se rend compte que sans cela il risque de tout perdre. » D'abord enclin à croire en une prochaine entente anglo-allemande, Hitler injurie Churchill « et derrière lui la Juiverie » en constatant que le Premier ministre britannique s'allie avec Staline. Désarçonné, il place de colossaux espoirs dans son alliance avec le Japon, jugé apte à déstabiliser l'ennemi anglais grâce à ses victoires et à contenir l'Oncle Sam : « La protection de notre Reich, c'est que jamais plus les Japonais ne rendront la mer aux Etats-Unis », assure-t-il, même si son alliance avec l'empire du Soleil levant, raillé dans « Mein Kampf », demeure de circonstance : « La race blanche disparaîtra de cet espace », regrette Hitler à propos des colonies occidentales du Sud-Est asiatique. Malgré sa sous-estimation de la puissance américaine, les doutes quant à une victoire prochaine se lisent donc en filigrane : en septembre 1941, il évoque « le cas où il y aurait lieu un jour de craindre des troubles intérieurs ». Et de conclure : « Ordre de liquider tout ce qui se trouve dans les camps de concentration. » Ce sera fait, du moins en partie. Prononcée devant des ministres ou ses proches collaborateurs, la parole du Führer a donc valeur d'ordre. Le sort des prisonniers soviétiques est par exemple vite réglé : « Les animaux qui peuplent nos camps » méritent « la mort ». On voit, aussi, s'esquisser le processus génocidaire : « Le juif destructeur, nous l'éliminerons complètement », lance-t-il en octobre 1941, alors que les Einsatzgruppen ont débuté leurs massacres. Quelques jours après, il précise : « Si nous éliminons cette peste, nous aurons accompli pour l'humanité une action d'une importance que nos hommes, sur le front, ne peuvent même pas imaginer. » « J'aimerais ne voir souffrir personne et ne faire aucun mal, soutient Hitler. Mais quand je constate que l'espèce est en danger, le sentiment fait place à la froide raison : je ne vois plus que les victimes du futur, au cas où on ne ferait pas des victimes aujourd'hui. » Justifiant des crimes sans précédent, il sut circonvenir un auditoire de serviteurs zélés. En cela, ses mots furent aussi une arme.
« Souvenirs d'une ambassade à Berlin. 1931-1938 », par André François-Poncet, Perrin, 510 p., préface et notes de Jean-Paul Bled. « Propos intimes et politiques. 1941-1942 », par Adolf Hitler, Nouveau Monde, 704 p., préface, notes et traduction de François Delpla.
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moi ça me donnerait envie de lire, pas vous ?