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Ne pas avoir prévu une guerre longue, erreur hitlérienne ?

Tout ce qui concerne la période entre le 3 septembre 1939 et le 25 juin 1940 environ, comme par exemple:
L'offensive de la Sarre, la mobilisation, le Pied de Paix Renforcé, la B.E.F., la campagne de France, l'effondrement de la République et de l'Armée Française, l'exode ...
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Re: Ne pas avoir prévu une guerre longue, erreur hitlérienne ?

Nouveau message Post Numéro: 71  Nouveau message de Nicolas Bernard  Nouveau message 05 Avr 2020, 10:09

RoCo a écrit:Les différents niveau de commandement peuvent à tout moment aviser de regrouper leurs
unités d'une façon différente, ils peuvent décider de contourner des nids de résistance, on leur
laisse toute les latitudes pour parvenir à leurs objectifs . Mais tout cela doit se faire dans le cadre
des objectifs formulés par le niveau de commandement supérieur . C'est l'essence même de la
"Auftragstaktik" . Or, a aucun moment l'ordre initial de l'OKH change.


Il serait préférable de reproduire les documents dans leur intégralité, en citant leurs références archivistiques.

Par ailleurs, et en toute hypothèse: "en direction de l'embouchure de la Somme", ça manque tout de même de précision... On indique davantage l'angle (vague), la direction (vague) d'une offensive qu'un objectif. Si, du reste, ce dernier avait été clairement défini dès le départ, on comprend mal les polémiques qui ont opposé Hitler et l'O.K.H. après la percée de Sedan, polémiques qui verront Hitler imposer ses vues et dessiner le fameux coup de faux...
« Choisir la victime, préparer soigneusement le coup, assouvir une vengeance implacable, puis aller dormir… Il n'y a rien de plus doux au monde » (Staline).

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Re: Ne pas avoir prévu une guerre longue, erreur hitlérienne ?

Nouveau message Post Numéro: 72  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 05 Avr 2020, 10:42

Je n'aurais pas dit mieux, et même probablement moins bien !

Il y a effectivement un risque de double emploi avec le fil sur le Haltbefehl.

Ce que j'ai voulu mettre en débat ici, c'est l'idée

- que la préparation de cette guerre par le gouvernement allemand ne visait rien d'autre qu'une paix générale après un coup mettant la France KO, une paix signifiant un grand pas vers l'alliance anglaise pour mille ans contre les peuples inférieurs, but suprême exprimé dans Mein Kampf. Ensuite, il ne restait plus qu'à déjudaïser l'Europe vers Madagascar (où les Juifs, sous couleur de se voir attribuer enfin un Etat, auraient été piégés dans un mouroir contrôlé par les SS) et à s'emparer de la Biélorussie et de l'Ukraine... dans un délai d'une dizaine d'années, puisque Hitler répète à son entourage qu'il lui faut accomplir son oeuvre entre 50 et 60 ans ;

- que pour un tel programme les préparations étaient amplement suffisantes et que les carences béantes et connues du pays, par rapport au précédent de 14-18, étaient autant d'atouts pour frapper victorieusement par surprise,

ce qui fut à deux doigts d'advenir et ne fut empêché que par le miracle d'un politicien à demi raté, venu au pouvoir par hasard quelques jours avant le choc et révélant, stimulé par l'enjeu, mille talents inconnus, sans doute déjà de lui-même. A commencer par un génie diplomatique dans le maniement de ses collègues jaloux depuis cinquante ans de son brio, et d'un président américain des moins commodes. Et j'allais oublier son anticommunisme, tellement viscéral et constant que nul ne pouvait le soupçonner de courtiser Staline pour des raisons autres qu'antinazies.

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Re: Ne pas avoir prévu une guerre longue, erreur hitlérienne ?

