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Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Retrouvez ici toutes les histoires vécues et les récits de guerre. Déposez ici les témoignages en votre possession sur la vie pendant le conflit. C'est un pan important du devoir de mémoire cher à notre forum.

Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 71  Nouveau message de Aldebert  Nouveau message 26 Sep 2012, 11:35

Luzien a écrit:
Aldebert a écrit:Bonjour,
Quand le soldat allemand vous lançait les pommes de pins, les Pinas (sans tilda) devaient se répandre par terre. Non?
Comment preniez vous donc l'apéro sans Pinas (sans tilda) :mrgreen:

:|

Bonjour Michel
Je me suis mal exprimé et je te prie de m'excuser :oops:

Dans les pignas il y a des pignons , de grosses graines qui peuvent s'échapper de leur logement si on les bouscule. Les Espagnols en sont très friands et les servent en même temps que l'apéritif. C'est la Kémia des Pieds-noirs et les amuse-gueules des Métropolitains.
Pour la tilda, on dit plus couramment tilde (le petit S horizontal qui fait gne disposé sur un n, mais ça tu le savais ;)
A te lire Michel
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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 72  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 26 Sep 2012, 19:59

Aldebert a écrit:Dans les pignas il y a des pignons , de grosses graines qui peuvent s'échapper de leur logement si on les bouscule. Les Espagnols en sont très friands et les servent en même temps que l'apéritif. C'est la Kémia des Pieds-noirs et les amuse-gueules des Métropolitains.
Pour la tilda, on dit plus couramment tilde (le petit S horizontal qui fait gne disposé sur un n, mais ça tu le savais ;)
A te lire Michel


Quand nous ramassions des piñas nous ne nous attardions pas trop à chercher les pignons, d'autant plus que les écureuils étaient déjà passés par là. ;)


 

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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 73  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 26 Sep 2012, 21:45

Bonjour les lointains!

Bon, revenons à nos moutons:



Marijane

- L'espoir apporté par Gaston quelques jours auparavant d'une possibilité d'une libération prochaine de notre père, s'était amenuisé avec les jours passant sans nous apporter rien de nouveau, en conséquence, de gonflés d'espoir nous connûmes une nouvelle période d'effondrement côté moral.
Plus que les privations, la solitude était dure à supporter. Aussi, de temps en temps, en plus des "journées de pain", nous allions rendre visite à Marijane.

Marijane était une très bonne personne, toujours pleine de gentillesses envers nous, elle avait toujours quelque chose à nous donner, un bol de soupe, un morceau de fromage ou une tranche de méture.
Marijane était veuve et vivait avec ses deux frères dans la "Maison Penin" où nous avions nous même occupé l'étage supérieur avant de nous installer à Clo-Mi-Gi. Nous aimions beaucoup ses deux frères, Jean-Pierre et Dioché (de son vrai prénom Joseph), deux hommes robustes dans la quarantaine, célibataires, bûcherons de leur état et qui riaient de nos accents.
Jean-Pierre était l'aîné, engagé volontaire à 17 ans, il avait fait toute le guerre de 14-18 dans l'infanterie et nous admirions toutes ses médailles à l'intérieur d'un cadre pendu au mur. Dioché était plus petit que son aîné mais tout aussi costaud. Il était en outre affecté d'un problème d'élocution et parlait très peu. Les gens du quartier faisaient allusion à lui en disant "le muet", mais nous savions que c'était faux, Dioché pouvait s'exprimer, il suffisait de l'écouter patiemment et ignorer ses bafouillages.

Les deux frères étaient fiers de leur métier de bûcheron et toujours vêtus de façon traditionnelle: pantalon et veste de velours noir côtelé, ceinture de flanelle, chemise blanche sans col, gilet de moire noire. Il étaient toujours chaussés de brodequins sur lesquels ils ne ménageaient pas le cirage! La fierté de leur métier pouvait se voir à la façon dont ils traitaient leurs haches et cognées, pour eux ce n'étaient pas de simples outils de travail, mais les symboles de leur état et ils ne les rangeaient pas dans leur cabanon à outils, mais dans des râteliers fixés dans le vestibule de l'entrée. Ils les affûtaient, les polissaient, les astiquaient avec amour. Parfois ils nous laissaient les toucher, les soupeser, en vérifier le tranchant du bout du doigt et nous pouvions voir alors une lueur d'orgueil dans les yeus de ces deux hommes au naturel si simple.
En ce moment les deux frères travaillaient sur une "coupe" pour les allemands, non pas qu'ils fussent en rien des collaborateurs, pour eux travailler pour les français ou les allemands ne faisait aucune différence, ils étaient des bûcherons et abattre des arbres était leur métier, qu'importe pour qui !

