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Pigoreau
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Edgar Puaud

Lien permanentde Pigoreau le 21 Jan 2014, 14:49

Edgar Puaud, un officier français

Combattant glorieux de 14-18, le chef de la division « Charlemagne » se signala, avant de revêtir l'uniforme des Waffen-SS, par son désir de reprendre la lutte contre l'Allemagne et son dévouement à l'égard des anciens légionnaires juifs menacés de déportation. Vie et mort d'un officier français.

Fernand L. n'y tenait plus. Une envie irrépressible. L'endroit était pourtant mal choisi pour poser culotte, en queue de colonne, en pleine tempête de neige. Et l'instant plus inopportun encore.
Ne reste pas là, tu vas te faire faire aux pattes !
Voix paternelle. C'était Puaud, seul, déjà blessé, le bras bandé, armé d'un pistolet-mitrailleur. Général de Vichy, Oberführer des Waffen-SS, ravalé au rang de simple fantassin, rescapé d'une campagne qui, tout de suite, avait tourné au désastre.
Un peu plus tard, Fernand avait franchi la Persante. Dans la plaine, au sud de Belgard, le brouillard s'était levé. Les Russes avaient surgi, pilonnant la longue colonne, écrasant les hommes sous les chenilles de leurs chars, les hachant au mortier ou à la mitrailleuse. En rampant, Fernand avait réussi à rejoindre l'abri d'une forêt. Les torpilles continuaient de tomber, brisant les branches des arbres, décapitant les sapins. Un T-34 était passé tout près. L'ancien milicien de la région d'Agen recruté pour assurer la sécurité de Darnand et versé malgré lui dans la division « Charlemagne » avait sauvé sa peau. Mais il n'avait plus revu le général Puaud.
Edgar Puaud, né le 29 octobre 1889 à Orléans dans une famille vendéenne. Grand pour un Français de l'époque, 1 mètre 76 selon son livret militaire (Dossier militaire d'Edgar Puaud, service historique de la Défense, département de l'armée de terre, GR YE 8 2225. Tous les renseignements relatifs au parcours de Puaud dans l'armée française (textes de ses citations, notes de ses supérieurs, différentes affectations...) en sont extraits.), blond, les yeux gris. Teint coloré, du coffre, de l'allure. Un « beau soldat », brillants états de service.
Engagé volontaire le 13 novembre 1907 à la mairie de Parthenay (Deux-Sèvres), cet orphelin de père et de mère est incorporé au 35e régiment d'infanterie en garnison à Belfort. Il y est rapidement nommé sergent, en novembre 1908, mais rétrogradé au grade de caporal six mois plus tard pour des raisons inconnues. Il ne retrouvera ses galons qu'en septembre 1910, après sa mutation dans un autre régiment, le 133e RI. En novembre 1911, à l'expiration de son contrat de quatre ans, Edgar Puaud est rendu à la vie civile et s'installe aux Rousses, dans le Jura, commune d'où est originaire la jeune femme qu'il a épousée l'année précédente. Simple intermède car, moins d'un an plus tard, le jeune homme rempile au 133e RI. Désormais, il ne quittera plus l'uniforme.
Le 10 août 1914, comme tous les sous-officiers admissibles à l'école militaire d'infanterie de Saint-Maixent, le sergent Puaud est promu aspirant. La France vient d'entrer en guerre. Son armée a besoin de cadres. Le 1er septembre 1914, Puaud est nommé sous-lieutenant à titre temporaire. En juillet 1915, il est affecté au 407e régiment d'infanterie. Il va y servir jusqu'en décembre 1917 et s'y couvrir de gloire.

« Brave à l'excès »

Dès le 24 novembre 1915, il est fait chevalier de la Légion d'honneur. Le texte de sa citation est éloquent : « Officier mitrailleur remarquable. Brave à l'excès. Parti le 28 septembre 1915 avec la première vague d'assaut en tête d'une section de mitrailleurs à travers les défenses ennemies et sous un feu violent a été grièvement blessé au moment où dans un dernier bond il allait mettre sa section de mitrailleurs en batterie à quelques mètres de l'ennemi ».
Atteint par balle, Puaud s'en tire en fait avec une simple fracture de l'humérus. Il sera blessé à trois autres reprises, par des éclats d'obus à Verdun en juin 1916, intoxiqué par gaz au Chemin des Dames en juillet 1917 et de nouveau atteint par des éclats en juillet 1918 dans l'Aisne. À chaque, fois le jeune officier s'était signalé par son empressement à retourner au front, bien qu'imparfaitement remis. Il termine la guerre au 133e RI, avec le grade de capitaine et sept citations.
Après une courte période d'instruction à Saint-Maixent, il réintègre son régiment au printemps 1920 et participe à l'occupation de l'Allemagne de 1921 à 1925, à partir de mars 1923 dans les rangs du 13e bataillon de chasseurs mitrailleurs. Puaud, qui avait fait jusqu'à présent toute sa carrière dans l'armée régulière, rejoint la Légion étrangère en 1926. Affecté au Maroc, il y servira pendant dix ans, notamment au 3e régiment étranger d'infanterie (REI) et récoltera de nouvelles citations au cours des combats contre la rébellion.
Le 30 avril 1937, le chef de bataillon Puaud, officier de la Légion d'honneur depuis 1928, débarque à Haïphong, en Indochine. Affecté au 5e REI, il y assume notamment le commandement du bataillon de marche à Tiên Yên, employé pour des travaux de construction de routes. Tombé malade en octobre 39, hospitalisé au mois de décembre puis rapatrié sanitaire en mars 40, il débarque à Oran venant de Saïgon le 14 avril 1940.
Le 17 mai 1940, Puaud rejoint la métropole. Trois jours plus tôt la Wehrmacht a enfoncé les lignes françaises à Sedan. L'armée hollandaise a capitulé. Les Allemands sont entrés dans Bruxelles. Ce même 17 mai, Paul Reynaud, président du Conseil, rappelle le maréchal Pétain de son ambassade à Madrid et le général Weygand, en poste au Levant. Les Panzers ont déjà atteint l'Oise, tandis que le colonel de Gaulle mène une contre-attaque énergique mais sans lendemain à Montcornet (Aisne). Les jeux sont faits, la guerre perdue.
Le 17 juillet, Puaud prend le commandement du dépôt commun des Régiments de marche de volontaires étrangers (RMVE) (Régiments de marche de volontaires étrangers, créés en 1939 au moment de la déclaration de guerre pour accueillir les étrangers auxquels la loi ne permettait pas de s'engager dans l'armée régulière. Ceux-ci étaient donc dirigés vers un centre mobilisateur installé au fort de Vancia, près de Lyon, annexe du dépôt commun des Régiments étrangers de Sidi Bel Abbès, qui mettra sur pied les 11e et 12e régiments étrangers et complètera les effectifs de la 13e demi-brigade envoyée en Norvège. Face à l'afflux de candidats, un deuxième centre d'engagement et d'instruction est créé sous le nom de dépôt commun des Régiments de marche de volontaires étrangers au camp du Barcarès (Pyrénées-Orientales) d'où sont issus les 21e, 22e et 23e RMVE.) replié au camp de Septfonds (Tarn-et-Garonne).
Il y a dans ces baraquements installés à l'origine pour accueillir les réfugiés espagnols, plusieurs milliers d'engagés volontaires pour la durée de la guerre. Beaucoup d'Espagnols rouges, de juifs originaires d'Europe centrale et orientale, d'Italiens antifascistes, d'Allemands et d'Autrichiens antinazis, de Polonais, d'Arméniens, de Russes blancs, résidant en France au moment de la déclaration de guerre (Au camp se trouvent également deux compagnies de travailleurs espagnols et des hommes venant des Bataillons d'infanterie légère d'Afrique (BILA), plus connus sous leurs surnoms de Bat d'Af'.). Libérables dès la fin des hostilités, les pensionnaires du camp sont toutefois maintenus sur place à cause des règles posées par les nouvelles autorités françaises, exigeant pour un retour à la vie civile des attestations de travail, de domicile ou de famille très difficiles à obtenir.

