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Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau messagePosté: 11 Mar 2012, 12:43
de Jacques A.COLIN
à Dynamo, Albert, mes pays...et les amis de ce fil,

En fait mon cher Albert, cher Dynamo, ces souvenirs, atroces ou anodins, pittoresques ou tragiques, ne pouvaient être évoqués qu'oralement et de manière fragmentaire auprès de nos enfants nés dans la joie de l'après guerre et de la course au bonheur et au confort qui s'était emparée du monde... De la même manière que les rescapés des camps nazis ne pouvaient parler de leur calvaire...

A ce stade de mon récit, 8/11/1943 (attendez la suite..!.) je n'étais qu'un jeune travailleur de 17 ans, ( la majorité légale était encore à 21 ans) idéaliste certes, mais plus préoccupé par la survie familiale...que par les évènements extérieurs:
Les Américains ont débarqué en AFN!! Bon! c'est une bonne nouvelle...c'est tout
Les Allemands envahissent la Zone Sud 3 jours après ! Seul le sabordage de la Flotte nous cause quelque souci...!
La Wermacht commence à piétiner devant Stalingrad ? Pourvu que les Russe tiennent..!
Vichy a inventé le S.T.O. et la 'relève'...Déjà des copains de travail sont partis, par crainte ou pour les bons salaires!! Pas question pour moi...jamais.!!

Pour l'instant : Je ne suis ni Gaulliste, pas plus que Pétiniste il me suffit de survivre..! et espérer...

Comment raconter tout cela autrement que par l'écriture..? Et bien longtemps après...

Jacques 18 ans.JPG
::hola!::

Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau messagePosté: 11 Mar 2012, 13:15
de alsa.se
Bonjour Jacques,

Bien sûr qu'il n'y a meilleure solution pour raconter tout ces souvenirs, heureux ou plus souvent malheureux, que l'écrit !
C'est bien ce qui restera et qui durera dans le temps contrairement aux autres supports. L'essentiel évidemment est de déjà pouvoir se souvenir de la chronologie, des faits, et de pouvoir les réstituer scripturalement. Ce que vous faites parfaitement. Après sur la forme, il y a ces fils. L'HistoMag'44 est aussi là pour celà, peut-être dans un second temps, pourquoi pas ? En tout cas, toujours aussi ravi de pouvoir vous lire ;)

Cordiales salutations,

Eric

Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau messagePosté: 16 Mar 2012, 03:04
de Jacques A.COLIN
39-45 : Notes et Mémoires d’un Ch’ti