Ce jour-là nous étions chez Marijane, c'était une journée pluvieuse, Jean-Pierre et Dioché étaient aussi présents, seule la pluie pouvait les retenir à la maison. Marijane finissait la préparation d'une méture et après l'avoir enveloppé dans une feuille de chou elle mit cette dernière au four en gardant celui-ci ouvert.
Claude et moi étions assis autour de la table avec Jean-Pierre et Dioché. Je lisais le journal à voix haute pendant que Gilbert dans un coin n'avait d'yeux que pour la méture qui cuisait dans son four et dont nous pouvions déjà sentir les émanations.
Marijane avait fréquenté l'école dans sa jeunesse, mais ses deux frères, comme beaucoup d'autres des régions rurales, avaient passé leurs journées à travailler dans les champs et vignobles, à conduire des attelages de chevaux ou de boeufs, aulieu d'apprendre à lire et écrire avec les autres enfants aux parents plus fortunés.
Pour ma part, j'ai appris à lire très jeune et j'avais un don naturel pour la lecture, faisant bon usage des ponctuations et intonations. Jean-Pierre et Dioché m'écoutaient religieusement et si Marijane commençait à dire quelque chose, Jean-Pierre levait la main pour lui intimer silence et l'empêcher de m'interrompre. Comme ils n'avaient pas de radio, la lecture du journal était le seul moyen de savoir ce qui se passait ailleurs. Après avoir lu les nouvelles locales, c'était celles de la guerre où il était beaucoup question du front russe. Il était aussi question des bombardements par les "bandits britanniques" et surtout des "terroristes" qui faisaient sauter les voies-ferrées, embusquaient les soldats allemands et faisaient mourir des civils innocents. Ça Jean-Pierre ne l'admettait pas, il disait que ces terroristes étaient des "anarquistas"!
Comme Monsieur Jean, comme la beaucoup de vétérans de la Grande Guerre, Jean-Pierre vénérait le Maréchal Pétain. Selon lui, si la France avait été vaincue en 1940, c'était par la faute de politiciens et de généraux incapables. Si les soldats français avaient fait leur devoir comme lui et tant d'autres l'avaient fait en 14-18, nous n'en serions pas là aujourd'hui!
Il n'approuvait pas l'Armistice mais pensait que le Maréchal n'avait pas eu d'autres choix et que la faute en incombait à ceux qui nous avaient gouverné avant la guerre! Dioché ne disait rien mais approuvait par des hochements de tête les paroles de son aîné.

Finalement Marijane annonça que la soupe était prête à être servie, ce qui mis un terme à ma lecture du journal et aux commentaires accerbes de Jean-Pierre.
Pour nous, habitués à nous nourrir d'expédients, cette soupe de choux avec quelques patates, aggrémentée d'un os de jambon, fut un délice. Nous en dévorèrent chacun un plein bol et pour clore nous eûmes en plus une portion de méture!
C'est l'estomac bien garni que nous retournâmes à Clo-Mi-Gi et... notre solitude.


 

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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 74  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 31 Oct 2012, 22:14

Bonjour toutes et tous! :)

Me voici de retour parmi vous après quelques semaines d'absence.
Il est temps de reprendre la suite de mes Souvenirs.



