Le Blog de alberto
Des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, un tête pour comprendre
Résumé des aventures de mon père lors de sa participation en tant qu’appelé à la « WW II ».
Ces lignes sont extraites de ses mémoires qui fourmillent par ailleurs de mille anecdotes et détails annexes.


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FIN DE GUERRE DANS LA CLANDESTINITE

Lien permanentde alberto le 18 Oct 2015, 16:10


Cette partie des mémoires de guerre de mon père est un peu plus délicate à retranscrire, car réintégré lui-même dans une partie de sa famille et de celle de sa future femme, de nombreux détails personnels ne présentent pas d’intérêt pour un lecteur extérieur.
Ces membres des familles ne seront mentionnés que dans la mesure ils ont eu une participation en lien direct avec sa vie de clandestin.

Après s’être évadé d’Hilsbach, se retrouver dans le Paris de l’occupation n’est donc pas une situation dénuée d’embuches, reprenons son récit :


En quittant le Stalag j’avais emporté une carte réponse, modèle KG (pour prisonnier de guerre). Je l’adressais sans tarder aux amis restés là-bas afin de leur faire part de la bonne issue de mon retour.
« Mon père (veuf) que j’avais pu voir rapidement me mit au courant de la situation : il avait dû convoyer les archives de la banque où il travaillait, le Comptoir National d’Escompte de Paris, en zone sud, jusqu’à Vichy. Mon jeune frère avait été placé à Issoire dans un camp des Compagnons de France, organisation de jeunesse inspirée du scoutisme.
Il me mit au courant des difficultés actuelles : pour pouvoir se ravitailler, chez les commerçants, il faut disposer d’une carte d’alimentation donnant droit à des tickets de pain, de viande, matières grasses, tabacs, textile, vin…Avec inscription auprès du commerçant concerné.
Ces cartes sont délivrées par la mairie du domicile, après preuve d’identité. D’où nécessité d’avoir des papiers en règle et…Un domicile !
Première démarche indispensable : se faire démobiliser. Problème : l’unique bureau démobilisateur se trouve à Bourg en Bresse, en zone non-occupée, zone nono selon la terminologie de l’époque.
Sans papiers, pour passer d’une zone à l’autre, il fallait avoir recours à des passeurs.
A ce niveau de réflexion, je me demandais s’il ne serait pas plus simple de rester en zone nono…Sauf que ma fiancée ne souhaitait pas quitter sa famille, toute en zone occupée : dilemme !

Je devais d'ailleurs aller me présenter à ma future belle famille. Ma future belle-mère ne me tint pas rigueur de mon aspect misérable : quand 20 ans après je revis l'aspect que j'avais à cette époque, avec la fameuse photo du photomaton de Nancy, je me faisais peur en me voyant cet air de repris de justice ! Je suis toujours resté reconnaissant à cette belle-mère de m'avoir fait confiance malgré mon aspect patibulaire. Cette dame était veuve et tenait une petite blanchisserie à Pantin. C'était un bourreau de travail, ainsi que je pourrais le constater par la suite et dans les circonstances présentes, elle se défendait comme un lion malgré les pénuries de tous les produits indispensables à son entreprise : savon, lessive, amidon, charbon pour la chaudière...
Elle m'invitait souvent à déjeuner et tentait vainement de me rassasier. Elle m'apprit que son père avait lui aussi été captif des prussiens en 1870, et qu'il s'était également évadé. Elle était l'ainée d'une fratrie de cinq sœurs que je connaitrais au fil des évènements. Pour l'heure, elle me présenta l'une d'elles qui habitait non loin de Pantin, dans le quartier des Buttes Chaumont et qui exerçait le métier de corsetière artisane. Cette sœur ayant été informée de ma situation m'indiqua les coordonnées d'une femme, Mme "P", habitant rue du Jour, pouvant me procurer des papiers d'identité. Elle m'adressa également au commandant militaire de la Place de Versailles. Mais les uns et les autres, avec regret, me dirent qu'ils ne pourraient rien pour moi tant que je ne serais pas démobilisé.
Toute la famille me fit cadeau de tickets de pain...

