Post Numéro: 14 de CHEVALIER 07 Jan 2014, 14:24
Je me permet de reproduire ici un message que j'avais posté dans le topic Mai-juin 40, un éclairage différent :
« Difficile politiquement de violer la neutralité belge : violer la neutralité de la Belgique, ancien allié, pour sauver un autre pays, c'est un peu tordu. Qu'en aurait pensé notre opinion déjà si divisé, si peu motivé pour cette guerre ? À l'extérieur, qu'en aurait pensé les États-Unis, la GB ?
Militairement, le seul moment où on peut le faire, c'est en septembre 39. Mais on a fait un autre choix : attaquer dans la Sarre.
Remarque, je me permet une parenthèse : si on avait pas fait ce choix (d'attaquer dans la Sarre), qu'on aurait préparé une concentration dans le nord, pour entrer en Belgique, Hitler aurait-il fait le choix d'attaquer la Pologne ? Car les Allemands avaient sans doute idée de notre plan de concentration, c'est une supposition de ma part vu qu'ils connaissaient assez bien et assez rapidement par la suite nos plans d'actions (à savoir plan Escaut et plan Dyle, et ce avant l'incident de Mechelen précisons le). Frieser dit que les généraux allemands étaient inquiet d'une attaque française lorsqu'on leur a déclaré la guerre, qu'on a raté une occasion favorable, Frieser donne pour cela des citations postérieures aux événements (d'Halder et de Keitel). Sauf que quand on lit le journal d'Halder, celui-ci s'inquiète simplement de savoir la campagne qu'il faudra mener à l'ouest après celle de Pologne, ce qui veut dire qu'il n'attend pas d'attaque française. Pourquoi ? Le journal de von Leeb fournit une explication : von Leeb est confiant dans la robustesse de ligne Siegfried. Rien à craindre de ce coté là pour lui. Par contre, face à la Belgique, là ça craint, il n'y a pratiquement rien. De toute évidence, au vu du peu d'inquiétude d'Halder, celui ci ne croit vraisemblablement pas que la France attaquera par la Belgique. Est ce qu'il le croit pour la raison politique évoquée plus haut ? Ou mieux, connaît-il les concentrations françaises ? Ce qui ressort pour moi c'est que peut-être qu'Hitler savait ce qu'il faisait au moins pour ce coup [...]
Je reviens à septembre 39. C'est le moment le plus favorable pour une attaque française en Belgique. Elle l'est car les Allemands n'y sont pas du tout prêts à entrer. Dès la fin de ce mois en revanche, les premières unités reviennent de Pologne. À tel points que les Français (Gamelin...) s'en inquiètent en envisageant alors une attaque allemande contre la Belgique, ils effectuent donc une rocade de leurs troupes de l'est vers le nord de la France. Elle prendra 3 semaines pour se terminer à la mi-octobre. Gamelin remarque qu'il a fallu le même temps aux Allemands pour faire de même avec leur troupes d'est (Pologne) en ouest ! Je n'ai pas évoqué l'effet de la résistance belge, à quel point aurait-elle pu nous ralentir, mais sans doute qu'en septembre les Belges étaient le moins préparés, ce mois m'apparaît donc le plus favorable considérant Allemands et Belges.
À partir d'octobre, c'est de toute évidence inenvisageable : il aurait fallu affronter la résistance belge et les Allemands auraient été prêts à entrer en Belgique. Cela aurait signifié la bataille de rencontre dans les pires conditions pour les Français. Rappelons que le plan initial allié ne prévoyait pas au départ de rentrer en Belgique si celle-ci était attaquée (à moins qu'elle n'offre une résistance assez longue), car aucune fortification n'existait sur les positions sur lesquelles s'avancer et les Belges n'étant pas estimés ralentir suffisamment les Allemands. C'était donc risquer une bataille de rencontre (ie les Allemands nous attaquent sur une position où l'on vient d'arriver, ou pire, en pleine manoeuvre !) que d'avancer en Belgique.