Nouveau message Post Numéro: 73  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 05 Avr 2020, 17:51

J'ai pondu sur un autre forum, en réponse à un quidam dont de Gaulle n'est pas tout à fait l'homme politique préféré, un petit texte qui a aussi sa place ici :

2020, année propice
de françois delpla le dimanche 05 avril 2020 à 15h51


Michel Boisbouvier, né en 1935, nous a quittés, ainsi que ce monde, le 17 septembre 2014. Son livre ici commenté était une compilation de lieux communs pétainistes. Il était particulièrement impressionné, comme les gens de 1940, par le vrombissement des Stukas, et peut-être aussi par une propagande hostile au Front populaire qui l'accusait d'avoir désarmé la France, surtout du point de vue aérien. Au point de croire que le Reich aurait pu écraser par la voie des airs, dans la deuxième quinzaine de juin 1940, à peu près tout en Europe ou en Méditerranée occidentales, ce qui aurait fait de la signature d'un armistice un geste élémentaire d'assistance à personnes en danger.

Le présent débat, qui avait permis à Boisbouvier de détailler cette idée en rencontrant un scepticisme érudit, trouve en votre personne un nouveau champion de cette cause mais, plus encore qu'un pétainiste, un antigaulliste viscéral, curieusement amputé de toute cohérence idéologique puisque vous trouvez le moyen de reprocher à la fois au Général de s'être obstiné en Indochine et couché en Algérie. Il serait, par ailleurs digne des plus vifs reproches pour avoir eu quelques ministres communistes, alors qu'en Indochine c'est avec un pouvoir communiste que vous lui reprochez de ne pas s'être entendu.

Sur un forum d'histoire, on met sur le gril les légendes noires comme les légendes roses et on essaye modestement de les remplacer par des approches plus rigoureuses. Vous êtes porteur d'une forme carabinée du premier type. Savez-vous qu'il existe aussi une légende rose du Général, tout aussi digne d'être combattue ?

Si on se place d'un point de vue moral, Pétain a une excuse et une seule, mais de taille, pour avoir livré la France à un terrible ennemi alors que les moyens de résistance n'étaient pas épuisés : le désespoir qui avait saisi, hors d'Allemagne, toute la planète devant l'écroulement de l'armée française. De Gaulle et Churchill étaient parmi les rares personnes de rang ministériel, où que ce fût dans le monde, à ne pas partager ce désespoir et là-dessus vous pouvez leur reprocher, avec tous les noms d'oiseaux que vous voulez, d'avoir été de grands menteurs. Pendant la guerre, ils avaient raison, puisque ce dérèglement porte nécessairement en lui la censure et le mensonge : ils rusaient en prétendant tous deux qu'à l'été de 1940 la résistance armée à Hitler allait de soi et que quiconque pensait autrement était un traître doublé d'un crétin. Dame, quand on prétend mobiliser des hommes en leur faisant exposer leur vie on ne va pas commencer par leur dire que l'ennemi a le match en main !

Le désespoir de 1940 était mauvais conseiller, Hitler pouvait être vaincu et d'ailleurs il l'a été... et du coup, après coup, tout le monde croyait à la victoire anglaise... même Pétain, surtout Pétain ! La France avait juste besoin de souffler, et Pétain souhaitait tout bas bonne chance aux Anglais.

Eh bien non. Il était même pressé de voir l'Angleterre au tapis. Mais de Gaulle et Churchill eux-mêmes, y croyaient-ils vraiment alors, au tout début, fin juin-début juillet 40, à la victoire finale ? Ils ont été pour le moins traversés par l'idée que, quitte à mourir, il vaut mieux mourir debout, et en tout cas mûs par la pensée que tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Qu'il ne faut pas se rendre avant d'avoir épuisé les moyens de combattre.

Les mensonges, les vrais, ceux qui n'étaient plus une ruse de guerre, ont commencé ensuite, quand ils ont raconté les événements, notamment dans leurs mémoires. Car si la guerre impose le mensonge, la paix n'est pas toujours synonyme de transparence et notamment, pour gouverner, il faut rassembler des coalitions hétéroclites. Tous deux chassés rapidement du pouvoir, de Gaulle et Churchill voulaient y revenir et cela passait, aussi, par quelques accommodements avec la vérité sur 1940. Churchill avait besoin de conserver la présidence du parti conservateur et, pour cela, de taire charitablement le fait qu'un homme comme Butler, très influent dans le parti et, en pratique, le principal dirigeant de cette formation sous la présidence, assez théorique, de Churchill, avait été en 1940, avec Halifax, l'un des plus acharnés à rechercher sa chute pour pactiser avec Hitler. Côté gaulliste, c'était plus subtil : le Général devait à la fois jouer sur la solitude héroïque de "l'homme du 18 juin" et récupérer, pour fonder son RPF, les gros bataillons du pétainisme en prétendant que seuls les chefs avaient failli. Il ne pouvait pas non plus dire , le premier, la vérité sur les déchirures de l'Angleterre qui l'avait accueilli et il était obligé de cautionner la légende d'un île unanimement dressée contre Hitler.

Nous sommes dans une année d'anniversaire décennal, et aussi dans une crise mondiale qui ravive un certain nombre de souvenirs. Soyez donc le bienvenu si, délaissant quelques préjugés, vous contribuez à faire en sorte que les enjeux de 1940 soient mieux éclairés.

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Re: Ne pas avoir prévu une guerre longue, erreur hitlérienne ?

Nouveau message Post Numéro: 74  Nouveau message de JARDIN DAVID  Nouveau message 05 Avr 2020, 18:13

C'est quoi cette réponse hors fil, hors forum et hors heure de grande écoute ?
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Re: Ne pas avoir prévu une guerre longue, erreur hitlérienne ?

Nouveau message Post Numéro: 75  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 05 Avr 2020, 19:40

Un texte sur le désespoir planétaire de juin 40, encore largement ignoré par l'historiographie, n'aurait pas sa place dans une réflexion sur l'espérance par Hitler d'une guerre courte ?

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Re: Ne pas avoir prévu une guerre longue, erreur hitlérienne ?

Nouveau message Post Numéro: 76  Nouveau message de Prosper Vandenbroucke  Nouveau message 05 Avr 2020, 19:49

Le moins que l'on puisse dire c'est que la réponse de François est destinée à un Monsieur qui n'aime pas, mais alors pas du tout Charles De Gaulle. ::pipo:: ::pipo::
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Re: Ne pas avoir prévu une guerre longue, erreur hitlérienne ?

Nouveau message Post Numéro: 77  Nouveau message de carlo  Nouveau message 06 Avr 2020, 10:20

François Delpla a écrit:Carlo s'affirme ici comme le plus pugnace adversaire de la vision lukaksienne
d'une victoire hitlérienne par KO en 1940,
suivie d'une pax germanica
(grosse, pour l'URSS, d'un violent orage mais dépourvue de toute donnée météo sur la date de son éclatement),
victoire empêchée de justesse par un premier ministre anglais
très controversé, pendant toute sa carrière et encore après sa nomination :


C'est vrai que pour moi à choisir entre un Lukacs, c'est plutôt Georg que John, c'est-à-dire un peu plus de contexte social et économique et un peu moins de fétichisme des personnalités.
La G-B a fait un choix en 1940, celui d'un PM notoirement agressif (il est controversé, mais aussi et surtout pour plein d'autres raisons que son hostilité à l'appeasement), plutôt que d'une équipe Chamberlain-Halifax clairement à bout de course dans une opinion chauffée par la propagande guerrière. Je n'ai jamais rejeté la possibilité d'une victoire des appeasers en 1940, je trouve juste votre thèse trop radicale: Churchill est un miracle et hors de lui point de salut. Son arrivée au 10 ne me parait pas une telle aberration, de même il me parait plus en phase avec l'opinion qu'un Halifax.
Enfin une paix entre l'Allemagne et l'Angleterre ne me semble pas de nature a changé fondamentalement la suite du conflit, c'est à dire la guerre à l'est et la reconquête de l'Europe (avec les anglo-américains). Cette paix ne pouvant être envisagée comme portant atteinte à l'indépendance de la G-B (l'Allemagne n'en a pas les moyen militaires), celle-ci revient dans le jeu a tout moment.
En fait les appeasers espérait la même chose que Staline: rester en dehors du conflit. Leur sort est scellé par le pacte germano-soviétique: les hostilités à l'Est seront limitées et la possibilité d'une revanche sur la France s'ouvre pour l'Allemagne...

