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Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Retrouvez ici toutes les histoires vécues et les récits de guerre. Déposez ici les témoignages en votre possession sur la vie pendant le conflit. C'est un pan important du devoir de mémoire cher à notre forum.

Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 1  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 06 Aoû 2012, 20:33

Comme mentionné je n'ai pas connu l'exode car nous étions quasiment au bout de la route. Nous vivions en bordure de la RN10 à un ½ km de la plage d'Erromardie et 2kms au nord de St-Jean-de-Luz.
Notre demeure était une ancienne pépinière que mon père avait acheté en 1938. En plus de la maison il y avait des dépendances, un grand jardin, des serres et un petit verger. Autant dire que l'espace ne manquait pas pour mes 2 frères et moi (j'étais le cadet).



"Ils arrivent!"

Ce 29 juin nous étions nombreux chez nous: Mon père*, ma mère, les 3 frères, Amélia (une réfugiée basque-espagnole dont le mari avait été fusillé par les franquistes et que mon père avait receuilli en 1939) et ses 3 enfants, Trinidad, Mercedes et Rufino, puis un couple de belges et leur fillette. Quelques jours auparavant nous avions aussi un couple d'anglais avec 2 fillettes, mais ce jour-là ils n'étaient plus des notres ayant réussi à prendre un des derniers bateaux à quitter Bayonne.
Je me souviens que nous étions à table quand le facteur fit irruption et s'écria: "Ils arrivent! Ils sont à Guéthary!"
Mon père lâcha un gros "m...!" et nous nous ruèrent tous à l'extérieur. Mais la route qui monte graduellement jusqu'à Hiralde était déserte. Le repas fut terminé en silence et en quatrième vitesse.
J'avoue que je ne comprenais pas trop ce qu'il se passait, je savais que nous étions en guerre, que nous avions perdu, que les allemands allaient nous envahir, mais la gravité de la situation je la lisais surtout sur les visages crispés des adultes. Mon père devant se rendre en ville sauta dans sa "Licorne" et nous laissa à la maison. En attendant l'arrivée imminente des allemands, nous priment tous place sur les marches des escaliers donnant accès à la porte d'entrée, excepté le couple belge qui préféra demeurer dans leur chambre avec leur fille. Je ressentais à la fois un mélange de peur et d'excitation. Je remarquais alors que Trinidad (nous l'appelions Trini), la tête appuyée contre l'épaule de ma mère, pleurait.

Puis nous les virent surgirent au sommet de la côte d'Hiralde, ils marchaient bien en rangs, par compagnies... en chantant. Porté par le vent, leur chant s'enflait pour ensuite diminuer d'intensité et s'enfler à nouveau. Ils étaient à environ 200m de notre maison quand 3 motos avec side-car les doublèrent et passèrent devant nous dans un vacarme assourdissant de moteurs. Chaque moto transportait trois soldats, le conducteur, un assis derrière lui et enfin le 3e dans le side-car avec une mitrailleuse fixée devant lui. Leurs casques et leurs grosses lunettes leur donnaient l'air de têtes d'insectes. Comme la 3e moto passait devant nous, le passager assis derrière le conducteur se dressa sur ses étriers et faisant tournoyer un bidon d'eau par sa lanière au-dessus de sa tête poussa un "Youpiii!"
Amélia lui lança aussitôt quelques malédictions en basque que je me garderais de traduire !
Puis ce fut le passage des troupiers qui avaient alors cessé de chanter, mais leurs bottes martelaient l'asphalte de la route avec un bruit sinistre: vrrram...vrrram...vrrram. Alors qu'ils défilaient devant nous, un soldat sorti des rangs, se dirrigea vers le portail d'entrée, l'ouvrit et appuyant son fusil contre un des piliers de ciment se dirrigea vers nous en drandissant un bidon et disant: "Vasser?, vasser?" Nous ne comprenions pas ce qu'il disait, mais nous compriment le geste. Après un moment d'hésitation, ma mère dit à mon frère aîné: "Va lui remplir son bidon d'eau". Comme mon frère se précipitait à l'intérieur, ma mère lui cria : "Ne lui donne pas de l'eau de la cuisine, donne-lui de l'eau du puit!" Malgrés ma crainte devant ce "prussien" (c'est ainsi que notre voisin Monsieur Jean, un ancien de Verdun, appelait les Allemands) je ne pu m'empêcher de rire intérieurement, car ce que nous appelions le "puit" n'était autre qu'une buse de ciment au fond cimenté qui servait à l'arrosage du jardin et qui était alimenté par la même eau que la cuisine. Mais dans l'esprit de ma mère ce n'était pas la "même" eau que celle que nous buvions. Nuance! Ainsi, ce jour-là, maman posa son premier acte de résistance. Ayant reprit possession de son bidon plein, le soldat nous adressa quelques mots de remerciements dans sa langue, terminant par: "Merci!" Puis saisissant son fusil il rejoignit son unité au pas de course.