Aimé de ses hommes, estimé de ses chefs

Mal encadrés et laissés dans l'oisiveté, les hommes se morfondent dans leurs cantonnements avec, pour les ressortissants des nations de l'Axe, la peur d'être réclamés par leurs pays d'origine. En quelques semaines, Puaud rétablit l'ordre, restaure la discipline et occupe ses troupes en leur faisant réaliser des travaux d'utilité publique, mettant ainsi à profit l'expérience acquise au Tonkin, perpétuant la tradition de bâtisseurs des légionnaires et gagnant la confiance d'hommes qu'il traite avec une sévère équité sans considération de nationalité ou de religion. Il va même jusqu'à accélérer leur démobilisation en acceptant des certificats de complaisance.
Mais la nouvelle législation sur les étrangers et les juifs adoptée par le gouvernement installé à Vichy menace les engagés qui, rendus à la vie civile, vont se trouver confrontés aux mesures limitant notamment leurs droits de résidence, de déplacement ou de travailler. Puaud sera leur plus précoce et ardent défenseur. Il fonde ainsi la première amicale des engagés volontaires étrangers en mai 1941 à Montauban où l'officier, en plus de la responsabilité du camp de Septfonds, assume à compter d'août 1940 le commandement du IIIe bataillon du régiment du Lot, devenu 23e RI. C'est la première pierre d'une Fédération des amicales des anciens engagés volontaires étrangers qui trouve dans le milieu militaire des soutiens et obtient du gouvernement une autorisation de fonctionner en juin 1941, avant de ne plus être que tolérée en 1942. La direction générale en est confiée au général Goudouneix. Le but est d'obtenir pour ces hommes qui ont servi la France un régime de faveur les faisant échapper aux mesures discriminatoires applicables aux autres étrangers. Au-delà de l'aspect humanitaire, il s'agit également de maintenir le contact avec d'ex-soldats que l'on espère un jour mobiliser pour reprendre la lutte contre l'Allemagne.
Le 25 mars 1941, Puaud est promu lieutenant-colonel. Fort apprécié de ses hommes, l'officier jouit également de l'estime de ses chefs. Le colonel Barande, chef de corps du 23e RI, loue ainsi les « qualités de commandement exceptionnelles » de son adjoint « qui lui permettent d'obtenir, dans tous les domaines, le rendement maximum de ses subordonnés dont il est très aimé », sa « très belle culture militaire et générale », et les « brillantes qualités d'exposition écrites et orales » de cet « officier supérieur remarquablement doué ». Affecté au 150e RI en juillet 1941, Puaud récolte là encore d'excellentes notes, le colonel Migeot faisant l'éloge d'un officier « d'une santé particulièrement robuste qui lui permet une activité débordante », nanti d'un « tempérament de chef », rappellant qu'il a administré des territoires étendus en Indochine et procédé à des travaux difficiles en pays peu sûr. Et de conclure à son propos ainsi : « connaissance parfaite de l'homme et du soldat qu'il conduit avec fermeté et décision, sans exclure la bienveillance et les qualités de cœur qui font le bel officier français ». Éloges dans la droite ligne des appréciations récoltées par Puaud, qui tout au long de sa carrière militaire a vu mis à l'honneur son intelligence, son dévouement, sa culture, son amour et sa connaissance de son métier, ses qualités de meneur d'hommes ou son courage. Déjà remarquablement noté en 14-18, il avait récolté à Saint-Maixent en 1920 un très flatteur : « sera toujours à sa place dans toutes les situations où on le mettra ». Certains de ses chefs avaient toutefois pointé un certain manque de caractère et lui avaient adressé le reproche d'être parfois « trop familier avec ses cadres », défaut qu'il corrigera avec succès.

