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Re: Que valait véritablement la Wehrmacht en 1940?

Nouveau messagePosté: 23 Fév 2015, 20:05
de CHEVALIER
Alfred a écrit:D'après Henri de Wailly "[bLe coup de faux[/b]",le changement de cap du Schwerpunkt vers Sedan puis Abbeville aurait transpiré jusqu'à Léopold III,il y aurait bien eu tentative d'en informer Gamelin .....peine perdue les dès étaient jetés "Dyle Bréda" allait se déclencher d'un instant à l'autre et était devenu intouchable

Peut-être, de mémoire d'après Frieser l'attaché militaire français à Berne a informé (assez tardivement, trop peut-être pour qu'elle ait eu un intérêt) que l'attaque aurait lieu pour le 9 ou 10 mai avec centre de gravité : Sedan.

Le problème est toujours la crédibilité de ces informations isolées, souvent livrée sans information sur la source* et la crédibilité qu'on peut lui accorder… On les ressort aujourd'hui, a posteriori car les événements leurs ont donné raison. Mais le Schwerpunkt aurait été en Martinique qu'on nous aurait peut-être encore trouvé quelqu'un pour dire « je vous avais bien prévenu, vous m'avez pas écouté, etc. » (notez que des voyants auraient ainsi "vu" le centre de gravité allemand passer à travers l'Ardenne… j'avais vu cette histoire sur un forum… enfin bref !). Qu'il n'ait pas donné crédit à cette information qui était en contradiction avec la plupart des renseignements qu'il avait alors pu recevoir n'est pas choquant en soit.

*Lors de l'incident de Maas-Mechelen justement, les Belges ont transmis les informations les plus essentielles aux alliés, mais sans préciser d'où ils tiraient ces renseignements comme… tombés du ciel. Or les renseignements qu'ont pu déjà fournir les Belges via la "filière" Oster ont été décrédibilisés en annonçant plusieurs fois le jour J de l'offensive allemande, avec justesse, mais aussi à chaque fois annulée, les infos ne paraissaient alors pas très fiables aux Français… Ni même aux Belges ou Néerlandais qui se sont mis à douter aussi.

Donc sembler ignorer un renseignement n'est pas choquant en soit. Le haut-commandement ne peut pas baser sa stratégie défensive sur une seule hypothèse. Mais justement. Le problème ici c'est que, trop confiant dans le temps que lui donnerait la force de sa position défensive, il ne s'est pas donné de grande réserve opérationnelle susceptible d'intervenir rapidement en cas de problème sur un autre secteur. Ça, ça n'est pas pardonnable. Gamelin en est le responsable en envoyant la 7e armée en Hollande, George s'en était émeu (de mémoire : « qu'arriverait-il si, au lieu de jouer le jeu l'ennemi attaquait en Belgique pour nous y coincer tandis qu'il exercerait son effort principal entre Meuse et Moselle ? ») mais qu'a-t-il fait pour empêcher Gamelin de l'hérésie de l'hypothèse Hollande puis Breda ? Qu'a-t-il fait pour retirer des forces de la ligne Maginot lorsque les derniers renseignement au printemps 40, notamment une évaluation de la concentration des grandes unités allemandes, montrait que l'hypothèse d'un enveloppement de la ligne Maginot, en particulier par la Suisse, était peu probable ?

Il cause avec le général Fromm (encore un futur conjuré !) fin avril et en conclut que l'état-major se vante stupidement de traverser la Belgique d'un bond. Le Schwerpunkt sur la Meuse est là encore parfaitement dissimulé et Hitler passe pour un gros vantard.

Je ne peux pas trop en discuter avec vous, n'ayant pas l'argumentation nécessaire sur la traîtrise envers Hitler ou non de certains (Canaris etc.) mais avant de supposer qu'il a trahi je me demande si Fromm justement aurait pu être correctement informé ? Sa biographie sur Lexikon* nous informe qu'il serait Chef der Heeresrüstung und Befehlshaber des Ersatzheeres… Heeresrüstung c'est l'équipement de l'armée ? S'il assume ces fonctions, il doit être relativement proche des gros bonnets et sa fonction elle-même pourrait impliquer d'avoir connaissance du déploiement des unités… Votre hypothèse se tiendrait. Mais pure supposition de ma part ne connaissant pas trop… D'autres avis ?