A suivre...


*Je ne peut évoquer l'Occupation sans avoir une pensée pour mon père (décédé en 1982) que je considère comme un être exceptionnel.
Arrêté plusieurs fois, il fut battu et torturé par la gestapo française sans jamais faiblir.


 

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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 2  Nouveau message de dynamo  Nouveau message 06 Aoû 2012, 21:22

C'est un récit qui commence bien.
Nous attendons la suite avec intérêt.
Merci.
La dictature c'est "ferme ta gueule", et la démocratie c'est "cause toujours".
Woody Allen.

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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 3  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 06 Aoû 2012, 22:37

Ils arrivent! (suite)

Le soldat parti, Amélia se tourna vers mon frère et lui dit: "Tou aurais dou pisser dans lé bidon!"
Pendant ce temps les soldats continuaient à défiler devant nous. Il y en avait des milliers. Lassé du spectacle nous entrèrent et attendirent le retour de notre père. De l'intérieur nous pouvions entendre toujours le martèlement des bottes, rrra...rrra...rrra...
Notre père arriva quelques temps plus tard, il fut obligé d'utiliser la route côtière car la nationale était bloquée au pont du Pavillon Bleu à la suite d'un accident. Il décida d'y retourner pour voir ce qu'il était arrivé et demanda à notre mère de l'accompagner. Comme mon plus jeune frère faisait un caprice pour aller avec eux, mon père décida de nous prendre tous les trois pour qu'il n'y ai pas de jaloux et nous nous engoufrèrent tous dans la "Licorne"*.
Le Pavillon Bleu était un Hotel-Restaurant situé à environ moins d'un km de chez-nous et à cet endroit la route formait un double S très dangereux à la sortie duquel se trouve le pont qui enjambe la voie ferrée. Mon père reprit la route côtière qui était déserte et nous arrivèrent au Pavion Bleu sans encombre, mais alors là tout changea, nous nous trouvèrent pris au milieu d'une cohue de soldats allemands et de civils français. Une véritable kermesse! L'accident était survenu à l'entrée du pont et impliquait les 3 motos que nous avions vu passer avec le "youpiii" d'un passager. Le virage est très dangereux, mais à grande vitesse il est mortel et c'est ce qui arriva aux motards. La 1ère moto s'engouffra entre l'entrée du pont et l'Hotel et plongea dans la voie ferrée en contre-bas, la 2e moto s'écrasa contre le parrapet, quand à la 3e elle réussit à redresser sa course et termina dans les tamaris de l'hotel. Avec mon frère je me faufilais entre les curieux et nous arrivèrent à l'extrémité sud du pont (l'accident s'était produit à l'extrémité nord). Nous vîmes alors un soldat allongé sur le parrapet, il était nu et un infirmier l'auscultait, puis ce dernier le recouvrit d'une couverture. En bas du pont nous pouvions voir une moto sur le remblais, le side-car détaché un peu plus loin et 2 soldats allongés dans l'herbe de la pente. Il y avait beaucoup d'excitation, des officiers s'agitaient et donnaient des ordres avec des voix gutturales que je n'avais jamais entendu auparavant. Enfin nous retournèrent auprès de nos parents et mon père décida alors qu'il était temps de rentrer à la maison.

