Bonjour ,
Je précise que mon intervention est un peu longue , mais qu'elle devrait renseigner quelques personnes sur la problématique du renseignement et ses impacts éventuels aussi bien en terme de stratégie générale que sur la psychologie des stratèges .
Le niveau de renseignement Allemand identifie clairement une forte concentration d'unités mobiles au nord du dispositif Français .
Ils n'ont donc aucun doute sur l'entrée sur le couloir Belge des forces alliées , leur inconnue étant plus probablement de l'endroit ou allait se fixer la ligne défensive une fois la frontière franchie ( plan Escaut , Dyle-Breda etc ... )
Le tour de passe passe ( ayant des impacts hautement négatifs par la suite) consistant a redéployer la 7e Armée Française au nord est complètement passé a la trappe pour les Allemands .
Il s 'attendaient donc a une résistance plus solide en perçant a travers les Ardennes s'ils continuaient en direction de Paris ( avec la problématique des 2 DCR localisées derrière la 2e Armée ) , mais visaient très probablement de glisser entre la 7e ( qui n’était plus la ) et la 9e Armée en s'orientant vers le nord-nord-ouest une fois le front percé , afin d'encercler l'aile gauche Française et le BEF .
Au passage , il faut signaler que ce mauvais niveau de renseignement Allemand a du augmenter la crainte d'une contre attaque venant du sud lorsque la Panzerwaffe s'est beaucoup avancée en France .
( cf discussions sur le haltbefehl )
Les erreurs de positionnement et de capacités de l'armée Française vont perdurer tout le mois de mai et des "surprises" comme par exemple la tentative de la 4e DCR à Crecy/Serre ( 19 mai ) : présence de chars inconnue , unité inconnue , vont encore en ajouter aux doutes et craintes , même si stratégiquement, cet assaut n'eu pas de réel impact , la DCR devant s'évacuer d'elle meme , étant trop désolidarisée du reste des troupes alliées , et risquant ainsi son propre encerclement .
Mais revenons aux renseignements Allemands .
Ce n'est que vers le 10 juin qu'une nouvelle analyse détaillée de l'armée Française va sortir , et celle ci est beaucoup plus réaliste que celle effectuée courant avril .
Pour autant , a cette date , les effectifs Français ont fondu , mais de nouvelles unités ont fait leur apparition dans les listings .
Un dernier état sera mis a jour le 26 juin ( de mémoire ) , avant que l'on commence a procéder au démantèlement de l'armée Française pour la transformer en armée d'armistice .
J'ai prévu de longue date de faire un comparatif entre les visions d'avril/ juin/fin des combats et la réalité de l'armée Française ( que je connais un tantinet , n'oublions pas que j'administre le site atf40.fr
) mais je n'en ai toujours pas trouvé le temps , car il faut tout saisir puis laisser excel faire les comparatifs , mais cela représente pas mal de données ( au bas mot entre 100 et deux cent pages a numériser de façon méthodique ) .
A cela il faut ajouter que les Allemands ont crée des ODB pour toutes les unités alliées et la aussi , on trouve quelques "perles" . Mais d'une façon générale , ils faisaient plus d'erreurs en ne connaissant pas l'existence d'unités , plutôt que ne pas savoir comment elles étaient organisées .
Relisant quelque uns de mes vieux dossiers aujourd'hui , je suis tombé sur un état des forces blindées françaises début juin , qui si il était tombé dans les mains des Allemands leur aurait fait froid dans le dos .
Au premier juin 1940 , et uniquement pour l'infanterie( ne sont pas compris les chars de cavalerie des DLC et DLM ) , l'armée Française disposait encore d'environ 1200 chars modernes disponibles ( + 200 en réparation ) et 1200 chars FT disponibles ( +250 en réparation ) . Ce qui veut dire que l'armée Française avait encore autant de chars modernes disponibles que l'armée Allemande a cette date !
( qui comptait a cette période un bon millier de chars en réparation , + environ 650 perdus définitivement ) .
Il me semble avoir lu une évaluation Allemande de fin mai 1940 , qui estimait la force blindée Française ( restante ) réduite a 1500 chars dont la moitié de FT ( il faudra que je retrouve les chiffres exacts ) . Si je ne me trompe pas , donc , les Allemands ont encore fait une erreur d'évaluation des potentialités de l'armée Française ( 2400+450 vs 1500 ) début juin , et la campagne avait commencé depuis une vingtaine de jours . Donc leur niveau de renseignement ne s'améliorait pas vraiment .
Il est a signaler que , outre les quelques divisons manquantes ( et pour cause, de formation récente ) , les allemands ont aussi fait de grosses erreurs sur la localisation précise des divisions d'active , reserve A et reserve B . Ça n'a l'air de rien comme ça , mais une division d'active sera beaucoup plus dure a vaincre qu'une série A et une série A plus résistante qu'une série B .
Les systèmes Allemands de réserve sont légèrement différents des systèmes Français , et il est important de comprendre en quoi , car c'est peut etre ça qui n'a pas alerté suffisement les Allemands sur l'importance de bien situer les unités , au moins pour l'active et la reserve A .
La ou les Français vont établir un seul type d'ODB(*) pour toutes les divisions d'infanterie , quelle que soit la série ( comprendre : même quantité de matériel de chaque sorte , même quantité d'hommes , de chevaux etc ) , les Allemands ont crée des variantes d'ODB selon la levée divisionnaire , en fonction du matériel qu'ils avaient en stock ( ou projetaient d'avoir dans les prochaines semaines/mois ) . Il arrive aussi que l'on ait des variantes dans une même welle , entre deux divisions ne suivant pas la même Kstn ( modèle organisationnel ) .
