L'aide militaire des allemands et des Italiens ne fut pas sans créer des problèmes au sein même du camp nationaliste. Farouchement susceptible, le tempérament espagnol acceptait mal cette intrusion étrangère, pourtant demandée, dans sa tragédie.
le général Faupel, envoyé du Führer (photo : keystone)
De plus, les nazis, en échange de l'aide apportée, prétendent à l'octroi de privilèges économiques. ils réclament que leur soient reconnus un certain nombre de droits préférentiels. les Espagnols s'y refusent; ils repoussent toute disposition pouvant tant soi peu hypothéquer le patrimoine national. Pour y couper court, Franco, le 9 octobre 1937, rend un décret portant : - 1 : Annulation des concessions minières signées depuis le 17 juillet 1936; - 2 - Limitation des investissements étrangers, qui ne devront pas dépasser le quart du capital social des sociétés intéressées; - 3 - Obligation d'une direction entièrement espagnole.
Ces mesures sont accueillies à Berlin avec le plus grand mécontentement. Hitler proteste. Il fait effectuer à Burgos des démarches, suivis de discussions tournant parfois à la dispute. Si les relations avec les Allemands sont aigres, celles avec les Italiens sont mauvaises. Ces deux peuples que beaucoup de choses devraient, semble t-il, rapprocher, se trouvent, en fait, séparés par de profondes divergences de caractère. Les Italiens sont volontiers exubérants; ce sont des méridionaux; ils détonnent dans une Espagne foncièrement nordique et que seule une erreur de la géographie a placée au sud de l'Europe. les deux races sont en état d'antinomie, donc de heurt. Leurs contacts sont acides. Trop d'Italiens habitués à une vie facile sont allés en Espagne comme à une partie de chasse. Surtout, cette guerre n'est pas la leur. On ne peut leur demander d'y mettre le même cœur que les intéressés. Nous touchons là à la faute fondamentale de la politique mussolinienne. Par obsession du prestige national, le Duce demande trop à ses compatriotes, aussi les dits compatriotes le suivent-ils de plus en plus mal. Hier l'Ethiopie, aujourd'hui l'Espagne, demain l'Albanie ... les gars de Florence ou de Naples comprennent de moins en moins. | Toujours est-il que la mésintelligence est constante. Ciano, dans ses carnets, est le reflet des plaintes qu'il reçoit. le 1er juin 1938, il écrit : "Je télégraphie qu'on retire nos unités de Saragosse et qu'on envoie quelques bataillons en ligne. Nos troupes sont maintenues au repos depuis plus de quarante jours. D'après les nouvelles reçues, il semble que cela ne fasse pas bonne impression de voir dans les villes les forces italiennes courir les cabarets et les bordels, tandis que les Espagnols livrent une dure bataille" Le 8 juin, il avait noté : "Le général Gambara nous signale un différent entre notre commandement et le commandement espagnol, un des innombrables différends. Une partie de la responsabilité revient peut-être aux Espagnols, cependant les nôtres ne sont pas non plus exempts de fautes. Ils montres fréquemment une intolérance provinciale, ils manifestent un entêtement, lesquels s'expliquent par l'ignorance de l'étranger qu'ont souvent nos officiers" Le 17 octobre : "Franco a hâte de se débarrasser de nos soldats; il ne désire conserver que l'aviation et l'artillerie; il est jaloux de nos succès actuels et il craint nos succès futurs". Enfin, voici ce que, dans un rapoort à Berlin, en dit l'Allemand Stohrer, le 3 décembre 1937 : "L'attitude et le comportement des officiers et des troupes fascistes provoquent un croissant mécontentement, non seulement dans les milieux militaires ou politiques, mais encore dans toute la population espagnole. On peut même dire qu'au Grand Quartier général on en a franchement assez de l'aide militaire Italienne toute entière. La glorification démesurée des faits d'armes italiens, la présomption des chefs, la conduite des hommes au front, surtout au cantonnement, la contrebande des marchandises à laquelle se livre cette armée, sans compter d'autres abus, tout cela indispose les Espagnols chaque jour davantage contre les Italiens ... Des témoins oculaires m'ont informé qu'une scène de violence s'était produite entre Franco d'une part, l'ambassadeur Cantalupo et le général Bastiani d'autre part. Il est également arrivé au Caudillo de parler en termes méprisants de l'aide reçue de Rome; il sen est exprimé au commandant de la Légion Condor. A différentes reprises, il s'est plaint de l'échec d'opérations qu'il a imputé aux contradictions des chefs militaires italiens, à leur souci de gloriole, à leurs préoccupations de vanité".
Même si les relations sont aigres, les Espagnols ont besoin de la légion Condor (photo Arch)
Stohrer, pourtant, n'a guère de raisons d'insister : Allemands ou Italiens, les Espagnols les englobent dans une même antipathie. Le 19 avril 1938, à Burgos, au cours d'un banquet, le général Yaguë traite les uns et les autres de "bêtes de proie". Cette algarade lui vaut d'être frappé de quinze jours d'arrêts. C'est visiblement une règle de l'histoire : les interventions étrangères dans un conflit intérieur tournent généralement fort mal. Il est rare qu'elles profitent à leurs auteurs. Dans cette affaire, les Français eux-mêmes n'en ont, que je sache, retiré aucun avantage.
Sources bibiliographiques : Carnets de Ciano Texte : personnel |