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Auteur: alberto [ 19 Fév 2015, 18:05 ]
Sujet du blog: SUITE DES TRIBULATIONS D'UN APPELÉ DURANT LA PÉRIODE 1935/1945

LE TEMPS DES ÉVASIONS


Tandis que la vie du camp se poursuivait maussade, éprouvante, anxiogène, une véritable organisation fut peu à peu mise en place afin de facilité le départ des candidats au retour.

Certains passèrent par le grillage, dans ce cas des camarades faisaient le gué tandis que Gérard et moi allions ouvrir des brèches dans les clôtures de barbelés grâce aux cisailles que le même Gérard avait « empruntées » dans le coffre d'un camion, puis les refermions aussitôt après le passage des partant.

Un jour, un de nos sous-officiers vint me confier une carte Michelin de la région qu'il avait réussi à camoufler depuis le début ! J'en tirais des copies par calques en utilisant le papier translucide du fond des boites de biscuits reçues de France. (Nous récupérions absolument tout)

Une fabrique de boussoles fonctionna également comme suit : des lames de rasoirs mécaniques étaient mises plusieurs jours sur un aimant. Cet aimant provenait de l'électroaimant d'une épave de camion du champ de bataille. Avec une paire de tenailles, elles aussi « récupérées » à l'issue d'un chantier, la lame était découpée en forme d'aiguille allongée, laissant le trou au centre. Une pression de couturière, une punaise et une boite d'allumettes (bizarrement non interdite, contrairement au briquet) et un morceau de mica (issu des restes de lunettes de motard) pour empêcher l'aiguille de se déboîter, enfin une couche d'allumettes sur le tout. Une fois refermée la boite devenait banale en cas de fouille.

Des tailleurs et des teinturiers se dévouèrent pour participer aux recyclages des vêtements essayant de leur rendre une allure « civile », tandis que le cordonnier chapardait du vernis noir destiné aux talons des bottes de ces messieurs.

Sur du carton rigide découpé et adapté à un béret armé de fil de fer, nous obtenions des casquettes à « hausse huit cents » dans notre jargon, à rendre jaloux nos schleus…

Après avoir reçu nos premiers colis, nous organisâmes des collectes de vivres de route pour les futurs évadés. Mais en avril 1941, nous n'en étions pas encore là.

Après la double évasion, les gardiens furieux (ils avaient été punis) passèrent leur mauvaise humeur sur nous, particulièrement, le Singer promis d'un descendre un à la première occasion !

Menace d'autant plus crédible, que nous le connaissions comme tireur remarquable : il nous en avait fait la démonstration en abattant des corbeaux en plein vol à une centaine de mètres depuis le camion qui nous conduisait aux travaux et qui roulait à 50-60 Km à l'heure.

Notre ami Muller nous raconta que l'officier qui les avait rassemblé pour les tancer et les mettre en garde : »Je les connais ces français, mettez-les tout nus en prison, ils en ressortiront bientôt habillés en généraux de la Wehrmacht! »

Une nuit, les sirènes du village voisin sonnèrent une alerte. Peu après le bruit des avions nous enveloppa. La lumière avait été éteinte par mesure de sécurité, quoique alerte ou pas, il était interdit d'ouvrir portes ou fenêtres la nuit.

Pourtant un coup de feu claqua. Nous étions suffisamment éveillés pour savoir que ce coup ; de feu avait été tiré depuis le mirador.
Et qui était de veille au mirador cette nuit-là ? Le vénéneux Singer bien sûr !

Le lendemain, gros émoi dans le camp, un de nos hommes, celui des transmissions qui nous avait appris l'appel de De Gaulle, était mort dans son lit la tête fracassée par la balle qui avait traversé les planches de la baraque.

Nous demandâmes, Gérard et moi le rapport de l'officier : sans réponse de sa part…

Nous hurlions, tous en chœur en marchant vers les lieux de travaux en scandant : a-ssa-ssin ! A-ssa-ssin ! Les schleus nous frappaient essayant de nous faire taire.

Les prisonniers d'un camp voisin, croisés au cours de nos allées et venues, nous apprirent qu'on leur avait annoncé au rassemblement ce qui arriverait à ceux « qui comme notre camarade chercheraient à fuir » !