Le temps de l’horreur



Oh oui…saleté de la guerre…

Dans l’atmosphère endeuillée des jours qui suivent ce 8 novembre 1942, à quelques mois de l’âge fatidique de mes 18 ans, nous apprenons le débarquement des Américains au Maroc et en AFN, puis le 11 l’invasion de la Zone sud, puis le sabordage de la Flotte à Toulon…
Bien que ces annonces n’arrivent pas à percer la petite bulle de jeunesse égoïste dans laquelle je survis, je commence à percevoir confusément la nécessité de m’impliquer dans la bataille… !
Mais pour l’instant…enterrons nos morts…
……………………..
Le dimanche 6 décembre à midi, le même scénario se reproduit. Cette fois ci mes parents sont allés au marché de Fives pour essayer de trouver quelques provisions de bouche..
Je suis seul à la maison, aîné tutélaire de mes quatre frères et sœurs….quand les sirènes mugissent j’ai le temps de les précipiter dans notre petite cave…Je prends soudain conscience de ma responsabilité de ne pas céder à la panique, bien qu’intérieurement je tremble de tout mes membres . J’affiche un air calme et autoritaire, et répartit chacun dans les coins supposés les plus protecteurs…Je sais intérieurement que cela est dérisoire, mais au moins, j’agis en chef de famille… !
A peine ai-je le temps d’entamer un bredouillant « je vous salue, Marie » et de percevoir le chuintement indescriptible de la chute des bombes que se déchaîne l’ouragan et le tremblement de terre terrifiant…..Trente secondes à peine pendant lesquelles les yeux des petits me fixent avec une inquiétude insoutenable…
Et puis, plus rien que le silence, rompu par le bruit de chute de quelque vitre cassée ou d’une tuile envolée…qui retombe…
Quand le mugissement ininterrompu des sirènes se fait entendre, la sortie à l’air libre nous fait découvrir un paysage bouleversé :une bombe a creusé un vaste entonnoir dans le jardin contigu et le souffle a brisé quelques vitres de l’étage et déplacé une partie de la toiture…Rien de très grave toutefois pour notre maison… ! Deux maisons de la rue Ferdinand Mathias, heureusement vides, se sont volatilisées, et la fonderie des usines de Fives a reçu quelques impacts…
Par contre le raid a cette fois semble-t-il atteint son but car nous apprenons vite que la rotonde du chemin de fer, les voies du Mont de Terre et les ateliers et centrales électriques de l’usine ont subi de très gros dégâts. Le travail est arrêté et les Fritz mettent tout en œuvre pour réparer les communications…Les ouvriers, privés de travail, sont réquisitionnés et tout est bon pour remplir les énormes entonnoirs creusés par les bombes soufflantes de 500kgs « à air liquide » dit-on ?…
Malheureusement nous apprendrons plus tard que ce raid a causé plus de quatre-vingt morts…et deux fois plus de blessés..
Quand père et mère qui ont assisté de loin au bombardement nous rejoignent enfin, heureux de nous trouver indemnes, ils conviennent avec moi de la nécessité de rechercher un lieu d’évacuation moins exposé.
C’est ainsi, qu’après un séjour précaire d’une semaine dans une maison libre de Chéreng, les services aux réfugiés nous proposent un logement dans le quartier populaire de Wazemmes à Lille. Nous nous y installons avec un minimum de bagages un peu avant Noël…Le logement est sordide, malsain, au second étage d’un immeuble étroit du XIX° siècle, mais au moins les « Anglais » ne le bombarderont pas… !
………………………………….
Et la vie ordinaire reprend, avec ce lancinant leit-motiv : « si pas de travail, pas d’argent » et cette fois-ci c’est : « Tramway-boulot-dodo » car la ligne B nous dépose directement à la Douane de Fives, proche de l’usine CLM rue Gutemberg… et mon vélo n’a pas suivi…
Resté fidèle à mon engagement jociste, je reprends contact au début janvier, avec la section de Wazemmes où je suis accueilli avec beaucoup d’amitié par les camarades et surtout par le jeune prêtre aumônier de la section, qui prend vite notre famille en affection : Il se nomme Bernard TIBERGHIEN, et il deviendra célèbre après la guerre, comme étant un des fondateurs de la célèbre Mission des Prêtres Ouvriers et sera délégué CGT au travail comme docker à Dunkerque… Il sera dans quelques jours le principal artisan de mon recrutement par la Résistance…mais n’anticipons pas…
………………………………….

