Mon père entre 1939 et 1945

Bonjour

je voudrais vous faire partager son histoire, au gré de mes souvenirs de ses récits

Il est né en 1922 et mort en 2009
sa mère est veuve rapidement et épouse en deuxièmes noces en 1936 un prince russe ruiné
en 1939, de ce que j'ai compris, il n'était pas encore mobilisable
après 1940, il vit proche d'Avignon et parfois proche Dijon ou rarement à Paris entre 1940 et 1942,

- se souvenait d'avoir vu Pétain en visite à Avignon fin 1940 au milieu de la ferveur de la population locale

- son beau-père réveillant toute la maisonnée à l'aube du 22 juin 1941 : vous allez voir la fessée que va prendre le petit père Josef !
(les bolcheviks lui ayant pris toutes ses possessions, il se voyait déjà les récupérant grâce à l'Allemagne... il était sympathisant allemand pour ne pas dire plus)

- requis STO, il s'est caché un peu partout en France, grâce à des faux papiers d' identité d'un défunt du Havre (archives détruites par bombardement),
souvenir sidérant d'un contrôle de carte d'identité par des policiers Allemands dans un train, pendant de longs instants sans rien dire;
mon père a réussi à garder son impassibilité mais il était accompagné d'un ami, futur Cyrard, qui lui, commençait à manifester un léger frémissement d'impatience...
çà aurait pu dégénérer !

- un moment de découragement en 1943, il est à deux doigts de s'engager à Guéret dans la Légion Tricolore...
sauvé in extremis par son frère cadet, qui évoque le souvenir des deux oncles morts pour la France en 14/18,
et du troisième (capitaine chef du Corps Franc du 2ème RIC en 1940 et fait prisonnier proche d'Amiens le 12 juin;
cet oncle ne s'en est JAMAIS remis de trahir son serment de St Cyrien de donner sa vie pour la France,
(il m'avait raconté avoir pensé au dernier moment "qui s'occupera alors de ma mère, puisque tous mes frères sont déjà morts ?) et donc il s'est rendu...

- à la Libération, mon père est à Paris avec son frère et rejoignent le Bataillon qui se forme à Janson de Sailly (futur 2ème Choc),
mon père servira dans les mortiers et son frère dans les mitrailleuses;
souvenirs du froid en Alsace, de la forêt lugubre du Hundsrück la nuit
d'un SS capturé qui avait été enfermé dans une cage grillagée tellement il était incontrôlable;
de Masevaux bien sûr,
et du Lac de Constance à Lindau où ils étaient à la Garde d'Honneur de De Lattre et donc le voyant quotidiennement ou presque lors de prises d'armes incessantes

- pataquès administratif ensuite : mon père est envoyé à Coët après le 8 mai 1945, pour suivre la formation d'officier, sans qu'il ait rien demandé,
sans doute par confusion administrative avec son frère, qui lui, piaffait d'impatience d'y être...
Mon père a quitté Coët dès qu'il a pu, mais son frère n'y est jamais allé pour autant !
Je lui ai demandé un jour ce qui se serait passé s'il y était allé, il m'a tranquillement répondu qu'il serait peut-être mort en Indochine...

Voilà comment tous ces souvenirs familiaux 39/45 ont accompagné ma vie depuis que je suis gosse

Merci pour ce partage.........

Je vous retourne le compliment eu égard à vos souvenirs de témoin direct dont vous nous abreuvez souvent !

[Prosper Vandenbroucke]

Bonjour et merci pour cette narration Fanaçyr
Bien amicalement
Prosper

Merci pour ce récit touchant et évocateur de divers sentiments de cette époque.

(capitaine chef du Corps Franc du 2ème RIC en 1940 et fait prisonnier proche d'Amiens le 12 juin;
cet oncle ne s'en est JAMAIS remis de trahir son serment de St Cyrien de donner sa vie pour la France,
(il m'avait raconté avoir pensé au dernier moment "qui s'occupera alors de ma mère, puisque tous mes frères sont déjà morts ?) et donc il s'est rendu...

La profondeur de ce sentiment ! A l'époque un serment est un serment, surtout chez les Saint-Cyriens.

Je crois qu'aujourd'hui on lui dirait plutôt que le devoir d'un soldat (dans ces cas extrême où on doit choisir, et vite) serait plutôt de rester en vie et de s'évader.