750 ex-légionnaires juifs menacés

À l'époque, Puaud se signale par une attitude très hostile aux Allemands. Conrad L. Flavian, ex-lieutenant originaire de Roumanie et directeur des amicales pour les Alpes-Maritimes, dira avoir rencontré Puaud à Agen en novembre 1941. Celui-ci, selon Flavian, parlait alors de quitter l'Armée de l'armistice « qu'il appréciait fort peu » afin de se consacrer exclusivement à la défense des engagés étrangers (Conrad L. Flavian, Ils furent des hommes, nouvelles éditions latines, 1948, p. 35). Un autre officier, sans doute le responsable de l'amicale de Brive, qui a connu Puaud fin 1941, à une époque où l'épouse de celui-ci agonisait, condamnée depuis de long mois par la maladie, dira avoir été charmé par cet homme qui parlait ouvertement de reprendre les armes contre l'envahisseur et ne cachait pas qu'il s'occupait aussi de la Fédération des amicales, dont il était le président d'honneur, dans cette perspective. Le même officier rédigera d'ailleurs un mémoire sur la Fédération très élogieux à l'égard de Puaud. Ce document, conservé au service historique de la Défense dans le fonds du Bureau central de renseignements et d'action (BCRA), les services secrets gaullistes, sous la cote P 392411 aurait mérité de figurer au dossier d'Edgar Puaud si celui-ci avait eu à répondre devant la justice de son attitude pendant l'Occupation.
C'est donc avec consternation, qu'à l'été 1942, est accueillie au sein des amicales l'annonce que Puaud a rejoint la très vichyste Légion tricolore. Choqués, certains membres de l'association parlent de démissionner, mais décident finalement de rester à leur poste à un moment où la menace pesant sur les juifs étrangers se trouvant en zone Sud se précise. Ils espèrent ainsi pouvoir sauver les engagés volontaires membres des amicales – ils sont environ 750 - menacés par les persécutions antisémites. D'ailleurs, Puaud se montre rassurant, écrit à ses camarades pour leur demander de lui faire confiance, réaffirmant son engagement à défendre les engagés volontaires et se disant même le mieux placé pour y parvenir. Selon l'auteur du mémoire déjà cité, il va tenir parole. Alors que des rafles sont organisées par la police française dans toute la zone Sud, Puaud, averti par téléphone, se rend immédiatement à Vichy. Il y est reçu par Pierre Laval, le chef du gouvernement. Le jour même, tous les préfets reçoivent l'ordre de faire libérer les engagés volontaires déjà arrêtés et de ne pas s'en prendre à ceux qui n'ont pas encore été inquiétés. Une trentaine de membres des amicales, déportés avant l'intervention de Puaud, n'auraient toutefois pu être sauvés.
Pour autant, le lieutenant-colonel n'entend pas revenir sur son ralliement à la Légion tricolore. Lui qui, il y a encore six mois, se signalait par son souhait de reprendre la lutte contre les Allemands, vient de mettre un pied dans la collaboration avec l'occupant. À l'été suivant, il endossera l'uniforme de la Wehrmacht, avant de revêtir celui des Waffen-SS en 1944. Dans son livre Trafics et crimes sous l'Occupation (Fayard, 1968.), ouvrage que sa partialité et ses innombrables erreurs factuelles rendent quasiment inutilisable, l'ex-commissaire Jacques Delarue voit dans l'évolution, pour ne pas dire le revirement, de Puaud la manifestation d'une évidente « vanité personnelle » et d'un « furieux désir d'arriver ». Le jugement se fonde manifestement sur un rapport du 10 janvier 1946 rédigé par l'inspecteur Le Serf, en poste à la 2e brigade criminelle de la police parisienne. Sans citer ce document, M. Delarue en fait siennes les conclusions, quand il n'en reprend pas les termes mot pour mot. Hélas, le rapport, en partie fondé sur des bruits non vérifiés, s'avère peu fiable, ce qui n'empêche pas M. Delarue d'écrire : « L'ambition, faille secrète de Puaud, se réveilla lorsque Vichy créa la "Légion tricolore". Il y vit le moyen de poursuivre sa carrière et s'engagea dès le 15 juillet 1942 (Delarue, op. cit., p. 215.). » Affirmation gratuite et sans doute fausse dans la mesure où Puaud, officier particulièrement bien noté et chaudement recommandé par ses chefs pour prendre le commandement d'un régiment, n'avait pas besoin de la Légion tricolore pour « poursuivre sa carrière ». En tout cas pas en juillet 1942, date à laquelle l'Armée d'armistice n'avait pas encore été démobilisée sur ordre des Allemands. Elle ne le sera que quatre mois et demi plus tard, après l'invasion de la zone libre par la Wehrmacht consécutive au débarquement allié en Afrique du Nord.

Fier de porter l'uniforme Feldgrau

Il est plus vraisemblable que le vieux baroudeur, resté sur la touche en 40, ait vu dans l'aventure de la Légion tricolore l'opportunité d'échapper à la monotonie de la vie de caserne, dans une armée vaincue, réduite à 100 000 hommes, pour enfin pouvoir se battre et ne pas vivre en embusqué alors que des millions de soldats versaient leur sang sur les champs de bataille. Et puisque l'heure de la revanche tardait tant, que la France ne semblait pas en mesure de reprendre la lutte avant longtemps, Puaud avait pu voir dans la lutte contre le bolchevisme une opportunité sans doute moins enthousiasmante que de chasser les « boches », mais préférable au lâche confort du planqué.
Un rapport du colonel Migeot daté du 9 juillet 1942 va dans le sens de cette hypothèse d'un Puaud trop à l'étroit dans ses habits d'officier d'une armée qui n'est plus que l'ombre d'elle-même. « [...] Veuf, écrit Migeot, n'ayant qu'une fille mariée, le lieutenant-colonel Puaud est immédiatement disponible pour toute mission qu'on voudra bien lui confier, qu'il s'agisse de combat ou de renseignement. » D'autant que pour cet ancien de 14-18, le patronage de la Légion tricolore par le gouvernement de Pétain, le héros de Verdun, et la promesse de se battre en uniforme français rendait son choix peut-être moins hérétique qu'un ralliement à la dissidence gaulliste, vue avec méfiance par bon nombre d'officiers.
Puaud n'ayant jamais pu s'expliquer sur ses choix pendant l'Occupation, le mystère de son engagement demeure bien que certaines déclarations publiques de l'intéressé laissent entrevoir quel a pu être son état d'esprit. Devant le public rassemblé au vélodrome d'hiver en avril 1944, Puaud déclarera notamment : « Dès juin 1940, après la défaite épouvantable que nous avons subie, j'ai estimé que le devoir de tout Français, et en particulier de tout officier d'active, était de se remettre au travail, de remonter la pente, de refaire le pays. [...] Le devoir était donc tout tracé : rester en France. Mais en France encore, il est des endroits où les officiers français ne doivent pas aller se salir : je parle de ceux qui sont allés au communisme et au terrorisme. Par contre, je le dis bien haut, mes amis français, je suis très fier maintenant de porter cet uniforme feldgrau sous lequel je me suis battu, car c'est avec lui que nous sauverons notre pays, et non seulement notre pays, mais la civilisation chrétienne tout entière ! »
Au départ, ainsi que l'indique son dossier militaire, Edgar Puaud est détaché à Vichy, mis à la disposition du secrétaire d'État à la guerre le 16 juillet 1942 pour une mission temporaire : assurer le commandement de la « première grande unité de la Légion tricolore sur le front de l'Est ». Formulation bien optimiste car, à cette époque, il n'y guère sur le territoire de l'Union soviétique que deux bataillons français affectés à la lutte contre les partisans sur les arrières du groupe d'armées du Centre. En attendant un éventuel départ, Puaud, promu colonel à titre temporaire le 25 juillet 1942, est chargé de l'inspection et de l'instruction des troupes cantonnées à Guéret, centre de rassemblement des volontaires de la Légion tricolore.
Puaud a fait le choix de s'aventurer sur un terrain à bien des égards plus dangereux que les contrées pourtant inhospitalières à travers lesquelles il a jusqu'à présent mené ses légionnaires. Au Maroc ou au Tonkin, les choses étaient simples, les périls connus, les ennemis identifiés. À Vichy, à Guéret ou à Paris, c'est un jeu différent, aux règles complexes si tant est qu'elles existent, où derrière les discours officiels se nouent les intrigues, les alliances, les trahisons et les complots. La LVF est l'objet d'intenses luttes d'influence. Aussi modeste soit-elle sur le plan militaire, cette légion n'en a pas moins, dès sa création, aiguisé les appétits des chefs collaborationnistes. L'un de ses fondateurs, l'ex-cagoulard Eugène Deloncle, révait d'en faire un instrument de putsch contre le gouvernement. Son rival Doriot poursuivra le même but quand, à l'été 1944, il demandera le rapatriement de la Légion en France avec le secret et fol espoir d'un coup de force contre les « traîtres » de Vichy. C'est l'une des raisons pour laquelle le secrétaire d'État Jacques Benoist-Méchin s'efforce de ramener la LVF dans l'orbite gouvernementale en lançant, le 22 juin 1942, une Légion tricolore destinée à absorber les bataillons du front de l'Est et à y adjoindre de nouvelles unités de volontaires, recrutées notamment dans l'Armée de l'armistice et qui pourraient intervenir sous l'uniforme français dans les colonies et protectorats tombés aux mains des gaullistes.
Finalement, la manœuvre échoue en raison du veto allemand. Par une loi du 28 décembre 1942, la Légion tricolore est dissoute. Pour ceux qui comme Puaud, promu colonel à titre définitif le 25 novembre 1942, l'avait rejointe le choix est réduit : le retour à la vie civile, puisqu'il n'y a plus d'armée, ou le passage dans la LVF. Autant dire un pas supplémentaire dans la collaboration que l'ancien de 14-18 franchit sans qu'on sache s'il en eut ou pas des états d'âme.