Je fini, après plusieurs tentatives à son adresse, par retrouver un de mes bons camarades du nom de Trettel. Nous avions été ensemble à la petite école, puis à la communale puis au patronage nous avions fait partie de la chorale naissante du futur "Monseigneur" Maillet des Petits Chanteurs à la Croix de Bois. Plus tard, travaillant l'un et l'autre nous nous retrouvâmes jocistes. Nous avion été incorporés à la même date au 3ème bataillon du 15/3 à Bitche camp. Retrouvé à Sarrebruk, il avait fait tout naturellement partie de mon équipe. Il s'était évadé d'Hilsbach le 1er juillet avec trois autres. Quand je réussi à le voir, il était avec Joubert, lui aussi évadé. Ils se défendaient comme ils pouvaient sans papiers ni travail. Ils m'indiquèrent une filière pour avoir des tickets d'alimentation, à la mairie du 19ème arrondissement. Après bien des démarches menées avec la plus extrême prudence, j'obtins des tickets pour un mois de ravitaillement !
Je ne sais si cette aide aux évadés, tout à fait clandestine, dura longtemps ?

J'allais rue du Temple faire une visite à mon dernier employeur. Je fus surpris par la terrible réduction des effectifs. Cette société "d'articles de Paris", fabriquant essentiellement de la bijouterie fantaisie, ne fabriquait plus grand chose faute de cuivre, matériau de base, et ne vivait que du commerce de ses stocks. Le patron de cette société, ami d'enfance, avait un père juif alsacien, et une mère parisienne et chrétienne. Il avait fait son service militaire dans un régiment de chars à Saint Avold et était présentement prisonnier. C'était son plus jeune frère qui tenait la boite en son absence. Mais cette maison à la nouvelle enseigne des bijoux "Stella", avait été déclarée "maison juive" et placée en tant que telle sous le contrôle d'un administrateur "aryen" dont le rôle consistait à passer une fois par mois pour vérifier les comptes et repartir en ayant empoché les deux tiers des bénéfices... Le jeune patron me donna son accord pour que je reprenne du service dans la société.

Ma future belle mère m'invita un jour à venir passer un week-end à Combault où elle possédait une petite résidence secondaire. Nous primes le train à la gare de l'Est. Arrivé à Champigny, nous avons dû descendre du train pour traverser la Marne à pied par une petite passerelle pour piétons : Le pont ayant été endommagé lors d'un bombardement. Puis nous reprenions un autre train de l'autre côté.

Mon père m'indiqua une filière pour passer en zone libre, un de ses collègues ayant des parents à Montceau-les-Mines, lieu de passage. La date du passage avait été fixée au 11 août 1941.
A Montceau, les parents du collègue de mon père m'hébergèrent pour la nuit, et m'indiquèrent la suite des opérations : il y avait tout un groupe de personnes candidates au passage en zone "nono". Des passeurs à vélo nous encadreraient pour faire les huit cents mètres jusqu'à la ligne de démarcation. Puis nous irions prendre le train pour Lyons.
A mi-chemin du parcours, les passeurs nous rassemblèrent pour percevoir le prix du passage. Surprise : ayant appris que j'étais prisonnier fraichement évadé, ils refusèrent de recevoir mon écot ! Le voyage se poursuivit jusqu'à Lyons sans encombre.
Les parents, juifs, de mes patrons parisiens s'étaient réfugiés à Lyons et y avaient monté une petite entreprise de bijouterie fantaisie jumelle de celle de Paris. Mais à Lyons comme à Paris, le manque de matière première entravait toute fabrication. Prévenus de mon arrivée, ils m'attendaient et m'offrirent de partager leur repas. Ils m'avaient réservé une chambre dans un petit hôtel proche : "le Familly Hotel".

