Bon, trève de poiscailles et revenons à nos moutons! Maréchal, nous voilà! - Au début de juillet nous fûment informés que les enfants des écoles devraient s'assembler tous les jeudis au Parc Duconténia.
Ainsi fut fait.
Nous étions quelques centaines d'écoliers de 6 à 14 ans astreints à participer à ces rassemblements sous l'égide des Jeunesses Pétainistes. Il y avait des sonneries de clairons et après la montée du drapeau aux trois couleurs frappé de la francisque, nous entonnions avec ferveur l'Hymne au Maréchal:
"Maréchal, nous voilà, devant toi le Sauveur de la France...".
Ensuite venaient les discours des notables et des représentants des "Jeunesses".
Je me souviens en particulier de l'un d'eux, grand et maigre, avec de longues moustaches blanches et habillé comme un boy scout!
Cela durait, selon les jours et la longueurs des discours entre 1 heure 30 et 2 heures. Puis nous terminions par le chant "France de demain" et nous nous égayions dans toutes les directions.
Notre père n'était pas impressionné par ces rassemblements, en fait il était plutôt irrité et parlait de propagande empoisonnée. Après notre premier rassemblement il eut une conversation houleuse avec Monsieur Jean, notre premier voisin. Tout comme notre père Monsieur Jean était originaire du Béarn dont il parlait aussi le patois ainsi que l'espagnol, c'est du reste dans ces 2 langues qu'ils conversaient le plus souvent.
Monsieur Jean était un vétéran de 14-18, il avait combattu à Verdun et était un ardent supporteur du Maréchal Pétain.
Quant à notre père ses vues sur le Maréchal étaient diamétralement opposées, pour lui c'était simple: le Maréchal était un traître!
Ces différences de vues mises à part, ils s'aimaient bien et se respectaient.
Ce jour-là donc, la conversation en français était très animée, ils parlaient par-dessus la clôture qui séparait nos deux jardins. L'un était pour, l'autre contre ces "rassemblements". Nous écoutions sans mot dire jusqu'au moment où ils passèrent du français au patois, nous décidames alors de rentrer à la maison d'où nous pouvions voir le vainqueur de 18 et le vaincu de 40 continuer à grand renfort de gestes leur affrontement oratoire. -
Les pigeons de Monsieur Jean - Nous aimions beaucoup Monsieur Jean, c'était un brave homme à l'accent rocailleux, portant toujours le béret façon béarnaise, c'est à dire tiré en pointe sur le devant. A la retraite depuis queques années il avait 2 passions, les roses et les pigeons. Sa maison était la jumelle de la notre avec sur le devant de magnifiques rosiers, seul son jardin était beaucoup plus petit. Il portait des pantalons de velours côtelé et était toujours chaussé de sabots de bois à pointes, qu'il confectionnait lui-même. Sa femme, que nous appelions Madame Jean était d'origine espagnole et extrêmement gentille avec nous.
Monsieur Jean avait construit un colombier pour ses pigeons et tous les soirs il venait leur parler, les appelant par leurs noms.
Ses pigeons, au nombre d'une douzaine, volaient librement dans la journée, mais le soir venu Monsieur Jean ne rentrait pas chez lui tant que tous ses pigeons n'étaient pas rentrés au bercail. Si un couple manquait à l'appel, il sifflait jusqu'à ce que les retardataires fussent de retour.
En cet été de 1942 nous commençions à porter un grand intérêt aux pigeons de Monsieur Jean, un intérêt qui n'avait rien à voir avec la colombophilie! -
Luzien