Post Numéro: 16 de Rob1 13 Fév 2022, 01:35
Le SVR, service d'espionnage extérieur russe actuel héritier du KGB, a déclassifié de manière sélective des documents des taupes de Cambridge qui ont été publiés dans divers ouvrages. Voici un rapport de Kim Philby fait pour Moscou en octobre 1944, alors qu'il vient de prendre la tête de la section IX (contre-espionnage soviétique) du SIS, à propos d'une visite qu'il a fait à son homologue du MI5 Roger Hollis. Je pense que c'est un excellent exemple pour d'une part montrer le travail des services secrets dans la lutte espionnage/contre-espionnage, et d'autre part donner une idée des dégâts qu'un taupe bien placée peut faire à un tel service.
Tiré de Michael Smith (dir.), The Secret Agent's Bedside Reader : A Compendium of Spy Writing, Londres, Biteback Publishing, 2014, p. 308-315
« J'ai eu un long entretien avec Hollis à sa demande, afin que nous puissions discuter de notre future collaboration.
Hollis a commencé par expliquer que sa division du MI5 (la division F) était une création du temps de guerre. Avant la guerre, tout le travail actuel de la division F était effectué par la division B. En effet, le travail contre le communisme et l'Union soviétique était la tâche principale de la division B. Au début de la guerre, cependant, il devint commode de séparer la division B en deux, l'une s'occupant de l'espionnage et du sabotage ennemis, l'autre des mouvements politiques subversifs et de l'espionnage soviétique. Ainsi est née la division F.
[...]
La division F est divisée en trois sections : F1 sous Shelford est une nouvelle section mise en place pour s'occuper des renégats britanniques capturés sur le continent, par exemple : William Joyce, P. G. Wodehouse etc. F2 traite des mouvements de gauche. F3, sous [Graham] Mitchell, traite des mouvements de droite.
La section anticommuniste est divisée en trois sous-sections. F2A, sous David Clark, s'occupe des partis politiques de gauche ; F2B, théoriquement dirigée par Hugh Shillito mais dirigée en pratique par Mlle Millicent Bagot, s'occupe des communistes étrangers au Royaume-Uni ; F2C sous Hugh Shillito traite de l'espionnage soviétique. (Shillito s'est vu confier un vague rôle de supervision en ce qui concerne F2B parce qu'il était préférable d'avoir un homme nominalement responsable !)
F2A se compose de onze officiers dont environ la moitié sont des femmes. Sa fonction est d'étudier et d'enquêter sur l'activité du Parti communiste de Grande-Bretagne (CPGB). Hollis affirme que le MI5 a une très bonne connaissance de l'organisation, du personnel et de l'activité du CPGB : [John] Curry a justifié cette affirmation.
[...]
F2B se compose de Mlle Bagot, et de trois femmes. Sa fonction est d'étudier les communistes étrangers sur le territoire britannique et, pour ce faire, elle doit nécessairement étudier également l'activité communiste à l'étranger. Hollis déclare que Mlle Bagot est un personnage vraiment exceptionnel. Elle travaille sur le problème communiste depuis plus de vingt ans et possède une connaissance véritablement encyclopédique du sujet. D'après ce que Hollis a dit, j'ai compris qu'il la considérait comme le membre le plus précieux de toute la division.
F2C est composée de Shillito et est responsable de l'espionnage soviétique. Hollis considère qu'il est très doué pour s'inquiéter des subtilités d'une affaire, et a mentionné en particulier qu'il a fait un excellent travail pour traquer [Oliver] Green [un communiste britannique qui dirigeait un réseau d'espionnage soviétique découvert en 1942], et le faire parler après son arrestation. Il a dit, cependant, que Shillito était moins doué pour les aspects politiques plus larges du problème.
Hollis m'a ensuite donné le résumé suivant des sources à la disposition du MI5. Il a d'abord parlé de l'étroite coopération du MI5 avec la Special Branch [de la police]. Il a dit que la Special Branch fournissait beaucoup de renseignements locaux, mais d'assez bas niveau, sur les individus communistes dans son district. Elle reçoit en retour périodiquement des appréciations et des directives du MI5. Il a dit que les gens de la Special Branch étaient en général trop voyants pour obtenir des résultats vraiment surprenants. Il y a une grande pénurie de bonnes personnes pour les filatures et la surveillance, et la qualité de ce travail varie d'un district à l'autre. Il a mentionné Liverpool comme étant un quartier où la surveillance était d'une qualité particulièrement élevée, car elle était généralement effectuée par des gens du coin qui passent inaperçus et choisis pour être aussi dissemblables que possible des policiers normaux.