La fin du cauchemard


- Puis le jour tant attendu arriva. Nous entendîmes un véhicule rouler sur les graviers de l'allée, puis un coup de klaxon sonore. Nous nous précipitâmes et nous nous trouvèrent face à face avec notre père qui venait de descendre d'une camionnette au volant de laquelle se trouvait un Gaston souriant de toutes ses dents.
Ce fut un grand moment d'émotions pour nous tous, nous ne savions si nous devions rire ou pleurer.
Notre père nous paru pâle et amaigri mais cependant en bonne condition. Les éffusions terminées nous l'accablâmes de questions, il y avait tellement de choses que nous voulions savoir sur son arrestation, puis sa détention.
Il nous déclara qu'il nous raconterait tout dans le détail plus tard mais que pour l'instant il avait beaucoup de choses à faire. Tout d'abord il alla saluer Mr et Mme Jean puis fit une visite à Marijane, ensuite il se rendit à St.Jean avec Gaston nous promettant qu'il serait vite de retour. Nous demeurâmes à Clo-Mi-Gi dévorés d'impatience, nous demandant si tout cela était bien vrai, si notre cauchemard était vraiment terminé!
Enfin, quelques 2 heures plus tard notre père fut de retour, mais seul cette fois ayant fait le trajet à vélo et il apportait avec lui des provisions dont nous avions grand besoin.
C'est après notre repas ce soir-là qu'ils nous raconta ses mésaventures. -


L'arrestation:

Ce jour-là il était parti en fin d'après-midi avec le jeune Goyo dans la camionette de Gaston et à notre grande surprise nous apprîmes que notre chienne Moyo était avec lui!
Après avoir franchi le Col de St.Ignace et passé Sare, Gaston les déposa à proximité d'un sentier et ils continuèrent leur route à pied. Il franchirent la frontière à la nuit tombée avec un groupe de personnes. Comme nous lui demandions qui ces "personnes" étaient, il nous répondit simplement: "des gens". Nous n'insistâmes pas!

La frontière franchie ils laissèrent les "gens" dans une "venta" et ils en profitèrent pour faire l'achat de conserves et autres denrées.
Au lever du jour, après avoir pris un peu de repos, ils prirent le chemin du retour.
Ils étaient à environ 200m de la frontière et marchaient parmi les touyas quand Moyo se mit à gronder. Ne voyant rien de suspect et pensant que Moyo avait flairé un renard ou un lièvre -car étant toujours en territoire espagnol il ne pouvait s'agir d'une patrouille allemande- mon père se pencha sur la chienne pour la calmer et quand il se redressa il se trouva face à face avec 2 carabinieros qui pointaient leurs fusils sur lui et Goyo. Ils étaient faits.
Bien cachés parmi les touyas les 2 carabinieros* leur avaient tendu une belle embuscade.

Le premier instant de surprise passé, notre père fit "contre mauvaise fortune bon coeur", faisant le deuil de ses marchandises et de l'argent qui lui restait, mais il demeurait persuadé que ces pirates les laisseraient ensuite pousuivre leur chemin, quitte à se faire prendre ailleurs. Mais il déchanta quand les carabinieros leur ordonnèrent de venir avec eux et prirent la direction de Dancharinea. Notre père, parlant parfaitement l'espagnol, tenta de plaider sa cause et celle de Goyo, mais rien n'y fit. Ils étaient probablement tombé sur les 2 seuls carabinieros honnêtes de ce côté de la frontière!

Avec leur escorte ils arrivèrent au village frontière de Dancharinea. Les 2 carabinieros conduisirent leurs 2 captifs au poste frontière espagnol, Moyo suivant docilement. Après avoir été délestés de leurs sacs, deux autres carabinieros les prirent en charge et ils se dirrigèrent vers le pont et Dancharia situé de l'autre côté. Les dernières illusions de notre père s'envolèrent, côté français le poste de douane était occupé par des douaniers français, mais aussi par des"mobiles" et des soldats allemands.

Pour mon père il ne fit aucun doute que les carottes étaient cuites! -

(à suivre)


* Ces carabinieros étaient l'équivalent de nos gardes-mobiles, ils patrouillaient le versant espagnol de la frontière et leur rôle était avant tout de remettre aux autorités allemandes tous ceux qu'ils capturaient aprés qu'ils eus traversé la frontière: contrebandiers, dissidents, évadés, etc... Si l'Espagne n'était pas en guerre, elle était alliée de l'Allemagne et les franquistes jouaient bien leur rôle de complice.
Ces carabinieros étaient aussi de vrais pirates agissant souvent pour leur propre compte, mal payés, mal nourris, mal vêtus, ils se contentaient de dévaliser leurs victimes, saisissant leurs marchandises mais aussi argent, bijoux et autres valeurs.
ls dépouillaient ceux (ou celles) qui tombaient entre leurs mains, pour ensuite les remettre aux allemands ou dans le meilleur cas, les renvoyer de l'autre côté de la frontière et les abandonner à leur sort. Certaines personnes subirent cette dernière expérience plusieurs fois!