François Delpla a écrit:* La "paix généreuse" que Hitler fait miroiter via Göring et Dahlerus dès le 6 mai comporte l'évacuation de tout ce qu'il a envahi en Europe occidentale, moins Eupen, Malmédy et Briey. Son excursion au Danemark et en Norvège notamment, qui avait enfin rendu Roosevelt clairement antinazi, serait sans lendemain. La France ne serait pas occupée.


Paix généreuse s'il en est, mais quand dans l'histoire réelle ce miroitement a-t-il été présenté à la multitude (et en particulier anglo-saxonne, celle-là même qu'on voudrait voir en pâmoison devant le nouveau héros) ? Si je suis plutôt un believer du Haltbefehl diplomatique, la seule chose qui continue à me chagriner, c'est l'incapacité d'Hitler à exprimer cet élan pacifiste, ce que la politique jusqu'aboutiste de Churchill lui laissait tout loisir de faire.
Notons au passage que proposer le 6 mai de rendre Eupen, Malmédy et Briey, c'est particulier comme générosité vu que les territoires en question n'ont toujours pas été envahis.

François Delpla a écrit:* Tu ne réponds rien sur la difficulté et sans doute l'impossibilité, pour Roosevelt, de briguer un troisième mandat sans le prétexte d'une situation mondiale apocalyptique.


Le congrès démocrate a lieu en juillet 40, moins d'un mois après la défaite française; encore une fois j'imagine mal un passage aussi abrupt entre la fameuse paix anglaise et le retournement de l'opinion publique. Car la situation mondiale est bien ce qu'elle ait: dans cette perspective , Hitler a gagné la guerre (et même la paix) en Europe. La seule raison d'une non-réélection de Roosevelt est une victoire des démocraties européennes sur Hitler, certainement pas une victoire encore plus net de ce dernier.

François Delpla a écrit:* Staline, aussi, aurait grand besoin de cette situation pour poursuivre un effort de mise du pays sur le pied de guerre en lieu et place des promesses d'abondance, pour les masses, que recèle son idéologie.


Je vous accorde que Staline était prêt à rester en dehors de tout cela, mais certainement pas au prix du moindre abandon territorial.

François Delpla a écrit:* Il n'a certes jamais compté sur un soutien à son régime de l'Angleterre ni de toute autre puissance, mais il était tout de même bien soulagé de les voir s'expliquer entre elles ! C'est peut-être tout ce qui lui restait de Marx, la perception des contradictions et l'aptitude à en jouer.


Bien sûr.
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Re: Ne pas avoir prévu une guerre longue, erreur hitlérienne ?

Nouveau message Post Numéro: 78  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 06 Avr 2020, 10:27

Profitant du confinement pour lire les 700 pages en allemand de l'interview de Baldur von Schirach par Jochen von Lang à sa sortie de prison, je tombe sur ceci (dans le tome 4 https://www.ifz-muenchen.de/archiv/zsa/ZS_A_0030_04.pdf , p. 628 et suivantes ; à ce moment, le fils du photographe Hoffmann, prénommé Heinrich comme lui et beau-frère de Schirach, participe à la conversation).

Il s'agit de l'entrée en guerre. Schirach n'y est associé qu'en tant que député au Reichstag, convoqué le 1er septembre 39 à sa grande surprise pour acclamer l'entrée en Pologne :

________________________________________________________________________________________________________
JvL Voyez-vous Hitler après cette séance du Reichstag ?

S Je ne l’ai pas vu immédiatement après, mais je lui ai rendu visite peut-être huit ou dix jours plus tard, lui ai parlé et lui ai dit : « Les Etats-Unis seront automatiquement impliqués dans cette guerre. »

JvL Cela se passe où ? Pouvez-vous raconter cela plus précisément ?