Un mystérieux SED

Jusqu'à l'été 1943, Edgar Puaud est en France. Nommé délégué général militaire de la LVF, on le voit participer à des cérémonies officielles, toujours en uniforme français. Mais, au-delà de ces activités visibles, le colonel semble avoir été impliqué dans des menées nettement plus obscures. En témoigne un rapport de 11 pages signé du lieutenant de Simiane, chef d'un mystérieux organisme, le « SED », adressé au colonel Puaud. Conservé dans les archives du BCRA versées aux Archives nationales (Sous la cote AG/3(2) 338.), ce document est manifestement entré en possession des gaullistes début août 1943. Il récapitule l'action menée par le SED au mois de mai 1943, à savoir la conduite d'un certain nombre d'enquêtes relatives à des individus suspects de sympathies gaullistes, communistes ou antigouvernementales, notamment un commissaire de police de Marseille, un artiste de cinéma connu ou certains employés d'une préfecture. Les investigations portent également sur des entreprises, de supposés dépôts d'armes ou des filières de passage des frontières.
Sans faire toute la lumière sur cette organisation, le rapport en question et un autre document présentant le projet d'organisation du SED permettent d'en cerner les buts et les moyens. En cours de constitution au printemps 1943, l'organisation avait pour ambition de devenir un véritable service secret orienté sur la recherche du renseignement politique, économique et militaire, mais également sur le contre-espionnage. Elle se proposait ainsi d'identifier les agents étrangers et de les mettre hors d'état de nuire en informant la police ou en agissant directement contre eux. Des actions de propagande et même de sabotage en territoire ennemi étaient également envisagées. Ce SED semblait être indépendant de l'organisation civile de la LVF en France, mais recrutait en son sein ou grâce à certains de ses responsables territoriaux. Son siège se trouvait à Vichy, coiffant des directions régionales en cours de mise en place. L'organisation devait tisser sa toile en métropole, mais aussi dans l'Empire français et à l'étranger. Un début d'implantation était déjà signalé à Madrid bien qu'un manque de moyens financiers semblait contrarier le développement du service. On ne sait quel rôle Puaud a pu jouer dans cette affaire, s'il fut ou non à l'origine de cette entreprise, mais il apparaît qu'il a personnellement ordonné que soit effectuées au moins deux enquêtes, dont les résultats lui auraient été communiqués, comme manifestement des comptes rendus mensuels d'activité. En tout cas, l'organisation, dont on ignore si elle réussit à se développer, disait vouloir travailler au profit du gouvernement, et en particulier de Pierre Laval, tout lien avec les services de renseignement allemands ou ceux des organisations collaborationnistes étant, semble-t-il, exclu.
Il faut attendre juin 1943 pour que Puaud se rende en Union soviétique. Encore ne s'agit-il que d'une simple visite qu'il effectue avec l'ambassadeur Fernand de Brinon, président du comité central de la LVF. Les actualités cinématographiques de l'époque en témoignent, Puaud porte encore l'uniforme de l'armée française. Le 17 août 1943, le colonel est incorporé dans le régiment de la LVF, le französischer Infanterie-Regiment 638 de la Wehrmacht. Comme l'indiquent sa fiche matriculaire et son carnet de services, il est le 11 441e Français à se porter volontaire pour servir au front dans la légion antibolchévique. Le même jour, Puaud quitte la France pour rejoindre le camp de Kruszyna (ex-Pologne), où est installé le dépôt de la LVF, puis la zone où opèrent les Français. Sa nomination à la tête du frz. Inf.-Rgt. 638 ne sera toutefois officialisée que par un ordre du 22 novembre 1943, avec effet au 1er novembre.
Déployant toute sa puissance de travail, Puaud va s'employer à étoffer son régiment en reconstituant le IIe bataillon qui, à partir de la fin janvier 1944, est engagé avec les Ier et IIIe bataillons, enfin réunis, dans une opération anti-partisans baptisée « Maroc ». L'action de ses hommes vaudra à Puaud l'attribution de la Croix de fer de seconde classe. Le texte de la citation dit notamment : « À la tête de ses légionnaires, du 27 janvier au 28 février 1944, a commandé dans le secteur central du front de l'Est des opérations d'envergure contre les bandes adverses bénéficiant d'une supériorité numérique écrasante, les a dispersées, leur infligeant de lourdes pertes en hommes et en matériel, détruisant leur camp et leur position d'appui, réalisant intégralement la mission qui lui était confiée. S'exposant au feu de l'ennemi, partageant toutes les fatigues de la troupe, a gagné l'affection de ses hommes et l'estime de ses chefs » (Fiche matriculaire LVF. Archives nationales, dossier de la procédure contre Edgar Puaud devant la cour de justice de la Seine, Z/6/236 dossier 2855.).

