1939 - Les visées de Mussolini sur Nice, entraînèrent dans les Alpes-Mmes une mobilisation immédiate. Mon père, âgé de 38 ans fut incorporé comme sergent dans le Génie et expédié sur les forts militaires couronnant les montagnes de la frontière Franco-Italienne. Tous ceux qui le pouvaient, fuirent précipitamment Nice que Mussolini revendiquait bruyamment. Le 27 Août 39, ma mère et sa fille aînée filèrent en voiture se réfugier à Bergerac où vivaient mes grands-parents.
"Journal" succinct de ma grand-mère :
Vendredi 1er Septembre– Mobilisation générale
Dimanche 3 Sept. 39 la France déclare la guerre à l’Allemagne – Mauvaises nouvelles de Pologne.-
3 Sept.39 - Bergerac - Lettre de ma mère à mon père :
Notre voyage s’est passé le mieux du monde. Nous avons mangé, après t’avoir quitté, au Trayas, sous les pins. Que la mer était belle et bleue et qu’il faisait donc beau ce jour-là… Tout invitait à rester… beaucoup de voitures, surtout de Parisiens suivaient la même route, jusqu’à Orgon, où le changement de direction nous mit sur des voies tout à fait calmes. Nous avons fait halte à Montpellier où ta soeur naturellement dans tous ses états, ne voulait pas me laisser repartir le lendemain, parce que d’après un Général de leurs voisins, la mobilisation générale était prévue pour minuit, et elle me voyait empêchée de circuler sur les routes ! . Ni R... ni A... n’ayant de numéro, chaque fois qu’ils entendent un coup de sonnette, se demandent si c’est le gendarme qui vient leur porter un ordre ! S’ils sont mobilisés, les femmes continueront la librairie et les filles prendront la direction du ménage. On suppose que ton père est à Denain, car ils n’avaient pas de nouvelles récentes,
Par ici on a évidemment l’impression que ça va moins mal, car on ne voit pas trace de déploiement militaire. Cela étant apparent dès Toulouse. Mais jusque là , quel défilé de matériel depuis Nice, de chevaux, mulets, camions, autobus. Dans les petits villages de Provence, on voyait les paysans amener leurs bêtes, et dans beaucoup de villes la circulation était détournée pour dégager les abords des gares ou des casernes. Toutefois, ici on sent l’indigence des nouvelles, avec l’absence de la TSF, une seule édition de journal par jour et les nouvelles n’étant affichées nulle part sur aucun édifice public. (...)
H... n’a pas encore quitté Bruxelles mais a pris toutes ses dispositions pour le cas où il devrait le faire précipitamment.
N.d.l.r. Ensuite, ma mère alla s'installer à la campagne dans une propriété familiale.
11 Sept.39
Au village, je vis toute la famille du Dr D.... Lui, partait le lendemain matin pour Limoges, et sans entrain, car il a déjà l’autre guerre sur le dos. Mon beau-frère le sergent, est frusqué de bleu horizon pisseux. On l’a versé dans l’infanterie, il est dans un bureau à faire de la comptabilité, ce qu’il exècre, et il voudrait être déjà dans quelque point de la Côte Saintongeaise, où on va sans doute l’affecter.
Ce matin en montant au village, je tombai au milieu de la navrante cohue des réfugiés. Il en est arrivé 900 à minuit (du Bas-Rhin) et la place en était couverte. Les filles du Maire s’étaient couchées à 4 h du matin et avaient passé la matinée à faire des biberons. On va répartir ce pauvre bétail humain dans les communes avoisinantes. Mais il faut dire qu’ils ont l’air moins misérables que ceux de 1914, car ceux-là ont eu le temps de préparer leurs affaires et n’ont pas à errer avant d’avoir des trains. Ils ont de volumineux bagages, beaucoup de voitures d’enfants et des bicyclettes. (...)
L’autre jour j’ai vu à Bergerac un monsieur qui m’a dit avoir quitté Menton le 1er Septembre et que l’on évacuait à toute allure, la gendarmerie passant dans les hôtels pour faire le vide. Je me demande si Marianne aura reçu quelque chose de ses parents, dont elle commençait à s’inquiéter. C’est une manière de petit supplice quotidien pour tout le monde, que cette absence de courrier. Ceci joint à la Grande Angoisse universelle, fait que si l’on a devant soi de l’activité en suffisance pour se distraire l’esprit, il faut en être reconnaissant.