S À la chancellerie du Reich, après déjeuner, je le prends à part et lui dis près d’une fenêtre : « Vous aurez automatiquement la guerre avec les Etats-Unis. » Il répond : « Comment arrivez-vous à cette conclusion ? Nous n’avons pourtant aucun litige avec les Etats-Unis. Pourquoi donc un imbroglio (Verwicklung) devrait-il survenir ? » Je réponds : « Pensez à la première guerre mondiale. Et pensez au fait que les intérêts anglo-saxons sont aussi toujours des intérêts américains. L’Amérique était autrefois le petit cousin de l’Angleterre, aujourd’hui c’est l’Angleterre qui est le petit cousin de l’Amérique. En dernière instance, sur la politique mondiale, les deux nations seront toujours sur la même longueur d’onde. ». Alors Hitler dit : « Mais, Herr von Schirach, vous vous faites des idées. Pensez seulement à Taft, le leader des Républicains, il est très bien disposé envers nous. Ce n’est pas lui qui voudra une guerre avec l’Allemagne. Pensez à une personnalité aussi populaire que Lindbergh, c’est quand même le héros populaire américain, il est quand même aussi de notre côté. Il est quand même venu en Allemagne et nous lui avons décerné une de nos plus hautes décorations. Pensez à Ford, l’homme fort de l’industrie. « Je lui dis : « Mon Führer, Lindbergh peut être le héros national de l’ Amérique, un héros national et ses opinions politiques ne jouent absolument aucun rôle dans les grands débats géopolitiques anglo-saxons. Et Henry Ford est le boss d’une des grandes firmes automobiles. S’agissant des grandes questions politiques engageant le destin de l’Amérique, sa parole n’a absolument aucun poids. Et Taft, il reste à déterminer si lui, le Républicain, va orienter la politique de l’avenir, ou les démocrates. Je ne peux pas en décider mais je peux vous dire, à partir de ma connaissance des ressorts de la politique américaine, que le pays entrera dans cette guerre, non pas aujourd’hui, ni demain, mais après-demain, et décidera de son issue exactement comme lors de la dernière guerre. »

JvL Et Hitler vous écoute patiemment ?

S Non, il se ronge les ongles, cela ne lui plaît pas et il dit : « Vous voyez les choses en noir et je n’y crois pas du tout. Il n’y a pourtant aucun antagonisme entre nous et les Etats-Unis. Même pas une raison qui pourrait conduire à un affrontement.» Je réponds : « Vous vous méfiez, naturellement, en pensant que je vois les choses d’un point de vue trop américain à cause de mon ascendance [sa mère est américaine]. Je vous en prie, fiez-vous à un homme qui a vécu de longues, longues années en Amérique du Nord, un des meilleurs connaisseurs des ressorts de la politique américaine, le globe-trotter Colin Ross. Faites-le venir à vous, je vous prie. » Hitler répond « D’accord, je vais le faire. Je l’entendrai. Voilà l’origine de l’entrevue de Colin Ross chez le chancelier du Reich.

JvL Quand a eu lieu la visite de Colin Ross ?

S La visite de Colin Ross, autant que je me souvienne, a été plusieurs fois reportée et a eu lieu finalement à un moment où je me trouvais à Döberitz, au village olympique, au sein du régiment-école.

JvL Votre entrée dans la Wehrmacht suit de peu ?

S Oui, environ début janvier 1940. Alors Colin Ross vient m’y trouver en voiture et me raconte cette visite.

Heinrich Hoffmann Je crois que c’était plus tôt, en 1939. Car j’étais rentré de Pologne et tu étais à la veille de ton incorporation.