Ils me proposèrent de m'employer aux bijoux "Stella" de Lyons, en attendant de rentrer à Paris.
Le lendemain de mon arrivée, je partis pour Bourg-en-Bresse. La démobilisation ne posa aucun problème, mais un interrogatoire me fut infligé, auquel je me soumis de bonne grâce, par un officier du 2ème bureau. Je perçu ma solde de sous-officier avec effet rétroactif et ma prime de démobilisation que j'envoyais de suite à ma fiancée. Le plus difficile fût de trouver une chambre à Bourg, et devant cet échec, les militaires de la caserne où avait eu lieu la démobilisation m'invitèrent à passer la nuit à la salle de police du poste de la dite caserne.

Sitôt de retour à Lyons, j'entrepris les démarches auprès de la mairie du 3ème arrondissement pour obtenir carte et tickets d'alimentation et auprès du poste de police pour ma carte d'identité. Les restrictions ici étaient les mêmes qu'en zone occupée, et en attendant de recevoir ces p... de tickets, sous huitaine (!), je devais survivre en achetant dans une confiserie que mes collègues m'avaient indiquée de la confiture de raisin. (sans ticket !) Mais après l'achat du 3ème pot, on me pria de ne pas revenir...
Le matin, de bonne heure, sur les bords de la Saône se tenait un marché. Sans y avoir été invité, j'aidais les marchands à décharger leurs cageots de raisins et les transporter jusqu'à leurs étals. J'obtenais ainsi quelques kilos de raisins gratuitement : je fis une vraie cure uvale ! Mais ça ne calmait pas la faim très longtemps et cette dérive vers la clochardisation ne me plaisait pas du tout.
La semaine suivante, mes démarches ayant abouti, je touchais ma carte d'alimentation et même une carte de tabac ouvrant droit à un paquet par semaine après inscription dans un débit.
En fait, sans aide familiale pour me dépanner, la vie à Lyons s'avérait plus pénible qu'à Paris !
J'avais dû quitter le "Familly Hôtel", trop cher pour mes maigres moyens, pour trouver une pension de famille aux repas chiches et aux horaires stricts avec fermeture le soir 21 heures
A Lyons je travaillais toujours aux bijoux Stella où l'activité n'était vraiment pas débordante ! Pourtant il faisait un temps superbe en ce mois d'août et il m'arrivait de flâner le soir dans les rues de la vielle ville. C'est à l'occasion d'une de ces sorties que je remarquais des individus, circulant par deux, vêtus de longs imperméables et coiffés d'un chapeau mou typique : la Gestapo ! Ainsi les allemands étaient-ils en zone "libre", épiant, observant, repérant, prêts à arrêter et enlever discrètement tel individu recherché par leurs services. Par la suite, je devais les détecter assez souvent, alerté par ce sixième sens qui fonctionne particulièrement chez les "traqués" dont je faisais partie.
A quelques temps de là, mon patron me demanda d'aller dans le Puy de Dôme pour essayer d'obtenir des échantillons de chapelets. En effet se trouvait dans ce département la ville de Vertolaye centre ancestral de cette spécialité : les chapelets y étaient fabriqués à domicile, dans les fermes isolées dans les montagnes. Femmes et enfants y travaillaient durant la fort longue saison d'hiver. Il n'était pas rare que les hauts pays envahis par la neige soient inaccessibles durant cinq mois ! Les hommes descendaient quelquefois sur leurs skis de châtaigner pour se ravitailler, notamment en tabac.
A l'époque de la prospérité, les chapelets étaient expédiés dans le monde entier, principalement en Amérique Latine, grande consommatrice de cette spécialité ! Ambert était aussi un centre de fabrication, mais moins important que Vertolaye. A Ambert j'eus une bonne surprise à l'Hôtel Bellevue où repas et petit déjeuné étaient servis sans tickets ni restrictions, la motte de beurre trônant sur la table : Miracle de la France profonde aux ressources insondables !
Un peu plus tard, j'accompagnais mon patron dans la région d'Oyonnax où le travail des matières plastiques fleurissait avant-guerre, après celui du bois. Mais là aussi, la pénurie de matières premières pénalisait l'activité
Le temps passait et je m'ennuyais ferme. Ma famille et ma fiancée me manquaient...
Je me rendais bien compte que je ne resterais pas longtemps à l'abri ainsi, isolé dans cette ville, n'ayant que peu de relation, avec la présence prégnante de la Gestapo, envisageant que les allemands finiraient bien par envahir la zone Sud (ce qu'ils firent un ans plus tard en novembre 42), je pris la décision de rentrer à Paris.

