Post Numéro: 1 de Ballon-Balma 02 Nov 2023, 16:55
Le 13 août dernier, « Bltedouard » a provoqué un scepticisme marqué en citant « cette affirmation de l’historien Dominique Lormier (…) » (dans son livre « Comme des lions ») selon laquelle 18 Dewoitine 520 ont effectué une mission à l’issue de laquelle leurs pilotes ont rapporté la destruction de 8 J 87 « Stuka » et de 2 avions d’observation Hs 126, ce qui fut ramené plu tard à 3 Ju 87. J’ajoute que je continue à croire possible (mais pas certain) que 7 ou 8 aient vraiment été abattus et j’essaierai d’en savoir plus si le temps disponible me le permet.
Le scepticisme en question portait surtout sur le nombre de 18 Dewoitine 520, que beaucoup croyaient trop beau pour être vrai, mais c’était une erreur, comme l’a montré le dernier message de cette discussion (Stéphane L). Les autres participants se sont montrés très sceptiques au sujet de cet effectif important et très improbable selon eux, le D.520 n’existant qu’en petit nombre (en principe 68 aux GC I/3 et II/3.).
Ledit scepticisme traduit une fois de plus le misérabilisme général, chez les Français, depuis 1940. Il est exact que la défaite fut épouvantable et, pour tout dire, scandaleuse car les forces françaises étaient parfaitement capables d’infliger une cuisante défaite à l’ennemi, mais le résultat réel fut le contraire. C’est peut-être justement cette contradiction qui a amplifié la sinistrose française. La défaite fut le résultat direct de l’incompétence incroyable des principaux responsables militaires et d’erreurs stratégiques si énormes qu’elles en sont inconcevables. Je n’en donnerai qu’un exemple parmi beaucoup d’autres : l’Armée de terre avait placé une armée de réserve, la 7e armée, commandée par le général Giraud, dans la région de Reims. Cette disposition était parfaite, et la 7e armée pouvait ainsi intervenir, si nécessaire, aussi bien vers le sud (Sedan ou autres) que vers le nord (Belgique, Lille, Dunkerque). Malheureusement, le généralissime allié, le général Gamelin, était si certain de « savoir » que les Allemands attaqueraient à travers la Belgique comme en 1914 (ils auraient été bien bêtes… et ils ont failli le faire) qu’il a supprimé sa propre armée de réserve et l’a envoyée, comme les autres, en Belgique et aux Pays-Bas. Chacun connaît le résultat. Bref, en résumé, cette défaite stupéfiante pouvait parfaitement être évitée (il y a à cela d’autres raisons tout aussi convaincantes).
Comme très souvent après des défaites cuisantes, dans le pays vaincu, chacun trouve toutes sortes d’explications qui le rendent furieux, et tous sont convaincus que rien n’était bon de leur côté : les chefs, le matériel, les chars (« pas de chars français », croyait-on), les avions (« jamais vus » - une parfaite idiotie), les canons et même les célèbres bandes molletières.
Bien entendu, en 1940 et ensuite, la sinistrose a porté particulièrement sur les chars et les avions parce que c’étaient les armements les plus spectaculaires, les plus modernes et les plus bruyants, auxquels fut attribuée la victoire-éclair des Allemands : impossible de ne pas les entendre et de ne pas voir les avions passer dans le ciel sauf s’ils survolaient des nuages, et le troupeau apeuré les croyait tous allemands et jurait, souvent de bonne foi, n’avoir « jamais vu un seul avion français » mais beaucoup d’avions ennemis, ce qui est parfait comme absurdité.
Tout cela explique le scepticisme, qui sévit encore aujourd’hui, au sujet de la possibilité que l'Armée de l'Air ait pu engager 18 chasseurs – surtout les meilleurs, des D.520 - dans une même mission. En réalité, non seulement c’était possible mais l’effectif de 18 a été largement dépassé à de nombreuses reprises. Voici quelques exemples (pas tous !) tirés du récit des pertes françaises publié en 1991 par Paul Martin dans le livre « Invisibles vainqueurs » (éditions Yves Michelet) ; rapportant toutes les missions ayant entraîné des pertes, il indiquait parfois l’effectif engagé (mais presque jamais les victoires, mentionnées à la fin de chaque journée et dans un long tableau récapitulatif, en annexe).
Voici quelques exemples parmi beaucoup d’autres :
10 mai 1940 (début de l’offensive générale allemande)
Note générale : les pertes d’avions incluent les victimes éventuelles des mitrailleurs de bombardiers ou autres allemands et de la redoutable Flak, qui intervenait presque toujours.
GC II/7 (Morane 406) – 21 chasseurs français, combats avec des Me 110. Un mort, un blessé grave, 2 victoires.