Sous la tutelle de Krukenberg

Le milicien Jean Bassompierre, chef d'état-major de Puaud fin 1943-début 1944, dira que son supérieur témoignait à l'époque d'une fidélité absolue au maréchal Pétain, qui l'avait reçu avant son départ pour le front. C'est donc dans un état d'esprit qui n'est sans doute pas encore celui des ultras de la collaboration, qu'en mars 1944, Puaud est de retour en France pour tenter de relancer le recrutement de la LVF, en panne depuis bien longtemps. Une tournée de propagande va le conduire à Marseille et à Lyon, où on le voit en civil, avant une grande réunion publique à Paris, au vélodrome d'hiver le 16 avril, où l'officier, qui étrenne ses étoiles de général de brigade, reçues l'avant-veille, et sa cravate de commandeur de la Légion d'honneur, prononce une courte allocution avant, notamment, celle de Jacques Doriot, définitivement revenu du front de l'Est après trois séjours en Russie. Le mois suivant, c'est en uniforme d'Oberst – dans la Wehrmacht, il est colonel – que Puaud embarque gare de l'Est pour rejoindre Greifenberg, en Poméranie orientale, où a déménagé le dépôt du frz. Inf.-Rgt. 638. Une femme encore jeune et séduisante l'accompagne. C'est sa seconde épouse : Jeanne, 40 ans, veuve elle aussi. Ils sont mariés depuis un an.
Un mois plus tard, le 23 juin, le déclenchement de l'opération « Bagration » par l'Armée rouge empêche de justesse le rapatriement en France du régiment de la LVF qui, selon la volonté des collaborationnistes et de l'ambassadeur allemand Otto Abetz, devait rentrer en France pour y combattre les maquis, voire les troupes alliées débarquées en Normandie. Alors que le front allemand est enfoncé, le régiment 638 est engagé en catastrophe à Bobr, près de Borissov, où les Ier et IIIe bataillons appuyés par quelques chars « Tiger » et des « Stukas » opposent une farouche résistance aux troupes soviétiques progressant le long de l'axe Moscou-Minsk. Cette action vaudra à Puaud l'attribution de la Croix de fer de 1re classe.
En septembre 1944, les rescapés de la LVF, ceux de la französischer SS-Freiwilligen-Sturmbrigade et plusieurs centaines de volontaires de la Kriegsmarine encore à l’instruction à Duisburg, en Rhénanie, sont amalgamés dans une grande unité qui deviendra en février 1945 la 33. Waffen-Grenadier-Division der SS « Charlemagne ». Son commandement revient à Edgar Puaud, nommé Waffen-Oberführer der SS, qui, dans un ordre du jour où l'on a pu voir l'influence de Doriot, déclare à ses hommes : « Votre serment vous engage à mener sans défaillance jusqu'à la mort la lutte non pas seulement contre les Soviets, mais selon la formule jurée par vous, contre le bolchevisme, c'est-à-dire contre tous ceux qui font cause commune avec les hordes de Staline, aussi bien les Anglo-Américains capitalistes, que les maquisards terroristes qui déshonorent notre France » (Éric Lefèvre et Olivier Pigoreau, Bad Reichenhall, Grancher, 2010, p. 50.). Puaud, qui n'a pas ménagé sa peine pour favoriser le passage de ses légionnaires parfois très réticents dans les Waffen-SS, est bien mal récompensé de ses efforts puisqu'il se trouve placé sous la tutelle d'un officier allemand d'un grade supérieur au sien, le SS-Brigadeführer Gustav Krukenberg. Officiellement « inspecteur » des formations SS françaises, celui-ci ne tarde pas à s'approprier l'essentiel du pouvoir.
Transportée fin octobre vers le camp de Wildflecken, près de Fulda, c'est-à-dire au centre du territoire allemand avant les extensions réalisées par Hitler, la « Charlemagne » y est renforcée par 1 800 francs-gardes de la Milice, ce qui permet de porter ses effectifs à environ 7 500 hommes. C'est là que lui parvient l'ordre de rejoindre le front de Poméranie orientale.

« Un touriste égaré sur le champ de bataille » ?