 

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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 75  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 11 Nov 2012, 18:58

Bonjour à toutes et tous en cette journée du Souvenir! :)

Michel



L'arrestation (suite)

Il était environ midi quand près avoir remis leurs prises aux gardes allemands les espagnols s'en retournèrent de leur côté de la frontière. A ce moment-là, Moyo qui jusqu'alors s'était tenu docile se mit à gronder en découvrant ses crocs de façon inquiétante. Un des soldats cria quelque chose et pointa son arme vers l'animal, aussitôt un des douaniers qui connaissait bien mon père saisi Moyo par son collier, puis s'adressant à ce dernier il lui dit: "T'en fait pas Henri, j'en prendrai bien soin." *

Les allemands conduisirent leurs 2 captifs au poste des douanes où après avoir saisi leurs papiers d'identité ils les enfermèrent dans 2 pièces différentes. Notre père se retrouva ainsi dans une salle vide où il lui fut ordonné de se placer debout face au mur tandis qu'un garde prenait place sur une chaise la mitraillette posée à plat sur ses cuisses et le calvaire commença. Il demeura dans cette position jusqu'au lendemain matin, soit une vingtaine d'heures, sans sommeil et sans nourriture! Les gardes se relayaient environ toutes les heures et malgré ses supplications ne lui permettaient même pas d'aller soulager les besoins les plus naturels, répliquant chaque fois à ses demandes par: "Stille!" Aussi après d'interminables moments de supplice il dut se satisfaire sur place, ce qui fut très humiliant. Heureusement comme il ajouta, que ce n'était pas la "grosse commission"!
Il eut cependant quelques moments de répit quand un des gardes, faisant preuve de compassion, lui permis de s'asseoir à même le plancher et reposer ainsi ses pauvres jambes. Quand des pas se faisaient entendre dans le couloir il lui criait à mi-voix: "Tebout! Schnell! Schnell!" Notre père reprenait aussitôt sa position debout jusqu'à ce que le danger fut passé.
Le matin arriva et avec un groupe d'hommes qui pénétra dans la pièce, il y avait un officier qui semblait très jeune, au regard extrêmement perçant et 2 civils qui sentaient la gestapo à 1km !
S'adressant à l'officier, notre père commença à protester sur la façon dont il avait été traité, mais avant qu'il n'ai pu terminer sa phrase l'officier hurla: "Pas parler"! Et joignant le geste à la parole le giffla avec une telle violence que notre père en vit 36 chandelles. Déjà épuisé il chancela et eu du mal à recouvrer son équilibre. En d'autres circonstances il aurait put écraser d'une seule main ce freluquet comme une vulgaire mouche, mais avec la présence du garde armé qui pointait sa mitraillette sur lui, il n'eut d'autre solution que de ravaler sa rage et son humiliation. L'officier donna un ordre et les 2 gestapistes se saisirent de lui, lui passèrent les menottes puis le conduisirent à l'extérieur. L'air encore frais du matin lui fit le plus grand bien, il apperçu alors Goyo la mine pâlotte, lui aussi sous bonne garde et tout deux furent poussés à l'arrière d'une fourgonnette qui démarra aussitôt. La présence des gardes les empêchèrent d'échanger le moindre mot, mais ils avaient déjà préparé leur histoire "en cas".

