Le danger du silence des auteurs nazis

Il s'agit d'un article paru le 8 novembre 2023 dans le Journal autrichien Wiener Zeitung .
Cette analyse me parait intéressante, l'auteur qui la signe et le directeur du quotidien qui l'édite ont d'autant plus de mérite d'appartenir tous deux aux pays associés au Reich, coupable de génocide.


Le danger du silence des auteurs nazis 
Il est de plus en plus rare que les auteurs de crimes nazis soient traduits en justice aujourd’hui.
Depuis 1945, tous les accusés nazis ont nié toute responsabilité dans les crimes du Troisième Reich. Cela envoie un message dangereux.

Le droit pénal des mineurs s'applique - même si l'homme a déjà 98 ans : le parquet allemand affirme que l'accusé a servi comme SS dans le camp de concentration de Sachsenhausen et a été complice de meurtre dans 3 300 cas. Il était alors majeur, mais pas encore 21 ans. Il n’est pas clair si la personne âgée doit réellement comparaître devant le tribunal. Un rapport indique qu'il est au moins partiellement coupable pour subir son procès. L'année dernière, un ancien gardien du camp de concentration de Sachsenhausen âgé de 101 ans et une femme de 97 ans qui travaillait comme secrétaire dans le camp de concentration de Stutthof ont été condamnés. En conséquence, tous deux sont coupables de complicité de meurtre dans des milliers de cas.
Signal important
La réaction de ces accusés est toujours la même : pas de culpabilité, pas de honte, pas d’aveu de responsabilité personnelle. L'homme de 101 ans a nié jusqu'au bout avoir été agent de sécurité à Sachsenhausen. L'ancienne secrétaire du camp de concentration avait tenté d'éviter le procès en fuyant sa maison de retraite. Tous deux ont fait appel de leur condamnation. Selon l'accusation, il est impossible qu'ils n'aient pas remarqué l'extermination systématique des prisonniers à Sachsenhausen et Stutthof.
En Allemagne, la question est de savoir s'il est utile de traduire en justice les personnes âgées, dont certaines ont une capacité limitée à être jugées. Ils disent qu'il faut laisser ces gens tranquilles. Non, répondent les procureurs, les procès sont nécessaires. Ne serait-ce que pour honorer les victimes de la terreur nazie, qui peuvent témoigner devant les tribunaux des horreurs des camps de concentration, envoyant ainsi un signal important aux générations futures. Et il est important de montrer que l’Allemagne officielle ne reste pas aujourd’hui silencieuse face aux crimes.
La charge est déléguée 
Les psychologues sociaux soulignent que le silence, le déni et l’incapacité de se souvenir des accusés nazis représentent encore aujourd’hui le comportement de toute une génération. La génération dans laquelle la grande majorité a été impliquée dans les crimes nazis en tant qu’auteurs, partisans ou tolérants. Cela crée des difficultés pour les enfants, les petits-enfants et peut-être aussi les arrière-petits-enfants de la génération des auteurs du nazisme, qui n'ont pas été reconnus comme tels pendant longtemps.
Dans ses études, la chercheuse allemande Angela Moré suppose que ceux qui ont été directement impliqués dans les crimes nazis, avec leur refus de pleurer et de faire face au passé, transmettent le problème non résolu à travers des processus subconscients comme une patate chaude. Dans son livre « Totem et tabou », le fondateur de la psychanalyse, Sigmund Freud, décrit que les générations plus âgées transmettent à leurs enfants et petits-enfants ce qu'elles veulent cacher à leurs descendants, mais aussi à elles-mêmes, dans des messages codés.
La conviction que les Allemands sont supérieurs est transmise Jan Lohl, sociologue
Le fardeau que les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants peuvent alors devoir supporter est énorme : il peut même aller jusqu'à ce qu'ils soient détruits par des sentiments de culpabilité et de tristesse, même s'ils ne peuvent pas expliquer d'où cela vient. Ils souffrent de conflits psychologiques dont on soupçonnerait les auteurs.
Les auteurs étaient conscients de la brèche dans la civilisation 
Mais que se passait-il dans l’esprit des auteurs nazis lorsqu’ils commettaient leurs crimes ? Qu’est-ce qui a motivé ces gens à l’époque ? Les dernières recherches montrent qu'il était tout à fait clair pour les auteurs et ceux qui ont vécu consciemment l'ère nazie qu'il s'agissait de crimes scandaleux auxquels ils ont participé ou du moins n'ont rien fait. Il était tout à fait clair pour eux que l’Holocauste constituait une rupture de civilisation sans précédent et que ce qui se passait ici n’était pas « normal ». Dans le même temps, beaucoup étaient convaincus que la « lutte contre la communauté juive mondiale » rendait ces atrocités nécessaires. Lorsqu'il devint évident, en 1942/43, que la guerre pouvait être perdue pour l'Allemagne, les auteurs de ces crimes commencèrent à craindre l'inévitable expiation et le châtiment pour les crimes qu'ils avaient commis. C’est à cette époque que les premiers nazis ont commencé à dissimuler les traces de leurs crimes.
Porte d’entrée vers l’extrémisme de droite 
Brouiller, oublier, justifier : ces vieux nazis ont encore aujourd’hui pour complices les innombrables jeunes extrémistes de droite qui nient l’Holocauste ou défendent les crimes de leurs grands-pères et grands-mères comme « honorables », « bons » ou « inévitables ».
 Jan Lohl, professeur de sociologie à Hanovre, a examiné dans son livre « L'héritage des sentiments et l'extrémisme de droite » comment la génération des auteurs, partisans et tolérants du nazisme a ouvert la porte à l'extrémisme de droite d'aujourd'hui. Ce que cette génération n’a pas fait, selon Lohl, c’est d’abandonner la croyance dans le « peuple allemand supérieur » et la croyance arrogante dans la « race des maîtres allemands ». Se débarrasser de cette idée absurde aurait nécessité un travail de deuil intensif, ce que la génération de la Seconde Guerre mondiale après 1945 n’a pas entrepris. Selon Lohl, ce processus de gestion de la culpabilité a été empêché par les grands-pères et les grands-mères agissant comme s'ils n'avaient pas été là du tout sous le Troisième Reich. Cela signifie que l’idée de « supériorité aryenne » reste intacte et est adoptée. De nombreux jeunes sont désormais convaincus qu’ils doivent, au nom de leurs ancêtres, effacer l’humiliation de la défaite et restaurer la grandeur allemande. Selon Lohl, ce sont ces « héritages de sentiments » à peine reconnaissables qui poussent tant de jeunes dans les bras des organisations de droite et d’extrême droite et les rendent vulnérables aux idéologies paranoïaques.
Il est important que les témoins contemporains aient la possibilité de rendre compte des horreurs des camps de concentration lors des derniers procès nazis. Les derniers survivants dont on peut encore se souvenir étaient des enfants à l’époque. Bientôt, il n’y aura plus personne pour signaler ces horreurs. Il faut espérer que ces crimes pourront encore être traités et que les blessures pourront enfin empêcher leur transmission à la génération suivante.

l'auteur de cet article, est Michael Schmölzer, rédacteur en chef de WZ,

Quelle belle façon de se donner bonne conscience !
JD