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1939 et 1940 : lettres familiales

Retrouvez ici toutes les histoires vécues et les récits de guerre. Déposez ici les témoignages en votre possession sur la vie pendant le conflit. C'est un pan important du devoir de mémoire cher à notre forum.

1939 et 1940 : lettres familiales

Nouveau message Post Numéro: 1  Nouveau message de Azuréenne  Nouveau message 19 Nov 2012, 19:41

1939 - Les visées de Mussolini sur Nice, entraînèrent dans les Alpes-Mmes une mobilisation immédiate. Mon père, âgé de 38 ans fut incorporé comme sergent dans le Génie et expédié sur les forts militaires couronnant les montagnes de la frontière Franco-Italienne. Tous ceux qui le pouvaient, fuirent précipitamment Nice que Mussolini revendiquait bruyamment. Le 27 Août 39, ma mère et sa fille aînée filèrent en voiture se réfugier à Bergerac où vivaient mes grands-parents.

"Journal" succinct de ma grand-mère :
Vendredi 1er Septembre– Mobilisation générale
Dimanche 3 Sept. 39 la France déclare la guerre à l’Allemagne – Mauvaises nouvelles de Pologne.-

3 Sept.39 - Bergerac - Lettre de ma mère à mon père :
Notre voyage s’est passé le mieux du monde. Nous avons mangé, après t’avoir quitté, au Trayas, sous les pins. Que la mer était belle et bleue et qu’il faisait donc beau ce jour-là… Tout invitait à rester… beaucoup de voitures, surtout de Parisiens suivaient la même route, jusqu’à Orgon, où le changement de direction nous mit sur des voies tout à fait calmes. Nous avons fait halte à Montpellier où ta soeur naturellement dans tous ses états, ne voulait pas me laisser repartir le lendemain, parce que d’après un Général de leurs voisins, la mobilisation générale était prévue pour minuit, et elle me voyait empêchée de circuler sur les routes ! . Ni R... ni A... n’ayant de numéro, chaque fois qu’ils entendent un coup de sonnette, se demandent si c’est le gendarme qui vient leur porter un ordre ! S’ils sont mobilisés, les femmes continueront la librairie et les filles prendront la direction du ménage. On suppose que ton père est à Denain, car ils n’avaient pas de nouvelles récentes,
Par ici on a évidemment l’impression que ça va moins mal, car on ne voit pas trace de déploiement militaire. Cela étant apparent dès Toulouse. Mais jusque là , quel défilé de matériel depuis Nice, de chevaux, mulets, camions, autobus. Dans les petits villages de Provence, on voyait les paysans amener leurs bêtes, et dans beaucoup de villes la circulation était détournée pour dégager les abords des gares ou des casernes. Toutefois, ici on sent l’indigence des nouvelles, avec l’absence de la TSF, une seule édition de journal par jour et les nouvelles n’étant affichées nulle part sur aucun édifice public. (...)
H... n’a pas encore quitté Bruxelles mais a pris toutes ses dispositions pour le cas où il devrait le faire précipitamment.

N.d.l.r. Ensuite, ma mère alla s'installer à la campagne dans une propriété familiale.

11 Sept.39
Au village, je vis toute la famille du Dr D.... Lui, partait le lendemain matin pour Limoges, et sans entrain, car il a déjà l’autre guerre sur le dos. Mon beau-frère le sergent, est frusqué de bleu horizon pisseux. On l’a versé dans l’infanterie, il est dans un bureau à faire de la comptabilité, ce qu’il exècre, et il voudrait être déjà dans quelque point de la Côte Saintongeaise, où on va sans doute l’affecter.

Ce matin en montant au village, je tombai au milieu de la navrante cohue des réfugiés. Il en est arrivé 900 à minuit (du Bas-Rhin) et la place en était couverte. Les filles du Maire s’étaient couchées à 4 h du matin et avaient passé la matinée à faire des biberons. On va répartir ce pauvre bétail humain dans les communes avoisinantes. Mais il faut dire qu’ils ont l’air moins misérables que ceux de 1914, car ceux-là ont eu le temps de préparer leurs affaires et n’ont pas à errer avant d’avoir des trains. Ils ont de volumineux bagages, beaucoup de voitures d’enfants et des bicyclettes. (...)

