Connexion  •  M’enregistrer

"39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Retrouvez ici toutes les histoires vécues et les récits de guerre. Déposez ici les témoignages en votre possession sur la vie pendant le conflit. C'est un pan important du devoir de mémoire cher à notre forum.

Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau message Post Numéro: 51  Nouveau message de Aldebert  Nouveau message 30 Avr 2012, 18:59

Jacques COLIN a écrit:Bonsoir Bernard
Ne parlons pas de talent s.v.p....et mettez vous à l'ouvrage:
La simplicité et l'exactitude sans recherches de glorification ou de profit, l'exposé sincère du contexte et des faits feront l'affaire..!
Faites parler Belle Maman, faites lui raconter sans ordre les différents épisodes heureux ou tragiques de son existence, réunissez dans un dossier tous documents , photos, lettres, coupures de presse..etc.
Remettre tous cela en ordre est évidemment un travail de longue haleine... mais rappelez vous toujours que votre récit est destiné à l'édification des générations futures...C'est l'ultime message des gens de notre âge...
Et je suis sûr que vous pourrez trouver sur "histomag" un administrateur qui se ferait un plaisir de vous aide, si besoin.(par message personnel)
Bon courage, cordialement


Eh oui! C'est évident j'allais le dire...en d'autres termes. ;) :mrgreen:
Cordialement
Albert
blog.php?u=5328&b=565

http://wiki-rennes.fr/index.php/Cat%C3% ... -le-Coquet

J'aurai mon paradis dans les cœurs qui se souviendront - Maurice Genevoix

vétéran
vétéran

Avatar de l’utilisateur
 
Messages: 4994
Inscription: 22 Jan 2010, 20:22
Localisation: Dordogne
Région: Aquitaine
Pays: France

Voir le Blog de Aldebert : cliquez ici


Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau message Post Numéro: 52  Nouveau message de Jacques A.COLIN  Nouveau message 17 Mai 2012, 17:44

39-45 : Notes et Mémoires d’un Ch’ti

2° partie - Le chant du Départ


Avertissement au lecteur : Je ne raconte ici que mon aventure personnelle et celle des personnes que j’ai connues ou accompagnées, sans m’impliquer dans les jugements d’ordre tactique, politique, philosophique ou militaire, dont la presse, les médias et les « historiens » d’après guerre ont usé et parfois abusé…
Je répondrai toutefois à toute demande de précisions que les amis de ce fil pourraient souhaiter
.

A l’époque de ce récit, je ne connais rien de tout cela ; Je ne suis qu’un adolescent de 18 ans, ardent et enthousiaste certes, mais déjà meurtri et affaibli par trois années d’occupation, de faim, de destructions et de deuils…et pour moi, la notion de « Rèsistance » ne s’applique qu’à une armée étrangère occupant mon pays…
---------------------------


Sur le chemin du retour à Wazemmes, ma détermination n’à d’égale que mon incertitude concernant l’avenir… je décide alors de m’en ouvrir de suite à mon nouvel ami Bernard Tiberghien, l’aumônier de la section jociste de mon nouveau quartier …Après que je lui aie expliqué mon problème, il m’invite à me présenter à la prochaine réunion du comité de section, début février…
A cette réunion je fais connaissance de deux jeunes ouvriers de mon âge, Clément Merschaud et Marcel Lévêque, tous deux en situation d’être également requis pour le STO…
(déjà institué dans la zone rouge sous administration de Bruxelles, bien avant le decret de Laval en février 1943…)
A la fin de la réunion Bernard nous retient tous trois et nous présente à un ancien de la section qui s’était tenu un peu à l’écart pendant le débat du jour : C’est un grand gaillard costaud à la mine réjouie typiquement « ch’ti », du nom de Charles Vercruysse qui nous raconte son histoire : « réfugié en zone sud lors de juin 40, il s’est engagé dans un régiment d’artillerie de l’Armée d’armistice du côté de Limoges… Rendu civil par l’invasion allemande du 11 novembre, il a rejoint sur conseil d’un de ses supérieurs, un groupement de prisonniers libérés ou évadés qui rêvent de reprendre un jour le combat… Il est remonté dans le Nord pour diverses raisons qu’il ne nous dévoile pas et s’apprête à rejoindre le Dévoluy…
Le fichier joint sectionwazemmes.jpg n'est plus disponible.

Il nous propose, après quelques hésitations, de nous emmener pour nous soustraire au S.T.O…Nous acceptons tous les trois avec enthousiasme et rendez vous est pris pour le 14 février en gare de Lille, pour le train de Paris de 8 heures . Les recommandations sont les suivantes : prendre les billets séparément, monter des compartiments différents…tenue modeste de campeur (sac au dos ), ne pas dévoiler la présence des autres en cas de contrôle… !
Sur le chemin de notre petit logement de la rue d’Austerlitz, je pense à ma mère qui va pousser les hauts cris en refusant le départ soudain de son aîné…Mon père lui , accueille avec émotion mon engagement et peu avant le départ il me confie avec tristesse ce qu’il a toujours conservé comme un « talisman » et qu’il appelait « le bon dieu de papa Louis » : un petit crucifix qui appartenait à son grand père, mort sous les bombes allemandes en 1917 à Saint Omer…Puis il écrit sur la page de garde d’un missel jociste : « n’oublie jamais : Dieu, Famille, Patrie… » (Angers 2012 : j’ai toujours conservé pieusement, dans la guerre et dans la paix, ces deux objets symboliques, et je les remettrai sans doute bientôt à mes plus lointains descendants…)
………………………………………………………………………………………..


Tout se passe sans anicroche en gare de Lille, et vers midi nous voila assis à la terrasse d’un petit café, en face de la Gare du NORD à Paris…C’est face à un « demi » de mauvaise bière, que nos trois ch’tis , qui n’ont jamais quitté leur ville ouvrière, découvrent une vie parisienne apparemment peu affectée par l’occupation…En grignotant quelque provision emportée, notre mentor nous explique qu’il a rendez vous à une adresse, qu’il ne nous dévoile pas, du côté de l’Est parisien et que nous devons nous rendre Boulevard Poniatowski où il nous rejoindra avec son contact…
La route est longue paraît –il et nous voilà engagés à pieds vers le lieu du rendez vous, par l’interminable Boulevard des Maréchaux …En deux heures et demie de marche en ordre dispersé nous atteignons le lieu de rendez vous où nous attend déjà Vercruysse en compagnie d’un grand type qu’il nous présente comme étant « Michel » un de ses compagnons engagé de l’armée d’armistice…Il nous accorde une dizaine de minutes de repos et nous enjoint de rallier la Gare Montparnasse, qui n’est pas très loin parait-il, de l’autre côté de la Seine…
Il est tard quant nous nous présentons en gare, pour apprendre qu’un train pour Orléans et le sud est programmé pour le lendemain matin. Nous passerons la nuit dans las salles d’attente en grignotant de maigres sandwichs de pain bis…Charles et Michel ont pris séparément , cinq billets pour Orléans, sans me demander de participation ; cela m’arrange car je n’ai emporté qu’un modeste viatique sur mon dernier salaire…
A Orléans, fin de matinée, basculement vers l’ouest avec un arrêt à Blois où Charles nous dit devoir joindre un autre contact…Je me dis alors que qu’il doit être investi d’une mission bien plus large que le simple recrutement de jeunes requis…Rendez vous est pris pour le train de 18 heures en direction de Tours. En attendant grâce à l’obligeance d’un gardien qui s’ennuie, nous visitons gracieusement le célèbre château fermé au public. C’est pour le jeune ouvrier plutôt inculte que je suis, une révélation : Je découvre à la fois l’Art et l’Histoire en montant le célèbre escalier à vis, et en visitant les appartements de Catherine de Médicis, la chambre de Henri III et celle de l’assassinat du Duc de Guise…
En gare de Blois vers cinq heures une surprise nous attend : le train qui doit nous emmener à Tours est rempli de soldats allemands en tenue mais apparemment sans armes …Après une courte hésitation nous montons ensemble dans un wagon sans compartiment où nous apercevons quelques vides. Les feldgrau nous accueillent plutôt gentiment, sans manifester une quelconque suspicion. Nous leur faisons bonne figure et la conversation petit nêgre nous apprend qu’ils sont stationnés du côté de Saint Nazaire…Ils reviennent d’une permission de détente à Paris dont ils nous décrivent les charmes et les « jolies fraulein.. »….Cause toujours mon lapin, à Saint Pierre des Corps, dont la gare est un cul de sac, nous saluons amicalement pour la forme nos brefs compagnons de voyage…
Le train pour Poitiers, prochaine étape est annoncé pour le lendemain matin et nous passons la nuit à nouveau dans une salle d’attente, toujours sans problème…
A Poitiers, Charles doit joindre un nouveau contact, à l’Evêché, et les quatre fuyards en profitent pour visiter l’admirable cathédrale romane, dans laquelle il doit nous rejoindre. Je pense alors que tant de contacts programmés sur notre route, forment une sorte de chaîne bien organisée, ce qui se vérifie à son retour : Nous devons prendre un autocar pour CIVRAY, puis rejoindre à pieds et discrètement CHARROUX ou nous serons pris en charge pour franchir la ligne de démarcation toujours en place et surveillée….
Tout se passe comme prévu et nous nous présentons discrètement dans une petite auberge situé à un carrefour isolé dans la campagne. Réception cordiale, casse croûte rapide et direction un petit hangar à fourrage où nous passerons la nuit…
Au petit matin glacial, Vercruysse, qui nous apparaît de plus en en plus comme un chef de détachement éclairé, nous donne ses instructions :
« La ligne de démarcation, dont le franchissement est toujours interdit et gardé, malgré l’envahissement de la zone libre, se trouve à quelques kilomètres à l’est…nous allons la franchir après un parcours à travers bois et champs aboutissant entre deux postes de garde, à l’abri des murs d’un petit cimetière rural…Il nous faudra franchir à gué une petite rivière de cinq mètres de large, peu profonde mais vaseuse et il faudra nous déchausser, car l’eau glaciale risquerait de ralentir notre marche… Nous progresserons ensuite de haies vives en bosquets, par bonds rapides et silencieux en direction de jalons agricoles laissés en place par des agriculteurs résistants, passeurs occasionnels… »

