39-45 : Notes et Mémoires d’un Ch’ti
Le temps de l’horreur
Nous sommes donc au printemps 1941…Je crois utile de rappeler dans quelles conditions, matérielles, sociale, Psychologique, politique, vit la population ouvrière de la région lilloise : Il fait froid et le charbon est rare et cher, l’alimentation est réduite au maximum et de mauvaise qualité notamment le pain.
Les jeunes mobilisés qui ont vécu la débâcle sont prisonniers en Allemagne ou repliés en zone libre d’où certains reviendront peu à peu…
Pétain ayant été investi légalement, (qu’ils disent.. !) l’infrastructure administrative semble fonctionner comme avant…avec Maires et édiles municipaux nommés par Vichy,( Les élus communistes sont arrêtés, ou dénoncés aux allemands, comme le maire de ma ville Joseph Hentgès fusillé le 14 avril 1942 parmi d’autres otages…)
Tout cela fonctionne sous l’autorité du Q.G. de la Wehrmacht à Bruxelles sous le nom de ZONE ROUGE…
Pour l’ouvrier, père de famille, au salaire de misère le dilemme est simple : il faut vivre ou mourir !... et pour vivre il faut travailler… ! et donc rejoindre son usine, qui produit pour l’effort de guerre allemand… !
Pourtant il ne faut pas croire que dans ce contexte malheureux le petit peuple soit devenu apathique ou désespéré… La vie familiale, sociale, intellectuelle, culturelle, associative et même politique se poursuit partout, en fin de semaine ou le soir après le couvre feu…Ceux qui ont la chance d’avoir un petit poste radio avec les ondes courtes (superhéterodyne.. !) écoutent Londres et font circuler les informations…Les cinémas fonctionnent et sont des lieux pour se rencontrer et se réchauffer, malgré la propagande allemande des actualités qui suscitent fréquemment lazzis et sifflets…Les bals publics sont interdits, mais beaucoup se retrouvent dans des pièces arrières de bistrots dont on a calfeutré les ouvertures : on y boit, on y chante… on danse et se nouent aussi des contacts amoureux ou résistants…
Dans mon usine, on grignote du temps sur le carton-minute pour fabriquer en douce divers objets, comme par exemple de jolies chevalières avec la pièce de 2 Francs (40 sous) millésimée 1932 qui contient paraît-il un peu d’or !!!...mais aussi un ingénieuse machine à découper, en fines lanières, les carottes de tabac vert ou les barbes de maïs, que l’on a fait pousser dans le jardin…Car à cette époque, presque tous les ouvriers fument… sans se soucier de leur « espérance de vie »… et le tabac manque… !
Pour ma part, je suis devenu « secrétaire » de la section jociste d’Hellemmes et cette position contribue à ma formation sociale syndicale et même politique par les nombreuses réunions, sessions d’études ou congrès qui me feront rencontrer Joseph CARDJIN le fondateur de la JOC en 1925 à Bruxelles, Eugéne. DESCAMP de trois ans mon aîné, qui rejoindra lui aussi le maquis en 1943 et deviendra après guerre, le syndicaliste que l’ont sait…Et de même le Cardinal LIENART qui fut appelé « le Cardinal Rouge » bien que resté fidèle à la personne de Pétain……
Malgré la main de fer de l’occupant, les gens vivent, les gens s’aiment ou se détestent, des gens naissent…des gens meurent…
Oui la vie continue…avec topinambours et rutabagas… et autres ersatz de cacao… et orge grillé…
Ah, ça ira, ça ira…ça ira… et les doryphores on les aura !
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Le 27 juin 1941 Hitler déclanche l’opération BARBAROSSA qui fait basculer l’URSS dans le camps des Alliés…
Dans mes souvenirs, c’est alors que l’on voit paraître de petits tracts dans les boîtes aux lettres ou les armoires d’usine…ou sur les tables d’estaminets … appelant ouvertement les citoyens à la résistance à l’occupant par tous les moyens. Ces tracts proviennent incontestablement des cellules communistes mais ils seront vite suivis par d’autres parutions de toutes origines, sociales, politiques ou confessionnelles, au ton souvent moins belliqueux mais qui seront aussi à l’origine de la constitution des réseaux locaux de Résistance…Les informations ou conseils de ces feuilles souvent polycopiées sont largement repris par « les Français parlent aux Français » que l’on écoute de plus en plus facilement…
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Ce même vendredi 27 juin , vers 9 heures du soir, je suis assis dans la petite cour arrière de notre maison après une longue semaine de travail, face à un beau ciel du couchant, quand j’aperçois en contre jour, et à une altitude lointaine, la silhouette sombre d’un avion bimoteur sans signe distinctif semblant se diriger vers moi…Je crois reconnaître un bimoteur anglais Beachcraft à cause de son nez court, en arrière de la ligne des hélices…
A peine ai-je eu le temps de m’interroger, que retentit le bruit assourdi d’une vingtaine d’explosions du côté du Mont de Terre, à environ 800 mètres de ma position…
Les sirènes n’ont pas résonné, la DCA n’a pas réagi, et le bombardier a disparu dans le ciel… ! je viens d’assister au premier bombardement allié (anglais) sur la région lilloise…
Plus par curiosité que par inquiétude, nous nous précipitons mon père et moi par la rue Chanzy vers le lieu des dégâts éventuels… En fait le bombardier semble avoir totalement manqué sa cible : le Mont de Terre (voies du chemin de fer) ? ou l’usine de la Cie FIVES-LILLE où on fabrique des locomotives ?
Les impacts se trouvent principalement dans la quartier de la rue de la Barre, les bombes devaient être de petite taille (100 Kgs ?) car elles ont explosé au niveau de l’étage des maisons ouvrières…Les dégâts sont assez impressionnants…Je crois me souvenir qu’il n’y eu que quelques blessés… !
La même attaque se reproduit les 5 et 6 juillet avec à chaque fois une trentaine de bombes , mais cette fois le mugisemnt des sirènes nous précipite à la cave, notre dérisoire abri…La visée a semble-t-il été plus juste car les dégats aux habitations sont minimes….
Et la vie reprend son cours…
- La famille en 1942 - Papa fatigué, n'a plus que la peau sur les os..!
- ParrainBaptiste et tante-Louise 1942.JPG (68.24 Kio) Vu 1931 fois