De retour nous racontâmes à Amelia ce que nous avions vu et elle se contenta de répondre par un laconique "bueno" Il semblait que sa malédiction au passage des motards s'était réalisé et je me demandais s'il était possible qu'elle puisse posséder des pouvoirs maléfiques. De fait, chaque fois que nous évoquions en famille ou avec des amis les péripéties de cette journée, Amelia et la malédiction étaient toujours mentionnées dans la conversation.
Je ne me souviens plus exactement mot pour mot de l'imprécation qu'elle lança en basque aux motards allemands, mais en gros c'était: "Malaï que vous vous éclatez les c... au Pavillon Bleu!"
Tout le monde savait combien ce double virage qui plongeait vers St-Jean était dangereux et à la vitesse que les motards roulaient l'accident ne fut pas une surprise.

Personnellement, je pense que la malédiction lancée par Amelia et l'accident qui suivit fut le fruit du hasard, cependant notre père, un dur-à-cuire mais un tantinet supertitieux, a toujours pensé qu'Amelia avait "quelque chose de pas ordinaire".

Chose certaine, pour les allemands, leur arrivée à St Jean-de-Luz ne fut pas sans casse! Le journal local du lendemain fit état d'un mort et de 4 blessés.

Fin de cette première journée d'occupation.


* Pour les personnes qui ne connaissent pas cette marque, notre "Licorne" était une Citroën TA, modèle Licorne.
Celle de mon père, achetée neuve en 1939 était de couleur grenat, la grille du radiateur était jaune et sans les chevrons.

Elle nous fut volée quelques jours plus tard. Mon père la retrouva en 1946 (c'est mon frère qui l'avait reconnue), mais elle avait changé tellement de fois de propriétaires qu'il fut impossible à mon père de faire valoir ses droits malgré qu'il était en possession de la carte grise originale,


A la prochaine fois! ;)

Luzien


 

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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 4  Nouveau message de Prosper Vandenbroucke  Nouveau message 06 Aoû 2012, 22:53

Grand merci à toi Luzien.
C'est très poignant.
On attend la suite de ce passionnant récit.
Amicalement
Prosper ;)
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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 5  Nouveau message de fbonnus  Nouveau message 07 Aoû 2012, 08:26

Superbe !

J'attends la suite avec l'eau à la bouche !

Amicalement
« Alors mon petit Robert, écoutez bien le conseil d'un père !
Nous devons bâtir notre vie de façon à éviter les obstacles en toutes circonstances.
Et dites-vous bien dans la vie, ne pas reconnaître son talent, c'est favoriser la réussite des médiocres. »
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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 6  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 07 Aoû 2012, 20:04

Bonjours les amis!

Merci à Prosper et fbonnus pour leurs gentils commentaires.
Bon, je continu avec la suite de mes "Cahiers".
(Je viens de terminer de tondre mon gazon, qui n'a rien d'autre à faire que de pousser!)



La guerre à papa

Marié et père de 3 enfants, mon père fut appelé "sous les drapeaux" beaucoup plus tard que les autres contingents. Il séjourna pendant quelques temps à la caserne de Bayonne où nous lui rendîmes visite à quelques occasions. Je me souviens de lui avoir trouvé l'air ridicule avec son calot à pointes, ses godillots et ses molletières. Un vrai comique troupier !
Le jour du départ de son régiment pour le front, nous allâmes lui rendre une dernière visite à la gare St Esprit et après les dernières éffusions sur le quai, il sauta dans le train et le voilà parti.

