L'écluse de la barquette

[Jumbo]

Je suis entrain de relire "parachutés sur Ste-Mère-église" d'Albert Pipet. Excellent livre concernant les actions des 82 et 101èmes AB.
Au sujet de l'écluse de la Barquette, il écrit que c'était un objectif majeur de la 101ème afin d'ouvrir l'écluse et procéder aux inondations des terres en aval afin d'éviter une contre attaque allemande de ce côté là du front. Or les Allemands avaient procédé à cette inondation bien avant le jour J. Il semble que l'information de cette inondation n'était pas arrivée à la connaissance du SHAEF....
D'où la question : est-ce que cette mission était inutile un peu dans la lignée de l'attaque de la batterie de Merville ou l'assaut sur la pointe du Hoc. Il semble d'ailleurs que dans les heures qui ont suivi le débarquement, les Allemands se soient complètement désintéressés de l'écluse.

[Dog Red]

Salut Jean.

La réponse à ta question se trouve dans l'étude des photos aériennes et de leur impact sur la planification d'Overlord.
Et pour l'expliquer clairement, il faut avoir bien en tête la crainte majeure du commandement allié : une contre-attaque blindée foudroyante qui rejette les troupes d'assaut à la mer !

Dès lors, une attention toute particulière va être portée aux flancs du front d'invasion.
L'hydrographie va avoir son importance (les coupures d'eau sont idéales pour se couvrir des chars).
. à l'est, la double coupure Orne/canal de Caen à la mer est parfaite pour flanc-garder le secteur britannique contre la principale menace blindée ; la 6th Airborne Division sera donc dropée à cet endroit pour tenir les rives et se saisir des ponts ;
. à l'ouest, la menace est moins pressante (les divisions Panzer ne sont pas stationnées dans le Cotentin) mais l'importance de Utah Beach est essentielle pour la prise du port de Cherbourg, lui-même essentiel à la pesante logistique alliée ; comme à l'est, soin aux paras de tenir les coupures d'eau, Là aussi il y en a deux principales : le Merderet et le cour inférieur de la Douve (elle porte un nom prédestiné ).

La Douve est un fleuve côtier tributaire des marées.
La zone de son embouchure est marécageuse et inondable, ce qui va attirer l'attention du commandement US.
L'écluse de La Barquette (techniquement un pont muni de "portes-à-flots") permet de réguler le niveau d'eau de la Douve et de son affluent, le Merderet ; l'intérêt des Américains pour cette "écluse" est bien compréhensible.

On a compris dès lors l'intérêt stratégique de La Barquette pour contrôler le niveau des eaux et s'en servir pour rendre la zone impraticable aux blindés et lever la menace d'une contre-attaque de Panzer venant de la direction générale de Carentan.
Pas sûr que les Américains aient conscience qu'il ne suffit pas d'ouvrir ou fermer les portes pour inonder la zone en quelques heures!? Le processus est lent.

Mais le paradoxe n'est pas là mais plutôt dans le fait que les Allemands ont déjà inondé la zone, comme le fait remarquer Jumbo.
Pour la rendre impraticable à un débarquement aéroporté !!

Pourquoi donc les Américains ne le savaient-ils pas ?
La réponse vient de l'interprétation des photos aériennes.
Les analystes voient une zone sèche là où elle est inondée.
La capture de La Barquette en devient nécessaire pour fermer les portes et espérer mettre la zone sous eaux le plus vite possible.

C'est la même erreur d'analyse qui va jeter des milliers de paras dans des zones marécageuses où beaucoup vont se noyer.

Le Colonel Howard R. "Jumpy" JOHNSON (CO du 501st PIR) va s'emparer de l'objectif aux premières heures du 6 juin et le tenir avec une centaine d'hommes plus ou moins égarés rejoints au fil des heures par des dizaines d'autres.
Ils ne seront relevés que le 8 juin au soir. L'objectif conserve donc toute son importance jusqu'à ce que le secteur soit englobé dans la tête-de-pont du VII Corps.

Ci-dessous une jolie photo aérienne de la zone amont de La Barquette (le pont et son dispositif de retenue est cerclé de rouge).
Sur cette photo, les zones inondées (plus sombres) sont bien visibles sur la gauche et dans le coin supérieur gauche.
Ce devait être moins flagrant sur les photos ayant servi à la planification de l'opération.



