Pour ceux qui aiment lire, voici un petit topo sur le 2ème Cuirs en 1940, tiré du mémoire de votre serviteur bien sûr, mais je ne vais pas garder ça pour moi...
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Le 2ème Régiment de Cuirassiers dans la Campagne de France
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Nous allons aborder ici l’élaboration de toute pièce du 2ème Régiment de Cuirassiers, avec à sa tête le lieutenant-colonel Touzet du Vigier qui le conduira dans la campagne de France, puis nous retracerons son parcours durant cette même campagne au sein de la 3e DLM et du Corps de Cavalerie. Cet essai provient d’un mémoire réalisé sur le général Touzet du Vigier, il en est donc l’élément central.
La formation du régiment jusqu’à l’entrée en Belgique…
Le 2ème régiment de Cuirassiers, officiellement créé le 1er février 1940, fait partie, comme nous l’avons vu, de la 3e DLM. C’est une des unités qui la constitue et comme toutes les unités au sein de cette division à l’exception du 11ème RDP qui était en réserve générale, elle fut créée de toute pièce. Nous allons donc voir dans le détail comment se déroula cette formation, et ainsi étudier le déroulement et les étapes de la création de cette unité de type nouveau. Les journaux tenus par certains officiers, des témoignages divers permettent ici d’apporter une vision de l’intérieur dans ce processus auquel participa activement l’ancien instructeur du Vigier.
Dès l’hiver 1939-1940, avant même que la création de la division soit annoncée par le ministère de la Guerre, l’objectif premier est de rassembler des spécialistes des divisions légères mécaniques. Des officiers de l’Ecole de Cavalerie sont donc désignés, des officiers puisés dans les DLM déjà existantes également, ou bien ayant fait la promotion de la Cavalerie mécanisée dans les années 1930, comme Touzet du Vigier. Ce dernier est alors au 3e bureau du Corps de Cavalerie depuis la mobilisation et se trouve muté au Centre d’Organisation Mécanique de la Cavalerie de Fontevrault. Ce centre formait les régiments de combat des DLM, et sera il présent aux côtés des élèves officiers de l’Ecole de Cavalerie en juin 1940 dans la défense de la Loire. Parallèlement, on peut citer, pour ne pas les confondre, les Centres identiques qui formèrent également des unités de DLM, le centre d’Angers pour les Dragons Portés et celui de Montlhéry, essentiellement pour les automitrailleuses de découverte. Les témoignages et les JMO nous apportent des informations sur la constitution du régiment. Celui-ci est formé d’un état-major, d’un escadron hors rang et de deux groupes d’escadrons à deux escadrons chacun. Le 2ème régiment de Cuirassiers s’insère dès sa création dans la 5e Brigade Légère Mécanique commandée par le général de La Font, elle-même présente au sein de la 3e DLM commandée par le général Langlois.