Pour le franchissement de ligne de démarcation, informé des nombreux renseignements transmis par mes collègues, je décidai de ne pas avoir recours aux passeurs. Le trajet serait le suivant : Lyons Mâcon par le train, puis Mâcon Dijon par le car. Les contrôles n'avaient pas lieu tous les jours et étaient effectués à Montchanin où passe la ligne de démarcation. Ensuite, à nouveau le train de Dijon à Paris. Et à la grâce de Dieu !
Afin d'avoir les mains libres, mes deux valises seront passées par un mystérieux messager habitué à rendre ce genre de service entre les bijoux Stella de Lyons et ceux de Paris. Mes deux valises me seront effectivement livrées une semaine plus tard.
Après un au revoir à mes bons vieux patrons, je quittais Lyons sans regret...

Le 23 octobre 1941 je prenais donc le train pour Mâcon où la proximité de la ligne de démarcation attirait une foule nombreuse qui encombrait tous les hôtels de la ville. Devant pourtant y passer la nuit, sortant d'un hôtel affichant une fois de plus "complet", j'avisais un petit pépère qui prenait le frais sur le pas de sa porte :" Monsieur, vous qui êtes du pays, savez-vous où je pourrais passer cette nuit ? Tous les hôtels sont complets ! " Eh bien, venez donc dormir chez moi, je suis veuf et seul. Le brave homme m'offrit le diner et installa un lit de fortune dans son salon. Il ne voulut rien accepter de ma part et me confia à titre "d'alibi", deux petits paniers emplis de grappes de cassis que j'étais sensé devoir remettre à sa sœur qui habitait Dijon...
Le vendredi 24 octobre, un car "gazo-bois" me déposait à Dijon sans qu'il y ait eu de contrôle ! Une opération qui aurait été impossible à réaliser quelques mois plus tard.
Je m'acquittais de ma petite livraison de cassis et prenais le train pour Paris où j'arrivais le soir même.

Après avoir salué toute la famille et embrassé ma fiancé, j'allais rue du Jour revoir cette Madame "P" pour qu'elle m'obtienne une carte d'identité ce qui devait être possible maintenant que j'étais démobilisé.
Oui, mais il faudrait du beurre : une livre pour elle et une livre pour le commissaire complaisant ! On m'avait averti de ces tarifs, et le beurre m'avait été remis par ma future belle-mère en provenance de sa sœur de Vire !
Madame "P" me fit un certificat de domicile (25 rue du jour Paris 2ème) et m'emmena au commissariat non loin de là. C'était un très vieux quartier, celui des Halles, entre la Bourse du Commerce et l’Église sainte Eustache. Le commissaire enregistra ma demande et me demanda de lui présenter mes deux témoins : dans ma hâte, j'avais complètement oublié ce détail, il me fallait deux témoins pour certifier mon appartenance au quartier ! Mais Madame "P" qui était une femme de ressource, sortie et revint aussitôt accompagnée de deux péripatéticiennes telles celles nombreuses qui œuvraient dans ce quartier renommé pour la chose...Ma carte d'identité serait prête sous huit jours et après avoir pris congé de Madame "P", j'offris aux filles de les dédommager : je me ramassais une engueulade maison :" Un service ne se paie pas, on n’est pas tombée si bas pour faire payer un service!". Je laissais passer l'orage et leur offris une tournée dans un bistrot du coin qu'elles acceptèrent de bon cœur.