L’autre jour j’ai vu à Bergerac un monsieur qui m’a dit avoir quitté Menton le 1er Septembre et que l’on évacuait à toute allure, la gendarmerie passant dans les hôtels pour faire le vide. Je me demande si Marianne aura reçu quelque chose de ses parents, dont elle commençait à s’inquiéter. C’est une manière de petit supplice quotidien pour tout le monde, que cette absence de courrier. Ceci joint à la Grande Angoisse universelle, fait que si l’on a devant soi de l’activité en suffisance pour se distraire l’esprit, il faut en être reconnaissant.

Cette semaine, en plus des occupations domestiques, ce fut un coup de feu avec les réfugiés (il en est arrivé 900 au village. Il a fallu remuer linge, lits, draps, vêtements, laver, repasser, tailler, coudre des langes. On a fait un va et vient avec la maison D..., ces dames s’occupant avec un dévouement magnifique de tous ces pauvres gens. Elles ont dans une chambre au-dessus du cabinet de consultation, trois femmes, dont une vieille demoiselle protestante, qu’à ce titre, elles m’avaient priée d’aller voir, et qui était toute illuminée de voir une coreligionnaire. Tous ces réfugiés sont de la région de Strasbourg. Il y a plusieurs bébés à venir incessamment, aussi l’on coud et l’on tricote partout à tour de bras. Je suis allée porter diverses choses chez les D... pour les réfugiés. Dans le grenier, il y a pas mal de ressources. J’ai taillé sept brassières dans une chemise de jersey. On attend un bébé dans les trois jours, suivi de plusieurs autres. Je fais coudre les deux petites activement.

Bergerac, Mardi 24 Octobre :
Ce matin, Marianne a eu deux lettres de Paul. Il a reçu tous les colis qu’elle lui a envoyés. Il a un Bergeracois dans sa Compagnie (je crois que c’est son sergent) et un garçon d’hôtel de Périgueux leur fait la popote. Ils entendent le canon et ont souvent des alertes aériennes. On s’apprêtait à leur faire faire des marches de nuit pour les exercer à avancer dans l’obscurité. Ils ont toujours un temps exécrable. Il demande des gilets de laine. Il est dans la Moselle (région de Château-Salins, croyons-nous)

Bergerac, Mercredi 25 octobre :
(...) Paul écrit qu’il ont toujours du mauvais temps. Pour le moment, ils ne craignent que les bombardements aériens, mais ils sont bien camouflés.

Bergerac – Samedi 28.10.39
(...) Paul a écrit qu’ils ont reculé de 10 km leur cantonnement. Il était occupé à faire le déménagement du bureau la nuit. C’est, j’espère, ma dernière lettre pour longtemps !

N.d.l.r. La situation à Nice s'étant stabilisée, après bien des démarches et de la paperasse pour obtenir sauf-conduit et permis d'essence, ma mère put revenir à Nice et retrouver mon père qui bénéficiait d'une permission de huitaine.

Journal de ma grand-mère :
20 Sept. 39– Lettre de Gérard O. (Alsace)
23 Sept. – Premières lettres de Paul (Lorraine)
7 Nov. – Carte de Paul , on expédie son linge.

Paul, mon oncle (32 ans) avait été incorporé le 4 Septembre et affecté sur la Ligne Maginot dans l'Est.
Caporal 326 Caporal – 326ème Régiment d’Infanterie – 1ère Compagnie - Secteur postal N°90 –

5 Janvier 1940 - Chers parents,
Nous avons changé de cantonnement au cours de la semaine dernière par un bon petit froid dans de confortables wagons à bestiaux qui n’avaient pas été nettoyés. Une mince couche de paille recouvrait le crottin et le purin, voyage charmant. L’Infanterie est une bien belle arme que je me félicite d’avoir choisie !! le dégel a commencé et nous pataugeons dans la mélasse. Vivement le printemps malgré la guerre totale que l’on nous annonce pour cette époque-là. Nous sommes toujours bien chauffés et nourris, mais sommes dégoûtés des légumes secs. Dommage que mon cousin ait suivi ses réfugiés, il m’aurait bien offert une choucroute ! Pays charmant, habitants hospitaliers, mais pas de cigognes sur les cheminées. Beaucoup de perdreaux, lièvres et faisans. Ce soir nous dégusterons 3 perdreaux maigres tués par un braconnier. Pendant la durée de la guerre la Belgique restera un coin malsain et si les affaires y sont nulles, je ne vois pas pourquoi les N… y resteraient inutilement.

