Post Numéro: 1 de Luzien 06 Aoû 2012, 20:33
Comme mentionné je n'ai pas connu l'exode car nous étions quasiment au bout de la route. Nous vivions en bordure de la RN10 à un ½ km de la plage d'Erromardie et 2kms au nord de St-Jean-de-Luz.
Notre demeure était une ancienne pépinière que mon père avait acheté en 1938. En plus de la maison il y avait des dépendances, un grand jardin, des serres et un petit verger. Autant dire que l'espace ne manquait pas pour mes 2 frères et moi (j'étais le cadet).
"Ils arrivent!"
Ce 29 juin nous étions nombreux chez nous: Mon père*, ma mère, les 3 frères, Amélia (une réfugiée basque-espagnole dont le mari avait été fusillé par les franquistes et que mon père avait receuilli en 1939) et ses 3 enfants, Trinidad, Mercedes et Rufino, puis un couple de belges et leur fillette. Quelques jours auparavant nous avions aussi un couple d'anglais avec 2 fillettes, mais ce jour-là ils n'étaient plus des notres ayant réussi à prendre un des derniers bateaux à quitter Bayonne.
Je me souviens que nous étions à table quand le facteur fit irruption et s'écria: "Ils arrivent! Ils sont à Guéthary!"
Mon père lâcha un gros "m...!" et nous nous ruèrent tous à l'extérieur. Mais la route qui monte graduellement jusqu'à Hiralde était déserte. Le repas fut terminé en silence et en quatrième vitesse.
J'avoue que je ne comprenais pas trop ce qu'il se passait, je savais que nous étions en guerre, que nous avions perdu, que les allemands allaient nous envahir, mais la gravité de la situation je la lisais surtout sur les visages crispés des adultes. Mon père devant se rendre en ville sauta dans sa "Licorne" et nous laissa à la maison. En attendant l'arrivée imminente des allemands, nous priment tous place sur les marches des escaliers donnant accès à la porte d'entrée, excepté le couple belge qui préféra demeurer dans leur chambre avec leur fille. Je ressentais à la fois un mélange de peur et d'excitation. Je remarquais alors que Trinidad (nous l'appelions Trini), la tête appuyée contre l'épaule de ma mère, pleurait.
Puis nous les virent surgirent au sommet de la côte d'Hiralde, ils marchaient bien en rangs, par compagnies... en chantant. Porté par le vent, leur chant s'enflait pour ensuite diminuer d'intensité et s'enfler à nouveau. Ils étaient à environ 200m de notre maison quand 3 motos avec side-car les doublèrent et passèrent devant nous dans un vacarme assourdissant de moteurs. Chaque moto transportait trois soldats, le conducteur, un assis derrière lui et enfin le 3e dans le side-car avec une mitrailleuse fixée devant lui. Leurs casques et leurs grosses lunettes leur donnaient l'air de têtes d'insectes. Comme la 3e moto passait devant nous, le passager assis derrière le conducteur se dressa sur ses étriers et faisant tournoyer un bidon d'eau par sa lanière au-dessus de sa tête poussa un "Youpiii!"
Amélia lui lança aussitôt quelques malédictions en basque que je me garderais de traduire !
Puis ce fut le passage des troupiers qui avaient alors cessé de chanter, mais leurs bottes martelaient l'asphalte de la route avec un bruit sinistre: vrrram...vrrram...vrrram. Alors qu'ils défilaient devant nous, un soldat sorti des rangs, se dirrigea vers le portail d'entrée, l'ouvrit et appuyant son fusil contre un des piliers de ciment se dirrigea vers nous en drandissant un bidon et disant: "Vasser?, vasser?" Nous ne comprenions pas ce qu'il disait, mais nous compriment le geste. Après un moment d'hésitation, ma mère dit à mon frère aîné: "Va lui remplir son bidon d'eau". Comme mon frère se précipitait à l'intérieur, ma mère lui cria : "Ne lui donne pas de l'eau de la cuisine, donne-lui de l'eau du puit!" Malgrés ma crainte devant ce "prussien" (c'est ainsi que notre voisin Monsieur Jean, un ancien de Verdun, appelait les Allemands) je ne pu m'empêcher de rire intérieurement, car ce que nous appelions le "puit" n'était autre qu'une buse de ciment au fond cimenté qui servait à l'arrosage du jardin et qui était alimenté par la même eau que la cuisine. Mais dans l'esprit de ma mère ce n'était pas la "même" eau que celle que nous buvions. Nuance! Ainsi, ce jour-là, maman posa son premier acte de résistance. Ayant reprit possession de son bidon plein, le soldat nous adressa quelques mots de remerciements dans sa langue, terminant par: "Merci!" Puis saisissant son fusil il rejoignit son unité au pas de course.
A suivre...
*Je ne peut évoquer l'Occupation sans avoir une pensée pour mon père (décédé en 1982) que je considère comme un être exceptionnel.
Arrêté plusieurs fois, il fut battu et torturé par la gestapo française sans jamais faiblir.