De nos jours on justifie toutes les lâchetés…
JD

De nos jours on justifie toutes les lâchetés…
JD

Pour un soldat et, pire, un officier, le devoir premier est, si nécessaire, de se faire dézinguer, en combattant jusqu'à la fin. Cà peut paraitre excessif, borné, voire "stupide", mais c'est comme çà. Après, au niveau des unités ou des bâtiments, dans la Marine, çà dépend, aussi, directement de la motivation des cadres et du commandement.

L'autorisation de "s'échapper" est du seul ressort de l'autorité directe, celle du commandant du régiment ou du "Pacha", qui sera, à tous les coups, déféré devant un Conseil de Guerre, pour tenter de justifier sa décision.

Contrairement à ce qu'a écrit Pierma, il n'y a aucun devoir militaire, même de nos jours, qui implique ou sous-entendrait de garder la vie sauve. L'acte d'évasion est distinct, car il ne se rapporte qu'au seul comportement "souhaité" de troupes préalablement faites prisonnières.

[dynamo]

Merci pour ce récit.
Est ce indiscret de vous demander ce qu'il a fait après guerre ?

Contrairement à ce qu'a écrit Pierma, il n'y a aucun devoir militaire, même de nos jours, qui implique ou sous-entendrait de garder la vie sauve.

Je n'ai pas dit que c'était un devoir. Tous les soldats qui s'engagent aujourd'hui savent qu'ils peuvent perdre la vie dans le cadre de leur métier, c'est même ce qui différencie ce métier de tous les autres : donner et recevoir la mort. Dans une armée professionnelle il ne peut y avoir de doute à ce sujet.
(Là dessus on peut lire l'ouvrage du colonel Goya "Sous le feu - la mort comme hypothèse de travail", qui explore les conditions psychologiques particulières de l'engagement au feu.)
Simplement il me semble que l'ordre de se faire tuer sur place - dans la légion on dit "faire Camerone" - est devenu plus rare aujourd'hui.

Je pense aussi que dans des conditions où la mort est certaine et surtout sans bénéfice pour personne, l'ordre supérieur, ou le choix individuel, sera plutôt de rester en vie. Ce qui suppose de se trouver face à un ennemi qui fait des prisonniers, ce qui devient de plus en plus rare, nos fantassins affrontant le plus souvent des "organisations non étatiques" (djihadistes ou miliciens) dont on sait comment ils se comportent.

Je ne crois pas, contrairement à JD, qu'on autorise toutes les lâchetés. A priori nos soldats sont aussi courageux qu'ils peuvent l'être, même si il faut la mort d'un caporal des commandos de marine pour qu'on s'aperçoive qu'il y a des héros dans notre armée. (Goya dit volontiers que la France n'honore ses soldats que morts, et que le grand public ne connait pas ses héros vivants, un peu comme si les guerres qu'on mène ne le concernaient pas.)

A ma connaissance, la dernière fois où on a autorisé plusieurs postes français à se rendre, c'était en 95 quand nos postes délimitant la zone protégée par la Forpronu ont été encerclés par surprise par les Serbes de Bosnie en supériorité nette de moyens et d'effectifs. Mais c'était dans des conditions impossibles, où on faisait du "maintien de la paix", avec des véhicules et casques blancs, dans un pays en guerre, sans avoir des moyens suffisants en ligne et sans appui aérien : les Casques Bleus n'étaient pas supposés se battre. (Depuis plus aucun pays n'a accepté de combattre sous les ordres de l'ONU. Avec un mandat de l'ONU, tant qu'on veut, sous ses ordres plus jamais.)

En d'autres temps on leur aurait sans doute ordonné de se faire tuer sur place, là le commandement a estimé que ce serait un sacrifice inutile. (Avec tout de même 30% de stress post-traumatique - donc de blessés, parce que c'est ça - chez les Casques Bleus pris en otage : ils n'étaient pas venus là pour être humiliés, et ils voyaient leur rôle autrement, à juste titre.)

cela dit un b...l pareil n'arrive pas tous les jours et à ma connaissance ça ne s'est jamais reproduit, sauf cas particulier dont on n'aurait pas entendu parler.

Désolé pour ce HS un peu long, mais je tenais à ce qu'il n'y ait pas d'équivoque sur la façon dont je perçois l'évolution des conditions d'engagement, liée au fait qu'on engage aujourd'hui une armée professionnelle dont les effectifs et les modes de combat ne sont plus ceux des biffins de jadis. - sans que ce soit automatiquement moins dangereux pour autant : nos ennemis aussi ont évolué.