S Colin Ross a, si je me souviens bien, c’est la raison pour laquelle il était venu au régiment-école, eu son entretien avec Hitler encore en 1939 et oui, ça doit s’être passé en octobre ou novembre et là il avait, au bout d’une heure et demie d’un exposé que Hitler, chose très rare, avait écouté complètement, obtenu la promesse d’être à nouveau reçu pour continuer son exposé sur la situation américaine. A présent il était inquiet car la promesse d’une seconde entrevue ne se réalisait pas. Alors je fis la tentative suivante : je priai Colin Ross, après avoir pris langue avec le commandant du régiment-école, de faire devant le régiment-école un exposé, ce qui eut lieu. Il y avait là des officiers, des sous-officiers et des caporaux et aussi le soldat Schirach. Il fit un exposé sur la situation mondiale.
A la suite de cet exposé eut lieu une courte conversation entre Colin Ross et moi, pendant laquelle il me dit que malgré la déclaration de Hitler la conversation, la poursuite de l’exposé, n’était pas fixée.

_______________________________________________________________________________________________________

Les mémoires de Schirach paraissent quelques mois plus tard, sous le titre Ich glaubte an Hitler (J'ai cru en Hitler, titre de la traduction française, Plon 1968... au quatrième trimestre, soit après les événements fameux, que cette publication n'a donc pu influencer !). Ils sont beaucoup plus courts que l'interview. Lang a été associé à leur mise en forme, mais il ne livre aucun détail à ce sujet. L'épisode est, on ne sait pourquoi, déplacé en mars 40... au beau milieu de la tournée de Sumner Wells, envoyé spécial de Roosevelt, en Europe, chez tous les belligérants plus l'Italie, sans qu'il en soit dit un mot ! Et, si le dialogue de Schirach avec Hitler est voisin, dans le livre, de la version de l'interview-fleuve, et la promesse hitlérienne non tenue d'un nouvel entretien avec Ross mentionnée, il n'est fait aucune mention du régiment-école et d'un exposé de l'essayiste devant lui.

Colin Ross est nommé dans les Propos, un jour où Hitler est monté contre les diplomates. Il dit qu'il en apprend plus par lui, sur l'étranger, que par eux. Sa femme est juive, d'après Schirach, qui prétend qu'il a obtenu, pour qu'elle puisse s'installer en Allemagne, un sauf-conduit de Hitler [une biographie en ligne de Ross http://colinrossproject.net/fileadmin/u ... ne2015.pdf dément ce point, p. 96 ]. Passionné par les débuts de l'aventure nazie, alors qu'il habite en Suisse, il est venu, raconte Schirach peu après, le trouver à Berlin en 1933. Il souhaitait s'installer en Allemagne, où Schirach l'a d'abord hébergé. Le couple se suicide à Berlin le 29 avril 45, un jour avant celui de Hitler et d'Eva Braun.

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Quel rapport avec le sujet du fil ?
Je me dépêche de l'indiquer avant que l'austère JD ne fronce les sourcils :D !

Hitler sait bien qu'une guerre courte est la seule qu'il peut gagner et il est attentif plus que quiconque à la situation aux Etats-Unis, lui qui a envoyé Schacht causer finances avec Roosevelt peu après son accession à la chancellerie.

Il a pour cela une martingale : mettre la France KO d'un coup sec, en sorte que le monde se retrouve à nouveau en paix sans avoir eu le temps de mesurer ce qui lui arrivait. Après quoi il rejouerait à l'homme de paix, un instant distrait de cette passion par une Angleterre et une France qui avaient besoin d'une leçon, et il ne serait guère question, à Washington, de relancer les hostilités.

Mais il ne peut pas le dire ! Pour les raisons déjà exposées : on n'envoie pas son armée au casse-pipe en lui disant que cela va être court et facile, et il est contre-indiqué d'avouer, aux amis comme aux ennemis, qu'on n'a qu'un fusil à un coup. Il est donc bien obligé de faire croire à ses interlocuteurs qu'il est pleinement rassuré par les compliments à l'égard du nazisme des sieurs Taft, Lindbergh et Ford.


(écrit avant le message de Carlo, dont je m'occupe de ce pas.)

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Re: Ne pas avoir prévu une guerre longue, erreur hitlérienne ?