Huit jours plus tard, ma carte était prête et l'obtins sans difficulté. Mais le commissaire m'informa à voix basse que ma carte, bien qu'établie par la Préfecture, n'y avait pas été enregistrée, sinon, les allemands m'auraient trouvé tôt ou tard vu mon âge. L'adresse était bien 25 rue du jour, Paris 2ème.
Rassuré pour l'immédiat, je repris mon travail aux Bijoux Stella. Un certificat de travail me fut établi mais enregistré avec description de ma situation : âge, célibataire sur un document que les allemands pourraient consulter à tout instant...
Ma carte d'alimentation fut enfin prête à la mairie du 3ème arrondissement.
Puis mes valises arrivèrent : le mystérieux passeur était un chef cuisinier des wagons restaurants Cook du PLM !
Sur les entrefaites, ma future belle-mère précipita les choses en nous poussant au mariage : "vous n'allez pas vous regarder dans les yeux tout le temps que durera cette sale guerre !".

Ainsi le mariage décidé se fit le 11 avril 1942 par une superbe journée de printemps !
Une collègue de travail nous avait trouvé un (très) petit appartement dans le quartier de Belleville : dans la Villa Guigliardini. La concierge du lieu nous dit qu'elle pouvait nous proposer des appartements plus grands et nous invita à les visiter. Il s'avéra que ces appartements avaient très probablement appartenu à des juifs qui en avaient été expulsés ou s'étaient enfuis. Nous déclinâmes poliment ces propositions...
Le quotidien à Paris n'était pas sans danger pour un homme comme moi en délicatesse avec les autorités malgré ma vraie-fausse carte d'identité : ainsi un dimanche matin tandis que je commençais à transférer quelques affaires dans notre nouvel appartement, je m'apprêtais à prendre le métro à la station "Filles du Calvaire"; le temps de descendre l'escalier menant au guichet, j’aperçus toute une équipe de soldats allemands et d’agents de police français qui s’apprêtaient à se poster aux accès. Rassemblés autour d’un responsable ils en recevaient les consignes : « Poser calmement mes deux valises, mettre ma montre à l’heure avec la pendule de la station et repartir posément avec mes deux valises. » Ensuite j’allais prendre mon métro Place de la République en ayant bien observé qu’aucune voiture de police n’était garée dans les environs. Ces contrôles étaient fréquents, particulièrement aux abords des gares et des stations de métro. Une autre fois toujours avec des valises lourdement bourrées de bouquins, en sortant du métro « Porte des Lilas » je me trouvais piégé : en bas de l’escalier, des allemands laissaient monter ceux sortaient mais arrêtaient pour les contrôler ceux qui entraient, mais en haut, d’autres allemands laissaient descendre les gens qui entraient mais interceptaient ceux qui sortaient. Pas moyen de reculer dans cette souricière ! Tandis que je ralentissais le pas en réfléchissant à un moyen de m’en sortir un grand et bel homme, très élégamment vêtu me dépassa et sorti un porte-carte qu’il présenta à la patrouille en disant : « commissaire de police ». Certains policiers français l’ayant reconnu s’étaient mis au garde-à-vous et le saluaient. Je lui emboîtais aussitôt le pas et devant l’allemand qui tendait déjà le bras pour m’arrêter je fis un signe de tête vers « mon patron » en répétant, pas trop fort, « commissaire de police ». Il me laissa passer et j’emboitais le pas à mon « sauveteur » pour monter les dernières marches de la sortie. Celui-ci fit mine de n’avoir rien vu ni entendu…Arrivé assez loin du métro, je posais les deux lourdes valises et m’épongeais le front qui ruisselait malgré le froid de décembre : j’avais voulu revenir en zone occupée, hé bien j’y étais !