En bref, vous le comprennez , c'etait un véritable "bordel couvré" chez les Allemands , ou deux divisions etant cote a cote n'avaient pas forcément le meme matériel .
Ainsi , et par exemple , une division de Welle 3 ne sera potentiellement pas organisée et dotée comme une division de Welle 7 .
Ceci n'existe pas en France, mais il y a cependant pénurie de matériels modernes , et la livraison s'effectue en priorité aux unités d'active , puis série A , puis série B , puis territoriaux etc .
Du coup , une division de série B se retrouve souvent avec du matériel ancien ( mortiers Stokes au lieu de Brandt par exemple , ou encore canon de 75mm en antichar au lieu de 47mm ) , et qui plus est , ses effectifs sont les réservistes les plus âgés devant entrer dans l'armée de "ligne" ( les réels plus agés iront dans les régiments de pionniers et forces régionales/territoriales ) .
Du coup , une division d'infanterie d'active , même non motorisée (**), a un potentiel combatif beaucoup plus haut qu'une division de série B .
La grosse nuance a comprendre, s'il y en a une , c'est que dans l'armée Française on fixe un effectif répondant a une mission , qui puisse etre effectué aussi bien avec du matériel datant de 14/18 que moderne . Dans l'armée Allemande , on intègre dans chaque modèle organisationnel la notion de l’équipement ( en adaptant parfois les effectifs ) , ce qui démultiplie les modèles d'organisation . Il n'existe qu'une arme , dans l'armée Française , qui suit cette organisation selon le matériel , c'est l'artillerie ( et on comprends pourquoi ) . Bien entendu les organisations des bataillons de chars vont légèrement différer selon le type de char employé , mais l'on reste sur grosso modo trois types ( *** ) : chars légers anciens ( FT ) , chars légers modernes ( R35 , H35 , FCM36 , D1, D2 ) , chars moyens ( B1bis ). Il y a des petites variantes dans l'organisation des BCC selon leur emploi ( avec ou sans char de servitude etc ) , mais ce n'est pas l'objet de ce fil , aussi je ne vais pas déborder du sujet .
Vous êtes maintenant en mesure de comprendre pourquoi le positionnement précis des divisions Françaises peut avoir un énorme impact sur les combats . Si le renseignement Allemand informe qu'il n'y a que des divisions de série B dans un secteur , et que les troupes tombent sur des unités d'active , cela va changer la donne ...
Je précise que je donne la part mauvaise aux renseignements Allemands dans ce fil , mais que les Français disposaient eux aussi d'informations plus que maigrichonnes sur les forces Allemandes .
Et l'avancée rapide va encore diminuer la qualité des renseignements, des deux cotés , l’état major Français en arrivant même a "perdre" des divisions , puis les retrouvant ensuite a des kilomètres de la position supposée ... Certains ont du s'arracher les cheveux durant cette courte campagne ...
Mais bref, tout cet exposé n'a qu'une conclusion : les plans conçus par les Allemands ( Fall Gelb et Fall Rot ) reposaient sur des informations erronées ( au moins en partie ) , sous-estimant bien souvent les capacités des forces alliées , mais surtout ayant la caractéristique de ne pas positionner correctement les éléments "dur" de l'armée opposée , jusqu’à imaginer une armée entière a certains endroits alors qu'elle n'y était plus . Bien entendu , je ne remets pas en cause le fait que la France ait perdu cette bataille , mais j'insiste sur le fait que les Allemands voyaient le loup la ou il n'y était pas , et inversement . Ces quelques éléments , qui semblent peu connus ( d’après les commentaires que j'ai eu sur ce fil , il semblerait que mes propos soient novateurs - pas faute d'avoir proposé a des éditeurs d'en faire un article
) , cassent beaucoup d'idées reçues et surtout alimentent un aspect qui est souvent négligé par les auteurs modernes , car ils ne se repositionnent pas dans l'information disponible a l'époque , que l'on peut nommer par le terme "brouillard de guerre" .
J’espère avoir été assez clair dans mes explications , n’hésitez pas si vous avez des questions .
Amicalement ,
Alain
(*) il existe une vieille polémique de "vieux spécialiste France 40" : la ou les documents officiels ne font apparaître qu'un organigramme/tableau d'organisation pour la division d'infanterie type "nord-est" , il existe cependant une variante qui n'a pas d'identification officielle . Il s'agit de quelques divisions d'infanterie de série B , parfois abusivement nommées série C , qui sont encore moins dotées de matériel que leurs comparses de série B . Elles sont faciles a identifier : au lieu d'avoir un régiment d'artillerie de 75 et un régiment d'artillerie de 105/155 , elle ne disposent que d'un régiment mixte , et ce sont les 54e,55e,60e,61e,62e,63e,67e et 71e . Sans entrer dans la polémique , on peut cependant établir de façon nette que ces divisions avaient un potentiel encore plus faible que les autres divisions de série B , et avaient une mobilité très réduite . Cf listing divisionnaire ici :
http://www.atf40.fr/ATF40/mai40/france.html(**) Dans l'armée Française les divisions motorisées ont de motorisé tout ... sauf les trois régiments d'infanterie ! Chaque division d'infanterie reçoit l'appui d'un groupe de transport dédié ( qui n'est pas rattacher organiquement ) afin d'effectuer ses mouvements . Lorsque la division est statique , l'avantage est que l'on peut utiliser le groupe de transport pour faire autre chose .
(***) a titre anecdotique , il existe un autre modèle , celui du 51e BCC ( ou BCL ) doté de chars FCM2C , de la 3e Armée