Hollis a ensuite mentionné les agents de Maxwell Knight. Knight ne travaille pas que pour la division F. Il fournit des agents pour l'ensemble du MI5. Ses agents, selon Hollis, sont généralement de grande qualité.
D'après ce que Hollis m'a dit, il semble qu'il y ait un autre groupe d'agents dirigé par un homme nommé [Harry] Hunter [chef de la section de surveillance B6, les "Watchers"]. La plupart d'entre eux sont des agents de longue date, et la principale plainte de Hollis à leur sujet est qu'ils vieillissent, et Hunter ne veut pas recruter de nouveaux gens, car il les compare toujours de façon défavorable au "vieux gang". Ces agents assistent aux réunions communistes, etc., et rapportent sur les personnes qui y assistent. Hollis affirme qu'ils connaissent de vue la plupart des dirigeants communistes et qu'ils peuvent leur fournir des renseignements exacts, sinon de haute qualité.
Hollis a ensuite mentionné les renseignements obtenus à partir des vérifications [interceptions] téléphoniques. Celles-ci, dit-il, ne donnaient pas beaucoup de renseignements directement, mais elles étaient utiles en ce sens qu'elles donnaient des renseignements sur les mouvements de diverses personnes. On pouvait découvrir, par exemple, quelles personnes assistaient à quelles réunions, où elles se donnaient habituellement rendez-vous, etc. Grâce à ces vérifications téléphoniques, il était donc possible de placer des informateurs dans les cafés, etc., avant l'arrivée des personnes auxquelles le MI5 s'intéresse.
La censure [interception] postale, selon Hollis, fournit un peu, mais pas beaucoup. Il n'est pas possible d'avoir une couverture complète du QG communiste à Londres en raison du volume de courrier qui lui parvient. Hollis m'a mentionné un fait curieux, à savoir que les communistes semblaient se considérer comme à l'abri de la censure dans le cas du courrier dont ils sont destinataires. Tandis que de nombreux communistes qui se savent surveillés se donnent beaucoup de peine pour les lettres qu'ils écrivent et expédient, ils ne semblent pas du tout inquiets à l'idée de recevoir des lettres compromettantes. La vérité est bien sûr que le courrier arrivant est toujours une cause de danger bien plus grand.
Hollis a enfin abordé sa plus grande source de renseignements. La division F a obtenu une grande quantité d'informations sur le CPGB grâce à l'utilisation de "special facilities" [installations spéciales], c'est-à-dire des microphones installés dans les appareils téléphoniques du 16 King Street et d'autres quartiers généraux du CPGB. Ils reçoivent environ soixante-dix pages d'informations en moyenne chaque jour. Ce matériel leur donne une vision de près de l'activité des dirigeants du Parti communiste, des délibérations du Politburo, etc.
Il déclara d'une voix triomphante qu'ils avaient verrouillé King Street et qu'ils avaient obtenu de cette source un énorme volume de matériel de haute qualité. Il affirmait que par une lecture assidue, Clark était extraordinairement bien informé de la politique, des dissensions, des affaires privées, etc. des leaders communistes [...]
Outre ces sources secrètes, la division F fait également un grand usage de sources ouvertes telles que la presse. Les publications communistes, telles que World News et Views, sont régulièrement achetées, analysées et indexées.
Il m'est apparu comme un homme d'une connaissance remarquable de son sujet et doté d'un bon sens de l'organisation et de la technique bureaucratiques. Il était « large d'esprit » sur le sujet de la politique soviétique, et a lui-même avancé l'idée que la politique soviétique pourrait bien avoir pour but de faire du pacte anglo-soviétique une réalité et, en conséquence, de tempérer l'esprit révolutionnaire du Parti communiste. (Cela différait nettement du point de vue habituel de Vivian, qui consiste à voir quelque chose d'immédiatement malveillant dans tout ce que fait l'Union soviétique.)
[...]
