pili a écrit:Attendez ! Une stagiaire aurait annoncé au Monde le Débarquement le 5 juin !!! Et cela serait arrivé aux oreilles des occupants et de leurs alliés. C'est cela que ça veut dire. Autrement dit, tout en sachant peu de choses de cette affaire, les allemands auraient pu s'agiter dés le 5 juin ! Vous êtes d'accord ?
Bon, on reprend les choses dans l'ordre.
Les faits : une radio américaine, le 4 juin, annonce un débarquement en France. Quelques minutes plus tard, elle corrige et explique qu'une assistante de presse américaine en Angleterre a transmis ce communiqué par erreur.
Erreur ou manipulation ? Je penche pour une erreur, le renseignement a l'inconvénient d'être un peu trop exact pour que les services secrets américains s'amusent à ça. La technique qui consiste à envoyer un renseignement exact en espérant que l'ennemi croira le contraire, hé bien ça peut se faire, mais c'est vraiment à utiliser avec beaucoup de précautions.
A ma connaissance ce procédé a bien été employé, au moins une fois, mais en s'arrangeant pour que les Allemands reçoivent ce renseignement, de la part de l'un de leurs agents (en fait un agent d'intoxication anglais infiltré chez eux) mais le reçoivent
en retard, donc après le débarquement. Manque de chance, délai de transmission, surveillance serrée empêchant la transmission d'un courrier, notre espion a fait son travail, c'est la faute à pas de chance : voilà un agent d'intoxication en qui les Allemands vont garder toute confiance, et ça servira pour la suite. (L'histoire est racontée par Pierre Nord. Les Anglais ont bloqué 48 heures la frontière entre Gibraltar et l'Espagne pour justifier le retard de ce courrier "allemand.")
Donc la radio américaine annonce un débarquement et dément dans le quart d'heure. Qu'est-ce que cela apprend aux Allemands ?
- d'abord ils ne peuvent pas savoir si cette histoire de fausse manip est vraie ou fausse. C'est impossible à départager.
- si on considère que c'est vrai, cela prouve qu'il y a à Londres des services de presse qui préparent des communiqués sur le débarquement et qui vérifient qu'ils peuvent les transmettre rapidement à New York. Ce n'est pas vraiment un scoop : les Allemands savent parfaitement que le débarquement est imminent.
- Raisonnement des Allemands : Le lieu indiqué est la France. Est-ce que les Américains nous prennent pour des cons ? S'ils s'imaginent qu'on va aller les attendre en Norvège, au motif qu'ils diffusent soit disant une fausse nouvelle sur la France, ils se mettent le doigt dans l'oeil. On attend un débarquement en France, avec une première diversion ailleurs. C'est en gros ce qu'on a réussi à à établir dans l'avalanche de renseignements que nos agents ont recueilli. La première diversion pourrait être aussi en France, on ne sait pas trop.
là on voit l'efficacité de Fortitude. Les alliés occidentaux ont estimé, de façon réaliste, que les Allemands recevraient certainement quelques renseignements exacts sur le lieu et la date du débarquement. Aussi délabrés et infiltrés que soient les services allemands, ils ne sont pas nuls à ce point. L'idée de Fortitude a été de noyer ces renseignements exacts sous une avalanche de renseignements faux, un peu faux, complètement faux, ciblant pour l'essentiel la Hollande (un peu) la Norvège (un peu plus) le pas de Calais (beaucoup) et plus largement la France (pas trop souvent) L'analyse de cette avalanche doit donner l'impression qu'ils mijotent un premier débarquement de diversion.
Croyez le ou non mais les Allemands ont malgré tout maintenu des effectifs assez importants en Norvège en 43 et 44. Une diversion peut réussir, si il n'y a personne pour l'arrêter. Ce serait très ennuyeux de perdre la Norvège.
Bref, cette fausse manoeuvre d'un service de presse en Angleterre est une malchance pour les Alliés, mais ce n'est pas une catastrophe. Fortitude a été conçu pour résister à des indiscrétions plus convaincantes.
Que font les Allemands ? Ils regardent le temps qu'il fait et ce que leur disent leurs avions de reconnaissance : le 4 juin, il fait un temps de chien sur la Manche. Pareil pour le 5 juin. Et pas un bateau en vue sur la Manche. Rommel part le 5 vers l'Allemagne. Le 6 au matin il sera chez lui pour l'anniversaire de sa femme, et n'aura que le temps de faire demi-tour.
(le 6 juin le temps sera tout juste acceptable pour le débarquement, ce qui va causer des pertes dans les chars amphibies, quelques naufrages de péniches, mais Eisenhower a préféré ne pas reporter d'un mois le débarquement. Pour lui, sans doute, la décision la plus difficile de toute la guerre.)