Le 22 février 1945, les premiers SS français arrivent à Hammerstein où ils doivent tenter d'arrêter la ruée des troupes soviétiques vers les rivages de la Baltique. La division « Charlemagne » manque de tout. De cadres, d'armes lourdes, mais aussi d'effets vestimentaires adaptés et même de casques pour ses fantassins. Pire encore, certaines unités n'ont que des munitions d'exercice, des grenadiers montent au front avec 20 cartouches et des tireurs F-M savent qu'ils ne pourront pas faire usage de leurs armes plus d'une demi-minute.
Le 24 février, les Français sont au contact de l'ennemi dans les villages de Barkenfelde et Heinrichswalde, au sud-est de Hammerstein. Arrivé en Poméranie avec les hommes du premier convoi ferroviaire, Puaud ne va toutefois jouer qu'un rôle secondaire dans la conduite des opérations, Krukenberg s'imposant définitivement comme le véritable chef. Le 26 février, en l'absence de celui-ci, provisoirement séparé du gros de sa division, c'est Puaud qui dirige le repli des Français jusqu'aux environs de Belgard, via Neustettin. L'Oberführer fait la retraite à pied avec ses hommes, dans un froid glacial. C'est Krukenberg, en revanche, qui, chargé de défendre Körlin, au nord-est de Belgard, réorganise la « Charlemagne » en un régiment de marche confié au Sturmbannführer Raybaud et un régiment de réserve commandé par le Hauptsturmführer de Bourmont.
Jean Mabire a popularisé l'image d'un Puaud à la dérive sur le front de Poméranie. « L'Oberführer Puaud, écrit l'auteur de La Division Charlemagne, démis du commandement de la division, ne croit pas, lui non plus, au miracle. Débarrassé d'un fardeau qui pesait trop lourd sur des épaules peu faites finalement pour porter les étoiles de général, il lui reste l'issue dont il a toujours rêvé : se faire tuer au milieu de ses "vieux" légionnaires, comme un sous-lieutenant. Il n'a plus rien à faire désormais qu'à vider les bouteilles que lui passe son officier d'ordonnance Platon, et à parcourir à grands pas toutes les positions tenues par ses hommes de la division Charlemagne.
Attention, mon général. Ça tire ferme dans ce coin-là.
Plus rougeaud que jamais, la moustache hérissée, les yeux dans le vague, la casquette en arrière, la capote au col de fourrure déboutonnée, Puaud toise l'importun :
C'est justement pour cela que j'y vais. Foutez-moi la paix ! (La Division Charlemagne, Grancher, 2005, p. 138-139.) »
Et Mabire d'enfoncer le clou : « Il [Puaud] est devenu un touriste égaré sur le champ de bataille. Il siffle entre ses dents : "Tiens, voilà du boudin, voilà du boudin...", se déboutonne et pisse face aux Russes, dans un grand geste de défi ».
Scène pittoresque, mais dont on se gardera de jurer de l'authenticité. À ce Puaud incompétent, démoralisé, débraillé, proche de la clochardise, Mabire oppose un Krukenberg impeccablement sanglé dans un imperméable de cuir, aux bottes étincelantes, glacial, énergique et efficace, paré de toutes les vertus guerrières, incarnation de cette Waffen-SS, force jeune et révolutionnaire, seule capable de se raidir dans la débâcle. L'inverse d'une LVF, avatar en uniforme feldgrau de la vieille armée française, celle du désastre de 40.
Le 4 mars, en fin d'après-midi, Krukenberg reçoit l'autorisation d'évacuer Körlin pour tenter d'échapper à l'encerclement par les troupes soviétiques. Le Brigadeführer progressera en tête avec le Ier bataillon du régiment de marche. Prenant au départ la direction de Belgard, où des éléments de la Wehrmacht se battent toujours, ils iront ensuite vers le sud-ouest après avoir franchi la rivière Persante. Le régiment de réserve devra suivre puis le IIe bataillon du régiment de marche commandé par Jean Bassompierre. Puaud, lui, décide de rester avec le régiment de réserve, environ 2 000 hommes, dont beaucoup sont à bout de force. Mais, alors que Krukenberg et les hommes du Ier bataillon se mettent en route dès 23 heures et parviennent à passer entre les mailles du filet, le régiment de réserve ne s'ébranle que vers 2 heures et se retrouve vers 7 h 30 le 5 mars dans la plaine au sud de Belgard où il est anéanti par les troupes soviétiques (Puaud aurait toutefois quitté Körlin vers 1 heure dans une Volkswagen avec trois membres de son état-major : Jean de Vaugelas, Jean-Marcel Renault et Jacques Delile. Ils auraient été contraints d'abandonner leur voiture, accidentée, pour revenir à pied à Körlin ou, suivant les versions, pour poursuivre à pied en direction de Belgard.).

Tombé aux mains des Russes

Jean Mabire a attribué la responsabilité de ce fiasco à Puaud qui, selon l'écrivain, aurait, après avoir traîné à partir, guidé par la volonté de prendre le contrepied des ordres de Krukenberg, « engagé la moitié de sa division sur un gigantesque coup de poker » en pariant que le brouillard qui rendait ses hommes invisibles tiendrait suffisamment longtemps pour assurer leur fuite. Sous la plume de l'auteur de La Division Charlemagne, Puaud n'était plus seulement un incompétent, mais un irresponsable qui, aveuglé par sa rancœur envers Krukenberg et soucieux d'en finir avec sa propre existence, avait, de façon plus ou moins délibérée, entraîné 2 000 hommes dans sa chute.
Terribles accusations, qu'en l'état actuel de nos connaissances sur cet épisode de l'histoire des Waffen-SS français, on ne peut que considérer comme hâtives car, si certains témoignages de rescapés de la « Charlemagne » semblent accabler Puaud, d'autres en revanche indiquent que l'Oberführer avait donné des consignes pour tenter le passage par petits groupes, de nuit, en se mettant à couvert dès le lever du jour. Mais, surtout, si l'on examine objectivement la situation des Français encerclés dans le secteur de Körlin, il est assez évident que les restes de la division « Charlemagne » étaient condamnés et qu'aucun chef, si brillant soit-il, n'aurait pu les sauver. L'autorisation de décrocher arrivait trop tard, alors que toutes les routes étaient coupées. Démoralisés, épuisés, tenaillés par la faim, beaucoup des combattants de la « Charlemagne » n'étaient plus en état de produire l'effort qui leur permettrait, avec une bonne dose de chance, d'échapper à l'ennemi. Krukenberg le savait, choisissant de marcher en tête avec quelques centaines d'hommes triés sur le volet, les meilleurs de la division, les plus mobiles. Eux seuls avaient une chance de s'en sortir. Laissé en arrière-garde, le bataillon Bassompierre était sacrifié. Le régiment de réserve, où l'on avait versé les éclopés ferait, lui, une proix facile. Sans doute Puaud aussi le savait-il. En acceptant de partager le sort des plus misérables de ses hommes, dont beaucoup étaient issus de la LVF, en n'abandonnant pas « ses » légionnaires, le vieux soldat démontrait que cette armée française démodée et vaincue dont il était si représentatif n'en perpétuait pas moins une certaine idée du métier des armes et quelque chose qu'on appelle le panache.
Il semble à peu près certain qu'Edgar Puaud n'a pas trouvé la mort en Poméranie. C'est en tout cas ce qui ressort de tous les témoignages recueillis auprès des rescapés de la division « Charlemagne ». Certains d'entre eux auraient vu leur chef, blessé, monté sur un cheval, au début de l'après-midi du 5 mars. Un ancien sous-officier aurait, lui, affirmé avoir chargé le général sur une moto abandonnée et l'avoir conduit jusqu'à un poste de secours installé dans un hôtel de Greifenberg après avoir roulé pendant une cinquantaine de kilomètres. Récit fait à un officier de la « Charlemagne », l'Obersturmführer Multrier, à Prague quelques jours avant la fin de la guerre. Le sous-officier, jamais identifié, aurait ajouté que, revenant à l'hôtel le lendemain après s'être mis en civil, il avait constaté que la salle était vide et que le sol et les murs étaient couverts de sang. D'autres Français ont vu Puaud, accompagné par son son chef d'état-major, Jean de Vaugelas, son officier de liaison avec l'inspection allemande, Jean-Marcel Renault, et son officier Ic, Jacques Delile, réussir à échapper aux Soviétiques en se mettant à couvert. C'est d'ailleurs en compagnie du Hauptsturmführer Renault que Puaud, comme Vaugelas et Delile, aurait été capturé par les Russes après plusieurs jours d'errance derrière les lignes soviétiques.
Également tombé aux mains de l'ennemi, Bassompierre a déclaré avoir appris à Plathe, au sud de Greifenberg, au cours d'un interrogatoire, ce qu'il était advenu de son ancien chef. « Les paroles exactes de l'officier russe, indique l'ex-milicien ont été celles-ci : "Votre général a été blessé et il est notre prisonnier" (Audition de Jean Bassompierre du 5 décembre 1946 à la direction des RG à Paris, document communiqué à l'auteur par François Le Goarant de Tromelin.). » Et d'ajouter qu'il entendit par la suite que tous les généraux étaient envoyés à Moscou.
La veuve d'Edgar Puaud dira elle aussi, à plusieurs reprises, sa conviction que son mari a bien été emmené en captivité. Ses premières déclarations sont recueillies dès la mi-mai 1945 par le contre-espionnage français (Direction des services de documentation, bureau de documentation n° 14, note du 24 mai 1945. Service historique de la Défense, département interarmées, ministériel et interministériel, bureau Résistance, fonds du Bureau central de renseignements et d'action, P 275980.). Jeanne Puaud est de retour en France après un séjour de plus de neuf mois en Allemagne. Elle avait quitté Paris en août 44 pour rejoindre son mari à Greifenberg où elle n'était restée qu'une dizaine de jours, s'installant rapidement dans une pension de famille à Kolberg. Elle y a habité jusqu'au 27 janvier 1945, voyant son époux à l'occasion de très courtes permissions. Ensuite, elle s'est fixée à l'Inselhotel de Constance, sur les bords du lac du même nom, visitant des blessés de la LVF évacués dans la région et croisant Jacques Doriot quelques jours avant la mort de celui-ci sur le bateau assurant la liaison avec l'île de Mainau, siège de l'état-major du PPF en exil. C'est d'ailleurs avec la veuve du « grand Jacques » et sa famille, que Mme Puaud a pris la fuite le 20 avril 1945 en direction de l'Italie. Réfugiée à Bolzano, dans la province du Sud-Tyrol, elle y a vécu sous le nom de son premier époux avant de passer en Suisse le 5 mai 1945 pour être rapatriée dans son pays. À l'époque, la veuve du général a sans doute eu l'occasion de croiser des anciens soldats de la « Charlemagne » – plusieurs dizaines d'entre eux finissent la guerre à Bolzano où les premiers arrivent sans doute dès fin avril – et les a évidemment questionnés sur le sort de son mari. Celui-ci, confie-t-elle aux officiers français qui l'interrogent en mai 1945, a été blessé et se trouverait dans un hôpital de Stettin.