Sur mon agenda, j’ai noté : 8 à 12 décembre ; sanctions ! J’ai oublié la cause de la hargne des occupants, mais le couvre-feu devint obligatoire dès 19 heures au lieu de 23, les chefs d’ilots patrouillaient autour de leur pâté de maisons en sifflant dès qu’ils voyaient une fenêtre mal occultée, quant aux allemands, ils tiraient carrément dans les fenêtres qui n’étaient pas masquées à l’heure dite !
Je terminais cette fin d’année 1941 au sein de ma future belle-famille. Que nous réservait l’année 1942 ? A présent il était difficile d’augurer la suite des évènements…

Selon les informations disponibles en ces temps, les allemands semblaient connaître quelques succès en Russie, cependant, au fond de nos cœurs nous leur souhaitions sincèrement de subir les mêmes sévices que ceux que le Général Hivers avait infligés naguère à notre Grande Armée ! Ce qui se passait en réalité dans l’immensité des toundras russes, nous ne pouvions le savoir tant la propagande allemande se faisait insistante et jamais Radio Londres n’avait été aussi brouillée !

Je commençais notre installation dans notre petit appartement de la villa Guigliardini, à l’angle de la rue Haxo dans le quartier de Belleville du 20ème arrondissement de Paris, à deux pas du site du télégraphe de monsieur Chappe, avec une vue magnifique sur la capitale.

Mes préparatifs de mariage se compliquaient du fait de susceptibilités entre familles, dont, finalement, je passais outre : que ceux qui ne sont pas contents restent chez eux, quant à moi, je me marie !

Ce début d’année fut glacial et Paris resta enneigé de longues semaines avec des températures descendant souvent sous les moins dix degrés !
J’avais pu dénicher, au marché noir, une bouteille de Saint Raphaël pour enterrer nos vies de célibataires…
Pourtant grâce à notre bonne « tante Jeanne », venue de Vire où elle tenait un petit hôtel-restaurant, le gros du ravitaillement fût assuré : beurre, viandes, volailles andouilles…Quant à ma belle-mère, ayant fait jouer la solidarité commerçante, nous pûmes disposer de pâtisseries, de vins et de fleurs !
Nos familles réussirent, en ces temps de pénuries, à faire de ce mariage un vrai jour de fête auquel le soleil printanier d’avril apporta sa note d’optimisme.

Vire fut la destination de notre voyage de noces chez la fameuse « tante Jeanne » et son « Café du Virage ». Cet établissement construit en meulière selon les plans d’un cousin architecte, situé « Route des Vaux », était édifié sur d’étranges caves monoblocs taillées dans le granit. Ces caves qui devaient être très anciennes constituèrent des assises parfaites pour la maison et furent louées à la « Beurrerie Moderne » pour y entreposer des réserves de beurre au frais. La maison recevait des pensionnaires comme le directeur de la beurrerie, celui du Crédit du Nord, et le bureau de tabac ainsi que la grande licence en faisait un lieu très animé. Les jours de foire ou de marché, les gens d’alentour y laissaient leur « bocaine » dans la cour et le cheval à l’écurie attenante à l’hôtel.

La vie quotidienne à Vire était beaucoup plus facile qu’à Paris. Les Normands vivaient au contact des allemands, qui de leur côté, ne se permettaient aucun abus aucun écart, aucune spoliation : ils payaient ce qu’ils prenaient vertu première pour les Normands. Ceux-ci vivaient en circuit fermé grâce au troc qui se pratiquait au grand jour aux foires et aux marchés ou à chaque transaction. Il se pratiqua même très longtemps, bien après l’échange des billets en juin 1945. Cet échange ne les toucha guère : ils n’avaient aucune confiance en ces billets de défaite ! Pour eux, il était impensable que les anciens billets ne reviennent pas un jour sur le marché. Aussi, les lessiveuses servirent-elles encore longtemps de coffres forts !