Hollis, au cours de sa conversation, a déclaré qu'il ne pensait pas que le CPGB recevait encore de l'argent de l'URSS. Il a dit qu'ils en recevaient, en 1935-1936, à hauteur d'environ 46 000 £ par an. Un autre élément d'information qu'il m'a donné était qu'une vérification téléphonique avait été mise en place sur la délégation commerciale soviétique à Londres.
Au cours des deux dernières années, peu de matériel de nature incriminante a été obtenu; toutes les preuves indiquaient la sincérité du soutien du parti à l'effort de guerre et l'abandon temporaire de l'activité révolutionnaire. Hollis et Clark ont convenu qu'il semblait y avoir peu ou pas de contact entre le Parti et l'ambassade soviétique, bien que le Parti ait maintenu des relations avec l'agence de presse Tass.
Hollis a déclaré que les bâtiments de l'ambassade de Russie et de la délégation commerciale russe étaient situés d'une manière qui les rend extrêmement difficiles à surveiller. À l'heure actuelle, aucune tentative n'était faite pour suivre les responsables soviétiques, en partie à cause de la timidité du ministère des Affaires étrangères. Hollis espère amener le Foreign Office à adopter une attitude moins timide. Il a dit que les valises diplomatiques soviétiques étaient un problème très difficile parce que les courriers ne s'en séparaient jamais.
Clark m'a dit qu'il était raisonnablement certain, bien qu'il n'ait aucune preuve définitive, que [Douglas] Springhall [un organisateur du CPGB qui dirigeait un réseau d'espionnage soviétique, dont le capitaine Ormond Uren était un des agents] avait été en contact avec un membre du personnel de l'attaché militaire soviétique à Londres. Il a mentionné qu'il était peut-être (mais pas nécessairement) significatif que Graur, qui avait déjà eu des ennuis pour espionnage en Suède, ait soudainement quitté le Royaume-Uni quatre jours après l'arrestation de Springhall. Clark est maintenant sur la piste d'un collaborateur de Springhall nommé Gregory. Il ne sait pas de quel Gregory il s'agit, mais il a mentionné un James Gregory et un Leslie Gregory comme étant des possibilités.
Clark a obtenu les renseignements menant à l'arrestation du capitaine Uren d'Helen Gresson, une communiste d'Édimbourg. Il a trouvé dans le carnet de Springhall une référence à une rencontre avec Helen "et un ami". Il est monté à Édimbourg et a de toute évidence impressionné Helen par sa connaissance approfondie des affaires du Parti communiste.
Quand il a fait référence avec désinvolture à l'autre personne qui avait été présente à la réunion, elle a laissé échapper: "Oh, vous voulez dire Ormond Uren!" Clark a dissimulé le fait qu'il n'avait jamais entendu parler d'Uren auparavant, prétendant être parfaitement au courant de ce nom; il a donc demandé à Helen de faire une déclaration par écrit contenant le nom d'Uren correctement orthographié. Helen, je crois, est membre de la Russia Today Society. Je ne sais pas comment son nom de famille s'écrit. C'est peut-être Grierson.
Clark m'a dit qu'Uren aurait facilement pu s'en sortir sans être inquiété s'il s'était rendu compte de la faiblesse des connaissances en possession des autorités britanniques. S'il avait maintenu fermement que, bien qu'approché par Springhall, il avait refusé de lui fournir des renseignements, les autorités n'auraient jamais pu le briser. Il n'a cependant pas supporté la pression de l'interrogatoire et a fini par tout avouer.
Shillito n'a aucune enquête d'espionnage soviétique en cours pour le moment. Il est cependant en contact avec deux responsables du NKVD capturés par les Allemands et recapturés depuis par les Britanniques. L'un s'appelle Yegoreff. Il ne veut pas rentrer en URSS. L'autre est un Allemand de la Volga d'origine (je ne connais pas son nom). Il travaille pour les Allemands depuis 1930 environ et est un véritable traître. Il ne veut pas rentrer non plus ! Ces deux-là n'ont pas été interrogés par les Britanniques, par crainte de complications politiques avec l'URSS. Shillito, cependant, s'efforce d'inciter les autorités britanniques à accepter une "déclaration volontaire" de l'un ou des deux. L'un des deux, je ne sais plus lequel, a déclaré aux autorités britanniques que les Russes étaient responsables du massacre de Katyn. J'espère obtenir plus de détails sur ces cas. »
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de alfa1965 » 08 Déc 2019, 20:57 
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