Post Numéro: 4 de CHEVALIER 01 Juin 2015, 11:01
Hitler demande à attaquer au plus tôt à l'automne (le A-Tag sera d'abord fixé au 25 puis 12 novembre).
Les arguments par lesquels il se justifie sont parfaitement logique. Le temps va bénéficier aux Alliés qui ont une capacité industrielle supérieure, dont la puissance militaire ne va aller que s'accroissant, qui ne peuvent que rattraper le retard qu'ils ont pris sur l'armée allemande à la fin des années 30. Clausewitz chap. I : « si l'un a intérêt à agir, l'autre a intérêt à attendre » (et inversement)
Cependant l'armée n'est pas prête immédiatement mais Hitler veut absolument attaquer tout de suite. On peut l'inscrire dans l'image d'un Hitler piètre stratège qui fait fie de la réalité et n'a que des intuitions partielles et est un impulsif. Ou alors, et c'est mon avis (et celui d'autres historiens, comme Vanwelkenhuyzen) en fait Hitler était bien conscient des problèmes et a justement mis la pression pour que les états-majors se surpassent dans leur travail pour remettre l'armée allemande en état de lancer une grande offensive. Ainsi fin décembre, l'armée est bientôt prête et Hitler qui peut relâcher la pression confie ainsi à Jodl que s'il ne peut attaquer à la mi janvier, il reportera l'affaire au printemps, ce qui est bien plus compatible avec l'exigence de bonnes conditions météo que d'attaquer en automne !
Halder le chef d'état-major de l'OKH a envisagé de tuer Hitler, sans jamais qu'il semble s'être véritablement décidé — il emportait quand même un pistolet avec lui pour aller voir « Emil » (nom de code donné à Hitler) — mais début novembre il prend peur lorsque Hitler parle d'anéantir « l'esprit de Zossen » — Zossen, c'est là que se trouve l'OKH et nombre de conspirateurs. Halder finit par y renoncer car Hitler est trop populaire, qu'il faudrait d'abord que son prestige soit tâché par une sérieuse déconvenue.
Après Hitler attendait-il un meilleur plan ? Je ne crois pas, il n'était apparemment pas satisfait du premier (19 octobre), le deuxième (29 octobre) lui convenait mieux et je pense que ça n'est allé qu'en s'améliorant. L'avant-dernier plan était loin d'être mauvais. L'effort principal était au sud de Namur, encore dans le ventre mou du front allié. Un autre effort avait lieu à Sedan. Les deux efforts auraient pu se réunir en attaquant direction ouest, comme ce sera le cas en mai 40. Mais il est difficile de faire de l'uchronie.
Il n'a pas eu un éclairage soudain de Manstein… D'abord il n'y a aucune preuve que Hitler ait eu vent des idées de Manstein avant la rencontre du 17 février — si tenté qu'elle ait eu lieu dans les conditions décrites par Manstein. Tout ce qu'on a, c'est des témoignages après coup de l'entourage de Manstein (Blumentritt…). La seule trace que peut nous sortir Frieser est le journal de Engel (où il raconte que Schmundt a rencontré Manstein et a décidé de transmettre ses idées à Hitler) mais il a en fait été écrit après guerre (on le sait notamment parce qu'il y a un mensonge à propos de Manstein sur Stalingrad)…
Mais admettons qu'il en ait eu vent. Regardons vite fait les facteurs de succès du plan allemand :
*surprise :
→ traversée de l'Ardenne, là où les Alliés ne l'attendent pas
→ traversée de l'Ardenne unités blindées en tête
→ franchissement principal de la Meuse à Sedan, gros point faible
→ traversée surprise de la Meuse par les unités blindées dans la foulée
*manœuvre enveloppante
*diversion en Belgique et fixation ici de l'aile marchante alliée
Qu'on pu apporter les idées de Manstein (je parle de celles du 31 octobre, car il reprendra au fur à et mesure les modifications du plan apportés par l'OKH/OKW) ? Elles étaient loin d'être très précises. Il fallait attaquer par l'Ardenne — sans préciser où — et prendre les Alliés à revers en Belgique ; encore qu'il n'était même pas sûr qu'ils s'y engagent, or c'est très important qu'ils le fassent sinon son idée n'a pas beaucoup d'intérêt et serait dangereuse.