Nouveau message Post Numéro: 79  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 06 Avr 2020, 18:14

carlo a écrit:
François Delpla a écrit:Carlo s'affirme ici comme le plus pugnace adversaire de la vision lukaksienne
d'une victoire hitlérienne par KO en 1940,
suivie d'une pax germanica
(grosse, pour l'URSS, d'un violent orage mais dépourvue de toute donnée météo sur la date de son éclatement),
victoire empêchée de justesse par un premier ministre anglais
très controversé, pendant toute sa carrière et encore après sa nomination :


C'est vrai que pour moi à choisir entre un Lukacs, c'est plutôt Georg que John, c'est-à-dire un peu plus de contexte social et économique et un peu moins de fétichisme des personnalités.
La G-B a fait un choix en 1940, celui d'un PM notoirement agressif (il est controversé, mais aussi et surtout pour plein d'autres raisons que son hostilité à l'appeasement), plutôt que d'une équipe Chamberlain-Halifax clairement à bout de course dans une opinion chauffée par la propagande guerrière. Je n'ai jamais rejeté la possibilité d'une victoire des appeasers en 1940, je trouve juste votre thèse trop radicale: Churchill est un miracle et hors de lui point de salut. Son arrivée au 10 ne me parait pas une telle aberration, de même il me parait plus en phase avec l'opinion qu'un Halifax.
Enfin une paix entre l'Allemagne et l'Angleterre ne me semble pas de nature a changé fondamentalement la suite du conflit, c'est à dire la guerre à l'est et la reconquête de l'Europe (avec les anglo-américains). Cette paix ne pouvant être envisagée comme portant atteinte à l'indépendance de la G-B (l'Allemagne n'en a pas les moyen militaires), celle-ci revient dans le jeu a tout moment.
En fait les appeasers espérait la même chose que Staline: rester en dehors du conflit. Leur sort est scellé par le pacte germano-soviétique: les hostilités à l'Est seront limitées et la possibilité d'une revanche sur la France s'ouvre pour l'Allemagne...

François Delpla a écrit:* La "paix généreuse" que Hitler fait miroiter via Göring et Dahlerus dès le 6 mai comporte l'évacuation de tout ce qu'il a envahi en Europe occidentale, moins Eupen, Malmédy et Briey. Son excursion au Danemark et en Norvège notamment, qui avait enfin rendu Roosevelt clairement antinazi, serait sans lendemain. La France ne serait pas occupée.


Paix généreuse s'il en est, mais quand dans l'histoire réelle ce miroitement a-t-il été présenté à la multitude (et en particulier anglo-saxonne, celle-là même qu'on voudrait voir en pâmoison devant le nouveau héros) ? Si je suis plutôt un believer du Haltbefehl diplomatique, la seule chose qui continue à me chagriner, c'est l'incapacité d'Hitler à exprimer cet élan pacifiste, ce que la politique jusqu'aboutiste de Churchill lui laissait tout loisir de faire.
Notons au passage que proposer le 6 mai de rendre Eupen, Malmédy et Briey, c'est particulier comme générosité vu que les territoires en question n'ont toujours pas été envahis.

François Delpla a écrit:* Tu ne réponds rien sur la difficulté et sans doute l'impossibilité, pour Roosevelt, de briguer un troisième mandat sans le prétexte d'une situation mondiale apocalyptique.


Le congrès démocrate a lieu en juillet 40, moins d'un mois après la défaite française; encore une fois j'imagine mal un passage aussi abrupt entre la fameuse paix anglaise et le retournement de l'opinion publique. Car la situation mondiale est bien ce qu'elle ait: dans cette perspective , Hitler a gagné la guerre (et même la paix) en Europe. La seule raison d'une non-réélection de Roosevelt est une victoire des démocraties européennes sur Hitler, certainement pas une victoire encore plus net de ce dernier.

François Delpla a écrit:* Staline, aussi, aurait grand besoin de cette situation pour poursuivre un effort de mise du pays sur le pied de guerre en lieu et place des promesses d'abondance, pour les masses, que recèle son idéologie.