Je souhaite à Philippe de pouvoir rester encore longtemps à Angoulême malgré les dispositions sévères prises par Daladier en ce qui concerne les affectés spéciaux. Il faut paraît-il avoir plus de 30 ans et 2 enfants. Je ne remplis que la moitié de ces conditions hélas. Les premiers servis ont toujours de la chance… Enfin espérons toujours que ça ne bardera pas trop et que je serai parmi les épargnés, mais la note à payer sera lourde. J’espère que le projet de loi accordant l’augmentation de la solde, va bientôt passer. Si je suis nommé sergent, je toucherai dans les 1500 F par mois. Un gros souci de moins.

21 Avril 1940 : Chers parents,
J’ai eu deux lettres de vous cette semaine. (…) Je ne vois pas pourquoi le copain D se plaindrait de sa vie civile. Son commerce marche, il est payé comme ouvrier et peut voir sa femme et ses enfants toutes les semaines et c’est bien joli. Il peut coucher dans des draps tous les soirs et gardera un père à ses enfants en cas de bagarre générale.
Je constate qu’en effet la vies est un peu chère en Périgord. Je ne peux pas vous donner les prix de par ici, « l’ ordinaire » nous fournissant d’excellents produits gratuitement plus 1 f 75 par jour. C’est épatant. Je vous écris de ma chambre au troisième étage. Les fidèles viennent en foule de la messe, en toilettes printanières.
Il fait un temps splendide, les arbres sont couverts de feuilles. Quel dommage de passer ici ces belles journées et combien je préfèrerais passer ce dimanche à Antibes.
Toutes les lettres que m’écrit Marianne, soit sept par semaine, sont ouvertes par la censure.
Je vais aller déjeuner et faire ensuite une ballade dans la montagne.

3 Mai 1940 - Chers Parents,
(…) Je vous plains d’être obligés de faire la queue comme pendant l’autre guerre pour les cartes. Nous avons toujours tout ce qu’il nous faut et ne nous plaignons de rien. Nous avons de la chance d’être ici. Nous avons beaucoup de travail, heureusement, on n’a pas le temps de penser à toutes ces horreurs.

Mardi 14 Mai 1940 - Chers Parents - Je pensais Dimanche répondre à votre lettre de jeudi mais il faisait tellement beau que j’ai passé la journée dans la montagne. Nous avons visité les ruines de deux vieux châteaux genre Castelnaud-Feyrac, mais à 700 mètres d’altitude et bu un bon demi. Sans doute est-ce notre dernière sortie car l’affaire devient sérieuse. On n’entend que sirènes et ronflements, mais ces messieurs n’ont rien laissé tomber jusqu’à maintenant. D’ailleurs les caves sont solides et les guetteurs vigilants. Je crois que les pacifistes à tout crins ont maintenant compris qu’il fallait l’extermination de cette race.
J’espère que les N… auront pu partir assez vite. Raymond a dû fermer boutique et dans ce cas rien ne les retient plus là-bas. Je crois que Bruxelles n’est pas en danger, sauf d’être bombardée, mais qu’elle est la ville la plus retirée de France qui soit à l’abri des bombardements ? Il faudrait se réfugier en pleine forêt de la Double. Que va faire l’Italie ? Je ne conserve plus beaucoup d’espoir de la voir neutre. Je souhaite que Nice soit épargnée et de pouvoir reprendre le collier après la guerre, si j’ai la chance d’en revenir Il est 11 h je vais me coucher dans la paille car ce soir je suis de garde au bureau, mais je ne dormirai que d’un œil. Il faut se méfier des parachutistes.

Carte de l’une de mes tantes qui fuyait Bruxelles, à sa belle-sœur épouse du scripteur précédent.
Ce 15 Mai 1940 -
Après avoir assisté au lamentable spectacle d’un combat aérien, entendu la mitraille et le concert des sirènes nocturnes, nous avons suivi le triste cortège des réfugiés. Nous avons marché derrière 400 voitures et mis 8 h pour arriver à Lille, mais que d’arrêts dans les caves, quelles visions résultant des balles ennemies ! A 7 h nous avons vu le soir un combat au-dessus d’un champ que nous venions de traverser pour laisser la route aux armées anglaises. Nous avons croisé des files de camions pendant des heures, couché à Arras, alertes maintes fois et enfin sommes arrivés à Meaux gris de poussière. Nous nous reposons à Fontainebleau en songeant à tous et à tout ce que nous avons dû abandonner.

