De la tragédie du Lancastria aux empochés de Saint Nazaire.
Ces témoignages sont ceux de Clément, Nazairien depuis toujours et encore, enfant, trois fois particulièrement affecté par cette guerre. Il a bien voulu nous rapporter quelques uns des évènements qu’il a vécus. Il ne souhaite pas révélé son entière identité. Je garantie cependant l’authenticité de ce récit, car Clément n’est pas un étranger pour moi et ma famille. J’espère avoir bien respecté sa pensée et n’avoir rien modifié dans la présentation de ses souvenirs. Merci à lui d’avoir accepté de nous transmettre la petite histoire, la sienne, toujours pleine de faits uniques.
Albert Gilmet
Clément nous raconte
Je me souviens bien du drame du Lancastria le 17 juin 40, j’avais neuf ans à cette époque . Je n’ai pas été un témoin oculaire de cette tragédie, parce que nous n’habitions pas sur le bord de mer. Tout le monde en parlait à Saint Nazaire, certains fournissaient force détails, je ne pouvais donc pas l’ignorer. De nombreuses personnes de la région se sont mobilisées pour aller porter secours aux naufragés en fonction des moyens flottants dont ils disposaient. Ce drame a marqué les esprits des habitants des lieux pour bien longtemps.
J’habitais avec mes parents, à St Nazaire, à quatre kilomètres du port, et par conséquent tout aussi près de la forme Joubert. A l’époque de l’occupation, mon quartier ressemblait à un petit coin de campagne , malheureusement il devenait dangereux d’y demeurer.
En 1941 j’avais dix ans. Le ravitaillement en nourriture était une chose difficile dans la ville. Dès six heures le matin, ma mère allait faire la queue pour acheter de quoi nous alimenter. Ce qui était proposé à la vente était de bien piètre qualité. Quand elle partait faire ses courses, je restais dans mon lit cage installé dans la cuisine faute d’une autre place dans la maison. Un jour, lors d’une de ses absences, j’entends un bruit bizarre, c’était comme un bruit de mastication. Je ne distingue rien de mon lit et n’ose pas en sortir. Plus tard au retour de ma mère, nous nous sommes aperçus que nos tranches de jambon avaient été mangées. C’était un chat voleur, passant par là, le ventre vide qui était reparti, c’est certain, bien rassasié. Ce jambon là, nous a bien manqué.
Pendant que duraient les bombardements ma mère avait très peur. Mon grand père qui, pourtant, avait fait la guerre 1914-18 avait aussi très peur. Ma grand mère par contre était presque indifférente aux événements pourtant dangereux qui se produisaient. Par exemple lorsque des brûlots incendiaires tombaient dans la maison au risque d’y mettre le feu, elle les expédiait très loin dehors, à l’aide d’une pelle, sans crainte de ce qui pouvait lui arriver.
Avant chaque bombardement allié, des avions de reconnaissance larguaient préalablement des pots éclairants pour marquer le terrain à traiter. Malgré tout et souvent, les bombes dépassaient ces limites , elles tombaient en dehors, c’est à dire sur nos maisons et sur ses habitants. L’une d’entre-elles est notamment tombée à environs quinze mètres de chez nous.
Immédiatement après l’action des 27/28 mars 1942 menée par les britanniques contre la forme Joubert, cale sèche, les civils qui étaient absents ce jour là de leur maison pour diverses raisons, sont restés 48 heures sans pouvoir regagner leur logis. A ce moment là, je me trouvais chez des amis de mes parents à Pont Brien à environ quatre kilomètres du port de Saint Nazaire. Nous passions nos nuits là-bas par crainte des bombardements. La ville avait alors été verrouillée par les Allemands qui recherchaient les commandos en fuite. Ceux-ci tentaient de se cacher un peu partout dans les maisons pour échapper à la capture ou à la mort. Les Allemands étaient très nerveux, ainsi dans leurs recherches ils tiraient sans discernement, ils ont tué beaucoup de civils. Les habitants de notre ville imaginaient que cette action était l’avant garde d’un débarquement massif des alliés. Ils pensaient alors, qu’ils allaient rester après ce raid et que le jour de la libération était venu. Peu de temps après, quelle ne fut pas leur déconvenue quand ils constatèrent que l’opération avait échoué. Depuis ce jour, le coup de main sur la forme Joubert fut appelé par les habitants de la ville et de la proche région « Le débarquement ».
Le 9 novembre 1942 entre midi et demi et treize heures un premier bombardement se produit. J’étais à la maison pour le déjeuner. A cette époque, pendant les jours de classes, je revenais manger le midi à la maison. Quand la fin de la première alerte se fait entendre, ma mère me dit que je pouvais maintenant rejoindre l’école. Quelques instants après mon départ la sirène retentit de nouveau, annonçant un second bombardement. Chacun est surpris de cette seconde alerte car nous n’étions pas habitués à ce qu’il y en ait deux successivement. Ma mère est inquiète de me savoir peut être en danger. Elle prend sa bicyclette et part à ma recherche aussi rapidement que possible. Elle espère me récupérer et me mettre en lieu sûr. Dans le même temps, sur le chemin de l’école j’avais trouvé un abri pour me réfugier durant cette alerte. C’était la cave d’une maison que j’ai aperçue et partagée avec d’autres personnes, un abri de fortune qui n’aurait sans doute pas résisté à une bombe mais qui nous rassurait.
Une petite pause