La suite nous fut racontée par mon père. Ils se rendirent jusqu'à Angoulème où ils furent parqués dans les vieux bâtiments d'une caserne, attendant des ordres qui ne vinrent jamais. Puis un jour ils furent assemblés dans la cour où il leur fut annoncé que l'Armistice avait été signé et qu'ils devaient déposer leurs armes et attendre sur place. Leur colonel leur déclara que c'était un ordre qu'il se refusait à leur donner et qu'il leur laissait le choix: attendre sur place ou rentrer chez eux. La grande majorité, obéissant probablement à un sentiment de soulagement et pensant que de toute manière ils retrouveraient bien vite leurs foyers, décidèrent d'attendre. Quand à mon père, il décida de quitter aussitôt cette maudite caserne et prit la route à pied avec 2 basques, eux aussi impatients de quitter ces lieux. La route est longue d'Angoulème à St-Jean-de-Luz, en plus de ça mon père avait tout son barda sur le dos et son Lebel à l'épaule (il disait que c'était "son" Lebel et pas question de l'abandonner!).
Sur la NR10 ils se joignirent à des milliers de réfugiès et autres soldats de diverses unités qui fuyaient vers le sud. Cela formait sur des dizaines de kms un cortège hétéroclite de voitures, de charrettes tirées par des chevaux, d'autres tirées et poussées à main, le tout dans une cacophonie de cris et de klaxons. Quand un véhicule tombait en panne d'essence, il était poussé de côté et le cortège reprenait son avance. A plusieurs reprises ils furent survolés par des avions allemands à très basse altitude dans un vombrissement de moteurs. Et chaque fois cela déclenchait un mouvement de panique, des cris fusaient de partout et tout le monde se précipitait dans les fossés, se cachant derrière les arbres, jusqu'à ce que le calme revint et la marche reprenait.
Selon mon père ils ne furent jamais mitraillés, mais il entendit les témoignages de ceux qui avaient connus ces excès de l'ennemi contre les colonnes de civils. Mitraillage par des avions allemands selon certains, par des avions italiens selon d'autres.

Mon père et ses 2 compagnons marchaient depuis plusieurs kms quand une fourgonnette, ralentie par le traffic, s'arrêta à leur hauteur. Mon père s'adressa au conducteur et lui demanda s'il avait de la place à l'arrière pour un supplément de passagers. C'était un anglais avec sa femme et ses 2 fillettes qui regardaient mon père avec inquiètude. L'homme derrière son volant ne semblait pas rassuré non plus, mais devant les visages épuisés et peu patibulaires de ce restant de l'armée française en déroute et pris d'un élan de compassion il acquiesca et leur dit de prendre place à l'arrière.
En prenant place à l'intérieur mon père sentit une forte odeur d'essence et apperçu parmi les baggages plusieurs bidons d'essence. Il dit aussitôt à ses 2 camarades:
"Pas question de fumer ici! Avec ces vapeurs d'essence nous pourrions être transformé en "Toro de Fuego"!
Les anglais se rendaient à Bordeaux où ils pensaient pouvoir prendre un bateau. Il reprirent la route et après quelques kms, le traffic du début fit place à une circulation plus fluide. Arrivés à Bordeaux les 2 compagnons de mon père décidèrent d'abandonner la fourgonnette et poursuivre leur route par d'autres moyens, quand à mon père il prit le volant car il connaissait assez bien la ville.
Une mauvaise surprise les attendait au port, pas question d'embarquement pour les angliches! Il restait une autre solution, Bayonne à moins de 200kms au sud. Et les voilà à nouveau partis, mon père toujours au volant. Ils arrivèrent à Bayonne tard dans la nuit, aussi mon père leur proposa de venir chez nous à moins de 20kms où, à défaut de bateau, ils trouveraient gîte et couverts.
C'est ainsi que papa nous débarqua au milieu de la nuit, en tenue de campagne, avec des invités surprise. Ils étaient tous épuisés.
Très peu de temps après et avec l'aide de leur Consulat à Bayonne, les anglais prirent un des derniers bateaux à destination de l'Angleterre. Le jour du départ l'anglais dit à mon père qu'il lui laisserait la fourgonnette pour le remercier de son hospitalité, puis ils se rendirent à Bayonne et après les avoir aidé à transporter leurs bagages jusqu'au bateau et fais ses adieux, mon père retourna à l'endroit où il avait laissé la fourgonnette et alors, surprise... elle avait disparue!

C'est sur cet épisode que se termina la petite guerre de mon père, mais une autre allait commencer.


 

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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 7  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 07 Aoû 2012, 21:23

A part certains événements marquants, mes souvenirs des années 40 et41 étaient assez flous quand je commençais mes cahiers de "Mémoires".


