François Delpla a écrit:
Tout cela repose sur un seul postulat : que la victoire de Hitler sur la France, aboutissant à un retour de la paix fin mai ou au plus tard fin juin 1940, ait déclenché non pas un désespoir et une résignation planétaires, mais un sursaut, aux Etats-Unis d'abord, puis dans le reste du monde moins l'URSS, trop contente de rester spectatrice.
Comment le démontres-tu ?
Simplement parce que le sentiment de résignation ne peut être le même dans une population battue franchement, que dans une population qui n'aura pas eu l'impression de s'être battue, ni d'avoir été battue. Un peu la différence entre l'état d'esprit en Allemagne après 18 et après 45, encore qu'en 18 la population allemande devait avoir beaucoup plus l'impression de défaite que les Anglais en 1940.
François Delpla a écrit:Première affirmation : la Grande-Bretagne a mis Churchill au pouvoir en raison de son antinazisme, et en le préférant à Halifax.
C'est faux, mais supposons que ce soit vrai : si elle avait signé la paix quand même, hypothèse dans laquelle nous nous plaçons pour l'instant tous les deux, cela n'aurait pu qu'aggraver la défaite et le désespoir. En effet, cela suppose la chute de Churchill au bout de quelques jours, donc un recul drastique, une revanche immédiate de Halifax et une prise de position nette, devant l'ampleur du succès hitlérien, en faveur de la voie diplomatique, pour en limiter les conséquences. Hitler ne souhaite pas autre chose.
Je n'affirme pas cela, je dis juste qu'au 10 mai l'arrivée de Churchill fait partie des scénarios qu'on peut imaginer, au même titre qu'une proposition de paix acceptée par Halifax. La G-B est une puissance industrielle et militaire considérable, elle vient de passer par une politique de réarmement d'ampleur accompagnée comme il se doit par une mobilisation des esprits. Mobilisation d'autant plus aisée que nous avons là une "race" dominatrice persuadée d'une destinée mondiale que les faits ont maintes fois justifié. C'est autre chose que la France ou l'Allemagne où la méthode Coué doit être régulièrement mise à contribution. Je serai surpris que son premier sentiment en apprenant qu'une paix a été signée avec l'Allemagne soit celui de la défaite. Une lâche (et probablement momentanée) résignation? Un sentiment de trahison des élites?
François Delpla a écrit:Ensuite, tu parles de guerre à l'est, provoquant les mêmes conséquences que dans l'histoire réelle : la Wehrmacht se casse les dents et les "anglo-américains" (tiens, l'Angleterre est toujours en guerre ?) en profitent pour débarquer. C'est refuser l'évidence que, si Hitler lance contre l'URSS le gros de ses forces, avec la nécessité absolue d'obtenir la décision en quelques mois, c'est précisément parce que la résistance churchillienne permet au géant américain de sortir de sa léthargie. Sans quoi il peut prendre son temps, calculer son coup, procéder par étapes, jouer tellement bien à l'homme de paix, obligé malgré lui de sévir en 40, voire laisser le gouvernement à Göring pour se plonger apparemment tout entier dans la construction d'arcs de triomphe avec Speer, que les autres finissent par se démobiliser, etc.
Voir Hitler se plonger dans de nouveaux délices de Capoue, pourquoi pas? Voir l'URSS démobiliser face un ennemi (le grand capital) qui paraitra plus uni que jamais après une paix anglaise, j'en doute. Voir l'Angleterre envisager sérieusement une domination continentale susceptible de grignoter sa position mondiale, j'ai des doutes. Voir l'Amérique accepter sans broncher la création d'un marché européen dont son économie ne serait pas l’élément moteur et sur lequel elle devrait quémander les opportunités tandis que se dessinerait un axe Europe-Pacifique avec le Japon? Bof, je ne suis vraiment pas convaincu.
François Delpla a écrit:Le paragraphe suivant est un peu hors sujet (sur le Haltbefehl) et entaché d'un contresens (sur Briey etc.).
Sur la situation américaine, tu fais bon marché de la catastrophe économique induite par la victoire allemande, et nécessairement reprochée aux démocrates par l'électorat : l'idée qu'on a joué avec le feu en défiant Hitler ne doit pas être si minoritaire que cela.
Une catastrophe économique induite par Hitler? Peut-être, en tout cas à moyen et long termes, raison de plus il me semble pour garder sous le bras toutes les possibilités de s'en débarrasser. Les E-U ont joué avec le feu en défiant Hitler? Mais qui au E-U pourrait se faire cette réflexion? Ces paresseux de Français n'ont pas été capables de résister à l'Allemagne, franchement ce n'est pas nouveau. Ces Anglais prétentieux ont préféré se retirer sur leur île? C'est une vieille nation qui a fait son temps. Mais la jeune Amérique?
François Delpla a écrit:Enfin, sur les deux Lukacs, je me sens plus proche de Gyorgy que de John à bien des égards mais j'apprécie la finesse avec laquelle le naturalisé américain perçoit, en pionnier, le rôle déstabilisant de Hitler comme celui de l'antidote churchillien. C'est pour moi un cas très particulier d'influence de l'individu dans l'histoire. Notre époque offre à cet égard un contraste absolu : les dirigeants sont tous le jouet des événements. Comme en quatorze ! Tout est rentré dans le désordre !
Je ne vais pas épiloguer mais tout de même prendre la perche tendue et remarquer la différence entre le galimatias surjoué d'E. M. et la courte et ferme allocution d'Elizabeth. Et que dire de l'épisode covid de Johnson qui le propulse en héros de la pandémie, ces Anglais...