Ils furent conduits à Biarritz, à la "Villa Blanche" qui était le siège de la Gestapo où notre père fut soumis à un intérrogatoire en règle agrémenté de solides claques et autres douceurs, mais il ne démordit pas de son "histoire", jurant sur tous les dieux du ciel que Goyo et lui avaient franchi la frontière uniquement pour acheter des vivres pour leurs familles. Cela dura 2 jours, puis contre l'avis des gestapistes français qui voulaient pousser l'intérogatoire plus en "profondeur", les allemands furent convaincus qu'il ne se livrait pas à d'autres activités moins "gastronomiques" et décidèrent de le remettre aux autorités françaises. Au moment de quitter la Villa Blanche pour Bayonne où il passerait en jugement, celui qui semblait être le chef des gestapistes français lui glissa le regard dur et d'un ton si mauvais qu'il en eu froid dans le dos: "Nous t'avons à l'oeuil, on se reverra!"

Il fut condamné à 2 mois de prison, qu'il purgea au Châteauneuf de Bayonne.

Finalement il l'avait échappé belle!

Michel


* Aussi paradoxal que cela puisse parraître, des liens amicaux existaient souvent entre douaniers et contrebandiers. Chez les frontaliers la contrebande a toujours été notoire et pas considéré comme un crime mais plutôt comme un "passe-temps". Avec la guerre cela devint une nécessité.
Notre père avait beaucoup de "connaissances" chez les gabelous avec qui il avait joué au jeu du chat et de la souris à un moment ou un autre.


 

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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 76  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 11 Nov 2012, 20:54

La vie reprend

- Après quelques jours de repos à la maison notre père décida qu'il était temps de résumer ses activités et retourna à son atelier de cycles où après plus de 2 mois d'absence le travail en souffrance ne manquait pas. Pendant quelques temps il rentra régulièrement à la maison avant le couvre-feu.
Pour nous les longues semaines de solitude et d'incertitude avaient pris fin. Nous eûmes à faire face à d'autres problèmes, les aléas et dangers de l'Occupation n'étaient pas hélas terminés et les privations firent encore partie de notre quotidien, mais nous ne connûmes plus ce sentiment d'abandon et les angoisses qui furent les notres durant ces semaines noires de l'été 1942.
Pendant les quelques jours que notre père demeura avec nous pour récupérer -une des rares occasions que nous eurent d'être ensemble- nous lui contâmes en gros et en détails ce que fut notre vie pendant son absence, passant évidemment sous silence certaines de nos actions. Jusqu'au jour où, cherchant un outil dans le garage, il découvrit le sac d'oignons que nous y avions remisé. Nous n'eurent pas d'autres alternatives que de lui avouer comment le-dit sac était venu en notre possession. Cela ne lui fit guère plaisir de nous imaginer entrain de piller un camiom de l'Intendance allemande, mais au fond il sembla plus amusé que fâché, mais nous recommanda de ne plus nous amuser à ce petit jeu à l'avenir.

Nous étions à la mi-octobre et un nouveau spectre se présentait à l'horizon... l'école !
Les classes avaient reprises au début d'octobre, mais à cause d'un problème de réorganisation (des écoles ayant été fermées) des dizaines d'écoliers -dont nous, ceux d'Ametzague et d'Urtaburu- devaient attendre fin octobre ou début novembre avant d'entamer une nouvelle année scolaire. Ce délai n'était pas pour nous déplaire et cette fois c'était promis, juré, nous aurions chacun notre vélo!

En attendant nous nous occupâmes à faire des provisions de bois en prévision de l'hiver. C'était un travail ardu, nécessitant parfois des heures de marche pour ramener quelques fagots. Nous rôdions aussi près du piñada, glanant quelques pignas et des écorces résineuses de pins que nous appelions "allume-feu". Pendant que Gilbert faisait le guet, Claude et moi rampions sous les barbelés de l'enceinte et nous emplissions frénétiquement nos sacs, craignant à chaque instant de nous faire interpeller par une sentinelle qui serai moins gentille que celle qui nous avait surpris quelques semaines auparavant.