sectionwazemmes.jpg
Bernard et mes copains
sectionwazemmes.jpg (49.89 Kio) Vu 1799 fois

Dans l’aube froide et brouillardeuse de février 1943 notre petite escouade entame le programme annoncé… Tout se déroule sans anicroche notable, hormis quelques incidents plus ou moins réjouissants : La traversée de la rivière glacée par mes camarades , nus jusqu’à la ceinture et transis me plonge dans une frayeur insurmontable, et finalement c’est sur le dos de Michel revenu sur ses pas que je franchis la rivière, les pieds au sec…Heureusement je suis le plus jeune et le plus léger des cinq…Je n’en suis pas fier pour autant.. !
Arrivés sans encombre le long du mur du petit cimetière, Vercruysse glisse un œil sur le coin et aperçoit à une centaine de mètres, un soldat allemand, confortablement assis dans un fauteuil, en train de casser la croûte…
Nous nous concertons rapidement et la décision est prise de franchir la route successivement par bonds rapides et silencieux … Tout se passe comme prévu sans que le garde chleu ne bronche, jusqu’au tour de Clément qui bondit en traînant une valise de vêtements, qui s’ouvre inopinément et répends son contenu textile et papiers en plein milieu de la petite route…ligne de démarcation… ! Stupeur, affolement, ramassage rapide …le boche n’a rien vu et continue de s’empiffrer de bon beurre charentais…
Cinq minutes après nous sommes dans les rues d’un petit village de la zone SUD dont j’ai oublié le nom, et nous prenons immédiatement la route de L’Isle Jourdain où Charles doit à nouveau prendre contact avec son ancien chef de corps dans l’Armée d’Armistice… Cela confirme, aux yeux des trois ch’ti-mis, l’impression d’entrer dans un réseau, encore balbutiant, de Résistance armée, se construisant parmi les officiers encore respectueux de Vichy mais hostiles à l’occupant…( p .s.: ce sera l’O.R.A.)
Après cette visite, course à pieds jusqu’à Limoges, d’où un train de nuit nous transporte sans encombre à Lyon…Puis Lyon…Valence et Valence …Gap par la vallée de la Drôme que les trois gars de Ch’nord découvrent avec émerveillement, eux qui ne connaissent de la montagne que les terrils du bassin minier de Lens ou Denain.. !
En gare de Montmaur, qui n’est situé en zone d’occupation italienne que depuis deux mois, des carabiniers italiens nous voient débarquer, sans contrôle et avec un aimable salut… ! à notre grand étonnement.. Puisque tout va bien, nous parcourons allègrement les deux kilomètres qui nous séparent de notre destination ultime ; le Château de MONTMAUR., ou nous sommes attendus…Vercruysse dixit.. !
Le paysage est sublime et tout en marchant mon regard s’attarde à contempler les falaise blanches de la Montagne d’Aurouze et le Pic de Bure, sans penser à ce que sera la suite de cette aventure….[/b

[b]Nous entrons le dix neuf février dans le château par un porche monumental qui s’ouvre sur un premier sous-sol…Devant nous un large escalier de pierre à deux volées parallèles, : celle de droite descendant vers semble-t-il vers des caves mystérieuses… ? la volées de droite nous conduit sur un palier rectangulaire de grande surface où se présente sur la droite une grande porte ancienne : Charles notre guide nous fait alors pénétrer par cette porte dans la magnifique et vaste Salle des Gardes du Château de Montmaur…
Sans nous laisser le temps de nous extasier devant la richesse décorative du lieu il nous dirige immédiatement vers un petit bureau vitré construit dans le coin sud-est de la salle où sommes accueillis par un homme en tenue de cheval d’environ quarante ans, et dont je trouve qu’il ressemble étrangement à mon père…Son regard est incisif et impressionnant quand il interroge les trois jeunes lillois qui aspirent à rejoindre le maquis…pour reprendre le combat contre l’occupant…
Il se présente à nous comme étant le « commandant » Antoine Mauduit, et nous explique que le Château est le siège d’un groupement d’anciens prisonniers de guerre, libérés ou évadés, et que dans l’immédiat, l’heure n’étant pas encore propice pour la lutte armée, tous les membres doivent concourir à le subsistance du groupe par le travail communautaire…sans autre rétribution que le logement et la nourriture…
tribulation carte.jpg
43-45 perigrinations du Ch'ti
tribulation carte.jpg (180.48 Kio) Vu 1799 fois

Les yeux dans les yeux, semblant nous jauger, il nous demande si nous sommes d’accord et après un mot de bienvenus nous enjoint à nous reposer un jour ou deux le temps de trouver une affectation…
C’est dans les petites chambres monacales, équipées d’un simple châlit, de l’aile ouest du Château que nous que nous reprendrons quelques forces, tout en découvrant les aîtres et les gens et les environs de cet étrange lieu de Résistance…
Oui.. ! étrange, car chacun de nous à remarqué dans le bureau de Mauduit, un grand portrait officiel du Maréchal Pétain….
Vous avez dit « bizarre » ??? Nous en reparlerons…


à suivre....



A suivre…


 

Voir le Blog de Jacques A.COLIN : cliquez ici


Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau message Post Numéro: 53  Nouveau message de dynamo  Nouveau message 17 Mai 2012, 18:13

Montmaur...
N'est ce pas là que François Mitterrand organise un réseau à destination des prisonniers évadés ?
peut être l'avez vous rencontré ?
La dictature c'est "ferme ta gueule", et la démocratie c'est "cause toujours".
Woody Allen.

Administrateur
Administrateur

 
Messages: 5562
Inscription: 14 Mar 2006, 20:36
Localisation: sur la plage abandonnée
Région: Nord/Pas de Calais
Pays: France

Voir le Blog de dynamo : cliquez ici


Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau message Post Numéro: 54  Nouveau message de Jacques A.COLIN  Nouveau message 19 Mai 2012, 12:12

dynamo a écrit:Montmaur...
N'est ce pas là que François Mitterrand organise un réseau à destination des prisonniers évadés ?
peut être l'avez vous rencontré ?

Oui cher Dynamo, c'est l'objet de la suite prochaîne...
A toute de suite.


 

Voir le Blog de Jacques A.COLIN : cliquez ici


Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau message Post Numéro: 55  Nouveau message de Jacques A.COLIN  Nouveau message 19 Mai 2012, 17:24

39-45 : Notes et Mémoires d’un Ch’ti
2° partie – La Chaîne…

Le fichier joint Commandant Mauduit.JPG n'est plus disponible.

Sous la couverture d'une « Société Coopérative d'Exploitation Agricole et Forestière »,( loi de 1901) crée et déclarée régulièrement en Préfecture de GAP en août 1942, Antoine Mauduit avait fondé son propre mouvement de résistance « La Chaîne », auquel s'étaient ralliés clandestinement nombre de personnalités, parfois en poste à Vichy, hostiles à la politique de collaboration, prisonniers libérés ou évadés, dont, entre autres, en février 1943, un certain « Morland » (François.Mitterrand) qui venait de fuir Vichy et son poste de commissaire aux Prisonniers, à la suite du retour de P.Laval et de la neue politique de collaboration...
.Notre équipe de jeunes n'était pas de la direction du mouvement, et je ne me souviens de Morland que parce qu'il fut hébergé au petit cottage du" Beylon" quelques jours après notre arrivée, et que notre équipe fut chargée d'une garde de protection...bien symbolique... car nous n’avions ni armes ni instruments de surveillance…
Le fichier joint La chaine pourHGweb.JPG n'est plus disponible.

En réalité si j'ai parfois rencontré Morland lors de repas en commun dans la grande salle du château, je n'ai jamais connu son patronyme, et ce ne fut que bien des années après la Victoire que je fis le rapprochement avec l'homme politique qu'il était devenu...
A l’époque de mon récit, Morland avait tout juste 26 ans, il avait fait la campagne et fait prisonnier en juin quarante …et s’était évadé puis rejoint Vichy (la fameuse franscisque.. !), puis Montmaur en même temps que notre groupe en février 43…

Pour nous, jeunes aspirants à la bataille de libération, il n’était qu’un « grand ancien », respecté au même titre que les autres clandestins qui peuplaient le Château… : les « Lumière », « Tallien » « Defrêne » « Paris », « Zazou », "Gervais " et autres noms de guerre de nos nouveaux camarades…
Le fichier joint 'équipe de Montmaur.JPG n'est plus disponible.

Je ne raconte ce fait authentique, que parce que certains "historiens " de Montmaur ont cru devoir dater la photo ci dessus qui vit la création de "Mouvement de Résistance des Prisonniers de Guerre" (MRPG)de : août 1942. La présence de François Mitterrand (au centre) contredit cette date, et situe la réunion au printemps 1943 (végétation).
De même la présence de CAILLIAUX, neveu du général de Gaulle, témoigne de l'importance de cette réunion. L'idée de Mauduit, très jaloux de son indépendance, était de créer un mouvement de résistance des prisonniers de guerre, autonome: le MRPG, à même de solliciter des Alliés et de la France Libre, les équipements et les armes nécessaires pour participer au combat final...
Sous l'ascendant extraordinaire du Commandant Mauduit, dont le discours ésotérique subjuguait les adolescents que nous étions encore, lui-même adepte du Professeur Carton, converti tardif durant sa captivité au culte de N.D.de La Salette (le fameux secret !), et à la "Pénitence Nationale..! ", la grande salle du Château, où nous prenions les maigres repas, était le lieu de discussions passionnées sur les perspectives de combats pour la libération, des moyens militaires absents, de notre juvénile désir d'action...!
Pour l'heure, il nous fallait assurer notre subsistance, parfaire notre entraînement physique, tout en déjouant les recherches de la police de Vichy jointe à l'armée italienne d'occupation. C'est ainsi qu'obéissant à un ordre de Mauduit, les quatre chtimis, tous anciens militant de la JOC lilloise, nous fîmes, "pedibus jambi", aller-retour, les 45 kms du pélerinage de La Salette...Cette très dificile randonnée, au demeurant très enrichissante sur le plan spirituel, ne fut pas sans conséquence sur ma résistance physique très affaiblie par les trois années de disette lilloise....
Commandant Mauduit.JPG
Il avait l'âge de mon père et lui ressemblai un peu...
Commandant Mauduit.JPG (44.91 Kio) Vu 1738 fois

Au mois de mai 1943, c'est au fond des bois de la Montagne de Serres au dessus de Méreuil, que nous dûmes nous réfugier. C'est là qu'en trois mois je fis mon apprentissage de bûcheron, charbonnier, muletier... tandis que mes forces déclinaient lentement avec une nourriture pauvre et insuffisante...
Un matin de juillet au reveil, je me retrouvai bloqué sur mon châlit, la jambe droite paralysée par un oedème du genou... ce dernier avait triplé de volume...je souffrais intensément et tout déplacement m'était impossible...Il fallut attendre la camionnette de ravitaillement conduite si mes souvenirs sont exacts par Monsieur Rosenvallon, qu'accompagnait Mauduit, pour me voir transporté par des chemins détournés à l'hôpital de Gap. Je pleurais à chaudes larmes en m'éloignant de mes camarades et surtout de Michel Sauvage auquel me liait une solide amitié...
je ne devais le revoir avec certains survivants que quarante deux ans plus tard...
Je fus soigné clandestinement pour une crise de RAA, avec le seul médicament connu à l'époque: le salicylate de soude à raison de 12 grammes par jour.On sait aujourd'hui que c'était la première manifestation d'une spondylarthrite ankylosante (HLAB27) qui devait me faire souffrir toute ma vie...
Après quinze jours de soins intensifs, je fus ramené au Château de Montmaur que d'autres jeunes et nouveaux clandestins avaient rejoint, attendant d'être répartis dans les maquis. J'étais dans un grand état de faiblesse, mais j'essayais de tenir mon rang au sein de cette communauté des futurs soldats de la Libération....A fin août je me traînais encore lamentablement et il s'avéra que ma présence à Montmaur était une charge lourde et inutile pour la "Chaîne". Dans un entretien avec Mauduit il fut convenu que je quitterai Montmaur pour rejoindre le Nord, muni d'un certificat de travail et d'une carte d'identité rajeunie d'un an par les spécialistes en faux papiers qui officiaient au Château. Mon aspect chétif et malingre rendait plausible ce rajeunissement fictif...
'équipe de Montmaur.JPG
Merschaud, Vercruysse, Sauvage, Colin,Gervais, Zazou, Lévèque, premiers groupe de jeunes à Montmort...
'équipe de Montmaur.JPG (41.51 Kio) Vu 1738 fois

Je pris le train sans difficulté en gare de Montmaur le 1er septembre 1943, veille de la capitulation italienne. A Veynes, carrefour ferroviaire, j'eus la douloureuse surprise d'entendre les ordres gutturaux abhorrés de gradés allemands qui prenaient possession de la zone italienne d'occupation. J'eus une pensée rapide pour mes compagnons, mais déjà le train m'emportait vers un autre destin, bien différent de celui qui attendait Mauduit et mes camarades de maquis...

A suivre: 3ème partie

Mai 2012 : Additif pour information du lecteur:

La chute et la dispersion…


Ce n’est que 42 ans plus tard, lors de la visite de « Morland » devenu Président de la République et rendant visite à ses anciens compagnons à MONTMAUR, que j’ai recueilli le récit de la fin tragique de notre « Chaîne » , de la bouche même de mon camarade Michel Sauvage, enfin retrouvé avec une émotion infinie :
Deux mois après mon départ de Montmaur, Morland qui est désigné et en rapport avec ses amis de l’ORA s’envole pour Londres en novembre 43. puis Alger où il est reçu par le Général De Gaulle…Il n’en reviendra qu’en mars 1944, reprenant ses activités de Résistant...
Entre temps , la gestapo qui s’est rapidement installée à Gap est rapidement informée de l’existence suspecte de la Chaîne, peut-être par dénonciation… ?
Par précaution, Mauduit ordonne la dispersion aux maquisards de Méreuil, ne regroupant que quelques fidèles dont Michel Sauvage et Marcel Lévêque, dans le village du Saix, au sud de Veynes…Il y a aussi Henri Glises alias « Gervais », Maurice Thenier (Tallien), Pierre Salingardes (Pierrot) et plusieurx autres que je n’ai pas connus …
Charles Vercruysse, et Clément Meerschaud se réfugient dans le maquis de Lux la Croix haute puis fautes de contacts reprennent le chemin du retour à Lille…
Le 28 janvier 1944, les forces allemandes, encerclent et investissent le village du Saix. Prévenus par un guetteur, mes camarades se cachent efficacement, mais les boches fouillent et incendient les maisons, et arrêtent plusieurs personnex dont le curé CHALMEY et finalement notre chef MAUDUIT qu’ils transfèrent à Marseille où il sera torturé puis déporté au camp de Dora…
Michel et Pierrot se réfugient dans le Dévoluy et après un temps , rejoignent les maquis du secteur E du Colonel Terrasson… Après le débarquement du 15 août 1945 ils participeront à la libération de Gap et Briançon et seront intégrès au 4ème RTM jusqu’à la Victoire…
Charles Vercruysse s’engagea dans les FFI de résistance NORD et je l’ai revu peu après la victoire, Officier FFI, ayant participé à la bataille de la Poche de Dunkerque…
De même Clément Merschaud, repris ses activités de diffusion des Cahiers Français du T.C.
Aujourd'hui tous ces amis ont quitté ce monde, et je leur adresse, avant de les rejoindre mon respectueux salut.

Maquisards accueillis chez ABBRAS à Saint Didier.JPG
Le Boulanger de Saint DIDIER en Dévoluy ravitaillair les maquisards.
Maquisards accueillis chez ABBRAS à Saint Didier.JPG (62.02 Kio) Vu 1738 fois


 

Voir le Blog de Jacques A.COLIN : cliquez ici


Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau message Post Numéro: 56  Nouveau message de Jacques A.COLIN  Nouveau message 24 Mai 2012, 17:25

Le Retour


Je retrouvai sans encombre ma ville natale, après un arrêt de quelques jours à Chalon/Saône dans la famille d'un camarade de maquis toujours hospitalisé à Gap. Cette visite devait avoir par la suite une grande importance pour moi-même et pour ma famille...
A Lille, un contact résistant jociste, (G. Burbuklaere) me fit obtenir en octobre un poste de moniteur de dessin industriel au centre d'apprentissage de Lomme, ce qui en théorie me mettait à l'abri d'une nouvelle convocation pour le STO. Malgré les restrictions alimentaires ce fut pour moi une période de convalescence pendant laquelle, outre les forces qui peu à peu revenaient, je complétai ma formation professionnelle, ma maturité humaine, et ma volonté de résistance...
Les conditions d'occupation de la zone Nord dite "rouge" étaient très dures et les bombardements de la région lilloise par les alliés très nombreux... Notre maison familiale d'Hellemmes était inhabitable et après de nombreux déménagements, ma famille habitait pour l'heure une petite maison très exposée dans une rue parallèle à la gare de marchandises Saint Sauveur. Les samedis et dimanches étant libre de travail je les consacrais a des randonnées pédestres avec des amis du mouvement laïque des Auberges de Jeunesse (MLAJ) chez qui j'avais retrouvé le souci d'opposition à l'occupant et à Vichy (MNAJ).
C'est au cours d'une de ces randonnées hebdomadaires que je fus le témoin auditif involontaire du massacre d'Ascq dans la nuit du premier avril 1944. qu’il me faut vous raconter :



LA NUIT des RAMEAUX
1er avril 1944


Nous nous étions donné rendez-vous place de la gare, à l’arrêt du Tramway B, qui, par le pont supérieur et la rue Pierre Legrand, devait nous déposer au terminus, face à l’ancien cinéma Leleu.
Ce devait être un samedi ? ... C’était un samedi, puisque j’étais enseignant, et que la sortie pédestre ne devait pas excéder une vingtaine de kilomètres.
C’eût été quatre ans auparavant, les cinq amis ne seraient pas partis sans entrer au “Pélican” pour manger quelques frites savoureuses, et se régaler d’un bon “demi”. Mais aujourd’hui, la place avait perdu l’aspect joyeux et populaire d’antan, et les échoppes des marchands de frites avaient depuis longtemps été désaffectées. L’endroit était presque sinistre, et ils montèrent dans le premier tram qui se présenta.
Rue Pierre Legrand, je remarquai que la “Maison du Rideau” n’avait toujours pas été reconstruite, et qu’à sa place, il n’y avait que de grands étais de bois qui soutenaient les maisons voisines. Quatre ans auparavant, pendant la drôle de guerre, un Hurricane anglais, touché par la chasse allemande, s’y était écrasé avec son pilote. On en avait un peu parlé, mais cela avait été vite occulté, pour ne pas affoler la population. Quelques semaines plus tard, c’est au milieu de la foule des réfugiés belges fuyant l’invasion, que l’image de cette maison détruite, s’était gravée dans mon esprit.
Il était déjà tard quand nous passâmes la barrière d’Hellemmes. Il faisait un temps gris et froid des printemps du Nord, mais, bien équipés, on attaqua la grand-route déserte d’un pas assuré, devisant et chantant parfois : … je vais par le monde emportant ma joie... mon cœur ne connaît pas la haine...
Nous marchions depuis une heure environ et avions dépassé le chemin d’Annappes et le bourg aux maisons de briques brunes. La nuit venant, nous avions obliqué vers le nord, par des chemins de champs, traversé la voie de chemin de fer, en direction des seuls bouquets de peupliers qui égayaient cette plaine immense. Pressés par l’obscurité, nous nous engageâmes dans un petit chemin charretier, et trois cents mètres plus loin, nous aperçûmes un emplacement acceptable pour installer les deux canadiennes, au milieu des peupliers et parmi les buissons que le printemps n’avait pas encore garnis de feuilles.
Les deux tentes furent rapidement montées, et la fraîcheur brumeuse qui tombait nous fit s’entasser dans la plus grande, celle de deux mètres à abside, qui seule possédait un double toit. Il n’était pas question d’allumer du feu, et c’est avec du “méta” que l’on fit chauffer le lait qu’une des filles avait apporté, et dans lequel on précipita les denrées diverses qui devaient constituer le “béton” : biscuits vitaminés, farine de maïs, tapioca, sucre de raisin, ersatz de cacao...

La course aux denrées alimentaires était, depuis quatre ans, permanente, et chacun résolvait individuellement, mais toujours insuffisamment le problème. Ainsi à chaque sortie camping, on mettait en commun tout ce qui avait pu être distrait de la ration quotidienne, et le repas était constitué par cette bouillie infâme, mais après tout, nourrissante. Cette pratique s’était répandue spontanément, et le “béton” resta longtemps encore après la guerre, le festin rituel des Auberges de Jeunesse

C’est ainsi que débuta pour nous cette veillée du premier avril, dimanche des Rameaux 1944. Trois garçons, deux filles, dix-neuf et vingt ans, entassés dans la même petite tente, autant pour se réchauffer, que pour jouir de l’amitié et de la fraternité. La guerre, les bombardements semblaient loin, et la veillée s’écoulait en rires, chansons et souvenirs, de poèmes idéalistes en airs d’harmonica…
Aujourd’hui encore, je cherche à me rappeler les visages de ces compagnons, qu’après cette nuit là, je n’ai jamais revus. Porthos, Aramis, Mickey, Bougeotte. ..autant de surnoms, que je ne pouvais même plus rattacher à un nom familier.
Je songe aussi à la sorte d’incongruité qu’il y avait à ce que nous nous fussions trouvés là, heureux et presque insouciants, alors qu’autour d’eux la guerre était partout présente... N’étais-je pas alors, membre d’un réseau clandestin, et porteur de papiers falsifiés ?
Aujourd’hui encore cela m’apparaît comme une anomalie gênante, mais c’était ainsi, et aucune explication ne pourra changer ces faits troublants : nous campions, comme aux meilleurs temps des premiers congés payés...
Dans l’animation de cette joyeuse soirée, nul n’avait prêté attention à deux sourdes détonations qui avaient retenti dans le lointain brumeux. Pas plus qu’ils n'avaient remarqué le passage d’un train, roulant sans doute au ralenti, pour s'arrêter à quelques huit ou neuf cents mètres de leur camp.
Nous en éionst presque à s’endormir, serrés les uns contre les autres, quand retentit le premier coup de feu, bientôt suivi d’autres, à intervalles irréguliers mais parfois très longs, d’un silence pesant.
Lors d’une interruption un peu plus longue, Marco émit l’hypothèse qu’il s'agissait de braconniers qui tiraient des lapins, qu’ils iraient vendre ensuite au marché noir dans les faubourgs de Lille. Bien qu’il n’y crût pas, l’explication parut plausible et calma l’inquiétude des filles qui sombrèrent peu après dans le sommeil, cependant que des coups de feu continuaient à résonner dans la campagne, parfois plus éloignés semblait-il, moins espacés, mais toujours irréguliers. D’où ils étaient, cela ressemblait au tir aux pipes, à la ducasse d’Hellemmes... Enfin, du temps où y avaient des ducasses...
Dans le silence, troublé seulement par ces claquements erratiques, ils avaient perdu la notion du temps, et ils n’auraient pu dire depuis combien de temps cette fusillade durait. Rien que cette fusillade, pas d’autres bruits, qui auraient pu nous renseigner. Une seule fois, j’ai cru percevoir le staccato caractéristique d’un pistolet mitrailleur, mais ce n’était peut-être qu’une impression...
L’horreur étant inimaginable, les garçons avaient fini par se convaincre qu’il devait s’agir de manœuvres de nuit de l’armée allemande. Plusieurs fois, dans un chuchotement, Marco et moi nous nous étions demandés s’il ne serait pas plus prudent de plier le camp, et de déguerpir en vitesse ? .., mais l’abri du petit bois nous avait vite semblé plus sûr, et il ne restait qu’à espérer que les déplacements de troupe, s’il y avait, éviteraient la traversée des buissons serrés où nous avions eu la bonne idée de nous installer...
Quand les coups de feu cessèrent, et qu’un silence glacial s’installa sur la campagne environnante, nous finîmes par nous s’assoupir, sans plus d’inquiétude..
Nous ne pouvions savoir, ni même pressentir, ou imaginer, qu’à huit cent mètres de là, l’enfer s’était déchaîné. Hommes… enfants… vieillards.. .arrachés brutalement à leur sommeil paisible, mouraient ou agonisaient sur le ballast de cette voie de chemin de fer, que avions nous mêmes traversée quelques heures auparavant.. .Martyrisés et massacrés par d’autres hommes au regard froid, jeunes comme nous, mais entraînés au meurtre...
Nous ne sûmes rien de tout cela, et l’aube vint vite, qui nous vit s’ébrouer dans la gelée blanche. Ils n’eurent pas le temps de faire chauffer le succédané de café, car un paysan que nous n’avions pas vu venir, nous interpella timidement en nous priant de déguerpir, propriété privée oblige ! ..
Etait-il au courant des événements de la nuit ?… toujours est-il qu’il était resté prudemment à une vingtaine de mètres, à la vue des trois gaillards, équipés comme militaires en campagne. Après cinq minutes de palabres sur un ton aigre-doux, nous avons plié les tentes, et sac au dos, avons quitté le petit bois d’un pas vif
Nous allions reprendre la route d’Ascq, quand un groupe de femmes, l’air affolé, qui semblaient en revenir, nous en dissuada : Il y avait des allemands partout… il s’était passé des choses.., on ne savait pas bien… mais notre allure et notre tenue nous feraient certainement arrêter comme suspects...
Elles-mêmes avaient abordé avec méfiance nos cinq silhouettes sorties du brouillard épais, et venant d’on ne sait où...
Nous revînmes alors en direction de Forest, puis obliquant à gauche, suivant fossés et sentiers de champs, priment le chemin du retour. Passant non loin des bâtiments d’une grande ferme, puis contournant le bois de Montalembert nous nous engageâmes sur le “chemin vert”. C’était une grande allée, perpendiculaire à la lisière du bois, bordée de peupliers et d’un large fossé, où enfant, je venais pêcher des épinoches, des œufs de grenouille ou de salamandre pour les faire éclore dans des bocaux, que j’emportait ensuite à l’école Jean Jaurès...
Nous mimes là très longtemps, pour réunir quelques brindilles sèches et allumer un petit feu qui nous permit de se réchauffer d’une boisson chaude d’orge grillée.
C’est à la douane de Fives, que nous primes conscience de la tragédie dont nous avions été les témoins auditifs, sans jamais en deviner la nature. Des side-cars de la Feldgendarmerie circulaient sur la grand-route, des groupes se formaient dans les encoignures de portes, et les récits du massacre sanglant de la nuit se transmettaient des uns aux autres, toujours plus atroces
..............................................................
Plus qu'une peur rétrospective, c’est une sorte de rage impuissante qui m’a saisi, mêlée à une sorte de honte, d’être encore là, vivant, après être passé, dans l’inconscience, si près du malheur de mes frères...
J’ai quitté mes amis, sans un adieu et c’est sur le chemin de ma petite chambre du quartier St Sauveur que le changement s’était opéré en moi… ;
Depuis quatre ans, j'avais souvent côtoyé la tragédie et la mort. de l’exode affreux stoppé devant Amiens à notre refoulement sur Dunkerque, dans la débâcle….des exécutions d’otages à la recherche de corps broyés de parents et d’amis sous les décombres de mon quartier détruit à Hellemmes, la fuite devant le STO et même le séjour d’un an dans un maquis des Hautes Alpes, la “Chaîne”... j avait vécu tout cela comme à travers un incontournable écran de jeunesse et de soif de vivre...
Des millions d’êtres humains avaient déjà disparu dans une tourmente dont les dimensions et l’enjeu échappaient à mon entendement d’adolescent..
.Et voilà que je sentis que cette adolescence me quittait, et que sorti de cette chrysalide protectrice, il fallait que je devienne partie prenante dans l’immense conflit. Menu grain de sable sans doute, mais après tout, de même densité que chacun des assassins de la nuit, probablement de mon âge, et qu’il allait falloir maintenant affronter.
Ce qui a suivi ne fut que la conséquence de cette prise de conscience soudaine : ... la traversée aventureuse de la France au milieu de la débâcle allemande… A nouveau le maquis en Bourgogne du sud.. .la libération.. .l’Alsace, la Forêt noire.. .et la victoire enfin...

………………………………Additif postérieur au récit précédent :

VILLENEUVE d’ASCQ avril 1994 : Je suis assis dans l’herbe, au sommet d’un petit tertre dominant le lac du Héron, à quelques centaines de mètres de la grande ferme, devenue musée...
Sans la végétation nouvelle, disposée avec art par l’urbaniste, je pourrais apercevoir, au delà du nouveau quartier de Brigodes, le passage à niveau et le tertre du massacre.
Sur la gauche, je peux voir les frondaisons des premiers bois de Forest, où nous avons campé...
Au sud, au nord, la ville nouvelle s’étend, immense et tentaculaire, d’où me parvient une quantité de bruits, non identifiables. Là-bas, au delà de la butte de Quicampoix, par-dessus ce qui avait été le chemin vert, l’autoroute canalise ses milliers de véhicules, dont un léger vent d’ouest m’apporte le bruissement continu, pareil à celui des vagues sur les grandes plages de la mer du Nord.
Tous ces bruits de la vie semblaient pour moi vouloir s’opposer au souvenir du silence glacial qui s’ést abattu sur la grande plaine vide, cinquante ans auparavant.
Je m’attarde longuement à évoquer ceux qui, injustement, n’ont pas connu cette aube des Rameaux, mais qui, d’une certaine manière, par leur sacrifice, m’ont éveillé à ma dignité d’homme, libre.
…………………………………………………………..
C’était un matin d’automne, ensoleillé et très doux. Je sortis de sa poche un petit nécessaire à croquis qui ne me quittait jamais, et je me mis à écrire..
.

Composé en 1994 à l’occasion du 50° anniversaire du Massacre
Réécris à Angers en mars 2012 pour 39-45 Forum d'Histomag.
Tous les faits et circonstances sont rigoureusement exacts.
Nuit des Rameaux.JPG
Nuit des Rameaux.JPG (83.5 Kio) Vu 1620 fois


Cette tragédie enjoignit mon père à éloigner sa femme et les enfants vers la Bourgogne, Chalon sur Saône, ou la famille de mon camarade de maquis s'offrait à les recueillir. Ils profitèrent d'un convoi de réfugiés courant avril, et c'est ainsi que je me retrouvai seul avec mon père Pierre Louis COLIN (1901-1948) que je vénèrerai jusqu'à ma mort pour sa grande force morale, son courage exemplaire et la foi civique qu'il m'a enseignée...


suite prochain message


 

Voir le Blog de Jacques A.COLIN : cliquez ici


Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau message Post Numéro: 57  Nouveau message de Jacques A.COLIN  Nouveau message 24 Mai 2012, 18:01

3° partie – Jusqu’à la Libération



Quelque jours après l'annonce du débarquement du 6 juin en Normandie, nous fumes recueillis dans une chambre de la centrale jociste, rue lydéric, fuyant la petite maison de la rue Boitel à la suite d'un bombardement où nous avions failli perdre la vie.
J'avais été élu quelques temps auparavant dirigeant fédéral de la J.O.C. et c'est au Conseil Féderal que nous nous partagions les "Cahiers Français du Témoignage Chrétien" à distribuer discrètement dans notre entourage...Aux côtés de P. Noddings nôtre aumonier fédéral, je côtoyais Eugêne DESCAMPS, qui, de trois ans mon aîné, m'impressionnait beaucoup par la clarté de son jugement et son ardeur militante au service du mouvement ouvrier...(il devint après la guerre le grand syndicaliste que l'on sait..)

Dans cette petite chambre-bureau nous suivions sur une carte éplinglée au mur la progression des armées alliées débarquées le 6 juin. Lorsque à fin juin nous apprîmes que des unités d'avant garde avaient atteint la Seine près de Rouen, mon père, craignant d'être a jamais séparé de ses enfants, décida de rejoindre la Bourgogne par tous les moyens. Je donnai ma démission au Centre d'apprentissage


C’était un pari fou que cette nouvelle traversée de la France au milieu des mouvements de troupes allemandes, et sous les bombardements et mitraillages incessants des fameux « thunderbolts » et autres chasseurs bombardiers sur toutes les voies de communications. Nous mîmes huit jours pour atteindre Chalon sur Saône, en utilisant tous les moyens de déplacement imaginables, causes de rencontres insolites et d'aventures tragi-comiques et inoubliables.
Nous étions en juillet, le temps était splendide, la pression des allemands, occupés à l'ouest, moins pesante et nous pûmes en une dizaine de jours reprendre des forces auprès de notre famille et chez nos dévoués amis. La Saône était redevenue pour un temps mon amie voisine et j'y plongeais chaque jour avec jubilation…
Mais la guerre était toujours présente. Des bruits couraient que la région de Cluny s'était auto libérée et passée sous administration F.F.I.
Je décidai donc de rejoindre à nouveau le maquis, bien décidé à participer aux combats qui se préparaient pour la libération? Curieusement le tortillard Chalon Cluny fonctionnait encore, vivant ses derniers jours. Avec des ruses de sioux je pus l'emprunter, sans bagage, tandis Simone, ma future belle sœur, faisait le voyage de Givry à vélo pour m'apporter le sac à dos de mes affaires indispensables.
Je débarquai ainsi à Saint-Gengoux le National, parmi quelques jeunes de mon âge qui s'étaient eux aussi dissimulés séparément dans d'autres wagons. A la surprise générale il y avait sous un abri dans la cour de la gare deux bureaux de recrutement qui voisinaient apparemment sans hostilité: l'un pour les Forces Françaises Libres, d'obédience gaulliste(FFI) qui, pour l'humour sans doute, était à droite, l'autre pour les Francs Tireurs Partisans, d'obédience communiste (FTP) un peu en retrait sur la gauche!…Sans idée préconçue, les nouveaux arrivants s'étaient partagés au hasard, et j'avoue très honnêtement que c'est celui-ci qui me fit signer mon engagement au premier bureau. Je n'avais aucune prévention envers mes camarades communistes, en ayant connus, anciens de la guerre d'Espagne, lors de mon premier maquis. Mais le sort en voulut ainsi et je devins pour un temps qui s'avèrerait limité, soldat de deuxième classe au 6ème Chasseur, cantonné à Curtil sous Burnand dans l'ancienne cure désaffectée.
Le fichier joint PERMFFI.JPG n'est plus disponible.


Mon deuxième séjour au maquis ne fut pas glorieux. Le recrutement s'accélérait chaque jour par le bouche à oreille, les armes étaient en quantité insuffisante, et l'absence de cadres obligeait le commandement à des actions de guerre limitées avec du personnel réduit et aguerri, en petits commandos.
Bien qu'enrégimentés nous étions dans l'inaction totale et bien plus occupés à discuter en lampant un affreux gamay d'arrières-côtes que voulait bien nous vendre au pichet le bistroquet du village. Je fis quelques marches d'entraînement et c'est en parcourant ces collines de la rive gauche de la Grosne que j'acquis la certitude que je finirai mes jours au sein de cette Bourgogne du sud : Ayant grandi dans un paysage de briques rouges reconstruit après la Grande Guerre, j'étais fasciné par les habitations aux formes trapues mais élégantes qui semblent faire corps avec le sol d'où sont issues les pierres qui les élèvent. Et je découvrais l'art roman dans ces petites églises où je retrouvais les lois géométriques simples et l'amour des proportions que m'avait enseigné mon maître de compagnonnage…

Après le débarquement de Provence, le 15 août, les choses se précipitèrent et la 1ère Armée mit moins de trois semaines pour atteindre Autun et Chalon, après quelques durs engagements dont nous eûmes les échos, notamment à Sennecey que nous pouvions presque apercevoir depuis l'excellent observatoire qu'était notre cantonnement dans la cure abandonnée de Curtil sous Burnand…
La nouvelle de la libération de Chalon avait enfiévré nos esprits, et c'est sans état d'âme que je "désertai" mon 6ème chasseur pour rejoindre à marche forcée la caserne Carnot à Chalon où, au hasard du premier bureau de recrutement je signai un engagement pour la durée de la guerre. Le 8 septembre 1944, j'étais officiellement enfin un combattant de la 1ère Armée, 9ème DIA, 36è groupe FTA.
Mon rêve d'enfant était devenir pilote de chasse. J'avais grandi dans l'admiration que portait mon père aux Guynemer, Fonck et autre Vuillemin dont il avait été le mécanicien en zone d'occupation rhénane en 1922. Mes héros d'adolescent portaient les nom de, Mermoz, St Exupéry, Nungesser… et mon idéal féminin était un mélange de la blonde Hélène Boucher et de la brune Maryse Bastié, bien oubliées de nos jours. Avec l'inconscience et le culot de la jeunesse j'avais demandé que soit précisé sur mon acte d'engagement mon désir d'être versé dans l'aviation dès que cette arme serait réorganisée en France. Comme nous le verrons plus loin, cette audace enfantine eût un grand effet sur la suite de mon existence…

Le mois de septembre 44 fut à Chalon comme dans les autres villes bourguignonnes un mois de folie joyeuse. Après la terrible explosion d'un train de munitions à St Rémy, la population avait vu fuir les allemands, non sans, hélas, de nombreuse exactions, mais la joie de la libération éclatait dans chaque foyer, dans chaque bistrot, Les filles étaient belles et on dansait à chaque coin de rue.

Le temps était magnifique, le front s'était stabilisé approximativement au delà d'une ligne Dijon Besançon Montbéliard et la Ière Armée prenait un temps de repos pour compléter ses effectifs et renouveler ses approvisionnements.
Je fis mes classes et une rapide instruction dans la plaine qu'était alors l'actuel quartier des Aubépins. Les quatre pièces de 47 Beaufort de la batterie C. y était installées. De suite, bien que piètre conducteur, je fus affecté comme chauffeur de la Jeep de l'aspirant chef de pièce et comme tel chargé de lui faire découvrir la ville, ses habitants et ...sa rivière dans laquelle on pouvait encore se plonger avec délices, dans des eaux limpides et stérilisées par le soleil...

PERMFFI.JPG
seul souvenir conservé 2ème passage au maquis-
PERMFFI.JPG (122.5 Kio) Vu 1619 fois


Le premier octobre notre unité rejoignait la ligne de front dans le secteur de Beaume-les-Dames. Le temps s'était mis à la pluie au départ de Chalon et c'est sous un déluge permanent, dans le froid, la boue, les poux et la vermine que je découvris les rigueurs de la vie de combattant et le chuintement léger des obus de mortier...
Ce mois là fut d'une dureté extrême... les éléments déchaînés paralysaient les affrontement, routes défoncées ou coupées par inondation.. Sur la petite clairière de montagne au dessus de Rougemont encore occupée où notre unité stationna tout le mois nous partagions les temps de garde et de repos dans des trous d'un mètre sur deux que les deux toiles de tente réglementaires US n'arrivaient pas à protéger...Dormant sur un lit épais de branchage, transis, sales et puants... et pour ce qui me concerne souffrant épisodiquement et en silence de cette maladie qui m'avait déjà éloigné du combat.
Mais cette fois, je n'aurais donné ma place à personne !...

L'offensive qui devait nous amener à Belfort et aux marches de l'Alsace fut lancée le sept novembre par une avalanche de feu déclenchée par l'artillerie lourde américaine La pluie avait momentanément cessé, et c'est de trou d'homme creusé à la hâte, en paillis de ferme jurassienne que nous passâmes les jours qui nous séparaient de Noël. J'y gagnais les félicitations du commandant de batterie et les reproches véhéments de mes camarades, pour avoir tiré, bien maladroitement, mes premiers coups de canon contre un Messerschmidt apparu furtivement dans le ciel de Béthoncourt.
L'aviation allemande étant cependant peu présente le groupe fut affecté en protection d'infanterie et fit campagne en ligne jusqu'à la stabilisation momentanée de ce qu'on appela la "poche de Colmar" sur une ligne passant par les crêtes des Vosges, si meurtrières pour les bataillons de marche FFI, et par le cours de la Doller rive gauche et Lutterbach au nord ouest de Mulhouse, où les allemands était retranchés.

soir de garde dans jura mi-reduit.JPG
soir de garde dans jura mi-reduit.JPG (99.05 Kio) Vu 1619 fois



A quelques jours de Noël, le 36°FTA fut envoyé au repos dans la région de Delle. Lors d'une revue des troupes, un général suivi de notre colonel interrogeait chaque soldat et particulièrement les jeunes engagés issus des F.F.I.. Quand ce fut mon tour, je lui demandai timidement qu'il soit fait droit à mon désir d'être versé dans l'aviation, comme je l'avais naïvement demandé lors de mon engagement à Chalon sur Saône...
C'est ainsi que le lendemain de Noël, à ma grande surprise, je me retrouvai nanti d'un ordre de mission m'enjoignant de rallier par mes propres moyens le dépôt de la 1ere région aérienne à Dijon.
Je quittai avec un certain regret mes camarades de l'armée d'Afrique, mais la perspective de voir mon rêve exaucé atténuant ma nostalgie, C'est avec empressement que j'entrepris de rejoindre ma nouvelle affectation. Seul l'auto-stop était praticable. Dans la tournante des camions alimentant le front, le commerce G.I. n'ayant jamais perdu ses droits, c'est un GMC américain de retour, chargé de tonneaux de choucroute à destination de Chalon/Saône, qui accepta de m'embarquer au carrefour d'Héricourt avec consigne de me déposer à Dôle, où je devais, théoriquement, retrouver des conditions de transport normales pour rejoindre Dijon...
Mais le destin ne l'entendait pas ainsi...!
................................................................................
C'est à la nuit tombante que j'étais monté près du chauffeur, un G.I. bronzé, sympathique et volubile. Mon paquetage constitué des deux sacs marins et de la musette réglementaires avait été déposé parmi les tonneaux de choucroute.
Nous mîmes environ deux heures pour rejoindre, tous feux éteints temps de guerre oblige, la modeste gare routière de Dôle qui se trouvait alors à l'entrée de la route de Besançon. C'était le lieu de bifurcation normal pour rallier ma destination... et mes rêves de pilotage...
Après avoir vu disparaître dans la grand-rue de Dôle le GMC dont le chauffeur avait aimablement mais prestement déchargé mon paquetage sur le trottoir, je m'aperçus soudain avec désolation que ma musette américaine était restée parmi les tonneaux de choucroute... C'était pour le modeste trouffion que j'étais, une véritable catastrophe car elle contenait outre le petit matériel de toilette et de protection indispensable au militaire en campagne, quelques ration K (1), quelques souvenirs de guerre, et surtout...surtout, perte irréparable, un bloc à dessin empli de croquis sur le vif, relatant notre campagne jurassienne...
Mon ordre de route ne mentionnait pas de délais; je n'étais donc pas limité par le temps et décidai instantanément de partir à la recherche de mon transporteur qui avait pour projet, m'avait-il dit, de vendre sa marchandise à Chalon/Saône.
Un vieil autobus Citroën était en partance et une heure trente après, je débarquai à nouveau chez mes amis de la rue des Meules, surpris mais toujours aussi accueillants. Entre temps la ville de Lille ayant été libérée mes parents avaient regagné le Nord et réoccupé notre petite maison, bien mal en point mais toujours debout...
Nous passâmes deux jours à courir les charcutiers de Chalon, suivant à la trace notre astucieux G.I. et le manquant parfois de peu...
Mais il fallut bien nous rendre à l'évidence, ma musette était définitivement perdue, car il était peu probable que le fabricant de choucroute, un certain Laudenbach ? ou Laudenbaum ? des environs de Thann, revît un jour son intermédiaire...
Il me fallait sans trop tarder rejoindre mon affectation. La rage au coeur, je m'octroyai sans vergogne trois jour de permission et c'est au lendemain du réveillon, par le froid glacial de ce premier janvier 1945, que je montai vers 17 heures dans un omnibus, aux vieux wagons de récupération, qui partait pour Dijon...
J'étais loin de m'attendre à ce qui allait survenir.
..

............................................................................

Aujourd'hui, à plus de cinquante huit ans de distance, la situation dans laquelle je me trouvais alors et les sentiments qui étaient les miens, m'apparaissent comme irréels et complètement décalés :


fin du récit: message suivant...


 

Voir le Blog de Jacques A.COLIN : cliquez ici


Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau message Post Numéro: 58  Nouveau message de Jacques A.COLIN  Nouveau message 26 Mai 2012, 18:30

39-45 - NOTES & MEMOIRES d'un CH'TI[


Une belle histoire… de guerre


Chalon sur Saône, 1er janvier 1945

Le fichier joint la batterie C reduite vignette.JPG n'est plus disponible.


Je m’étais engagé quatre mois auparavant ans l’armée DE LATTRE avec la ferme intention d’en découdre avec la peste brune et j’étais là, blotti dans un compartiment sans fenêtre d’un train de récupération qui ne voulait pas partir...
L’offensive allemande des Ardennes était en train de finir dans la débâcle, mais la poche de Colmar résistait toujours...
J’avais eu mon baptême du feu pendant l’offensive de novembre vers Belfort... et même envoyé maladroitement une dizaine d’obus de quarante en direction d’un messerschmidt surgi soudain des nuages dans le ciel de Béthoncourt !
Non, ces quatre mois de campagne dans le Jura n’avaient pas été la charge héroïque que j’imaginais... Le froid, la pluie, la boue, puis la gale et les poux... et quelques pluies de « minenwerfer » avaient singulièrement refroidi mon enthousiasme ! Mais enfin je pouvais désormais postuler au titre d’ « ancien combattant » [1].
Et voilà que, nanti d’un ordre de mutation dans l’Armée de l’air, je venais de passer trois jours à courir en vain les charcutiers de Chalon-sur-Saône... pour récupérer un carnet de croquis de guerre, exécutés pendant la campagne du Jura, bêtement oublié avec ma musette de campagne dans le GMC d’un G.I. trafiquant de choucroute, qui m’avait pris en stop au carrefour d’Héricourt et qui m’avait déposé au carrefour de Dôle vers Dijon...
Un convoi sanitaire chargé de blessés s’était immobilisé sur la voie contiguë, tandis que remontaient vers le nord et le front d’incessants convois de matériel et de munitions... Transi, blotti entre mes deux sacs marins, je lui avais à peine accordé un regard...
Mon amie la Saône charriait ce jour là de petits glaçons, et j’étais là à rêver aux plongeons de l’été de la libération et aux formidables parties de pêche que j’y ferai après la guerre...
Enfin, après une longue attente dans le froid et la nuit tombée le train sanitaire avait disparu vers le sud, tandis que mon convoi s’ébranlait vers le nord, dans le bruit de vapeur s’échappant d’une vieille locomotive de récupération... Un moment sorti de ma torpeur, j’y replongeai avec délice...

.............................................................................................
Il n’était pas loin de minuit, et mon train de fortune s’était arrêté, dévié sur une voie de garage d’une station inconnue, tandis que défilaient d’incessants et longs convois sur la voie principale...
J’entendis des bruits de pas sur le ballast. Des voix pestant contre l’obscurité totale s’élevaient ; quelqu’un était à la recherche d’un compartiment.
Je m’approchai de la porte sans vitre, et à la faible lueur d’une « bardinette » [2], cadeau de mes amies chalonnaises, j’aperçus parmi quelques ombres, les reflets brillants des galons d’épaule d’un officier en battle-dress.
Ravi de la possibilité d’avoir quelques camarades pour ce voyage interminable, j’ouvris la porte et invitai le lieutenant à me rejoindre avec ses compagnons. En fait il s’agissait de la femme et la fille de ce militaire en permission... Ils étaient venus passer le réveillon à Beaune, ville qui était le berceau de toute la famille et rejoignaient leur domicile à Dijon.
Dans la quasi-obscurité, la voix du lieutenant était sympathique. Il était très disert et très attentionné pour le jeune combattant que j’étais. J’appris très vite que nous nous étions côtoyés pendant la campagne du Jura, qu’il avait pris part à la prise de Belfort, avec le 4e RTM, avant d’être replié sur Auxonne, atteint par la limite d’âge...
La température extérieure avait encore chuté et dans le compartiment ouvert à tous les vents nous nous étions serrés les uns contre les autres. Les parents faisant face à la jeune fille qui peu à peu se blottissait contre mon flanc droit, ce qui, entre nous, provoquait en moi un certain trouble délicieux et inconnu qu’inconsciemment je cherchais à prolonger...
Le train avait repris sa route à petite vitesse... L’air glacé s’engouffrant dans les baies sans vitrage, je sortis d’un sac marin les deux couvertures réglementaires et nous nous enveloppâmes deux par deux dans cette protection tandis que la conversation était entretenue autant pour se réchauffer que pour mieux faire connaissance. Mes interlocuteurs avaient un chaud accent bourguignon et l’inconnue qui se pressait contre moi, bien que peu diserte, roulait délicieusement les « rr »... avec une voix juvénile et fraîche. Avec une malice qui certainement ne trompait personne, j’actionnai à tout propos la « bardinette » pour essayer d’apercevoir son visage... Mais ce fut peine perdue... Je ne fus pas plus heureux quand nous débarquâmes à six heures du matin en gare de Porte Neuve à Dijon. L’endroit et les alentours étaient déserts, éclairé par un minuscule lumignon, le thermomètre indiquait moins 17°... et la nuit que nous venions de passer n’était pas de nature à faire se prolonger les effusions !
J’avais à rejoindre au plus tôt ma nouvelle affectation, au dépôt de l’Armée de l’air. Devant mon désarroi de ne trouver aucun foyer d’accueil pour militaire en transit, les parents de la jeune fille m’offrirent de terminer la nuit à leur domicile qui se trouvait à quelques centaines de mètres dudit dépôt, la caserne Krien.
C’est donc une demi-heure plus tard, après une course au pas de charge dans l’air glacé que je pus enfin apercevoir l’objet des mes émois secrets de la nuit.
Dans la petite salle à manger où j’avais déposé mon paquetage, elle avait appliqué, droite comme un I, le dos au radiateur qui commençait à chauffer et quand nos regards se croisèrent pour la première fois, je sentis confusément que c’était elle que j’attendais depuis si longtemps et que tôt ou tard, nos vies seraient indissolublement liées...
Elle portait une robe bleue à pois blancs (aujourd’hui, elle me dit qu’elle était rouge !) qu’agrémentait de petits galons et un col de dentelle assortie. Une chevelure abondante aux reflets roux encadrait un visage un peu poupin mais rayonnant de jeunesse innocente.
Mais ce sont les yeux et le regard de la belle qui m’accrochèrent irrémédiablement... un regard bleu, pur, franc, ingénu sans malice, mais prêt à se donner à qui saurait le prendre...
la batterie C reduite vignette.JPG
la batterie C reduite vignette.JPG (21.17 Kio) Vu 1566 fois


Le jeune sergent qui inscrivait les jeunes engagés arrivant au dépôt me fit comprendre que personne ne m’attendait ici, et que si j’avais quelque point de chute à Dijon j’étais libre d’incorporation en attendant une nouvelle affectation.
Je ne connaissais personne d’autre que mes compagnons de voyage et me vint donc l’idée de leur demander de me louer la chambre inoccupée de leur fils, déporté en Allemagne... En fait c’est avec gentillesse qu’ils m’offrirent la pension complète.
C’était sans calcul de ma part, mais c’est un fait incontournable : j’avais un pied dans la place !
Je passais mes journées à visiter la ville, accompagnant et raccompagnant ma belle au lieu de son travail, nous découvrant peu à peu l’un l’autre.
Que croyez-vous qu’il arriva ?
À la fin de janvier nous étions secrètement fiancés...
Non ! non ! pas fiancés à la mode 2000 où « l’on fait Pâques avant les Rameaux » comme disait son père... Nous nous étions promis, tout simplement, avec ce délicieux émoi de l’attente. Nous étions puceaux tous les deux et heureux de l’être, bien que l’attirance physique ne nous fisse pas défaut. Mais c’était encore dans l’air du temps que de se respecter jusqu’à l’éventuel mariage. Ce que nos modernes gourous psychanalystes prendraient pour un refoulement de la libido, n’était à nos yeux qu’un temps de patience volontaire, destiné à éprouver la force et la permanence de nos sentiments.
La solde au front m’ayant laissé quelques économies, 300 francs 1945, je les engloutis toutes dans une petite bague en argent que je lui remis la veille de ma nouvelle affectation en unité combattante, au début de février 1945.

Elle la porte toujours...

lesyeuxdemamy.jpg
lesyeuxdemamy.jpg (7.81 Kio) Vu 1566 fois


La fin de la guerre


Fin février, je fus affecté au Groupe de Reconnaissance 2/33, stationné à Luxeui .puis après le passage du Rhin à COLMAR libérée. C’est en qualité de dessinateur industriel que je fus affecté à l’exploitation et interprétation des photos que rapportaient les valeureux pilotes des Mustangs P.51 du groupe…
Bien que toujours en unité combattante, ma situation militaire était bien plus confortable que dans les trous d’homme de la campagne précédente,… et ma foi ! je ne m’en plaignais pas…
En avril, j’eus l’avantage de participer à l’exposition de l’Armée Française au Grand Palais à PARIS en présentant ces 6 panneaux à la gloire de l’Armée de l’Air : Ce fut ma première participation artistique à une exposition collective !

EXPO DE LARMEE PARIS avril45.jpg
EXPO DE LARMEE PARIS avril45.jpg (122 Kio) Vu 1566 fois

Après la victoire, je fus envoyé au Maroc , en espérant décrocher ce brevet de pilote de chasse qui m’avait toujours fait rèver…
En fait, j’en revins de l’Ecole des Transmissions de FEZ, Sous Officier, Breveté Mécanicien Radio, et l’avenir étant assuré, nous nous mariâmes à mon retour en novembre 1946.

Jacques et Geneviève 12 novembre 46reduit.jpg
Jacques et Geneviève 12 novembre 46reduit.jpg (4.2 Kio) Vu 1566 fois



Cela a l’air de la photo d’un grand mariage bourgeois... ! et pourtant nous étions très pauvres.. Je n’avais en poche, en tout et pour tout que ma première solde de sous officier mécanicien, breveté en septembre...(7.000 francs 1946)
Ma belle tenue fantaisie était une tenus de sortie des surplus américains teinte en bleu marine pour la circonstance, et ma belle avait confectionné elle-même sa robe de mariée...coupée par sa maman...
Je passai les cinq années de mon engagement à la Base aérienne 102 de Dijon-Longvic comme chef de station radio-goniométrique à la tour de contrôle, tandis que ma jeune épouse me donnait trois beaux enfants…et plus tard une quatrième….
Mais tout cela est une autre histoire… !
Nous avons fêté nos Noces de diamant en 2006, avec les trois générations de nos descendants.

C’est ce que m’a enseigné mon père….


 

Voir le Blog de Jacques A.COLIN : cliquez ici


Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau message Post Numéro: 59  Nouveau message de omega.067  Nouveau message 26 Mai 2012, 18:53

et bien MERCI, Jacques, je suis ravi d'avoir lu ton récit :bravo: :bravo:


 

Voir le Blog de omega.067 : cliquez ici


Re: "39-46 - NOTES & MEMOIRES d'un Ch'ti, Maquisard et Combattant Volontaire"

Nouveau message Post Numéro: 60  Nouveau message de Prosper Vandenbroucke  Nouveau message 29 Mai 2012, 17:44

Bonjour Jacques,
Je te remercie pour ce poignant récit.
Un récit que je peux qualifier d'historique et dans lequel tu n'as omis aucun détail.
Grand merci à toi pour cette très intéressante et émouvante histoire.
Cela mériterais d'ailleurs d'être publié. Pourquoi pas dans notre Histomag44 ?
Bien amicalement
Prosper ;)
L'Union fait la force -- Eendracht maakt macht

Image
http://www.freebelgians.be

Administrateur d'Honneur
Administrateur d'Honneur

Avatar de l’utilisateur
 
Messages: 99361
Inscription: 02 Fév 2003, 21:09
Localisation: Braine le Comte - Belgique
Région: Hainaut
Pays: Belgique

Voir le Blog de Prosper Vandenbroucke : cliquez ici


PrécédenteSuivante

Connexion  •  M’enregistrer

Retourner vers HISTOIRES VÉCUES - RÉCITS DE GUERRE




  • SUR LE MEME THEME DANS LE FORUM ...
    Réponses
    Vus
    Dernier message
 
  ► Les 10 Derniers Posts du jour Date Auteur
    dans:  Les Feux de la rampe 2.0 : Épaves de guerre (1936-1945) 
il y a 3 minutes
par: Prosper Vandenbroucke 
    dans:  Corpi d'elite delle Forze Armate Italiane dal 1935 al 1945 
il y a 24 minutes
par: iffig 
    dans:  Les Feux de la rampe 2.0 : La guerre en Indochine, 1 er septembre 1939/14 septembre 1956. 
il y a 47 minutes
par: alfa1965 
    dans:  Moteurs d'aviation soviétiques 
Aujourd’hui, 20:11
par: Marc_91 
    dans:  Biographie de Darnand ? 
Aujourd’hui, 19:10
par: frontovik 14 
    dans:  Meeting aérien de Cerny/La Ferté-Alais les 18 & 19 Mai 2024 
Aujourd’hui, 17:33
par: coyote 
    dans:  Identification d'un MS-406-C1 
Aujourd’hui, 15:45
par: Clauster 
    dans:  Quiz suite - 7 
Aujourd’hui, 14:05
par: Prosper Vandenbroucke 
    dans:  Les bunkers de Pignerolle 
Aujourd’hui, 12:05
par: Guillaume49 
    dans:  Que faisaient-ils en 1914-1918 
Aujourd’hui, 10:33
par: Prosper Vandenbroucke 

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 16 invités


Scroll