à suivre


 

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Re: 1939 et 1940 : lettres familiales

Nouveau message Post Numéro: 2  Nouveau message de fbonnus  Nouveau message 19 Nov 2012, 19:47

Voilà du contenu précieux que je te remercie grandement de partager avec nous. :bravo:
Pourrais tu nous faire quelques scans des lettres et des écrits, cela éclairerait encore plus les contenus.
Sans nul doute que cela soulèvera chez nos nombreux membres des questions et précisions.
Dans l'attente fébrile de la suite

Amicalement
« Alors mon petit Robert, écoutez bien le conseil d'un père !
Nous devons bâtir notre vie de façon à éviter les obstacles en toutes circonstances.
Et dites-vous bien dans la vie, ne pas reconnaître son talent, c'est favoriser la réussite des médiocres. »
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Re: 1939 et 1940 : lettres familiales

Nouveau message Post Numéro: 3  Nouveau message de Azuréenne  Nouveau message 19 Nov 2012, 21:20

D'accord, je verrai ce que je peux scanner, mais il faut que je cherche parmi mes archives (un peu en désordre...) car là, je me contente de sélectionner et C/C toute cette correspondance que j'ai retranscrite intégralement et numérisée en dossiers ces dernières années. Et j'ai rendu des lettres à ma soeur ou à une cousine.


 

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Re: 1939 et 1940 : lettres familiales

Nouveau message Post Numéro: 4  Nouveau message de Azuréenne  Nouveau message 20 Nov 2012, 20:36

Journal de ma grand-mère :
10 Mai – Le Reich envahit la Hollande, la Belgique et le Luxembourg
18 Mai : Denrées hors de prix au marché.
21 Mai « La Patrie en danger !!! »les Allemands à Amiens
28 Mai – Léopold capitule !
2 au 3 Juin : Paris bombardé

Le 3 juin, ma mère, enceinte de moi, ma soeur et la belle-soeur de maman reprirent l'exode vers le Sud-Ouest, avec arrêt d'abord à Nimes, puis à Bordeaux, avant de rejoindre Bergerac d'où elle écrit à son époux :

Ma mère à mon père :
Bordeaux, Lundi 10 Juin 40
Enfin ! Nous voici bien arrivées ! on va pouvoir souffler quelque temps j’espère … Donc, hier matin, Annie nous conduisit à la gare de Nimes. Cohue, A partir de Narbonne, nous avons été seules avec un militaire (mais je n’ai pu déterminer dans quelle branche) ; ce qui fait que j’ai eu l’avantage inespéré de pouvoir m’allonger. Etant à la queue d’un interminable train, on était fort secoués. Notre compagnon avait quitté Nice la veille ; cinq jours auparavant, il y était arrivé, venant d’Angers où il retournait, avec perspective de revenir à Nice dans une quinzaine En longeant ces routes qu’il y a un an, à huit jours près, nous parcourions avec Mme V…, l’esprit libre et joyeux, je me disais que c’était joliment le bon temps, malgré la menace qu’on sentait toujours planer… Que de trains de soldats Belges nous avons vus… et tellement blonds, tellement jeunes, de véritables gosses, tout riants, pleins d’entrain. Tellement que c’était à la fois triste et réconfortant de les voir ainsi prêts à reprendre la lutte.

En arrivant ici – avec 1/2 heure de retard, quelle foire !!… quelque chose d’inouï. C’est seulement dehors que nous avons retrouvé les S... Et des réfugiés partout (assis jusque sur le quai). Nous sommes parties en taxi toutes les trois, André restant pour libérer mes bagages, cérémonie qui risquait d’être longue. Au bout d’une demi-heure, nous l’avons vu revenir me chercher, pour que je puisse reconnaître moi-même mes valises, tellement la cohue était intense. Et le fait est que c’était effarant cet empilement de bagages à perte de vue, je n’aurais jamais imaginé chose pareille !! Et j’ai eu la veine inouïe de découvrir mes deux valises tout au début d’une rangée, ce qui fait qu’on n’a pas eu trop à attendre.

Journal de ma grand-mère :
10 – L’Italie déclare la guerre à la France et à l’Angleterre

Ma mère à mon père :
Bordeaux, Mardi 11 Juin
Enfin, voilà le Macaroni* qui a parlé… !! On éprouve un soulagement à écouter à la radio tout ce que l’opinion lui casse ! Ce matin, j'ai été rassurée en apprenant qu’ils n’avaient pas encore attaqué. On est suspendu à la TSF. Le discours de Raynaud, hier soir, fut épatant de dignité. Ayons confiance et bon espoir dans la rossée qu’on va leur flanquer.