Le 10 mai : 360 sorties de la Chasse (1 sortie = 1 vol), 4 pilotes tués, 12 chasseurs perdus, 36 victoires sûres.
11 mai
GC III/3 et II/6 (Morane 406) – 18 chasseurs – « Combat très violent contre 30 Me 109 ». Un blessé grave,1 avion perdu. 4 victoires diverses dont 2 Me 109.
À partir d’ici, étant donné l’objet de ce message (effectifs de chasseurs en vol), je ne donnerai plus les détails sur les pertes et les victoires, qui figurent dans tous les livres (ou articles) traitant de cette période, notamment « Invisibles vainqueurs » (éd. Yves Michelet) et les excellentes monographies (Morane-Saulnier 406, Bloch 152, Curtiss, D.520) des éditions Lela-Presse et Larivière (livres Docavia).
GC II/6 et II/3 – 18 MS 406 – Combat c. 30 Me 109
GC II/7 et III/6 – 21 MS 406 décollent, suite à une alerte.
Le 11 mai : 400 sorties de la Chasse (1 sortie = 1 vol), 6 pilotes tués, 16 chasseurs perdus, 24 victoires sûres.
Le 12 Mai : 263 sorties, 4 pilotes tués, 13 chasseurs perdus (y compris les évtl. victimes de la Flak), 34 victoires sûres.
14 mai
27 Bloch 152 de 4 groupes de chasse décollent pour couvrir de 19 h à 19 h 30 une unité terrestre qui, certainement, « ne les a jamais vus ».
Cette journée du 14 mai 1940 est celle du paroxysme des combats aériens dans le secteur de Sedan et des très lourdes pertes de bombardiers légers britanniques envoyés, en vain, pour arrêter les divisions allemandes (dont 7 blindées) en détruisant les ponts (échec). Ce but aurait été atteint facilement le 12 ou le 13 mais tous (en France) savaient encore que les Ardennes étaient infranchissables… Quand ils ont changé d’avis devant l’arrivée d’environ deux mille chars allemands plus tout ce qui les accompagnait (infanterie, moyens radio, Flak très puissante y compris avec ses canons de 88, unités du génie (« Pioniere »), il était trop tard pour les arrêter avec les moyens existant dans ce secteur.
Le 14 mai, la Chasse française a effectué 340 sorties (presque toutes dans le secteur de Sedan, en protection des divers bombardiers français et surtout britanniques), a perdu 10 pilotes et 1 mitrailleur (Potez 631) tués ainsi que 22 chasseurs pour 46 victoires sûres : 4 Hs 126, 10 Me 109, 16 Me 110, 4 Do 17, 9 He 111, 2 Ju 87 (Stuka). L'Armée de l'Air a perdu 31 avions en tout. Le nombre de 46 victoires sûres n’a été dépassé par l'Armée de l'Air que le 5 juin, avec 55 (mais environ 70 est un nombre plus vraisemblable). Les victoires « probables » ne figurent pas ici bien que beaucoup soient de vraies victoires (mais sans preuves). Certaines victoires « sûres », inversement, n’étaient pas réelles, mais c’était beaucoup plus rare, le contrôle étant strict (cf. les probables !). N’oublions pas que onze hommes précieux et braves sont morts au combat ce jour-là et beaucoup d’autres durant cette campagne.
17 mai
21 Bloch 152 sont chargés de protéger des bombardiers. Violents combats avec les « méchants Schmitt ».
Le 17 Mai : 250 sorties, 7 pilotes ainsi que 3 mitrailleurs et 1 radio tués, 15 chasseurs perdus (y compris les évtl. victimes de la Flak), 17 victoires sûres.
Texte non relu faute de temps. Il montre néanmoins que les formations de chasseurs français comprenaient souvent beaucoup plus que 2, 3, 6 ou 9 avions. 21 et 29 était relativement courant.
À suivre
Nota : le 14 mai (Sedan), l'AA a engagé pas moins de 16 groupes de chasse ayant une dotation totale d'environ 449 chasseurs (mais ils ne furent pas tous engagés à Sedan), peut-être même 19 groupes.
Comparaison : durant la Bataille d'Angleterre, magistralement dirigée, côté anglais, par les généraux Dowding et Park, le Fighter Command (la Chasse) engageait en général environ 250 de ses avions dans le secteur de loin le plus actif (surtout le Kent), dans le sud-est du pays. Bien sûr, il y avait aussi des combats ailleurs. L'effectif total du FC était d'environ 600 chasseurs et la production des usines (400 à 500 chasseurs par mois) était très supérieure aux pertes (les Allemands ne l'ont jamais su. En 1940, ils produisaient EN MOYENNE environ 140 Me 109 par mois).