Ce type de bataille, les Français n'y sont particulièrement pas préparés et ils la craignent particulièrement. Ils n'y sont pas préparés car il est prévu d'éviter une telle situation, c'est rappelé dans l'IGU des années 20 et qui reste en globalement en vigueur dans les années 30. La batailles des Ardennes de 1914, avec les 25 000 morts du 22 août (pour comparer, mai-juin 40 a fait 60 000 morts en six semaines selon le SHD) a laissé un profond traumatisme qui fournit un début d'explication au caractère méthodique et prudent de notre commandement, qui ne jure donc que par la bataille conduite. Ce n'est que fin octobre que le plan Escaut est adopté. Les moyens ont été renforcés, avec des unités motorisés et couverture du corps de cavalerie. L'avance sur l'Escaut constitue une avance prudente, à laquelle à posteriori nombreux considèrent qu'on aurait du s'en tenir. Une avance plus loin, c'est je le répète la crainte du combat de rencontre. Avancer plus loin, il n'y a pas une position aussi favorable que l'Escaut. Une ligne Anvers-Namur puis Meuse constituerait un front cohérent, un bon « front continu » sur la carte, mais entre Anvers et Namur, il y a d'abord la Dyle, de moins bonne valeur que l'Escaut. Puis, il y a la fameuse trouée de Gembloux. N'empêche que ce front Anvers-Namur présente plusieurs avantages stratégiques auquel Gamelin n'a pas envie de renoncer mais ses généraux concernés s'y opposent, en particulier à cause de la trouée de Gembloux. Les mesures de défenses belges sur le canal Albert et la Meuse de Liège, et surtout la construction de la barrière Cointet qui bouche la trouée de Gembloux permettra à Gamelin de faire accepter le plan Dyle en novembre. Malheureusement les Belges déplaceront cette barrière en avril vers l'avant, laissant la trouée de Gembloux sans obstacle, ce qu les Français ignoreront jusqu'à arriver sur place... la barrière placée plus loin, non battue par le feu, sera franchit en peu de temps par les Panzers...
J'en reviens donc à nouveau à septembre 39. Si on avait concentrer nos forces dans le nord de la France, et qu'Hitler - nonobstant ou ignorant ce fait - décide d'attaquer la Pologne. Quels auraient été les résultats d'une telle offensive en Belgique vers l'Allemagne, jusqu'où elle aurait été ? Ça devient hasardeux de répondre car on empile les hypothèses et j'ignore assez le dispositif belge en septembre 39, mais on sait que notre armée n'est pas du tout préparée à l'offensive, c'est doctrinal, et on sait les résultats de nos contre-offensives du 15 au 25 mai, elles furent soient des désastres (Flavion, 2e DCR), soit sans véritable effet sur l'avancée allemande (Abbeville, Moncornet, Laon, Stonne, Cambrai, Amiens), à part Arras sur un malentendu. Ces attaques n'ont rencontrés au mieux que des succès tactiques sans lendemain et ne pouvaient faire mieux, car notre armée a été incapable de mettre sur pied une grande contre offensive comme sur la Marne. Elle n'était que défense pure, incapable de manoeuvrer. Même a Abbeville avec des moyens conséquents (3 divisions blindées se relaient) aucun résultat significatif (la tête de pont, bien que réduite, subsiste) En septembre, son attaque aurait sans doute mis du temps à progresser, la concentration étant de plus pas terminée à cette époque. On aurait pu mettre bien du temps à atteindre Liège à cause de la résistance belge et de la progression prudente et méthodique que cela aurait imposé conformément à notre doctrine, sans compter la motivation douteuse qu'aurait la troupe pour une agression de la Belgique. La campagne de Pologne aurait pu alors prendre fin et les Allemands pouvoir nous arrêter sur la Meuse. Quid ensuite ? La guerre d'usure sans doute. Avec l'avantage d'avoir été rapproché de la Ruhr. L'aurait-on bombardé ? Il en aurait fallu la volonté politique. Car à l'époque on ne voulait prendre une telle initiative, de peur que la Luftwaffe, estimée plus puissante qu'en réalité, ne rase nos villes en représailles (il faudra attendre Rotterdam pour nous faire abandonner nos précautions), mais d'ailleurs l'aurait-elle peut-être pris cette initiative. Et pour la Hollande ? Une offensive allemande dans ce pays risquait de nous tourner par le canal Albert. Heureusement celui-ci est un puissant obstacle. Mais ce risque que notre offensive en Belgique provoque une occupation de la Hollande, qu'en aurait pensé la GB ? Peut-être aurait-il fallu qu'on occupe d'initiative également ce pays, mais ça reste douteux. Quand à l'Ardenne, elle n'aurait sans doute pas été occupée (comme lors des plans D et D bis d'avant guerre, lors de la coopération franco-belge), remettant l'armée alliée dans une situation défavorable où elle est divisée en deux, de manière pire qu'en 1940, les Allemands auraient-ils pu nous surprendre par les Ardennes dans une offensive, par exemple sur la Meuse entre Dinant et Huy en direction d'Anvers ?
En conclusion, connaissant le résultat de notre défense en mai 40, on pourrait se dire qu'on aurait pu prendre l'initiative d'occuper les premiers la Belgique, mais ceci n'était envisageable qu'en septembre 39, et passé une avance initiale, il est probable qu'elle se soit arrêtée sur la Meuse. Cela nous aurait mis dans une position favorable pour la suite. Quelle suite ? Une drôle de guerre ? Une guerre d'usure ? Une rapide réaction offensive allemande ? Une drôle de guerre suivie d'une offensive soigneusement préparée et camouflée comme en mai 40 ? Rappelons également que si notre commandement préférait jouer l'attente plutôt que prendre l'initiative, c'était pour de bonnes raisons : le temps jouait pour les Alliés. Hitler n'en était que trop conscient en fixant une offensive pour le 12 novembre. »