*http://www.lexikon-der-wehrmacht.de/Personenregister/F/FrommFriedrich.htm

Cordialement,

Re: Que valait véritablement la Wehrmacht en 1940?

Nouveau messagePosté: 23 Fév 2015, 22:01
de Pigoreau
Faire de Fromm un des conjurés, c'est aller un peu vite en besogne. C'est quand même lui qui fait fusiller Stauffenberg dans la cour du Bendlerblock ! Son attitude le 20 juillet 44 est beaucoup moins tranchée que ce qu'en dit F. Delpla et rappelle plutôt celle de Kluge. Fromm est manifestement au courant de ce qui se trame et il est prêt à prendre le train de la conjuration en marche, si le putsch semble en mesure de réussir. Et puis, l'attitude de Fromm en juillet 1944 ne nous dit rien sur son état d'esprit en juin 40.

Quant à Oster, il faut rappeler que l'hypothèse de sa manipulation par Canaris ne se fonde sur rien.

Re: Que valait véritablement la Wehrmacht en 1940?

Nouveau messagePosté: 24 Fév 2015, 08:41
de François Delpla
Pigoreau a écrit:Faire de Fromm un des conjurés, c'est aller un peu vite en besogne. C'est quand même lui qui fait fusiller Stauffenberg dans la cour du Bendlerblock ! Son attitude le 20 juillet 44 est beaucoup moins tranchée que ce qu'en dit F. Delpla et rappelle plutôt celle de Kluge.


Il n'a rien dit de tel, mais seulement, en passant et à propos de tout autre chose, qu'il était dans le coup. Et il n'a en rien contredit ce qui suit :

Pigoreau a écrit: Fromm est manifestement au courant de ce qui se trame et il est prêt à prendre le train de la conjuration en marche, si le putsch semble en mesure de réussir. Et puis, l'attitude de Fromm en juillet 1944 ne nous dit rien sur son état d'esprit en juin 40.


Tout de même je préciserai, si vous y tenez à nous attirer sur ce terrain, que Fromm était un peu plus précisément informé et complice que Kluge.


Plus intéressant :
Pigoreau a écrit:
Quant à Oster, il faut rappeler que l'hypothèse de sa manipulation par Canaris ne se fonde sur rien.


Excusez du peu : la résistance d'Oster est traçable, comme on dit aujourd'hui des itinéraires de la viande en notre Europe de tous les trafics. Celle de Canaris, parfaitement évanescente. Aucun des historiens qui l'affirment comme une évidence ne se montre capable de dater son début, ni de l'expliquer.

Mieux : sa vieille proximité, jamais démentie du vivant de Heydrich, avec le n° 2 des SS, chef du SD, fait pencher nettement la balance dans le sens... de la balance.


@ Chevalier : la somme des bruits et indiscrétions préalables à l'offensive du 10 mai attire beaucoup plus l'attention sur les risques encourus par le Benelux que sur une menace mortelle contre la puissance et le territoire français.

Re: Que valait véritablement la Wehrmacht en 1940?

Nouveau messagePosté: 24 Fév 2015, 12:33
de Pigoreau
Je maintiens que l'hypothèse d'une manipulation de Oster par Canaris ne repose sur rien et vous venez de le confirmer. En plus, à y réfléchir, cette hypothèse est totalement absurde. C'est un fait que les services secrets se livrent au jeu de l'intoxication, mais ce jeu, potentiellement dangereux, obéit à des règles. Ils utilisent en général des agents ennemis "retournés" et étroitement contrôlés. Toutes leurs communications sont surveillées et ils ne sont autorisés à livrer à leur ex-employeur que ce que le service qui les manipule veut bien leur laisser transmettre. Du vrai, afin que l'adversaire pense que son agent est toujours son agent, et du faux bien sûr, le vrai n'étant là que pour faire passer le faux. L'agent retourné et manipulé est toujours tenu en laisse et la laisse n'est jamais bien longue. Il n'y a manifestement rien de tel dans l'hypothèse qui a vos faveurs. Oster est libre d'agir comme bon lui semble, de rencontrer qui il veut, de livrer à l'ennemi ce qu'il veut etc. Connaissant sa situation – il est tout de même le n°2 du renseignement militaire ! - et donc de ses propres capacités à avoir accès aux secrets militaires de son pays, sans aucun besoin de Canaris, cela ne tient pas debout. Des risques immenses, qu'aucun service n'accepterait de prendre, pour un bénéfice très incertain dans la mesure où l'Abwehr pourrait obtenir les mêmes résultats en manipulant un ou plusieurs agents ennemis arrêtés. L'utilisation de Oster serait même assez peu judicieuse dans la mesure où sa très haute position rendrait difficile à avaler sa trahison. Plus la source est haut placée et les informations sensationnelles, plus le service qui est la cible de l'intoxication va se méfier ! Et c'est bien ce qui va se passer, les informations tellement justes, précises et abondantes livrées par Oster étant ignorées. C'était trop beau ! Un service qui joue le jeu de l'intoxication fait évidemment tout pour que l'ennemi ne puisse pas se dire : c'est trop beau. À vous lire, Canaris aurait donc inventé un nouveau type d'intoxication : celle où l'on ne livre à l'ennemi que des informations parfaitement justes ! En espérant qu'il ne les croira pas ? Absurde !