Les journées demeuraient belles et ensoleillées, aussi un jour Claude et moi nous décidâmes de nous rendre à la plage d'Erromardie, nous n'y avions pas mis les pieds de puis l'arrestation de notre père, nous réfugiant dans notre solitude et nous éloignant peu de Clo-Mi-Gi. La plage nous manquait, mais aussi Helmut et c'était probablement lui que nous étions le plus désireux de voir. Nous dîmes à Gilbert que nous allions "localiser" du bois et qu'il pouvait demeurer à la maison, ce qu'il accepta sans ronchonner, battre la campagne n'avait jamais été excitant pour lui.
Retrouver l'odeur de l'océan et entendre les vagues s'écraser sur les rochers nous combla d'aise, mais une surprise nous attendait, les allemands avaient installé des fils-de-fer barbelés sur le mur séparant la plage de la route côtière, impossible de l'escalader! Pour accéder à la plage il nous fallait maintenant emprunter un passage situé près de l'ancienne gare de tramway que les allemands avaient transformé en poste de garde.
Prenant notre air le plus innocent, nous ignorâmes les soldats qui taînaient le long de la route, franchîmes le passage et nous nous retrouvâmes sur la plage. Quelques soldats allongés sur le sable profitaient des derniers beaux jours, mais nous ne vîmes pas Helmut, peut-être était-il de service à sa batterie. Nous nous dirigâmes vers l'extrémité nord de la plage qui était notre coin favori et où nous le rencontrions le plus souvent, mais toujours pas d'Helmut.
Comme nous retournions vers la route nous apperçûmes alors un soldat qui nous était familier, il était très grand, maigre, portait des lunettes et nous l'avions vu parfois en compagnie d'Helmut. Nous nous approchâmes de lui, un peu embarrassés et lui demandâmes "où était Helmut"? Le soldat nous regarda sans comprendre, émettant seulement un "Was?". Nous insistâmes en répétant à plusieurs reprises: "Helmut, Helmut"? Finalement le soldat parut comprendre, réfléchit un moment puis faisant un geste de négation de la main il dit "Helmut, nix"! Nous n'étions pas sûr d'avoir compris aussi il répéta "Nix Helmut!" et agita la main dans un geste d'adieu! Cette fois nous avions compris, Helmut n'était plus là, il était parti, quelque part, loin sans doute. Je ressenti une vague de tristesse m'envelopper, nous avions perdu notre copain, le paysan allemand qui avait la frousse des pieuvres et adorait tant le fenouil.

Soudain la plage perdit tout son attrait, aussi nous retournâmes à Clo-Mi-Gi. -


 

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Re: Souvenirs d'un enfant pendant l'Occupation

Nouveau message Post Numéro: 77  Nouveau message de Luzien  Nouveau message 12 Nov 2012, 19:48

Verboten

- La seule pensée que nous ne verrons plus Helmut nous était insupportable et nous plongeait dans une grande tristesse. Allemand ou ennemi, nous l'aimions bien notre Helmut. Nous ne l'avions connu que l'espace d'un été et pourtant il avait occupé une grande place dans nos vies, une place spéciale et secrète.
Une autre pensée nous toumentait: Se pourrait-il que son altercation avec le soldat le jour où nous jouions à la "piquette" fut la raison de son départ et que nous en fûmes indirectement responsables?
Mais, si le grand soldat à lunettes nous avait fait comprendre qu'Helmut était parti, nous ne savions pas si son départ était vraiment définitif. Peut-être qu'il était parti en permission dans sa famille et serait un jour prochain de retour, peut-être que... Les "peut-être" se bousculaient dans nos têtes.