J'appris plus tard que le frère de mon ami Perrier fût tué (assassiné!) dans de telles circonstances…

En représailles, nous fîmes passer la consigne de mener envers nos gardiens une campagne de démoralisation. Chaque semaine un mot d'ordre sur un thème était adopté et chaque prisonnier devait glisser à son garde la phrase convenue : « Dis Fritz, ta femme dois s'ennuyer seule à la maison, à moins qu'elle ait un prisonnier pour l'aider ? » Ou encore : « Hé Karl, quand la guerre sera fini, es-tu sûr de retrouver le même nombre d'enfants chez toi ? ». Plus tard, nous insistâmes sur l'importance des pertes qu'ils auraient à subir en Russie, et que la plupart d'entre-eux ne reviendraient pas, ou encore : « Gross Bridaine noch nicht kaput ?“ Etc...

L'imminence d'une visite importante nous fût annoncée pour laquelle on nous recommanda toilette soignée et ménage de nos chambrée. Ce jour-là, repos : c'était la “Mission Scapini“ en tournée d'inspection !

Cet envoyé personnel du Maréchal, grand invalide de guerre, aveugle, méritait tout notre respect. Toutefois le fait que Pétain nous ait envoyé un aveugle pour “nous voir“ était symptomatique !

Une distribution de vêtements fût annoncée :“Quels sont ceux qui n'ont pas de chemise ?“. Trois cents bras se levèrent ! Après un moment de flottement parmi les visiteurs, la question fût reformulé“ : Quels sont ceux qui n'ont “pas du tout“ de chemise“
Cette fois une cinquantaine de bras se levèrent encore. On les fit avancer, mais les schleus refoulaient ceux qui arboraient le moindre lambeau qui aurait pu rappeler une chemise... En tout, six chemises furent distribuées, pour cinq-cents hommes !
La Mission Scapini, à bord de cinq ou six voiture reparti sous une énorme bordée d'injures, concert de sifflets et cris d'animaux : les oreilles de Pétain durent siffler et sa cote n'avait pas vraiment remonté !

Le courrier s'organisait : on nous avait donné des cartes postales où quelques mots étaient permis, puis des lettres dont un volet vierge permettait à notre correspondant de nous répondre, enfin des étiquettes de colis pour être adressées à nos familles.

Des journaux arrivèrent avec peu de nouvelles à y lire, mais surtout de la propagande pour le “nouveau régime“, de l'infâme réclame pour “l'Ordre nouveau“, Le Maréchal par ci, du Maréchal par-là, profonde entente mutuelle entre le Maréchal et l'Allemagne, la collaboration, etc...
Le Trait d'Union et la Gerbe ne servirent plus du tout à ce qu'avaient sans doute espéré leur rédacteurs.

Parmi nos sous-officiers, le sergent Mezzoni portait un pantalon rouge. En effet, il avait tenté de s'évader et avait été repris : les allemands, donc, par punition faisait porter ces pantalons rouges aux évadés repris.
Un jour, sur une route enneigée, un petit gamin échappa à sa mère pour courir vers le pantalon rouge, tandis qu'une auto de la Wehrmacht arrivait à vive allure en sens inverse. Le sergent Mezzoni eut le temps de saisir le gosse alors que l'auto les frôla sans même ralentir. Il traversa alors la rue et rendis l'enfant à sa mère blême de saisissement !
Tout c'était passé en un éclair, et les gardiens n'avaient pas bronché.
Cependant, de retour au camps la première chose que nous fîmes fut d'écrire une lettre au commandant en expliquant en termes aussi simples que possible que ce sergent avait sauvé la vie d'un enfant allemand et que pour cette raison pour demandions que sa punition soit lévée et qu'il soit débarrassé de son pantalon rouge. Le lendemain nous obtenions satisfaction !