Je suis à mon poste de travail le 13 janvier 1943, un mardi je crois, quand au début de l’après midi, les sirènes d’alerte se mettent à mugir…les instructions nous enjoignent de rejoindre le sous sol qui se trouve sous l’atelier de décolletage où travaille mon père…En fait presque tout le monde reste le nez à l’air libre, et sans inquiétude pour nous-mêmes, et nous assistons alors au largage impressionnant de quelques deux cent cinquante bombes dans la direction d’hellemmes…et comme toujours cela ne dure qu’une trentaine de secondes…
Aussitôt, je quitte le travail avec l’accord de mon père et me précipite a pieds, courant à perdre haleine par les rue de mon ancien itinéraire, pour aller constater l’état de notre maison abandonnée…
Dès le passage de l’ancien « octroi » et l’entrée de la rue Jean Bart où j’ai peur de m’engager je suis accueilli par un spectacle hallucinant : l’immense filature dite « des Anglais » dont les bâtiments et ateliers s’étendent en équerre sur les rues jean Bart et Chanzy brûle….Toitures et planchers effondrés, sur plusieurs étages, grandes baies aux vitrages éclatés, la filature n’est plus qu’un squelette d’où monte des flammes immenses sous une fumée aux odeurs huile de machine et de coton calciné…
Progressant dans la rue Jean Bart parmi les blocs de briques et les gravats des murs effondrés, je ne puis détacher mes yeux du spectacle dantesque que je n’oublierai jamais…
Parvenu Rue Chanzy avant de tourner à droite pour rejoindre la rue J.Jaurès, je m’aperçois que la ligne de chute des bombes se prolonge très loin vers le centre d’Hellemmes ou commence à s’agiter sauveteurs et défense passive…Mais de mon côté, rien pas une âme qui vive, rien que le fracas de cet incendie dont la grandeur sauvage me fascine…
Je remonte la rue Jean Jaurès au milieu des projection diverses provenant d’impacts isolés sur les ateliers de l’usine de Fives sur ma droite… j’aperçois au loin notre petite maison toujours debout…

Mais parvenu près d’elle force m’est de constater qu’elle n’est plus habitable….Plusieurs bombes sont tombées à l’entour, la toiture et partiellement découverte et toutes les ouvertures sont béantes laissant voir un intérieur ravagé… Je n’ose y pénétrer et sans autre inventaire je reprends le chemin du retour, le regard inévitablement fixé sur la filature qui brûle qui brûle, et brûle interminablement…
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Le retour du soir dans le petit logement de Wazemmes est bien triste et la discussion animée…Pour ma part, ma décision est prise : je dois désormais tout faire pour devenir partie prenante dans ce conflit interminable, qui a pratiquement saccagé mon adolescence…Ma mère qui craint de retomber dans la misère essaie de me disuader, mais mon père, pétri d’amour pour la Patrie et la République, m’encourage à son insu, considérant désormais que c’est à son fils aîné de relever l’honneur de la Famille…
Rejoindre le combat, oui mais comment faire, sans contact ou connaissance, dans ce quartier où nous sommes presque des étrangers ? Nous sommes connus comme chrétiens, donc pas question de nous tourner vers nos camarades communistes…pour qui la religion est encore « l’opîum du peuple »

C’est quelques jours après ce bombardement que la situation va se décanter et faire basculer mon existence…

Vers le 15 janvier, alors que je suis au travail devant mon tour, le directeur du personnel, qui m’avait « à la bonne » comme on dit, s’approche et me dit que sur ordre des Allemands il a du fournir une liste d’ouvriers qualifiés, susceptibles d’être convoqué pour le S.T.O. et que la date de mes dix-huit ans approchant, je serai bientôt convoqué et contraint d’aller travailler en Allemagne…
Bien décidé à échapper à cette contrainte, je reste au travail jusqu’au 21 janvier car le salaire nous est toujours remis en espèces dans des enveloppes individuelles les 7 et 21 du mois.
Puis, sans un adieu à mes camarades de travail, je m’éloigne à jamais de ce lieu mythique : ‘l’ATELIER’ où j’ai acquis, depuis plus de quatre ans, et parfois dans la douleur, l’amour du travail bien fait , le sens de la camaraderie ouvrière, et l’espoir jamais éteint de la Libération…

Je n'y reviendrai jamais....

A suivre...

Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau messagePosté: 18 Mar 2012, 12:00
de Jacques A.COLIN
à suivre: Prochain chapitre : Le Chant du départ.. : La République nous appelle....::victoire::

Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau messagePosté: 28 Avr 2012, 15:32
de Aldebert
Jacques COLIN a écrit:à suivre: Prochain chapitre : Le Chant du départ.. : La République nous appelle....::victoire::

Ben oui! on attin in'nséco! :D
cordialement
Albert

Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau messagePosté: 28 Avr 2012, 19:18
de coco
Bonjour Jacques
Je viens de parcourir les cinq pages de vos souvenirs qui m'ont profondément ému
A ce jour, j'interroge ma Belle Mère (90 ans) fiancée en 1938 , son futur Mari s'engage le 15 juin 1938 pour trois ans au 13e Régiment de Dragons . Affecté conducteur de char, à la déclaration de guerre il est sur le territoire Belge. En première ligne, cité Ordre 44 a fait la campagne de Belgique, échange de courrier, lui, les combats - Elle, la débâcle - Les retrouvailles en zone libre en juin 1941- la naissance de mon épouse le 8 / 8 / 1942 . La France entièrement occupée, ils remontent dans les Vosges, terre natale. Leur 2e fille est née sous les bombardements alliés - La maison des grands Parents,comme tant d'autres est incendiée à la retraite des allemands .
Je n'ai pas votre talent mais vous m'encouragez à me mettre à l'ouvrage .
Merci jacques
Bernard coco

Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau messagePosté: 29 Avr 2012, 01:08
de Jacques A.COLIN
coco a écrit:Bonjour Jacques
Je viens de parcourir les cinq pages de vos souvenirs qui m'ont profondément ému

Je n'ai pas votre talent mais vous m'encouragez à me mettre à l'ouvrage .
Merci jacques
Bernard coco


Bonsoir Bernard
Ne parlons pas de talent s.v.p....et mettez vous à l'ouvrage:
La simplicité et l'exactitude sans recherches de glorification ou de profit, l'exposé sincère du contexte et des faits feront l'affaire..!
Faites parler Belle Maman, faites lui raconter sans ordre les différents épisodes heureux ou tragiques de son existence, réunissez dans un dossier tous documents , photos, lettres, coupures de presse..etc.
Remettre tous cela en ordre est évidemment un travail de longue haleine... mais rappelez vous toujours que votre récit est destiné à l'édification des générations futures...C'est l'ultime message des gens de notre âge...
Et je suis sûr que vous pourrez trouver sur "histomag" un administrateur qui se ferait un plaisir de vous aide, si besoin.(par message personnel)
Bon courage, cordialement

P.S.: Bientôt la suite des mon récit 39-46.

Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau messagePosté: 29 Avr 2012, 10:00
de omega.067
Jacques COLIN a écrit:P.S.: Bientôt la suite des mon récit 39-46.

l'art d'entretenir le suspens ..... et de fidéliser les lecteurs....... :rire: :rire: :rire:

Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau messagePosté: 29 Avr 2012, 11:48
de Jacques A.COLIN
omega.067 a écrit:
Jacques COLIN a écrit:P.S.: Bientôt la suite des mon récit 39-46.

l'art d'entretenir le suspens ..... et de fidéliser les lecteurs....... :rire: :rire: :rire:


Désolé pour ce suspense Chers Oméga, Aldebert et autres amis de ce fil...cela mérite quelques explications je ,crois...:

J'écris cette seconde partie de mes souvenirs au jour le jour à partir d'un volumineux dossier de documents personnels de l'époque...Cette seconde partie traite de la période 14/2/1943 à 15/8/1944 (la Résistance,.) qui sera suivie d'une 3ème partie (à la Guerre...)
Pour être cohérent et intelligible je crois que ces deux textes partiels doivent être insérés ici sans découpage qui en altérerait l'intérêt...C'est pourquoi c'est si long..!

je sollicite donc votre patience, car à mon âge, je dois aussi soigner mes rhumatismes, l'arthrose de mon épouse, et traiter ma petite vigne...Pourvu que ça dure...........
Papyvendange.jpg

Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau messagePosté: 29 Avr 2012, 11:56
de omega.067
et en plus, il nous fait saliver avec sa vigne :alatienne_au_lagavulin:: :rire: :rire: