Le TEMPS de l’HORREUR
1:14 ans et la guerre…En septembre 1939, je vis pour la première fois mon père vénéré pleurer à chaudes larmes. Pour avoir vécu dramatiquement la précédente, il savait combien l’avenir serait dur pour sa famille avec cette nouvelle guerre qui s’ouvrait. Il ne se trompait pas hélas.. !
L’hiver 39-40 fut très froids et neigeux et le retour du travail, le soir, sur mon lourd vélo, était devenu un supplice dont je garde
aujourd’hui encore le souvenir… La montée de la petite rue Jean Jaurès, que je faisais en haletant , le front mouillé de fièvre, avec cette douleur au côté qui ne me lâchait pas, et qui me faisait m’effondrer sur mon lit glacial,…je ne puis l’oublier…
La « drôle de guerre » battait son plein, sans trop nous alarmer puisque « …nous étions les plus forts.. ! », que « la route du fer était coupée… ! » à Narvick et que la Belgique étant neutre… : « ils ne passeront pas… ! » Derrière la ligne Maginot réputée infranchissable mais qui s’arrêtait à la lisière des Ardennes, des milliers de fantassins s’entassaient dans la neige et la boue… Il était conseillé de leur envoyer des passe-montagnes et la distribution de vin chaud faisait la « une de tous les journaux… ! et dans la population on distribuait des masque à gaz, tandis que Maurice Chevalier nous chantait : "on ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried...."
Le point de pleurite et primo-infection que je traînais ne m’empêchait pas de me passionner pour cette confrontation qui pour l’instant avait plutôt le caractère d’un jeu de propagande. Je connaissais le nom de tous les avions des armées en présence, celui des navires de guerre, des lignes Siegfried et Maginot réputées infranchissables…Je n’avais que 15 ans, mais ayant grandi près d’un père, ancien mécano avion de l’escadrille du général Vuillemain, qui vénérait les Fonck, Guynemer et autres héros de 14-18, j’avais décidé d’être moi aussi , un jour, pilote de chasse…..
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Au printemps de 1940, il semblait que la guerre ne dusse jamais nous atteindre et ce fut une grande surprise quand vers le 15 mai se mit à déferler sur la « grande route » venant de Mons, une multitude de citoyens belges fuyant l’envahisseur…Et déjà se joignait à cet exode, bon nombre de familles françaises frontalières entraînées dans la panique…
En nous rendant encore à notre travail nous traversions cette marée humaine sur la rue Pierre LeGrand au niveau de ‘l’ancien octroi de Lille… C’était un spectacle à la fois folklorique, pathétique et navrant… Le flot s’écoulait dans un brouhaha d’exclamations, de cris d’enfants, de grincements de landaus épuisés, de charrettes à bras brinquebalantes…
Ces jours là, je fus inopinément témoin de la première scène de bombardement de ma vie : deux avions venus de l’est à moyenne altitude entamèrent un piqué soudain dans un bruit de sirène effrayant en lâchant au début de la ressource deux grosses bombes qui semblaient reliées entre elles ; ces bombes s’abattirent au loin sur la route et la barrière de Lezennes…sans que j’aie jamais su les dégâts subits. Je venais de découvrir le « stuka » qui devait nous poursuivre au cours de notre bref exode qui suivit…
2: L’Exode et l’occupation:
C’est le 10 mai 1940 , que les allemands envahissent la Belgique . –
Le 17 mai : Sur la grand route venant de Tournai, qui traverse ma petite ville de la banlieue de Lille, le flot des Belges fuyant les combats ne cesse de grossir, dans un brouhaha indescriptible de cris, de pleurs d’enfants, d’interpellations et d’appels au secours…-
18 mai ; pour la première fois, je vois au loin deux stukas piquer, sirène hurlante, et lâcher leurs bombes du côté de la barrière de Lezennes. La guerre nous rattrape !. ..
Avant de s’enfuir, la direction de l’usine (Peugeot) nous verse un acompte symbolique sur notre « quinzaine » et nous dit de rallier par nos propres moyens la maison mère Peugeot à Sochaux !! pour recevoir le reste et avoir du travail… ! (sic) …
19 mai au matin nous fermons la maison , donnons la liberté aux lapins et poulets , et nous agglutinons au sombre cortège. Nous sortons de Lille, par Haubourdin et le Faubourg de Béthunes. Le cortège s’est amenuisé car beaucoup de belges, épuisés, se sont arrêtés à Lille où beaucoup perdront bientôt la vie... ; il est cependant suffisamment dense pour nous empêcher de monter sur nos vélos lourdement chargés ; et nous suivons le flot en les poussant, à pieds…mon père et moi ayant sur notre porte bagage Robert 8 ans et Thérèse 6 ans ; Mon frère cadet Pierrot et ma mère poussent également leur vélos chargés de bagages…
20 mai – après avoir dormi à même le sol, nous rejoignons le flot humain qui contourne Béthune par des chemins inconnus. Dans ce flot des groupes de soldats perdus, traînent misérablement leur attirail tandis que d’autres s’assoient sur le bas côté pour attendre d’éventuels groupes de leur unité. Dans un virage une camionnette abandonnée pleine de ravitaillement est en cours de pillage par des réfugiés affamés. Mon père les harangue, faisant appel à leur dignité et finalement se saisit d’un kilo de sucre en morceaux qu’il distribue alentour aux enfants épuisés… Oh ! mon cher papa, quel souvenir… !
- Mon père vénéré en 1923 à Manheim
- PAPA1923.JPG (69.34 Kio) Vu 5485 fois
Le temps est au beau fixe et nous voulons atteindre Amiens au plus vite. Nous dormons le soir dans l’étable d’une ferme abandonnée, à quelques lieues de Saint-Paul-sur-Ternoise.-
21mai – Dans la foule le bruit court : des chars allemands on été vus à Hesdin ; Nous traversons un petit village dont quelques maisons sont en flammes tandis qu’un Dornier 17 nous survole à très basse altitude brièvement mitraillé par une arme française... sans effet apparent….
C’est fini pour nous, la route d’Amiens est coupée…nous n’irons jamais à Sochaux ..! Peut-être par l’Angleterre ?? par Calais ou Dunkerque ?
22 mai - : Enfourchant nos lourds vélos, nous avons quitté le convoi désorienté et par une petite route gagné à l’ouest, dans la journée, la route de Saint-Omer où demeurent mes grands parents.
C’est dans les caves de leur grande maison 150 rue de Dunkerque que ce terminera notre bref mais effroyable exode. Dans ces caves sombres et humides, nous sommes huit adultes et quatre enfants sur des paillasses…Nous percevons par le sol le grondement lointain de l’agonie de Dunkerque, puis le 26 l’énorme explosion qui détruit, bien inutilement, le pont de la gare sur le canal Neufossé… !
Les troupes allemandes investissent la ville le 27 mai et commence alors l’incessant défilé des fantassins teutons, dont les bottes ferrées martèlent les pavés au rythme de leur chanson de marche jamais interrompue : Ayi, ayo aya,…(bis)… ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, a aaaaah…
Jusqu’aux premiers jours de juin, nous restons reclus, passant les nuits dans la caves, car nous n’imaginons pas que les armées Française et Anglaise restent sans réagir à cette nouvelle invasion qui rappelle à mes parents celle de 14-18…si meurtrière pour notre famille…
Les vivres et l’argent liquide manquent et mon petit frère et moi nous profitons de notre petite taille pour aller piller le magasin des subsistances militaires que des réfugiés ont éventré avant l’entrée des allemands. Nous en rapportons quelques centaines de boites de sardines et de corned-beaf , du café et de la farine, qui pour un temps nourrirons toute la famille…Un marinier dont la péniche est bloquée près de l’écluse a défoncé quelques tonneaux et vend du vin d’Algérie pour quelques sous, à qui ose s’approcher du canal ;. Pierrot et moi y acquérons quelques brocs de cinq litres…
Le temps de ce mois de juin est magnifique.. les quelques soldats allemands en quartier libre que nous rencontrons au cours de nos escapades nous paraissent plutôt gentils… : « ach, klein fransouze…pass mal off… ! » (pardon pour mon écriture phonétique !)…Mangeurs de pain-caca, ils se sont précipités dans toutes les boulangeries–pâtisseries, les pillant à l’occasion, pour se goinfrer de notre bon pain blanc et autres gâteaux réputés.. !