Sa veuve remue ciel et terre

Remise en liberté, Jeanne Puaud sera autorisée à se rendre aux Rousses où elle sera hébergée dans la famille de la première épouse de son mari. Le Bureau de documentation de Lyon conservera toutefois son passeport, sa fiche de rapatriée ainsi que l'essentiel de ses bagages et de son argent.
Des années durant, Jeanne Puaud multipliera les démarches pour tenter de retrouver la trace de son mari en appelant à la Croix-Rouge, à Genève, au ministre français des Affaires étrangères, à l'ambassadeur de France à Moscou et à celui d'URSS à Paris, sans jamais recevoir la moindre réponse. Toujours guidée par l'espoir que son époux est détenu en Union soviétique, elle s'adressera même à Vijaya Lakshmi Pandit, la présidente indienne de l'assemblée générale des Nations Unies, à laquelle elle écrira une lettre émouvante datée du 9 octobre 1953, à une époque où la plupart des rescapés de la « Charlemagne » ont recouvré la liberté et ont pu fournir des indications sur leur ex-chef. Mme Puaud y raconte qu'elle est sans nouvelles de son mari depuis le mois de janvier 45, mais qu'elle a su, par « de très vagues indications », que son conjoint a été fait prisonnier le 5 mars 1945 en « Prusse-Orientale » (sic), près de « Koesling » (sic). « Blessé légèrement, précise-t-elle, il aurait été amené en ambulance par les troupes russes à Posnan [sic], puis de cette ville à Moscou. Aucun recoupement valable n'a pu être fait depuis cette date [...] (Service historique de la Défense, département interarmées, ministériel et interministériel, bureau des archives des victimes des conflits contemporains, dossier de décès d'Edgar Puaud, 21 P 242796.).» Sans doute cette lettre restera-t-elle sans réponse.
Quoi qu'il en soit, tout semble indiquer que Puaud a bien pris le chemin de l'URSS, ce que confirmeront plusieurs anciens soldats de la « Charlemagne » revenus de Russie, faisant état de la présence du général à Moscou ou dans des camps de prisonniers.
Jusque là rien d'étonnant sauf que des témoins vont rapporter par la suite qu'ils ont vu Puaud vêtu d'un uniforme... soviétique. La rumeur va d'ailleurs assez rapidement se répandre dans les colonnes d'un certain nombre de journaux. Dans son numéro du 17 mai 1946, l'hebdomadaire Cavalcade publie ainsi sous la plume d'un certain Jean-Marie Bradley un article intitulé « La vérité sur l'Allemagne de 1946 ». On peut y lire le récit suivant : « Zone russe [...] Il faut dénoncer les faits ; il faut les énumérer. J'ai vu à Berlin, dans un café nommé Olympia, situé près de l'Alexander Platz, le colonel Puaud, nommé général par la grâce des Allemands, ancien chef de la brigade Charlemagne, le commandant de Bourmost [Victor de Bourmont], ex-chef régional de la Milice de Lyon, ancien commandant du 57e régiment d'infanterie, têtes de liste de plus de trois mille miliciens français travaillant pour le compte de la NKVD [...] se gorger de cognac [...] (Archives nationales, dossier de la procédure contre Edgar Puaud devant la cour de justice de la Seine, Z/6/236 dossier 2855.). » « L'information » avait déjà été évoquée un mois plus tôt par un journal suisse.
Ce papier va vite valoir à son auteur une convocation chez le juge d'instruction Vallée, de la cour de justice de la Seine, devant laquelle une procédure a été ouverte contre Edgar Puaud pour atteinte à la sûreté extérieure de l'État. Interrogé le 29 mai 1946, M. Bradley confirme l'exactitude des faits rapportés par lui qui, précise-t-il, remontent à fin mars 1946. Et d'ajouter que c'est un officier du contre-espionnage français qui lui a montré au café Olympia Puaud et de « Bourmost » en civil. Bradley jure qu'il est certain que l'homme qu'il a observé est bien Puaud, dont il a vu des photos, et que, revenu seul dans le même café, il a revu les anciens SS, cette fois en uniforme russe. Les militaires français, confie-t-il, voudraient arrêter ces individus, mais ne peuvent rien faire contre eux car ils sont membres du service de sécurité soviétique.
On serait tenté de prendre le journaliste pour un mythomane ou un escroc si plusieurs documents du contre-espionnage français ne venaient confirmer, qu'à l'époque, les services spéciaux semblent en effet persuadés que Puaud est toujours vivant, qu'il se trouve à Berlin et qu'il a retrourné sa veste. L'information apparaît à notre connaissance pour la première fois dans une note de la Sécurité publique datant du mois de février 1946. Il n'y est d'ailleurs pas encore question de Puaud, mais de deux de ses anciens subordonnés, dont Victor de Bourmont, également porté disparu le 5 mars 1945 au sud de Belgard. « De Bourmont et X, ex-officiers SS ayant appartenu à la division Charlemagne, dit le document, se retrouvent chaque soir entre 17 et 20 heures dans un café situé dans le secteur soviétique de Berlin, Alexanderplatz. Tous deux travaillent pour le compte des autorités russes qui leur ont délivrés des papiers d'identité. De Bourmont travaillerait pour un service de police russe, X travaille pour une entreprise de construction russe et roule dans une voiture Opel Capitan [Kapitän] verdatre [sic], immatriculation soviétique. Ces deux individus recherchent leurs anciens camarades Waffen SS pour les placer dans des services russes. (Service historique de la Défense, département interarmées, ministériel et interministériel, bureau Résistance, fonds du Bureau central de renseignements et d'action, P 296416.) »