Re: Que valait véritablement la Wehrmacht en 1940?

Nouveau messagePosté: 02 Mar 2015, 12:07
de François Delpla
Je viens de découvrir ce post, et je réponds immédiatement comme je l'aurais fait si je l'avais lu à sa parution.

Je constate que vous argumentez à un niveau purement général et théorique, sans illustrer votre démonstration par le moindre exemple et en mélangeant allègrement toutes les situations de guerre, comme si celle que crée Hitler ne comportait pas des spécificités multiples.

Ce qui rend crédible cette forme d'intoxication, c'est précisément la tactique nazie consistant, depuis 1930 au bas mot, à présenter le mouvement comme miné par de graves dissensions -une tactique appliquée, et relativement efficace, jusqu'à l'extrême fin du régime nazi. L'homme du camp adverse qui veut le moins entendre parler de ces dissensions est Winston Churchill, et ce n'est pas là sa moindre contribution au résultat final.

Je ne dis donc nullement que l'action de Canaris s'inscrit dans un schéma classique. Il apparaît en 1938, notamment aux Anglais, comme le parrain des menées d'Oster et de quelques autres mais il ne s'agit alors nullement de trahison puisqu'on est en paix et que les mutins -dont fait partie jusqu'à la mi-août le chef d'état-major en personne, le général Beck !- veulent précisément éviter une guerre qui ne pourrait tourner qu'au désastre.

Changement complet de décor en 1940 : on est en guerre, l'action d'Oster apparaît comme une trahison (certes mâtinée de pensées à la fois démocratiques, pro-occidentales et anticommunistes, en ces temps de pacte g-s) et Canaris ne se montre plus.

J'ajouterai un second indice de la manipulation du premier par le second à partir du journal de Hassell (donné dans mon livre, p. 350, n. 7

Un bon exemple en est donné par Ulrich von Hassel dans l’entrée du 10 août
de son journal. Il vient de voir le colonel Oster de l’Abwehr, un habitué des fuites
en direction de l’Occident, qui lui a détaillé ainsi les buts de guerre du Reich, sans
que ni Oster ni Hassell ne se méfient (« Sur nos conditions de paix, voilà ce qu’il
sait ») : « Alsace-Lorraine,
Briey, Malmédy, etc., des ports norvégiens sur l’Atlantique,
nos colonies, le Congo belge, des ports atlantiques marocains (et le reste du Maroc à
l’Espagne). Conditions italiennes : Nice, Corse, Tunis, Alger, Djibouti, Somalie britannique,
pont routier Abyssinie-Libye
; neutralisation du détroit de Gibraltar ; alliance
avec l’Egypte. » Autant de bruits propres à faire accroire que le Reich est en train
de mener, pour employer son vocabulaire, une « lutte à mort » contre l’Angleterre.


Tout indique qu'Oster est en confiance avec Canaris : il a donc tout intérêt à lui parler de cette fuite en direction de Hassell. Ce qui fournit à l'amiral une belle occasion d'influencer ses confidences, dans le sens de l'intoxication hitlérienne sur de grands appétits de Hitler envers les possessions britanniques... en cas de maintien de Churchill au pouvoir.