Bruno Roy-Henry a écrit:Un léger point d'opposition : personnellement, je pense que Churchill connaissait les conditions allemandes. Halifax les a certainement transmises, à supposer qu'elles n'aient pas été adressées par un autre canal que celui de Dalherus. J'en veux pour preuve la question que pose d'emblée Churchill à Reynaud : "avez-vous reçu des propositions d'armistice ?".
Bruno Roy-Henry a écrit:Reynaud ne tire aucun parti de la situation et ne songe même pas à transmettre l'ultimatum de Weygand : en résumé, "donnez-nous vos avions, sinon nous sollicitons un armistice séparé" !
Le 26 au matin, Halifax, qui n’est pas exactement un hypocrite ou un conspirateur, mais bien plutôt un donneur de leçons persuadé que sa façon d’agir est la seule raisonnable, rend compte presque sincèrement de la manière dont il a, disons, extrapolé le mandat du cabinet. Simplement, il sauve la face en prétendant que c’est Bastianini qui a parlé de conférence le premier.
Lors de cette séance, Churchill annonce la visite de Reynaud sans excès de circonlocutions ("il vient nous annoncer que la France va capituler"). Et il joue sa dernière carte : lui qui refusait pied à pied, depuis le 19 mai, les suggestions de lord Gort (devenues progressivement des objurgations) en faveur d’un rembarquement du corps expéditionnnaire britannique en train de se faire encercler avec les Français et les Belges, il s’y est brusquement rallié la veille au soir. Il tient donc pour Reynaud une réponse toute prête, qu’il fait avaliser ce matin-là par le cabinet : pas question que vous capituliez avant de nous avoir aidés, nous qui voulons continuer la guerre, à nous tirer de ce guêpier où nous nous trouvons pour avoir trop longtemps voulu combattre à vos côtés.
Il se passe alors une chose extraordinaire : Churchill, qui doit déjeuner avec Reynaud entre deux réunions du cabinet, demande à ne pas être seul... et n’est pas entendu. Aucun ministre ne daigne se restaurer en pareille compagnie. Plus fort encore : après ce déjeuner, Churchill s’arrange pour que Reynaud ait un bref tête à tête avec Halifax, après quoi les autres membres du cabinet (Churchill, Chamberlain et les travaillistes Attlee et Greenwood), les rejoignent.
Enfin, le cabinet se réunit et le premier quart d’heure de cette réunion importantissime pour l’histoire du XXème siècle a lieu, de façon absolument exceptionnelle, en présence des seuls ministres du cabinet, sans les secrétaires ni les invités habituels (Sinclair, Cadogan, les chefs militaires et quelques autres). De même, les discussions entre Reynaud et Halifax, d’une part, Reynaud et le cabinet, d’autre part, ont échappé à tout archivage. Quant aux mémoires de Churchill, ils présentent ces événements de manière très elliptique et surtout hors contexte, deux semaines plus tard, à propos de l’entrée en guerre de l’Italie !
Pour tenter de boucher les trous, nous disposons essentiellement de deux sources : le livre précité de Reynaud et le journal de son conseiller militaire, Villelume. Ce dernier nous dit qu’après de longues heures passées à l’ambassade il a vu Reynaud arriver vers 16h. "Halifax, nous dit-il, a été le seul à montrer de la compréhension. Churchill, prisonnier de l’attitude de matamore qu’il a toujours eue devant ses ministres, a été résolument négatif."
Reynaud écrit (ou du moins publie) 7 ans plus tard, alors qu’il connaît le résultat des courses (mais n’a visiblement pas mesuré la portée de ces aveux, non renouvelés dans les deux versions ultérieures de ses mémoires ; l’explication principale pourrait être le silence de Churchill dans ses propres mémoires -sortis en 1949, une aubaine sur laquelle, en 1947, Reynaud n’osait peut-être pas spéculer), qu’après sa conversation avec Churchill il a vu, ensemble, les 5 membres du cabinet... ainsi qu’Eden, alors ministre de la Guerre (c’est-à-dire de l’armée de terre) -un point qui me paraît douteux, mais n’est pas capital. Reynaud ne dit pas qu’il ait vu d’abord Halifax en tête à tête, mais on peut supposer que le passage suivant est relatif à cet épisode :
"Lord Halifax me dit qu’il avait pris l’initiative de faire, la veille même, des avances à l’ambassadeur d’Italie à Londres, le comte Bastianini, lui marquant que les Alliés seraient disposés à prendre en considération toute proposition de négociation, tant sur les intérêts italiens que sur les bases d’une paix juste et durable."
La suite, en revanche, semble faire état de sa discussion avec l’ensemble du cabinet : "Lord Halifax me parut frappé par mon argumentation. Il se dit prêt à suggérer à Mussolini que, dans le cas où l’Italie consentirait à collaborer avec ces deux pays à l’établissement d’une paix sauvegardant l’indépendance de la France et de l’Angleterre, (...) les Alliés seraient disposés à discuter avec lui les revendications de l’Italie. Il fut convenu que le cabinet britannique en délibèrerait et que j’en serais informé."
La suite est connue (je renverrai notamment au Five Days in London de Lukacs, récemment traduit) : après trois jours de terribles turbulences, Churchill réussit à reprendre son cabinet en main le 28, jour où il écrit à Reynaud que, finalement, le gouvernement anglais ne souhaite pas faire d’offres à Mussolini "pour l’instant" -un télégramme publié par Churchill, toujours à propos de la déclaration de guerre italienne (tome 3, édition française, p. 130), en dépit des aveux qu’il contient et qui contredisent de nombreux passages éthérés de ses mémoires.
scipio a écrit:
Cher M Delpla
Si je vous compris correctement, je crois que vous croyez quelque chose de sinistre dans le fait que le rapport de Halifax de la réunion avec l'ambassadeur italien porte l'empreinte "10 Juin".
Mais le 26 mai, le War Cabinet entendu - je cite:
"Le Ministre des Affaires Etrangères (Halifax) a ensuite lu un compte rendu de l'entretien avec l'ambassadeur d'Italie la veille (voir dépêche à Rome No. 413). "
“The Foreign Secretary then read out an account of the interview with the Italian Ambassador the previous day (see despatch to Rome No 413). “
Il semblerait donc que le War Cabinet ont été mis au courant des détails de la réunion - le rapport écrit a été tout simplement déposé le 10 Juin.
Cher M. Scipio,
le problème est que Halifax a menti sur l'essentiel, le 26 : il a prétendu que l'idée d'une conférence de la paix avait été introduite dans la conversation par Bastianini alors qu'elle l'avait été par lui-même.
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