Extraits des Mémoires d'un enfant durant l'Occupation:

- Une des premières choses que mon père du faire à son retour c'est de se faire officiellement démobiliser, ce qui fut fait sans problème par la Gendarmerie car l'administration allemande et le régime de Vichy n'étaient pas encore en place. C'était à ce moment-là un beau bordel comme il disait!
Sinon, pour les allemands il aurait été un "réfractaire" et pour les français un "déserteur"! -

- Les allemands avaient établi leur Kommandantur à l'Hotel de la Poste. Un grand drapeau à croix gammée pendait au-dessus de l'entrée et 2 sentinelles casquées étaient toujours de faction avec leur fusil baïonnette au canon. Ils n'avaient pas l'air commodes et chaque fois que nous passions devant l'hotel en nous rendant à l'école nous changions de trottoir. -

- Un jour 2 gendarmes vinrent chez nous pour confisquer le fusil Lebel que mon père avait ramené de la guerre. Nous ne sûment jamais comment ils avaient eu connaissance de ce fusil. Tout d'abord mon père refusa, déclarant que c'était "son" fusil, mais un des gendarmes qui le connaissait bien lui dit: "Ecoute Henri, faut pas faire le c.. avec ça, c'est assez pour les schleus de te coller au poteau, pense à tes enfants!" De mauvaise grâce mon père alla chercher le Lebel et le leur remis.
Cette fois la guerre était vraiment finie pour lui. -

- En cette fin du mois d'octobre nous apprîmes qu'un visiteur de marque allait être de passage: Adolph Hitler!
Le Führer en personne devait rencontrer Franco à Hendaye et son train passerait près de chez nous. Je ne sais pas comment cette nouvelle fut annoncée mais ce fut le sujet de toutes les conversations. En ce qui me concerne, le seul homme célèbre que j'avais vu à l'époque c'était Maurice Chevalier au cours d'une Kermesse à Biarritz. Mais Hitler c'était autre chose! Mon père disait que c'était un clown, pour Amelia il était tout simplement un "hijo de puta"!
Le jour arrivé et pour ne rien manquer du spectacle, nous décidâmes mon frère et moi de nous installer près de la voie-ferrée qui passe en contre-bas à environs 150m de chez nous.
Mais il nous fut impossible de nous en approcher, le pont était fermé et gardé et d'autres gardes, espacés d'une cinquantaine de mètres avaient pris position des 2 côtés de la voie ferrée sur une longue distance.
Nous nous installâmes alors en haut de l'escarpement et vîmes ainsi le train passer. Deux drapeaux à croix gammée étaient fixés en V sur le devant de la locomotive, d'autres drapeaux plus petits sur les toits de 2 ou 3 wagons. Le train passa dans un sifflement strident, tous les drapeaux claquant au vent. Les stores des fenêtres étaient baissés. Nous ne vîmes pas Adolph. -


 

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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 8  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 08 Aoû 2012, 20:41

Bonjour la compagnie!

Je ne peux pas parler des années de guerre et de l'Occupation sans parler d'Amelia qui vécu avec nous pendant plus de 3 année.
Elle était devenue une partie intégrante de notre famille et pour nous les enfants, un véritable pilier.

Luzien



Amelia

- Amelia était originaire de Bilbao en Pays Basque espagnol. Avec son époux elle fut très engagée politiquement du côté républicain pendant la guerre civile. Quand les franquistes envahirent cette partie de l'Espagne et Bilbao tomba en 1937, son mari fut arrêté et fusillé illico avec nombre d'autres républicains. Amelia et ses enfants se cachèrent un temps chez une de ses soeurs à Fontarabie avant de pouvoir s'enfuir en France. Je ne sais plus où et dans quelles circonstances mon père la rencontra, mais au printemps 1939 il leur donna refuge chez nous et l'aida à obtenir un statut de réfugiés pour elle et ses enfants.

Amelia était plutôt petite et sèche comme un sarment de vigne. Elle n'avait pas atteint la quarantaine, mais avec son visage buriné, marqué par le dur labeur et la souffrance, elle en paraissait 60. Nous l'aimions tous Amelia. Sous son aspect revêche et son tempérament ombrageux, se cachait une personne d'une grande douceur, extrêmement généreuse et dévouée. Mais malheur à celui ou celle qui provoquait son courroux! Ce petit bout de femme devenait un véritable ouragan, personne ne pouvait lui tenir tête, même pas mon père qui avait coûtume de dire qu'Amelia était la seule femme qu'il connaissait qui avait des "cojones".
Elle parlait un français mélangé de basque et d'espagnol et comme mon père parlait couramment l'espagnol, c'est dans cette langue qu'ils conversaient le plus souvent.
Trini qui avait 18 ans était aussi très douce et attentionnée avec nous. Quand à Mercedes, 14 ans (pobre nosotros !), elle était très orgueuilleuse et prétentieuse. Elle était très jolie et le savait, elle passait son temps à s'admirer devant son miroir en coiffant ses beaux cheveux noirs comme du jais. Elle nous traitait avec mépris comme si elle était l'Infante d'Espagne !
Mais nous avions toujours une petite vengeance en réserve.
Quand à Rufino qui était un peu plus vieux que moi, il n'était pas très dégourdi, plutôt chialeur et nous lui en faisions voir de toutes les couleurs.