Les sous-officiers et les effectifs du 2ème Cuirassiers sont issus des dépôts de Cavalerie de Reims, Lunéville, Saint-Germain, Saint-Omer et Angers. Malgré la volonté de rassembler des spécialistes comme nous l’avons vu plus haut, la qualité des effectifs dans son ensemble ne correspond en rien à l’origine à une unité mécanisée. Les sous-officiers d’active ou de réserve ainsi que la troupe sont pour la plupart des cavaliers que l’on a formés, « motorisés » en peu de temps sur du matériel insuffisant. Bref, l’instruction n’a été que théorique pour beaucoup. Tout est donc encore à faire pour leur officier commandant, afin de les transformer en une puissante unité. Quelques uns de ces hommes sont cependant passés par des régiments motorisés et savent conduire les chars en dotation dans la Cavalerie. Pour pallier le manque d’expérience, un quota d’un sous-officier spécialiste de carrière par peloton est recherché afin de renforcer l’encadrement de l’instruction et dans l’optique du combat, d’être « l’ancien » permettant de soutenir le moral. Ces hommes connaissent bien le matériel mais n’ont pas assez d’autorité ni de capacité de commandement selon le Ss-Lt Pierre Chenu , qui précise cependant que cela n’influe pas sur la discipline et l’esprit général de la troupe. Un autre des officiers du régiment, le lieutenant Vié, qui commande le 4e escadron, rapporte que les premiers jours du régiment furent durs . En effet le 2ème Cuirassiers est amené à stationner dans la région de Saumur, « dans des cantonnements bien médiocres, par un hiver particulièrement rigoureux ». Un rapport signale que les baraquements sont inexistants jusque janvier . L’unité se forme, reçoit son matériel, sur lesquels nous reviendrons, constitué de chars, de voitures, de motos. Le lieutenant Vié poursuit son récit quant à cette période : « l’instruction marche à plein rendement malgré de grosses difficultés de terrain et de température ; mais grâce à l’effort de chacun le régiment prend rapidement tournure ». Pour cette même période de janvier à février 1940, le témoignage du Ss-Lt Chenu , alors officier adjoint au chef du 2ème Groupe d’escadrons, nous offre une vision plus marquée de la température qui règne, tant sur le plan climatique que sur le plan du moral, au régiment : « Je passe trois semaines à Turquant – c’est là qu’est cantonné le PC du Groupe d’escadrons – n’ayant pas grand-chose à faire, un froid noir (-10 à -14 pendant dix jours), chambre de paysan glacée et sans feu. Quelques missions à Paris pour aller prendre livraison de véhicules destinés à la brigade m’occupent un peu. » Nous pouvons donc voir ici que l’ambiance dans laquelle se créée le régiment que Touzet du Vigier sera amené à conduire au combat est des plus rudes, du point de vue climatique particulièrement, des mesures pour remédier au froid étant exceptionnellement prises . Mais on peut également remarquer dans le témoignage du Ss-Lt Chenu, une certaine déprime, sans doute un effet « drôle de guerre » que les effectifs vivent depuis la mobilisation. L’attente au sein des dépôts de Cavalerie depuis des mois et la formation du régiment dans des conditions difficiles nuit au moral de la troupe. Mais ce sentiment s’estompera vite par l’instruction soutenue jusqu’à l’entrée en campagne. En fin de février « tous savent conduire le char et tirent passablement au canon et à la mitrailleuse » rapporte le Ss-Lt Chenu. La seule fausse note dans l’instruction alors que le départ pour Sissonne est imminent, est que les équipes d’entretien n’ont pu recevoir l’instruction dont il est question, ceci faute de temps. Cette lacune aura des répercussions plutôt graves en Belgique comme nous le verrons car elle révélera l’absence d’équipages de remplacement expérimentés, au moment où il faudra combler les trous faits dans les rangs par les permissionnaires qui n’ont pu rejoindre leur unité.
