Post Numéro: 1 de Zekhnini Mehdi 27 Juin 2019, 20:00
Voici les mémoires de guerre de mon arrière grand-père Albert Blondeau, aussi appelé Jean, né le 6 avril 1916 et décédé le 8 juillet 2013 à l'âge de 97 ans. Ancien combattant en 1939-1940, professeur de tonnellerie au lycée viticole de Beaune, il a laissé à mon intention un petit carnet où il relate ses années de guerre.
Je vous propose ici une retranscription (recopie exacte du texte original), en deux parties, de ces mémoires. Elles ont été rédigées plus de 60 ans après le conflit par un homme âgé, et contiennent donc des approximations, erreurs et fautes, ce qui est tout à fait normal.
Première partie :
A l’intention de mon petit fils Mehdy, je vais essayer de raconter mes années de guerre : Mobilisé le 28 septembre 1939 au 55ème bataillon de mitrailleurs stationné à Jouy en Josas près de Paris.
Le 55ème bataillon de mitrailleurs motorisés : ce bataillon crée pour la guerre comportait cinq cents soldats dont trois compagnies de mitrailleuses et une compagnie de mortiers de 81mm dont je faisais partie.
La motorisation : elle était composée d’autobus réquisitionnés de la ville de Paris et de petites charrettes destinées à transporter les armes et les munitions et qui normalement étaient conçues pour être attelée soit avec des mulets soit avec des chevaux, comme nous étions « motorisés » nous n’avions droit ni aux uns ni aux autres ; l’attelage était donc constitué de soldats du rang. Le 29 septembre 1939 fût consacré au chargement du matériel, le départ en direction de la Loraine eu lieu le lendemain, arrivée le 2 novembre dans la zone des armées.
La zone des armées : elle était constituée d’une zone de 10 kilomètres en profondeur à partir de la frontière allemande. Les habitants ayant eu 10 minutes pour évacuer les lieux avaient laché le bétail (vaches, cochons, poules etc…) dans les près et les champs. Sitôt arrivés il a fallu décharger le matériel, sous l’œil des allemants qui nous observaient à la jumelle, de notre côté nous en faisions autant et nous constations qu’ils étaient en train de couler des pyramides antichars en béton armé.
Après avoir déchargé notre matériel, les gradés distribuèrent des pioches et des pelles afin de creuser des tranchées et des abris, comme pendant la guerre de 14-18. Le soir une batterie volante de canons de 75 venait à notre hauteur et tirait quarante coups de canons puis repartait sur ses positions, inutile de dire que les allemands répliquaient au canon de 77, faisait à chaque fois pas mal de blessés ; pendant cette période nous n’avons pas eu de morts à déplorer c’est ce qu’on a appelé la drôle de guerre. Sur un front de 2 kilomètres, nous avions environ milles pièces de canons de tous les calibres, avec des monceaux d’obus qui hélas, pour la plupart, ne correspondaient pas au calibre des canons !..
Un soir ou je montait la garde, j’entendis des bruits suspects, la poste de garde averti nous constatâmes que c’était un troupeau de vaches qui allaient se promenant et paissant, d’où notre grande confusion !...
Une nuit une pluie torrentielle se mit à tomber inondant nos abris, nous obligeant à les abandonner ; le lendemain nous fume obliger de monter nos tentes. Ces dernières étaient constituées de toiles carrées, munies de boutons, il fallait huit toiles pour chaque tente soit huit soldats. Le mauvais temps étant là il a fallu aménager le camp à l’aide de caillebotis pour pouvoir circuler malgrè la boue. Le mauvais temps persistant, nos toiles de tente se détériorèrent il fallait les remplacer ; un général étant venu inspecter le camp nous avait promis de les remplacer, promesse non tenue nous dûment les garder jusqu’au 4 janvier date à laquelle on nous embarqua pour aller dans le nord.
Entre temps le froid est arrivé en décembre il est tombé trente centimètres de neige, avec une température de moins vingt huit degrés ; tout était gelés, pour la toilette il fallait fondre la neige, le pain et le vin étaient gelés. Grace aux bouteillons la nourriture nous arrivait encore tiède.
Le 4 janvier 1940 un train nous attendait à St-Jean de Rorbach, nous devions embarquer, par un froid de moins 28° pour aller dans le nord, le train était composé d’un vagon de voyageurs, bien chauffé, réservé aux officiers et de plusieurs vagon de marchandises (40 hommes, huit chevaux). Comme nous n’avions pas de chevaux nous trainions nos voiturettes à bras, nous les embarcames avec nous dans les vagons à bestiaux. Il n’y avait pas de nourriture chaude, le pain était gelé. De voie de garage en voie de garage « afin de laisser le passage aux trains prioritaires », nous avons mis 4 jours pour arriver dans le nord à l’importante gare de tirage de … Sitôt arrivés des officiers voulaient nous faire décharger le matériel. Ayant refusé, nous nous précipitâmes dans les cafés près de la gare pour boire des boissons chaudes, il faisait toujours un froid terrible avec vingt centimètres de neige. Nous fîmes bien accueillis par les gens du pays qui pour la plupart nous offraient du café chaud. Notre installation dans le nord fut la preuve du patriotisme des français, la plupart accueillaient des soldats dans leurs foyers, les traitant comme s’ils étaient de la famille, ce qui m’est arrivé, je suis tombé dans une famille avec deux enfants : une fille de 12 ans et un garçon 15 ans, ce qui a contribué à adoucir mon séjour dans le nord. Pour nous occuper on distribua des pioches et des pelles et on nous fit creuser un réseau de fossés antichars.
Le huit mai 1940, l’Allemagne envahi la Belgique ; nous voilà à nouveau embarqués dans nos bus pour aller prendre position sur le canal Albert entre Namur et Liège.
Nous mîmes nos vieux mortiers en position, certains avaient servi à faire l’exercice pendant de nombreuses années leur appareil de pointage avaient du jeu ; les officiers avaient promis de les changer lorsque nous serions en ligne mais rien n’a été fait, aux premiers coups tirés, l’aviation allemande est arrivée et nous a bombardés, heureusement nous avions pris soin de disperser nos munitions car une bombe est tombée sur une caisse d’obus provoquant un feu d’artifice qui aurait pu être très grave pour nous !.. Pour naviguer sur le canal les Allemands avaient mis des civils sur le pont des péniches de sorte que nous n’osions pas tirer dessus.
Après 48 heures de résistance, nous avons été obligés de décrocher. Le bataillon était tout désorganisé, la plupart des officiers avaient désertés ; le capitaine qui commandait notre compagnie a pris une moto et comme le lieutenant de notre section lui demandait où il allait, il a répondu : je n’en sais rien et nous ne l’avons plus revu, c’est un serjent qui nous a donné l’ordre de repli !
Dernière édition par Zekhnini Mehdi le 27 Juin 2019, 20:26, édité 1 fois.