Mais si notre vie poursuivait son cours, la guerre -hélas- aussi ! -


Les restrictions

- Les premières denrées à faire défaut furent: le café, le sucre, la viande et les matières grasses, en particulier le beurre dont je ne vis pas la couleur avant bien des années.
Avec l'arrivée de l'hiver un tour de vis supplémentaire fut donné aux restrictions, mais dans l'ensemble nous ne fûmes pas trop à plaindre car nous avions des poules, canards, lapins et surtout notre dernier cochon tué avant Noël.

Par contre ce qui fut le plus dur, fut l'instauration du couvre-feu et le "blackout". Jamais je n'avais vu des nuits aussi noires! Seule la lune servait de lampadaire, mais cela n'était pas d'une grande utilité puique nous ne pouvions sortir. Les véhicules civils autorisés à circuler la nuit avec un "ausweis" (police, docteurs, etc...), avaient leurs phares peints en bleus avec une une fente d'environ 2-3cm pour éclairer la chaussée. Les feux rouges étant aussi interdit, l'arrière du véhicule et le bas des ailes devaient être peints en blanc pour se refléter à la lumière d'une voiture venant de l'arrière. Même scénario pour motos et vélos.
Dès la nuit tombée, la défense passive était à l'oeuvre pour s'assurer qu'aucune lumière ne fut visible des demeures.
Les membres de la défense passive étaient des civils coiffés du casque Adrian peint en blanc avec un grand DP noir sur le devant et quand ils voyaient de la lumière s'échapper d'une maison, c'était aussitôt un concert de sifflets. Nos fenêtres étaient munies de contre-vents qui ne laissaient pas échapper la moindre lueur, mais pour la porte d'entrée dont la partie supérieure était de verre dépoli, nous utilisions une couverture, même chose pour une petite fenêtre de la cuisine et une autre dans la salle de bain.
Puis se furent les coupures d'électricité! Tout d'abord la lumière s’éteignait une seconde puis se rallumait, ce manège se répétait 3 fois, puis la troisième fois la lumière demeurait environ 2 minutes (pour permettre au gens de préparer leurs lampes à pétrole, à acétylène ou bougies) puis s'éteignait pour de bon.

L'hiver cela faisait des soirées longues et lugubres à écouter des rengainas à la la radio. -


 

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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 9  Nouveau message de Prosper Vandenbroucke  Nouveau message 09 Aoû 2012, 19:39

Bonjour et merci pour ce passionnant récit mon cher Michel,
J'ai bien eu ton MP et je me permets de mettre en ligne, la photo ainsi que la légende de celle-ci:

Image

La plage d'Erromardie à proximité de laquelle nous vivions pendant la guerre. Notre maison (pas visible) est situé en retrait et à environ 300 mètres du bois de pins à gauche sur la photo.
Toutes ces maisons n'existaient pas à l'époque, il n'y avait que des champs, des bois de chênes et 2 ou 3 fermes.
Le tourisme a tout détruit
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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 10  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 09 Aoû 2012, 21:19

Hello Prosper et merci d'avoir reproduit ma photo d'Erromardie!
Je ressors les cahiers aux souvenirs. Le problème avec mes souvenirs, c'est que parfois j'ai fait des erreurs de chronologie. Enfin, qu'un fait ce soit produit avant ou après un autre ne change absolument rien au fait.