Au service des Soviétiques ?

Une note de la Sécurité militaire datée du 26 mars 1946 évoque, elle, la présence à Berlin de 600 miliciens et SS français travaillant pour le NKVD, qui se réuniraient chaque jour dans les trois cafés se trouvant autour de l'Alexanderplatz, toujours entre 17 et 20 heures. Parmi eux, figureraient trois officiers : De Bourmont, un lieutenant, ex-chef de la 7e compagnie du régiment 57, et Edgar Puaud. Le 24 juin 1946, un responsable des services de renseignement français, sans doute un officier du SDECE en poste à Berlin, fait savoir à sa hiérarchie que ses collaborateurs et lui sont susceptibles de « contacter Puaud d'ici quelques jours ». « D. pourrait-elle communiquer deux photos et tous renseignements au sujet de l'intéressé », est-il précisé.
Pendant encore des mois, de fausses informations vont continuer d'entretenir le doute sur le sort d'Edgar Puaud comme ce bruit parvenu à la Sécurité militaire en novembre 1946, répercuté par un informateur et faisant état des déclarations d'un prétendu ex-lieutenant SS français, chauffeur d'un commandant russe de Belgard, affirmant que Puaud se cacherait dans les environs de Kolberg sous le nom de Louis Dupres. L'informateur précise que Puaud aurait été aperçu pour la dernière fois sur la route de Kolberg en compagnie de « Gamory du Bourdeau » (sic), en réalité Paul Gamory-Dubourdeau, ancien chef théorique de la Sturmbrigade Frankreich, qui, affecté au SS-Hauptamt à Berlin, n'a jamais mis les pieds en Poméranie. Plus étonnant encore, une note d'avril 1947 fondée sur les informations d'un agent français indique que Puaud, de Bourmont, Bassompierre, Vaugelas et le commandant Bridoux, fils du secrétaire d'État à la Guerre de Vichy et ancien officier de la LVF, sont membres du NKVD, devenu MVD . Le document précise que les services de renseignement espagnols sont en possession d'une photo représentant le maréchal allemand Paulus, le vaincu de Stalingrad, entouré de Puaud et Bassompierre, tous les trois en uniforme russe ainsi que d'une lettre de Bassompierre à Franco, transmise par un ancien officier de la division « Azul » passé au service des Soviétiques dans laquelle Bassompierre déclare notamment qu'il existe un corps de volontaires français formés par les Russes en vue de l'occupation éventuelle de la France. Lors de son arrestation, précise également la note, Bassompierre était porteur d'un document en langue russe.
Qu'y a-t-il de vrai dans tout cela ? Sans doute rien. Le commandant Bridoux n'a jamais pu être recruté par les Russes dans la mesure où, après avoir quitté la division « Charlemagne » à Wildflecken, il a été capturé par les troupes américaines. Il est décédé en Bavière en juillet 1945 dans des circonstances non élucidées et repose au cimetière de Treuchtlingen, au sud de Nuremberg. Bassompierre, lui, s'est évadé lors de son rapatriement vers la France en mai 1946 à Salzburg, avant d'être arrêté à Naples et écroué dans son pays fin 1946. Ce document en langue russe saisi sur lui était en réalité une innocente fiche de rapatriement. Même chose pour Vaugelas qui, capturé en Poméranie, s'évade lors du retour en France. Il trouvera refuge en Argentine où il est mort en 1950. Ces bruits pour le moins fantaisistes seront toutefois pris au sérieux comme en témoigne une note du 26 mai 1947 faisant état de l'intérêt qu'il y aurait pour les services spéciaux français à demander un permis de communiquer avec Bassompierre pour l'interroger sur les activités en Russie d'anciens SS travaillant pour les Soviétiques tels que Puaud, de Bourmont, Bridoux et autres.
Edgar Puaud sera condamné à mort par contumace par la cour de justice de la Seine le 11 octobre 1946. Il repose sans doute quelque part sur le territoire de l'ex-Union soviétique. « Que la France le veuille ou non, proclamait-il au vélodrome d'hiver en avril 1944, nous nous battrons jusqu'au dernier moment, nous y laisserons notre peau s'il le faut, mais nous, nous aurons fait notre devoir ! » Ce n'était pas que des mots.





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