* Le Macaroni... Mussolini

Bordeaux, Mercredi 12 Juin 40
J’ai été bien soulagée, ce matin, d’apprendre que le déclenchement n’avait pas eu lieu à Nice . Je voudrais bien savoir quelle est la physionomie de la ville… Ici, Aliette demandant aux André, si la propriété était disponible pour y loger 7 Belges ! Elle se décarcasse pour caser les innombrables réfugiés qui errent par les rues, et en a logé dans toutes les maisons du quartier. Henri a reçu son appel pour le Front.

Bordeaux, Vendredi 14 Juin 40
Aujourd’hui, on est suspendu à la réponse de Roosevelt*, et l’on espère malgré et contre tout…

Bordeaux, Samedi 15 – 18 h 3O
Ah ! enfin, les voilà qui viennent d’arriver, fourbus. Nous voilà soulagés. Mes beaux-frères n’ont fait, jusqu’à midi, que courir toute la région de Royan dans tous les sens, à la recherche de logements pour les familles des employés de la firme W... ce qui est un problème insoluble. Un des associés campe avec les siens, dans sa tente, sur la plage de Ronce. Partout, cohue indescriptible, autos, camions, s’alignant, se suivant à perte de vue, autocars remplis de bagages, de matelas, restaurants, hôtels regorgent. L’entrée de Bordeaux est une épreuve de patience et d’adresse.
Le fils W... s’arrache les cheveux parce que le convoi de matériel et du personnel (40 personnes) qui a dû quitter Paris mardi, n’est pas encore arrivé et n’a pas donné signe de vie. Gaston a eu la frousse de ne pouvoir finir de rentrer, faute d’essence, ça devient une question complexe. Un « 4 galons » de la Marine lui a dit qu’il y avait peu de chances qu’il puisse arriver jusqu’à Nice, à cause de cela, et lui a vivement conseillé de prendre un avion.

Bergerac- Dimanche 16 Juin – 18 h Nous voici enfin arrivés ! Mais quel défilé d’autos sur tout le trajet… Nord, Pas-de-Calais, Seine-Inférieure, et Paris, Paris, à l’infini, ça retourne le cœur de voir cela et fait penser à une fourmilière qu’on aurait obstruée, et toutes les fourmis affolées, traquées, courant, tournant, ne sachant où se reposer, car ces innombrables voitures viennent et vont dans toutes les directions, cherchant un gîte introuvable, tournant en rond. Quelle épreuve d’endurance elles subissent en ce moment ! On en voit avec des huit personnes entassées sur les colis, et des matelas, des matelas…jusqu’à 4 sur le toit ! et presque tous des bicyclettes, devant, sur les ailes, partout où on peut placer des roues démontées. A Ste-Foy, j’ai vu une voiture de Monaco. A Castillon, où nous étions arrêtés sur la place, nous nous sommes trouvés en un clin d’œil, entourés par un groupe où se trouvaient une dame Belge, une de Paris avec sa fille qui est arrivée de Nice il y a 6 mois, y ayant résidé 15 ans, où elle habitait rue Verdi. Elle m’a dit qu’elle continuait à recevoir chaque jour l’Eclaireur*, ce que j’ai jugé rassurant.
* L’Eclaireur : quotidien ayant précédé Nice-Matin.
Tous ces gens cherchent des propriétés et n’en trouvent point, et ce qui complique, c’est que, suivant la région d’où ils viennent, ils n’ont pas le droit de quitter tel département qui leur est assigné, et ne peuvent chercher ailleurs. Ici, quel trafic en ville j’ai eu le temps d’apercevoir au passage… Tout le quartier est devenu Belge. (...)
Tous ici t’envoient bien des choses. Si tu te déplaçais, fais-le moi savoir en me disant que « tu as changé de chambre » et si elle est située au rez-de-chaussée, au 1er ou au 4ème étage, et si elle est orientée vers tel ou tel des 4 points cardinaux, pour que je comprenne approximativement la direction et l’altitude.

N.d.l.R. Comme il était interdit aux mobilisés de préciser exactement où ils se trouvaient cette demande de ma mère se justifie, par rapport aux montagnes de l'arrière-pays. Mon père revenait en courtes permission à notre villa de Nice où il trouvait son courrier.