Hiver 1940-41

- Je pense que c'est vers la fin de 1940 que les allemands commencèrent à réquisitionner les véhicules dont ils avaient grand besoin (camions et autobus). Mon père était sociétaire d'une compagnie d'autobus qu'il avait fondé en 1938 avec d'autres partenaires et du jour au lendemain leurs autobus furent réquisitionnés. Les "réquisitions" qui étaient un véritable pillage organisé se portèrent aussi sur les chevaux et particulièrement les chevaux de trait, car une grande partie des fournitures destinées à l'armée se faisait par ce moyen de transport.
Donc plus d'autobus! Nous rendions à l'école située à environ 3 kms de chez nous à pied. Nous partions en bande, faisant équipe avec les enfants des fermes Emilénia, Ametzague et Urtaburru, ce qui représentait un groupe de 9 (4 filles et 5 garçons).
Pour réduire la distance nous empruntions la voie-ferrée et marchions en cadence sur les travées qui supportaient les rails en chantant des chants de marche.

Mon père ouvrit alors un atelier de cycles à Ciboure. Le vélo, mon paternel il connaissais ça! Ancien coureur cycliste dans sa jeunesse il était aussi un excellent mécanicien. Dès le début son affaire marcha bien et pour cause! Les vélos étaient en grande demande, le seul problème étaient la difficulté d'obtenir des pièces de rechange et surtout des pneus. Pour les pièces de rechange, mon père devait se livrer à un véritable cannibalisme sur d'autres vélos. Il achetait ou récupérait tous les vélos hors d'usage et ainsi avec 2 ou 3 vélos il arrivait à en "monter" un. Je ne me souviens plus exactement comment cela se passait pour les pneus dont le "rationnement" était plus sévère, je me souviens seulement qu'il avait une "allocation" de 2 ou 4 pneus/mois. Je me souviens aussi d'avoir vu des vélos dont les pneus étaient remplacés par des tuyaux de caoutchouc et d'autres équipés de jantes de bois avec des bandes taillées dans de vieux pneus. Pour tout le monde c'était le bon vieux système D.
En plus de la vente mon père faisait aussi la location de vélos (à l'heure ou à la journée) et parmi ses clients ils y avait à l'occasion des soldats allemands! Mais pour les Frizés, c'était plus chéro!

Cet hiver fut d'autant plus pénible pour moi à cause des engelures dont je fus victime. Le littoral basque n'est pas excessivement froid l'hiver, mais très humide.
Cet hiver donc j'avais de la peine à marcher avec mes pieds aux orteils enflés. Fini le temps où nous nous rendions à l'école en voiture ou en autobus. Mon père avait bien acheté une C-4 après le vol de sa Licorne, mais faute d'essence pas question de l'utiliser et elle demeurait, recouverte d'une bâche, l'essence que contenait encore le réservoir ne pouvant étre utilisée qu'en cas d'urgence.

Tous les jours au retour de l'école, Amelia me baignait les pieds dans une bassinette d'eau tiède... avec les chaussettes, car celles-ci étaient collées à mes orteils par les suppurations qui coulaient des crevasses. Ensuite après m'avoir délicatement séché les pieds elle les frictionnait avec de l'huile d'olive.
L'huile d'olive était un produit miracle pour Amelia, elle lui attribuait tous les bienfaits imaginables! Elle l'utilisait pour les brûlures, les coups de soleil, les démangeaisons, etc... Elle nous en mettait dans les oreilles, sur les lèvres. Elles nous en faisait avaler une cuillerée à café pour les maux de gorge, une cuillerée à soupe pour la constipation! Mon père avec son humour béarnais, lui déclara un jour que pour la constipation elle devrait nous l'appliquer à un autre endroit. Cela déclencha la colère d'Amelia qui le rabroua d'importance, "Es un hombre que disgusta!", lui lança-elle les yeux fulgurants.

Un soir que mes orteils étaient plus rouges et gonflés que d'habitude, Amelia secoua la tête en signe de découragement et dit en s'adressant à ma mère: "Mayi, cé oun péché d'envoyer cé péquinio à l'escuela"!
Ma mère examina mes pieds et d'accord avec mon père ils décidèrent que je resterai à la maison jusqu'à ce que mon état s'améliore. J'étais aux anges. -
Dernière édition par Luzien le 09 Aoû 2012, 21:21, édité 1 fois.


 

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