Post Numéro: 65 de Luzien 21 Sep 2012, 19:28
Bonjour Albert,GBW !
Se souvenir de certains épisodes dramatiques de la Guerre et de l'Occupation n'est pas toujours chose aisée.
Aujourd'hui, avec le recul du temps, il est très facile pour beaucoup d'épiloguer avec des "si", particulièrement ceux qui n'ont pas connu cette triste époque.
Personnellement il me fallu plusieurs années, par le truchement de livres et de documentaires, pour mieux comprendre ce que nous avions vécu et pourtant, comparativement aux pays de l'Europe de l'Est, l'Occupation en France fut plus "supportable".
J'en arrive maintenant à la période la plus noire de l'été 42.
La catastrophe!
- C'était un après-midi quand un homme arriva à vélo et tout de suite je le reconnu, c'était Gaston celui qui m'avait ramené de Biarritz l'année auparavant. A ce moment-là nous n'avions pas vu notre père depuis l'avant-veille mais nous ne nous faisions pas trop de souçi, ce n'était pas la première fois que son absence durait 2 jours voire plus. Mais Gaston avait de mauvaises nouvelles pour nous, papa avait été arrêté!
Cela produit l'effet d'un coup de tonnerre sur nous. Gaston ignorait encore les détails de son arrestation, il tenait simplement l'information d'un douanier qui connaissait bien notre père et qui lui avait dit que ce dernier avait été arrêté la veille sur la frontière avec le jeune Goyo et que tout les deux avaient été expédiés à Biarritz. Nous étions attérés, nous avions toujours vécu dans la crainte d'un tel moment, priant que cela ne se produise jamais et voilà que la catastrophe s'était produite!
Gaston tenta de nous rassurer mais ce fut peine perdue, nous ne pouvions que pleurer. Il nous demanda alors où demeurait Marijane car il avait à lui parler, nous lui indiquèrent la "Maison Penin" et aussitôt il enfourcha son vélo et nous quitta.
Pendant que Gaston se rendait chez Marijane nous entrèrent dans notre maison complétement effondrés. Claude murmura alors: "Pourvu qu'il ne soit pas tombé entre les pattes de la Gestapo!" A cette évocation de la Gestapo je senti une boule de glace dans le creux de mon estomac.
A son retour Gaston nous dit qu'il avait expliqué la stuation à Marijane et cette dernière lui avait promis qu'elle veillerait sur nous. Il lui avait remit de l'argent et elle prendrait nos rations de pain à la boulangerire du Quartier de l'Hôpital, aussi il nous rappela que nous devrions lui remettre nos 'Cartes de Ravitaillement'. Gaston nous promis aussi qu'il viendrait de temps en temps prendre de nos nouvelles et s'assurer que tout allait bien. Puis après quelques mots d'encouragement, il enfourcha son vélo et nous quitta. Nous nous retrouvâmes seuls. Gilbert se remit à pleurer et à crier, Claude et moi tentèrent de le calmer alors que nous-mêmes étions au bord de succomber à la même panique.
Pour nous cette situation avait quelque chose de tragique, pour la première fois nous eûmes le sentiment d'être abandonnés et personne vers qui nous tourner. Nous étions sans nouvelles de notre mère et de notre tante Jeanne qui étaient dans les Landes, notre oncle Michel (mon parrain) avait disparu et nous avions entendu dire qu'il était "passé" en Espagne, notre oncle Jean lui aussi avait disparu et notre oncle Alexandre était mort quelques mois plus tôt (des suites de ses blessures reçues pendant la guerre civile espagnole). Si nous avions eu Amélia! Avec elle nous aurions pu tout affronter.
Les jours suivant furent terribles, nous restions à la maison, nous refusant d'aller nulle part. Le soir nous fermions portes et fenêtre à double tour, nous vivions dans une continuelle angoisse et même la hache à fendre le bois que Claude gardait sous notre lit ne nous apportait que peu de quiétude. Si seulement nous avions Moyo!
Nous étions seuls. Marijane était une brave femme, mais elle avait à s'occuper de ses 2 frères en plus d'autres tâches, aussi nous considérâmes qu'il nous incomberait de nous occuper de nous-mêmes. -
Chapardages et braconnage
- La période qui suivit fut sans aucun doute la plus noire que nous connûmes durant toute l'Occupation, nos maigres rations ne suffisaient pas à calmer notre faim, il nous manquait toujours quelques bouchées et nous nous couchions le soir sur un ventre creux sachant qu'au lever nous nous retrouverions au même point. Quand Marijane s'informait sur notre situation nous lui mentions, pour rien au monde nous aurions confessé notre détresse. Un jour Gilbert suggéra que peut-être nous devrions demander quelque chose à manger à Marijane ou à Madame Jean. Claude alors l'agrippa par un bras et lui cria au visage: "Nous ne sommes pas des mendiants! Si tu fait une chose pareille je te casse les reins!" Il n'eut pas à le répéter.
Nous commençâmes alors à nous "organiser" pour subvenir à nos besoins, nous "visitions" les champs de cultures des environs, du côté de "La Seigneurie", de l' "Hayatz" et d' "Urtaburru". Nous mettions cependant un point d'honneur à ne pas "visiter" les champs de nos voisins immédiats, y compris "Emilénia" contre qui nous avions une dent depuis le jour où ils avaient refusé de nous vendre de leur lait. Heureusement que pour le lait nous pouvions toujours compter sur la ferme "Atmetzague" et quand nous rendions visite aux enfants, leur mère nous donnait quelques taloas (galettes de maîs).
Nos "razzias" nous procuraient des choux, des betteraves, des topinambours. Rien qui puisse exciter un gourmet mais nous n'avions pas le luxe de faire la fine bouche. Parfois nous nous enhardissions à pénétrer dans un potager, ces derniers étant malheureusement situés près des habitations nous devions alors utiliser des ruses de sioux pour faire provision de quelques maigres légumes de fin de saison. Les fruits aussi devinrent une part importante de notre alimentation, pommes et poires abondaient un peu partout, nous avions nous mêmes pas mal d'arbres fruitiers, malheureusement nous n'attendions pas leur maturité pour les consommer, aussi nous attrapions des "courantes" carabinées!
C'est surtout le manque de pain qui nous affectait le plus, à cette époque nos rations se résumaient à une grosse tartine pour 2 jours, autant dire que nous n'atteignions jamais la limite. Nos "razzias" nous permettaient d'emplir nos estomacs, mais sans jamais complétement calmer notre faim.
En plus de nos chapardages dans les champs et potagers, nous posions des collets et à quelques occasions cela nous permis d'améliorer notre ordinaire. La chasse étant interdite la population en lapins et lièvres s'était décuplée. Nous n'étions pas experts dans l'art du braconnage, mais un peu d'observation et un fil-de-fer était suffisant, le reste était une question de chance. Je me souviens de notre premier lièvre victime d'un de nos collets. Quel triomphe ce fut! -