On n'y trouve pas où franchir la Meuse, mais vraisemblablement sur sa partie belge (entre Givet et Namur). Sedan, ce n'est pas Manstein qui l'apporte, on ne sait pas exactement d'où il vient (Schell ?), mais c'est Hitler qui l'impose début novembre. On y envisage déjà le franchissement de la Meuse par surprise, c'est à dire dans la foulée par unités blindées.
Manstein propose une manœuvre enveloppante, très bien, mais dire que c'est parce qu'on retrouve cette idée dans le plan final que le plan est de lui c'est absurde. Contourner l'ennemi est une chose mille fois vue dit Clausewitz. Ça n'a rien de génial. L'idée était présente contre l'armée belge lors du premier plan, on l'a fait en Pologne, on l'a fait sur le front de l'Est pendant la Première Guerre mondiale, on a essayé de le faire en 1914 (plan Schlieffe-Moltke), on l'a fait en 70 à Sedan et Metz, on l'a fait à Sadowa contre les Autrichiens, etc. Bref cette idée est complètement banale, surtout chez les Allemands qui l'ont presque érigé en religion avec leur recherche de la bataille d'anéantissement. S'extasier devant le « coup de faucille » c'est manquer de discernement.
Une idée de Manstein qui pourrait sembler plus originale, c'est de tenter de passer par l'Ardenne. Mais… déjà il y a Ardenne et Ardenne. Manstein propose le franchissement au nord vraisemblablement (direction entre Namur et Givet) ; or dans les deux premiers plans de très importantes forces allemandes y sont déjà engagées avec la 4. Armee ! Dans le deuxième plan elle engage 4 divisions blindées au sud de Liège… On l'a vu ce n'est pas Manstein non plus qui propose de franchir le sud de l'Ardenne — en direction de Sedan — puisque l'idée est imposée par Hitler.
Pas d'idée non plus sur la diversion / fixation de l'aile marchante alliée en Belgique. Or c'était essentiel.
Il a également eu l'idée de faire un défense offensive du flanc sud, idée formellement déconseillée par Clausewitz ; Halder l'avait qualifiée de toute autre opération et il avait raison, c'était divertir vers le sud des forces — il faut plus de force en attaque qu'en défense — de l'attaque principale dans le nord.
Quelles que soit les qualités de Manstein il n'a rien apporté au plan. Ce plan a changé selon la situation du moment (les Alliés) et les opportunités qui se sont présentés ou évaporées. Manstein était mal placé pour établir un plan, ce n'est pas sa faute il n'est pas à l'OKH. Du reste, ils se sont quelques peu aveuglés, lui et Rundstedt, par leur haine de Brauchitsch et Halder.
Bref le plan est de l'OKH, avec une certaine contribution de l'OKW, celle de l'OKL reste à déterminer mais la Luftwaffe a eu un rôle très importants dans les opérations.
On peut se demander pourquoi le plan a tardé à mettre l'effort principal à Sedan, sous entendu l'OKH ne croyait pas à la traversée de l'Ardenne ni à celle de la Meuse. Explication fallacieuse à mon avis. La vrai, pour moi on la trouve dans le journal d'Halder et dans l'opposition de Bock au nouveau plan. Avec ce qu'écrit Halder à propos du Kriegsspiel du 7 février, on se rend compte que ce qu'il craignait vraiment, c'était une contre-offensive française depuis la ligne Maginot sur le flanc sud ; l'exercice montre qu'elle échouera, donc on peut y aller. Et on retrouve la même crainte chez Bock (de mémoire « vous aller passer à Sedan, juste à coté de la ligne Maginot, et vous vous imaginez que le Français vous regardera sans rien faire ? ») ; Manstein lui-même craignait une contre-offensive de 50 divisions…