Cette semaine, en plus des occupations domestiques, ce fut un coup de feu avec les réfugiés (il en est arrivé 900 au village. Il a fallu remuer linge, lits, draps, vêtements, laver, repasser, tailler, coudre des langes. On a fait un va et vient avec la maison D..., ces dames s’occupant avec un dévouement magnifique de tous ces pauvres gens. Elles ont dans une chambre au-dessus du cabinet de consultation, trois femmes, dont une vieille demoiselle protestante, qu’à ce titre, elles m’avaient priée d’aller voir, et qui était toute illuminée de voir une coreligionnaire. Tous ces réfugiés sont de la région de Strasbourg. Il y a plusieurs bébés à venir incessamment, aussi l’on coud et l’on tricote partout à tour de bras. Je suis allée porter diverses choses chez les D... pour les réfugiés. Dans le grenier, il y a pas mal de ressources. J’ai taillé sept brassières dans une chemise de jersey. On attend un bébé dans les trois jours, suivi de plusieurs autres. Je fais coudre les deux petites activement.
Bergerac, Mardi 24 Octobre :
Ce matin, Marianne a eu deux lettres de Paul. Il a reçu tous les colis qu’elle lui a envoyés. Il a un Bergeracois dans sa Compagnie (je crois que c’est son sergent) et un garçon d’hôtel de Périgueux leur fait la popote. Ils entendent le canon et ont souvent des alertes aériennes. On s’apprêtait à leur faire faire des marches de nuit pour les exercer à avancer dans l’obscurité. Ils ont toujours un temps exécrable. Il demande des gilets de laine. Il est dans la Moselle (région de Château-Salins, croyons-nous)
Bergerac, Mercredi 25 octobre :
(...) Paul écrit qu’il ont toujours du mauvais temps. Pour le moment, ils ne craignent que les bombardements aériens, mais ils sont bien camouflés.
Bergerac – Samedi 28.10.39
(...) Paul a écrit qu’ils ont reculé de 10 km leur cantonnement. Il était occupé à faire le déménagement du bureau la nuit. C’est, j’espère, ma dernière lettre pour longtemps !
N.d.l.r. La situation à Nice s'étant stabilisée, après bien des démarches et de la paperasse pour obtenir sauf-conduit et permis d'essence, ma mère put revenir à Nice et retrouver mon père qui bénéficiait d'une permission de huitaine.
Journal de ma grand-mère :
20 Sept. 39– Lettre de Gérard O. (Alsace)
23 Sept. – Premières lettres de Paul (Lorraine)
7 Nov. – Carte de Paul , on expédie son linge.
Paul, mon oncle (32 ans) avait été incorporé le 4 Septembre et affecté sur la Ligne Maginot dans l'Est.
Caporal 326 Caporal – 326ème Régiment d’Infanterie – 1ère Compagnie - Secteur postal N°90 –
5 Janvier 1940 - Chers parents,
Nous avons changé de cantonnement au cours de la semaine dernière par un bon petit froid dans de confortables wagons à bestiaux qui n’avaient pas été nettoyés. Une mince couche de paille recouvrait le crottin et le purin, voyage charmant. L’Infanterie est une bien belle arme que je me félicite d’avoir choisie !! le dégel a commencé et nous pataugeons dans la mélasse. Vivement le printemps malgré la guerre totale que l’on nous annonce pour cette époque-là. Nous sommes toujours bien chauffés et nourris, mais sommes dégoûtés des légumes secs. Dommage que mon cousin ait suivi ses réfugiés, il m’aurait bien offert une choucroute ! Pays charmant, habitants hospitaliers, mais pas de cigognes sur les cheminées. Beaucoup de perdreaux, lièvres et faisans. Ce soir nous dégusterons 3 perdreaux maigres tués par un braconnier. Pendant la durée de la guerre la Belgique restera un coin malsain et si les affaires y sont nulles, je ne vois pas pourquoi les N… y resteraient inutilement.