En Normandie, les restrictions alimentaires étaient quasiment inexistantes. Aussi jusqu’à pratiquement la fin de la guerre un envoi régulier de colis fut organisé par la chère tante Jeanne qui parvenait tous les quinze jours à Paris. En effet, autre pensionnaire du Café du virage, le directeur d’une petite usine de matériel électrique, dont le siège était à Puteaux, nous appris qu’un de ses camions faisait la navette chaque semaine entre Vire et Paris pour les besoins de ses activités. Ainsi furent convoyés les précieux colis dont les contenus arrivés à destination étaient partagés entre les membres de la famille. Cette petite entreprise deviendra grande après la guerre sous le nom de Société Générale d’Équipement et deviendra filiale de Labinal (aujourd’hui intégrée au groupe SAFRAN).
Cette navette servira plus tard à « exfiltrer » l'énorme poste de radio de la tante Jeanne, quand à l’approche de la date du débarquement, les allemands devenus nerveux saisissaient tous les postes de radios dans les habitations !

Rentré à Paris, j’appris que mon jeune cousin Roland Juhel était parti pour l’Indochine : je ne devais plus le revoir. http://www.39-45.org/viewtopic.php?f=30&t=42036
Je repris le boulot aux bijoux Stella et ma femme celui de laborantine dans une pharmacie des Grands Boulevards.
A l’appartement, le chauffage dispensait une maigre chaleur deux heures par jour malgré cet hiver si rigoureux. Quand ma femme pouvait se procurer un peu d’alcool à 90° à la pharmacie nous le faisions brûler dans une boite de conserve pour la toilette rapide du matin.
Ma belle-mère troquait une partie de son ravitaillement contre des produits indispensables à sa blanchisserie. C’est ainsi qu’elle était approvisionnée en amidon par le bougnat et en charbon par le…boulanger ! Le boucher quant à lui eut de sérieux ennuis du fait de ses abattages clandestins : le « système D » fonctionnait en grand.

J’écrivais beaucoup essayant de garder le contact avec mes amis des jours difficiles : Marchand, Faye, Mulkowski...Ainsi qu’avec mon jeune frère, Bernard devenu appentis charcutier à Issoire.
Celui-ci, en dehors de son travail allait retrouver ses anciens copains des « Compagnons de France », organisme finalement dissous par Vichy après que les effectifs aient massivement rejoints les maquis d’Auvergne.
Pour nourrir ces maquisards, les « réquisitions » de vaches ou de montons étaient rarement acceptées de bon cœur par les paysans. Quant aux commerçants, ils étaient eux aussi mis à contribution. Le jour où un jambon disparu de la charcuterie, les patrons furieux le désignèrent comme étant le voleur. Ils portèrent plainte et nous dûmes, mon père et moi nous déplacer à Vichy où aurait lieu le procès, pour l’aider. Nous demandâmes des laisser-passer aux autorités militaires pour nous rendre à la convocation du juge. Celui-ci nous déclara ne pas comprendre l’attitude des plaignants qui refusaient toute conciliation, tout dédommagement, alors que la culpabilité n’était pas formellement établie ! Mais c’étaient des notables, et sous le régime de Vichy-Pétain ces histoires de maquis et de résistance n’étaient particulièrement appréciées. Ils eurent donc la satisfaction de voir mon jeune frère condamné à quelques jours de prison. Mais le jour même de son incarcération, les maquisards descendus de leurs collines vinrent rafler la totalité des stocks et des réserves de la charcuterie, sans qu’on puisse accuser mon frère puisqu’il était en prison ce jour-là !

Le premier mars 1943, un recensement général et obligatoire eut lieu. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre ce que cela signifiait : chercher des hommes pour le STO et rafler les juifs. Cette mesure déclencha chez eux avec juste raison une vraie panique. La plupart de mes collègues juifs partirent en zone sud, Landes et Pyrénées ce qui leur permit de survivre jusqu’à la Libération.
Je fus convoqué le 15 mars mais fut « maintenu dans mon emploi » grâce à un faux certificat médical et aussi sans doute à la « compréhension » du fonctionnaire…

Mon fils Michel naquit le 12 juin 1943 à la clinique Marguerite-Marie, face à l’Eglise Saint Jean de Belleville.