Et peut-être qu'Helmut était maintenant de retour! Une semaine passa et un jour au cours d'une de nos "campagnes" de bois nous décidâmes de nous rendre à la plage. Comme la dernière fois, nous franchîmes les chicanes faites de chevaux de frise sans que les sentinelles s'opposent à notre passage. Cependant une activité inhabituelle semblait régner dans le secteur où plusieurs travaux de terrassement étaient en cours.
Empruntant le passage près de la gare, nous foulâmes à nouveau le sable de la plage. Aucun changements, la plage était toujours la même avec ses "touristes"! 3 ou 4 soldats nageaient à courte distance et nous pouvions entendre leurs exclamations portées par la surface de l'eau.
Mais pas d'Helmut! Nous rebroussâmes chemin.
Comme nous franchissions le passage et arrivions à proximité de la route côtière nous entendîmes un puissant "Halt!" et nous vîmes alors un soldat qui avait surgit de la vieille gare se diriger vers nous à grandes enjambées. Nous continuâmes à marcher en l'ignorant mais le soldat réitéra son ordre. Nous nous immobilisâmes le coeur battant. Le soldat était un feldwebel et il n'avait pas l'air commode. Sur un ton qui n'avait rien d'amical il nous tint un petit discours et nous désigna un poteau avec un panneau jaune près du mur qui longeait la plage. Sur le panneau, en grosses lettres rouges était écrit: VERBOTEN, puis en dessous quelque chose en allemand, puis en français il était écrit que la plage était interdite aux civils!
Nous connaissions bien le mot "verboten" qui apparaissait partout, sur les affiches, sur les murs, dans beaucoup de lieux publics. Nombre de choses étaient devenues VERBOTEN ! Finalement le sous-officier tendit son doigt vers la route et jeta un fulgurant "Gehen"! Ça aussi nous comprîmes et il n'eut pas à le répéter une deuxième fois! Nous nous éloignèrent à grands pas sachant que la plage c'était désormais fini pour nous, c'était Verboten!


Les Cyclistes

- Le beau temps persistait et nous en profitions au maximum sachant que dans un avenir de plus en plus proche nous devrions reprendre le chemin de l'école et rien que d'y penser j'en avais des sueurs froides!
C'était peu avant midi ce jour-là, nous étions tous les trois assis sur les marches d'escalier de l'entrée, ces mêmes marches sur lesquelles nous étions assis le jour où nous assistâmes à l'arrivée des allemands, cela faisait combien de temps? Une éternité!
Nous jouissions paresseusement de la chaleur du soleil quand nous entendîmes le moteur d'un véhicule en provenance de St.Jean. C'était un camion militaire allemand et malgré le bruit du moteur nous pouvions entendre des cris et des rires nous parvenir distinctement. Nous nous levâmes et ce que nous vîmes alors ne manqua pas de nous amuser: une douzaine de soldats sur leurs vélos étaient pris en remorque à l'aide d'une longue corde!

Nous avions toujours eus la conviction que les allemands étaient de piètres cyclistes, que le vélo n'était pas leur fort comme pour nous autres français et que ce n'était pas pous rien que nous avions le Tour de France et de grands champions commr les frères Pélissiers, Antonin Magne et Roger Lapébie. Notre père qui avait été lui-même coureur cycliste dans sa jeunesse en savait quelque chose. Nous trouvions les allemands gauches et empruntés avec leurs bécanes et nous rions de les voir monter les côtes à pied en poussant leurs vélos et les descendre en freinant. Non, eux c'était la moto, pour cela ils étaient de vrais champions, mais la "petite reine" c'était notre domaine!
La vérité est que les vélos des compagnies cyclistes que nous voyions circuler sur nos routes, étaient construits de façon robustes et étaient extrêmement lourds. De plus avec leurs armes et autres équipements les cyclistes manquaient d'aisance ce qui leur donnait l'air gauches.

Mais ce qui se déroulait sous nos yeux ce jour-là sortait de l'ordinaire et les cyclistes allemands accrochés à leur corde semblaient s'amuser beaucoup. Le camion passa tirant sa "suite", les soldats riant, s'exclamant, chantant. Tous portant leur fusil en travers du dos, leur havresac coiffé de leur casque sur leur porte-bagage, tenant leur guidon d'une main, s'accrochant à la corde de l'autre, certains avaient même posé leurs pieds sur le guidon!
A la gauche de notre maison la route plonge abruptement pour remonter ensuite vers Emilénia et c'est à cet endroit que l'accident arriva. Nous ne vîmes pas comment cela se produisit, nous entendîmes soudainement des cris et un tintamare de vélos, fusils, casques et gamelles s'empilant les uns sur les autres. Nous nous précipitâmes au bord de la route en applaudissant et criant "Bravo! Bis! Bis!" Mais si cela fut du plus haut comique pour nous, il n'en fut pas de même pour les allemands, beaucoup étaient blessés, certains sérieusement. Nous pensâmes plus sage d'entrer à la maison. Plus tard nous vîmes une ambulance venir sur les lieux de l'accident et ce fut à nouveau le calme. -


 

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