Le 28 février, la formation est terminée, l’état-major est constitué, les régiments au complet ont touché leur équipement qui est neuf ainsi que leur matériel qui sort d’usine et qui est à peine rodé. Alors commence la période d’instruction au combat qui fait du 2ème Cuirassiers et de toute la 3ème DLM une exception dans l’armée française en 1940, puisqu’ils s’entraînèrent activement jusqu’à l’entrée en Belgique. Cette instruction poussée et intense annula pour ainsi dire l’effet « drôle de guerre » qui toucha la majeure partie des troupes en 1939-1940 et qui avait déjà commencé à les atteindre dans l’hiver 1939-1940, comme nous l’avons vu précédemment. Du 2 mars, date à laquelle arrive les unités, jusqu’au 7 avril, le 2ème Cuirassiers s’entraîne donc au camp de Sissonne sous la direction très présente de son chef, et aux côtés de l’autre régiment de combat de la division, le 1er Cuirassiers. Les autres unités de la division cantonnent aux alentours et l’instruction est faite sous le commandement du Corps de Cavalerie. Le lieutenant Vié rapporte que cette période fut beaucoup plus clémente que la précédente dans son récit : « Le temps est magnifique, les terrains excellents, les manœuvres, les tirs, les exercices de cadre se succèdent. Tout le monde est heureux. Les chefs de pouvoir exercer leur commandement avec l’espace nécessaire, les équipages de pouvoir travailler en terrain varié. En fin de séjour, le régiment est magnifique. […] les équipages ont une tenue remarquable, le moral de tous est très élevé. » On constate donc que l’instruction avance rapidement, et dans de bonnes conditions. Ceci aura une importance considérable quand leur commandant les emmènera au combat en Belgique, notamment en matière d’endurance. A Sissonne, Du Vigier peut mettre en place les tactiques qu’il a élaborées ces dernières années et expérimentées au cours des diverses manœuvres du CSG et du CHEM. Bien qu’il n’ait pas eu de commandement depuis 1934, ses qualités d’instructeur et de commandant s’accordent avec des conditions d’exercice idéales pour faire du 2ème Cuirassiers une unité de grande valeur. Pendant tout le mois de mars et jusqu’au 7 avril, le régiment s’entraîne et participe aux manœuvres en collaboration avec les autres régiments dont le 76e RA, ce qui instaura une expérience en la matière qui sera prouvée à Hannut et Thisnes. A tous les niveaux de commandement, du peloton à la division, des exercices sont réalisés, des exercices de cadres et de tirs, si bien que le Ss-Lt Chenu en conclut que : « le régiment prend de la cohésion et deviendra un bel instrument de combat ». Sans porter atteinte à la discipline, la camaraderie laisse enfin libre cours aux distractions et l’organisation de la vie collective : « Les popotes s’organisent : celle du 2e Groupe d’Escadrons […] se monte rapidement : vaisselle, argenterie, cave, personnel, tout devient parfait ; la proximité de Reims permet au Lieutenant Vié qui a habité la ville de constituer un petit stock de bonnes bouteilles de champagne que nous déboucherons souvent au cours d’ardentes parties de bridge ou de poker. » La camaraderie, qui renforce la cohésion de la troupe, existe donc également entre officiers, nous y reviendrons dans un instant.
La division quitte donc Sissonne avec la satisfaction de son commandant, le général Langlois, qui félicite ses hommes des progrès exécutés dans une discipline parfaite, tant en matière tactique, technique qu’en matière de combat interarmes. Il recommande d’ailleurs de conserver ces progrès en poursuivant l’instruction dans la zone des armées . Du Vigier le fit avec zèle si l’on en croit ses carnets, où il indique qu’il visite le 3 mai les chefs de chars Somua, le 4 mai les chefs de chars Hotchkiss et qu’il inspecte tous ses chars le 7 mai. Le général commandant la 3ème DLM remercie encore Touzet du Vigier pour son travail dans sa notation sur cette période : « Chef du 3ème bureau du Corps de Cavalerie, il a rempli son rôle avec maîtrise […]. Au commandement du 2ème régiment de Cuirassiers de nouvelle formation, il a su, grâce à son ascendant sur la troupe, […] en faire une unité d’élite […] ».