Je souhaite à Philippe de pouvoir rester encore longtemps à Angoulême malgré les dispositions sévères prises par Daladier en ce qui concerne les affectés spéciaux. Il faut paraît-il avoir plus de 30 ans et 2 enfants. Je ne remplis que la moitié de ces conditions hélas. Les premiers servis ont toujours de la chance… Enfin espérons toujours que ça ne bardera pas trop et que je serai parmi les épargnés, mais la note à payer sera lourde. J’espère que le projet de loi accordant l’augmentation de la solde, va bientôt passer. Si je suis nommé sergent, je toucherai dans les 1500 F par mois. Un gros souci de moins.
21 Avril 1940 : Chers parents,
J’ai eu deux lettres de vous cette semaine. (…) Je ne vois pas pourquoi le copain D se plaindrait de sa vie civile. Son commerce marche, il est payé comme ouvrier et peut voir sa femme et ses enfants toutes les semaines et c’est bien joli. Il peut coucher dans des draps tous les soirs et gardera un père à ses enfants en cas de bagarre générale.
Je constate qu’en effet la vies est un peu chère en Périgord. Je ne peux pas vous donner les prix de par ici, « l’ ordinaire » nous fournissant d’excellents produits gratuitement plus 1 f 75 par jour. C’est épatant. Je vous écris de ma chambre au troisième étage. Les fidèles viennent en foule de la messe, en toilettes printanières.
Il fait un temps splendide, les arbres sont couverts de feuilles. Quel dommage de passer ici ces belles journées et combien je préfèrerais passer ce dimanche à Antibes.
Toutes les lettres que m’écrit Marianne, soit sept par semaine, sont ouvertes par la censure.
Je vais aller déjeuner et faire ensuite une ballade dans la montagne.
3 Mai 1940 - Chers Parents,
(…) Je vous plains d’être obligés de faire la queue comme pendant l’autre guerre pour les cartes. Nous avons toujours tout ce qu’il nous faut et ne nous plaignons de rien. Nous avons de la chance d’être ici. Nous avons beaucoup de travail, heureusement, on n’a pas le temps de penser à toutes ces horreurs.
Mardi 14 Mai 1940 - Chers Parents - Je pensais Dimanche répondre à votre lettre de jeudi mais il faisait tellement beau que j’ai passé la journée dans la montagne. Nous avons visité les ruines de deux vieux châteaux genre Castelnaud-Feyrac, mais à 700 mètres d’altitude et bu un bon demi. Sans doute est-ce notre dernière sortie car l’affaire devient sérieuse. On n’entend que sirènes et ronflements, mais ces messieurs n’ont rien laissé tomber jusqu’à maintenant. D’ailleurs les caves sont solides et les guetteurs vigilants. Je crois que les pacifistes à tout crins ont maintenant compris qu’il fallait l’extermination de cette race.
J’espère que les N… auront pu partir assez vite. Raymond a dû fermer boutique et dans ce cas rien ne les retient plus là-bas. Je crois que Bruxelles n’est pas en danger, sauf d’être bombardée, mais qu’elle est la ville la plus retirée de France qui soit à l’abri des bombardements ? Il faudrait se réfugier en pleine forêt de la Double. Que va faire l’Italie ? Je ne conserve plus beaucoup d’espoir de la voir neutre. Je souhaite que Nice soit épargnée et de pouvoir reprendre le collier après la guerre, si j’ai la chance d’en revenir Il est 11 h je vais me coucher dans la paille car ce soir je suis de garde au bureau, mais je ne dormirai que d’un œil. Il faut se méfier des parachutistes.
Carte de l’une de mes tantes qui fuyait Bruxelles, à sa belle-sœur épouse du scripteur précédent.
Ce 15 Mai 1940 -
Après avoir assisté au lamentable spectacle d’un combat aérien, entendu la mitraille et le concert des sirènes nocturnes, nous avons suivi le triste cortège des réfugiés. Nous avons marché derrière 400 voitures et mis 8 h pour arriver à Lille, mais que d’arrêts dans les caves, quelles visions résultant des balles ennemies ! A 7 h nous avons vu le soir un combat au-dessus d’un champ que nous venions de traverser pour laisser la route aux armées anglaises. Nous avons croisé des files de camions pendant des heures, couché à Arras, alertes maintes fois et enfin sommes arrivés à Meaux gris de poussière. Nous nous reposons à Fontainebleau en songeant à tous et à tout ce que nous avons dû abandonner.
à suivre