Mais l’organisation de l’invasion était parfaite et très vite ils font tourner les rotatives … C’est par un journal contraint et soumis et largement distribué que nous apprenons la terrible déroute de nos armées…
Dès lors, pour nos parents durement éprouvés en 14-18, un seul homme peut arrêter le carnage : celui qui en 1916 a vaincu les Allemands à Verdun, Pétain , qui jouit, dans notre région ravagée vingt ans avant, du prestige de « Sauveur de la Patrie »…
Faute de radio, nous ne savons pas qu’à Londres un inconnu du nom de De Gaulle a repris l’épée de la France à genoux…Mais ça viendra… !
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Pour l’heure, l’administration teutonne, par voix d’affiches au ton triomphant ou menaçant, incite tous les réfugiés qui campent dans la ville et les faubourgs alentour à retourner dans leurs lieux de vie habituels. Les chemins de fer sont réquisitionnés et assureront leur transport…sous la protection de la l’armée allemande…
Des lors, pour les pauvres gens, surtout des Belges, qui ont péniblement emporté leurs biens précieux ou indispensables, plus ou moins volumineux, la recherche d’un moyen de transport les précipite dans le magasin de mon grand-père dont la vitrine a conservé son exposition de landaus et voitures d’enfant d’avant la débâcle…
En quelques jours le modeste stock de ce qui roule sur deux ou quatre roues est liquidé à vil prix, tout en procurant à nos quatre familles un ballon d’oxygène sous forme d’argent liquide de toutes nationalités… Pour faire face à cette demande pressante, mon grand père Auguste propose alors de fabriquer des petites remorques légères avec le stock de petites roues de landaus ou petit vélo d’enfant, en pièces détachées…
Dès lors toute la famille s’y mets, Toutes les ferrailles qui traînent dans les recoins de l’atelier sont limées, pliées forgées et ajustées pour devenir longerons, essieux, guidons de chariots rustiques que les femmes peignent avec les vernis colorés pour vélos…Même le grand lit en fer forgé du second étage est ainsi dépecé, déroulé, et soudé et de même pour un vieux lit-cage qui rouillait dans une réserve de l’atelier…
Pour le garçon malingre que je suis alors, le temps merveilleux de ce mois de juin 1940 semble avoir eu un effet bénéfique… Les efforts surhumains de l’exode, suivis de longues périodes de repos forcé et d’exercices périlleux, le soleil, l’air des collines artésiennes ont eu raison de ma primo-infection et quand à la mi-juillet arrive l’obligation de rejoindre Lille, je suis en pleine forme et prêt à affronter mon destin..
Fin juillet, sonne l’heure du retour à la maison… ! Nous montons sur un wagon plateforme découverte d’un long convoi qui nous ramène à vitesse réduite jusqu’à Lille…
Entre Bailleul et Armentières, la voie longe de près la route nationale, et nous pouvons alors prendre conscience du désastre inouï qu’a été cette débâcle des armées française et anglaise se repliant sur Dunkerque…Sur les bas cotés, un incroyable amoncellement de matériel militaire et civil s’entasse en files ininterrompues, détruit, incendié, voire simplement abandonné….
C’est l’âme toute chamboulée que nous arrivons le soir dans notre petite maison, qui n’a pas souffert de l’épisode…..Nous retrouvons « titi » notre poulet fétiche qui picore avec deux congénères dans les tiges de pommes de terre…mais les lapins ont disparu…
Le quartier n’a pas souffert, certains de nos voisins sont restés, comme mes cousins Dupond dont le père, mon parrain Adrien, était mobilisé comme aiguilleur en gare de Lille… Ils nous racontent l’investissement de la ville par les Boches, les combats de Lambersart, et de la Citadelle où s’étaient enfermés plusieurs régiments d’infanterie…dont les débris du 27° R.I. de Dijon.. Dans ce régiment prisonnier, un certain adjudant-chef .Bachelard, qui, six ans plus tard deviendra mon Beau-père…(
mais nous n’en sommes pas là…voir fin de récit)
Notre surprise est grande de constater la présence de deux sentinelles en tenue de combat, veillant à l’entrée des Ateliers du Chemin de fer d’Hellemmes…à quelques pas de notre habitation…
C’est alors que nous prenons conscience qu’il se passera beaucoup de temps avant le retour de la Liberté….
- Traduction picturale d'une image obsédente
- exode 20 mai 40.jpg (117.98 Kio) Vu 5485 fois
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Vie sous l'occupation...et les bombardements alliésPatience S.V.P.