Bergerac, Lundi soir 17 Juin - J’ai eu ce matin ta lettre du 11, réexpédiée de Bordeaux.
Les B... sont partis cet après-midi pour Tarbes, emportant – eux aussi ! – bagages, matelas et bicyclette.
On se refuse à croire les nouvelles que les possesseurs de TSF font circuler aujourd’hui, et qui bouleversent le peuple, et l’on continue d’espérer et d’attendre le miracle. Souhaitons, prions de toutes nos forces qu’il arrive…
Personne ici, n’a de nouvelles des siens dans la mêlée. Les M... ne savent rien de leur famille au Havre. Je pense que les V... n’ont pas dû rester en Bretagne et je me demande s’ils ne sont pas descendus dans le Gers, où ils avaient eu, un instant, l’idée d’aller avant de partir. Et je me dis aussi qu’il n’est pas impossible que M.V... vu son poste, ait été replié dans la région, lui aussi, comme les Hautes Huiles* qui sont là où j’étais hier encore.

*Hautes Huiles = le gouvernement.

Journal de ma g.-mère 17 Juin –
Départ de tous les B... pour Tarbes avec bagages en auto.
La Patrie meurtrie.

19 – Visite de M... J... et Renée M.... retour de Paris en vélo et autres péripéties. Bergerac est envahi par le nombre toujours croissant de voitures de réfugiés et la caravane ininterrompue des camions militaires emmenant les soldats vers une destination inconnue.

Bergerac, Jeudi 2O Juin –
Quelle Joie d’avoir eu ce soir tes lettres des 13 et 14 ! Et dire qu’elles étaient là, dans la boîte, tout l’après-midi et que je n’en savais rien !! Aussi, quelle aubaine quand, tout à l’heure, Maman allant porter le pot de la laitière, me rapporta ces deux précieuses enveloppes dont le contenu me fut un baume réconfortant dans les heures affreuses que l’on vit depuis trois jours. Personne n’arrive à réaliser que ce soit vrai une situation pareille, on croit rêver, mais quel rêve… Et pourtant, si désespéré que cela soit, je n‘arrive pas à croire qu’il n’y aura pas quelque intervention miraculeuse – si ce n’est pas maintenant, plus tard – car il n’est pas possible que la France soit finie. Je vois tout le continent américain se soulevant, enfin, comme un seul homme, et venant un jour prochain délivrer la France.
L’interminable défilé des réfugiés continue nuit et jour, lamentable, les voitures semblent de plus en plus chargées, les gens las et toujours à la recherche d’un gîte. Hier, rue du Marché, par deux fois, j’ai dû attendre plus d’un quart d’heure pour pouvoir traverser cet interminable convoi qui était entremêlé de camions militaires, à qui les gens lançaient au passage, des bouteilles de vin et des fruits, car ces pauvres hommes aux barbes longues étaient assommés de chaleur, mais souriants quand même.
Nous n'avons aucune nouvelle de Paul, comment en serait-il autrement dans ce chaos ?
Renée M... est arrivée de la veille de Paris à bicyclette ! Elle a mis 4 jours, couchant dans les fossés, ayant passé 2 jours sans manger, puis vivant de chocolat, et faisant le dernier morceau du parcours, avant Périgueux, dans un camion militaire, jusqu’ici. Elle a les lèvres tout enfiévrées et toute la figure pelée. Sa sœur a dû partir le même jour, en direction d’Etampes, avec son hôpital militaire (fait de commotionnés) à pied. On ne sait, à cette heure, où elle peut être.
Ce soir, Mme V... avait à faire à dîner à l’improviste à quatre réfugiés que son mari venait de lui ramener et qui ne savaient où manger.

Journal de ma grand-mère :
21/6 – Signature de l’Armistice avec l’Allemagne. Les Marcel J... viennent dîner.

à suivre


 

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Re: 1939 et 1940 : lettres familiales

Nouveau message Post Numéro: 5  Nouveau message de Aldebert  Nouveau message 20 Déc 2012, 23:09

Bonjour,
Des Alsaciens de la proche frontière qui ont été déplacés dès 1939 et dont la destination était le bergeracois m'ont rapporté que tout avait été correctement planifié. Il n'y a pas eu de problèmes majeurs pour le relogement qui avait été prévu. Beaucoup sont, depuis, restés vivre en Dordogne.
Lorsqu'après la guerre il sont retournés en Alsace pour récupérer leurs meubles, le contenu de leur maison avait été vidé. Certains de leurs meubles apparaissaient parfois dans la maison de voisins.
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