Tout le contexte et les opérations conséquentes sont détaillées ici https://www.weyrich-edition.be/produit/ ... trategique
pour ceux qui souhaiteraient creuser la question.

[Jumbo]

Rappel visuel de l'écluse :

écluse de la barquette3.JPG (159.7 Kio) Vu 745 fois

[Prosper Vandenbroucke]

Wikimanche en parle :
Or, les marais étaient déjà inondés, mais cela n'était pas visible sur les photos aériennes à cause des hautes herbes qui recouvraient l'endroit, donnant l'illusion d'une prairie sèche.
https://www.wikimanche.fr/Pont_de_la_Ba ... %20combats.
Et je savais bien que Dog Red allait intervenir, il connait bien la campagne de Normandie pour l’avoir étudié :
https://blog.weyrich-edition.be/actuali ... l-ruelens/
Bien amicalement
Prosper

[Jumbo]

Quid de la résistance?

[Dog Red]

Aucune idée mais une chose me paraît certaine : ce dont le renseignement militaire est sûr par lui-même (ici les photos aériennes) il n'en demande pas confirmation... ...et certainement pas à des civils... qui plus est étrangers !

La mauvaise surprise des haies du Cotentin me semble découler de la même logique :
. les photos aériennes montrent une région totalement inconnue morcelée par des haies... ...ressemblant à la campagne anglaise ;
. côté paysan du Cotentin... une haie fait 2 à 3 mètres de haut en comptant le talus, rien d'anormal à signaler.

Au final, la découverte d'un terrain qui avait été mal appréhendé.

[Prosper Vandenbroucke]

Quid de la résistance?

Personnellement je n'en sais rien. Je suppose qu'il n'y a eu aucune information de transmise au sujet des inondations et que les responsables de l'opération se basèrent uniquement sur les rapports et clichés aériens qui leur avaient été transmis.

Je me suis également posé la question, mais le fait que ces champs, à priori propices à des atterrissages, ne soient pas couverts d'obstacles type asperges de Rommel n'aurait-il pas dû intriguer les renseignements alliés?
En même temps est-ce que l'usage de tels obstacles était-il vraiment généralisé?

[Dog Red]

L'installation des "asperges" est un dispositif parmi tant d'autres, avec des niveaux de priorités différents.

Les plages étaient la priorité n°1 et les mines la priorité n°1 dans la défense des plages.
Les asperges sont plus loin dans la liste des priorités.

N'oublions pas, non plus, que la main d'oeuvre pour ces types de défenses légères sont les troupes d'occupation.
Dans ce secteur, la 709.ID si j'ai bonne mémoire.

Des troupes qui doivent s'entraîner aussi... ...et peut-être surtout !?
Certains divisionnaires écriront pour se plaindre qu'ils ne commandent plus à des soldats mais à des "terrassiers" (ça me rappelle les critiques envers le commandement français durant la Drôle de guerre...)

Sans trop risquer de me tromper, je crois qu'une zone plate sans obstacles est considérée comme une opportunité avant d'être considérée comme un risque de terre inondée, à l'exemple de la vaste zone dégagée planifiée au S/E de Sword pour recevoir les planeurs des opérations "Mallard" et "Tonga". Pas d'asperges ni de marais à cet endroit-là.

Albert Pipet précise page 245 que les allemands ont inondé l’intérieur en 1942 PAR FORTE MAREE.

En effet la position des portes-à-flots permet de deverser l’aval COMME l’amont. C’est pour ça que ça s’appelle : portes-à-flots = les vannes permettent aux flots de déverser l’eau de chaque côté selon que vous ouvrez à marée basse ou à marée haute.

https://www.wikimanche.fr/Portes_%C3%A0 ... _la_Manche

Pour l’anecdote le colonel Jhonson et son stick furent ballotés comme pas possible dans l’avion. Personne ne vit une caisse de rations bouger jusqu’à la porte de saut….Porte qui ne put donc s’ouvrir à la lumière verte. Bloquée 50 secondes par la caisse. Eh ben ces 50 secondes de retard permirent d’atteindre pile la D Z au pied de saut! ( Op cit Page 246.)