Il convient également de présenter les officiers de Du Vigier, afin de mieux cerner l’organigramme du commandement, l’encadrement du régiment qu’il dirige. Car il souhaite connaître ses hommes, savoir avec qui il va se battre. Il dresse en ce sens, sur cinq pages de son carnet , un inventaire de ses officiers, sous-officiers, jusqu’aux brigadiers-chefs avec leur statut (carrière ou réserve). Découvrons donc dans les grandes lignes les collaborateurs de du Vigier. Tout d’abord l’état-major du 2ème Cuirassiers se compose du capitaine Granel, qui est l’officier adjoint au chef de corps. Suit le capitaine Baumier, chef du service de santé qui, au camp de Sissonne, aux côtés du colonel Daumis, chef du service de santé de la division, mit en avant les difficultés d’évacuation du personnel des chars , ce qui toucha le général Langlois . Ensuite viennent les divers bureaux : le capitaine Quenslot, chef du service auto, le Lieutenant Sauvaire, chef du service de Transmission, le Ss-lieutenant Lavalette, officier de Renseignement, le Ss-lieutenant Peillon, officier orienteur et le Lieutenant Leclercq, officier de Détails. L’Escadron Hors Rang est commandé par le Capitaine Malfroy, avec pour officier le Médecin-Lt Deshors, du service de santé, le Ss-lieutenant Bouillé, officier de service d’approvisionnement et le Ss-lieutenant Brunel, officier mécanicien. Le 1er Groupe d’Escadrons (sur Somua) est commandé par le chef d’escadron Chavardes et se compose du 1er escadron commandé par le Capitaine de Beaufort et du 2ème escadron commandé par le Capitaine Hardouin. Le capitaine Grout de Beaufort, futur général, est un officier particulièrement remarquable et le déroulement de la campagne ne fera que le confirmer. Après Saint-Cyr, il a été élève de Du Vigier à l’Ecole de Cavalerie de Saumur dans la promotion de Pouilly, de Hauteclocque…. Dans la deuxième partie des années vingt, il est au Maroc puis multiplie les commandements aux seins d’unités d’automitrailleuses dans les années trente comme le 18ème Dragons , c’est donc un officier expérimenté pour ne pas dire aguerri qui commande le 2e escadron. Le 2ème Groupe d’Escadrons (sur Hotchkiss) est commandé par le chef d’escadrons Vignes et se compose du 3ème escadron commandé par le Capitaine Sainte-Marie-Perrin, au sein duquel on retrouve le Ss-Lt Chenu, et du 4ème escadron commandé par le Lieutenant Vié. Le régiment totalise 36 officiers, 127 sous-officiers, 658 Brigadiers-chefs – Brigadiers et Cuirassiers soit 821 hommes. Comme nous l’avons déjà abordé, des liens existent entre les officiers ce qui renforce leur cohésion. Il en découle un profond respect, notamment de la troupe envers les officiers. Ce respect se transformera pour certain en admiration devant le feu de l’ennemi.
Les deux officiers qui nous transmettent leurs précieux témoignages pour la période qui va de la formation à l’armistice de juin 1940, le lieutenant Vié et le Ss-Lieutenant Chenu, apportent une vision plus nette des relations entre officiers et de leur rôle au sein du régiment. Ainsi l’on découvre à travers le récit du Ss-Lt Chenu que de nombreux chefs de peloton par exemple sont camarades de promotion de Saint-Cyr. Chenu parle du Ss-lieutenant Peillon comme de son : « camarade de promotion, officier orienteur du régiment » ou encore du Ss-Lt commandant le 1er peloton du 4e escadron : « Sentis, mon camarade de promotion ». Des liens d’amitié entre officiers sont présents également dans leur récit, parfois même au-delà du cadre de leur escadron. On observe enfin qu’un grand enthousiasme règne au sein des officiers, qui le communiquent à la troupe, une confiance dans le matériel. On observe bien le moral du 2ème Régiment de Cuirassiers lors des alertes qui préviennent jusqu’au 10 mai, d’une éventuelle entrée en Belgique : en avril une première alerte provoque dans les récits un sentiment de confiance, dans le matériel, les armes et dans les officiers. Aucun doute n’est porté sur la qualité de l’instruction que le personnel du régiment a reçue. D’ailleurs une grande déception touche l’unité lorsque l’alerte est levée selon le lieutenant Vié. Ce dernier, même s’il n’en fait pas mention dans son propre récit, reçoit le 9 mai la mission d’aller chercher l’étendard du 2ème Cuirassiers. En effet, le lt-colonel Du Vigier avait affirmé sa volonté que les hommes ne pas laisser partir les hommes au combat avant qu’ils ne soient présentés au drapeau. Une prise d’arme devait ailleurs avoir lieu le 11 mai mais elle n’eut jamais lieu.