Je vous accorde que Staline était prêt à rester en dehors de tout cela, mais certainement pas au prix du moindre abandon territorial.

François Delpla a écrit:* Il n'a certes jamais compté sur un soutien à son régime de l'Angleterre ni de toute autre puissance, mais il était tout de même bien soulagé de les voir s'expliquer entre elles ! C'est peut-être tout ce qui lui restait de Marx, la perception des contradictions et l'aptitude à en jouer.


Bien sûr.


Tout cela repose sur un seul postulat : que la victoire de Hitler sur la France, aboutissant à un retour de la paix fin mai ou au plus tard fin juin 1940, ait déclenché non pas un désespoir et une résignation planétaires, mais un sursaut, aux Etats-Unis d'abord, puis dans le reste du monde moins l'URSS, trop contente de rester spectatrice.

Comment le démontres-tu ?

Je laisse provisoirement de côté la phrase sur les deux Lukacs.

Première affirmation : la Grande-Bretagne a mis Churchill au pouvoir en raison de son antinazisme, et en le préférant à Halifax.
C'est faux, mais supposons que ce soit vrai : si elle avait signé la paix quand même, hypothèse dans laquelle nous nous plaçons pour l'instant tous les deux, cela n'aurait pu qu'aggraver la défaite et le désespoir. En effet, cela suppose la chute de Churchill au bout de quelques jours, donc un recul drastique, une revanche immédiate de Halifax et une prise de position nette, devant l'ampleur du succès hitlérien, en faveur de la voie diplomatique, pour en limiter les conséquences. Hitler ne souhaite pas autre chose.

Ensuite, tu parles de guerre à l'est, provoquant les mêmes conséquences que dans l'histoire réelle : la Wehrmacht se casse les dents et les "anglo-américains" (tiens, l'Angleterre est toujours en guerre ?) en profitent pour débarquer. C'est refuser l'évidence que, si Hitler lance contre l'URSS le gros de ses forces, avec la nécessité absolue d'obtenir la décision en quelques mois, c'est précisément parce que la résistance churchillienne permet au géant américain de sortir de sa léthargie. Sans quoi il peut prendre son temps, calculer son coup, procéder par étapes, jouer tellement bien à l'homme de paix, obligé malgré lui de sévir en 40, voire laisser le gouvernement à Göring pour se plonger apparemment tout entier dans la construction d'arcs de triomphe avec Speer, que les autres finissent par se démobiliser, etc.

Le paragraphe suivant est un peu hors sujet (sur le Haltbefehl) et entaché d'un contresens (sur Briey etc.).

Sur la situation américaine, tu fais bon marché de la catastrophe économique induite par la victoire allemande, et nécessairement reprochée aux démocrates par l'électorat : l'idée qu'on a joué avec le feu en défiant Hitler ne doit pas être si minoritaire que cela.

Enfin, sur les deux Lukacs, je me sens plus proche de Gyorgy que de John à bien des égards mais j'apprécie la finesse avec laquelle le naturalisé américain perçoit, en pionnier, le rôle déstabilisant de Hitler comme celui de l'antidote churchillien. C'est pour moi un cas très particulier d'influence de l'individu dans l'histoire. Notre époque offre à cet égard un contraste absolu : les dirigeants sont tous le jouet des événements. Comme en quatorze ! Tout est rentré dans le désordre !

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Re: Ne pas avoir prévu une guerre longue, erreur hitlérienne ?

Nouveau message Post Numéro: 80  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 07 Avr 2020, 05:03

https://www.histclo.com/youth/youth/org ... /pe-rr.htm
A propos de Schirach et de Colin Ross, une page sur Ralph Ross, le fils aîné, mort à 18 ans sur le front de l'Est, dont Baldur dit (p. 638) qu'il est
le garçon le plus doué qui ait croisé mon chemin, auteur du reste déjà, je crois, à 16 ans, d'un des meilleurs livres que j'aie jamais lus, De Chicago à Tchong King.


C'est à la fois simple et compliqué, le nazisme, et encore plein de mystères !

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