Je devais cependant être convoqué à nouveau pour me présenter au bureau du recrutement du STO : cette fois encore, je m’en tirais sans trop savoir si ma nouvelle condition de père de famille avait pu intervenir en plus de mon faux certificat de mauvaise santé.
Peu de temps après, aux premières chaleurs de juillet, je rentrais dans un bistrot pour y boire un demi, quand une brigade de cinq ou six agents de police, accompagnée de civils aux vestes de cuir et chapeaux mous et forts accents allemands, entrèrent vivement et annoncèrent : « restez où vous êtes, contrôles d’identités, montrez vos papiers » ! Dehors, une escouade de soldats allemands bloquait toutes les issues armes à la main.
Je tendais calmement (en apparence !) ma carte d’identité à un vieux brigadier : il la lut et fit mine de me la rendre, mais au dernier moment la retira vivement et m’interrogea : nom ? -- Follerot -- Bien. : Adresse ? – 25 rue du Jour – Bien Arrondissement ? – Paris 2ème. Alors, à voix basse, tout en me rendant ma carte, le vieil agent me murmura : « j’ai été flic pendant dix ans au commissariat de la rue du jour, Paris 1er ! Alors file et en vitesse !
Je ne me le fis pas répéter deux fois. Ainsi une grossière erreur signalait que la carte était « spéciale » ce qui pouvait sauter aux yeux d’un flic parisien et passer inaperçu à ceux d’un allemand. La leçon que je tirais de cet incident fût qu’à l’avenir d’éviter tout lieu public, bistrot, cinéma, restaurant…Où l’on courrait le risque de se trouver bloqué.

Et la vie continua faite de vigilance extrême, d’attention soutenue de tous les instants : est-on suivi ? A-t-on déjà vu cette tête là sur son chemin ? Qu’en est-il de cette voiture qui roule au ralenti ? Etc…
Ma femme n’avait pas repris son travail, le bébé nécessitant des soins de tous les instants.
A la radio, les propagandes allemandes étaient déchainées, surtout suite aux raids aériens de l’aviation alliée dont le « dokteur » Friedrich, dans un français impeccable, en dénonçait l’inutilité tant la victoire de l’Allemagne paraissait évidente…De son côté, Harold Paquis serinait « que comme Carthage, l’Angleterre serait détruite »
Cependant, les alertes dues à ces bombardements se multipliaient, et dans Paris nous devions nous réfugier dans le métro où le courant était coupé, nul n’ayant le droit de circuler durant ces alertes qui pouvaient durer d’un quart d’heure à deux ou trois heures, voire plus.

Il y avait une batterie de « Flack » dans notre rue et nous trouvions souvent du carton brûlé sur le rebord de notre fenêtre provenant des gargousses de poudre…

Le 19 mai, un vendredi, je reçu l’ordre de ma présenter au bureau de recrutement du STO , agence « Rivoli » (ancien magasin de chaussures du « juif » André) muni de ma carte d’identité et d’alimentation : la brutalité des termes employé n’augurait rien de bon ! A l’agence, ne se trouvaient que des employées allemandes (des « souris grises ») et l’une ‘elle s’empara avec brutalité de mes papiers et me donna à remplir une « feuille de route » dont la destination était déjà pré remplie : Brandebourg ! Je lui demandais : où est cette ville ? – A cent Km. A l’est de Berlin – Et qu’y ferais-je ? --- Travail en usine ! Refusant d’examiner mon certificat médical : « Le train part lundi matin à 9 heures Gare de l’Est, vous y ferez tamponner votre feuille de route ». Là-dessus elle apposa avec force, un tampon à l’encre rouge sur ma carte d'identité : « Parti en Allemagne ». Et à la plume elle ajouta la date : « le 22 mai 1944 ». Ma carte d’alimentation, tous mes tickets, ma carte de tabac me furent confisqués et passèrent à la corbeille : « vous n’en aurez pas besoin là où on vous envoie » !

Je transcrirais dans un dernier épisode la suite et la fin des pérégrinations (mouvementées) de la famille durant cette fin de guerre.

Dernière édition par alberto le 23 Oct 2015, 20:23, édité 4 fois.

"Mépriser l'art de la guerre c'est faire le premier pas vers la ruine." (Machiavel)




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