Les valeurs d'achat ou de troc qui avaient cours dans les camps étaient de plusieurs sortes : l'argent français (interdit), l'argent allemand (encore plus interdit, strang verboten !) qui avaient échappé aux nombreuses fouille. Puis l'argent de camp, “lager gelt“ c'est à dire la monnaie de singe de nos paies à peine suffisante pour s'offrir une petite cannette de bière par mois. Mais, la vraie valeur, celle qui eut cours dans toute l'Allemagne, ce fut la cigarette ! Les prisonniers en recevaient dans leurs colis, ou réussissaient à s'en faire acheter par des travailleurs libres, ou dans les fermes, etc...
Tout s'évaluait, se payait et se dépensait en cigarettes : certains joueurs de poker s'endettèrent ainsi pour plusieurs milliers de cigarettes !
Celles que les schleus nous vendaient étaient infectes : les “Junak“ polonaises, composées de trois quarts de carton et d'un quart de tabac épouvantable, un vrai remède pour l'abstinence...

Les premiers colis qui nous furent annoncés devaient provenir de la Croix Rouge : le Maréchal avait soi-disant fait un appel national auquel toute la population avait participé, chaque prisonnier devant recevoir son colis.
Un jour, je vis un gardien croquer une tablette de chocolat, lui demandant d'où provenait cette rarissime friandise, il me répondit :“c'est un cadeau de la Croix Rouge !“ J'avais compris : les schleus nous avaient volé nos colis et nous n'en vîmes jamais la couleur !

Nous avions obtenu de récupérer nos chaussures, car les sabots posaient trop de problèmes avec des chevilles tordues, des marches trop lentes, etc. Nous étions très satisfaits de cette décision.

La faim continuait de nous tenailler ; aussi aucun appoint n'était négligé : champignons (rosés des prés) grenouilles, escargots, betteraves tombées des camions, pousses de jeunes orties...La vue d'un champ de maïs nous donnait subitement envie de poser culotte, tandis qu'en réalité nous cueillions les épis pour les planquer dans nos manches ou nos calots...Même le chat du feldwebel avait été bouffé !
Enfin nos premiers colis arrivèrent, mais faute d'assister à leur ouverture, nous ne pouvions que constater les “vides“ quand les schleus avaient prélevé ce qui leur faisait envie, sous couvert de contrôle.

Le problème juif ne nous avait jamais réellement préoccupés. Dans l'ensemble nous n'étions pas antisémites, ni polarisé sur la question. Mais les allemands nous questionnaient souvent pour savoir s'il y en avait parmi nous. Devant notre manque d'intérêt sur la question, ils se mettaient en colère en nous menaçant de nous faire passer pour des juifs. Quant à nous, nous ne mesurions pas l'importance que cela aurait. Mais cela nous donna à réfléchir…

Au camp d'Hilsbach, j'en connu deux : l'un était notre infirmier (les allemands l'appelaient „le sanitaire“ ), il portait un brassard de la croix rouge et ne quittait jamais sa trousse des premiers soins. Il disparut du camp un beau jour et à nos questions, les schleus nous répondirent qu'il avait été empoisonné avec des champignons et qu'il avait été emmené à l'hôpital : nous ne le revîmes jamais.

L'autre, H…, sous-officier, était arrivé avec „les bretons“. Dans le civil, il était directeur d'une agence Havas à la succursale de Grenoble. Quand je le plaisantais sur ses origines bretonnes, il répondit qu'il n'avait fait qu'indiquer son lieu de naissances : Nantes. Nous étions quelques-uns à savoir que sont inscrits à l'état civil de Nantes tous les français nés hors de l'hexagone. Son physique aurait pu le dénoncer aux allemands, pourtant il ne fut heureusement jamais inquiété…

Nous en étions alors à récupérer le fils de fer barbelé de la ligne Siegfried. Nous étions persuadés que cette récupération avait pour but de l'utiliser sur le front russe : ce qui nous fut confirmé un peu plus tard par ceux qui travaillaient sur la voie ferrée.

Il faut savoir qu'il y a une grande différence entre le fil barbelé français et allemand : le premier est constitué de trois fils aciérés torsadés sur lesquels sont sertis les barbillons. Cela reste souple et élastique et reprend sa forme même après écrasement. Pour l'allemand, les barbillons sont sertis sur un seul gros et fort fil torsadé, mais recuit et malléable.
Nous bobinions ce fil en d'énormes rouleaux à l'aide de gros gants de cuir chromés et de cisailles. La consigne fut donnée de donner discrètement un coup de cisaille tout les deux mètres ou trois mètres, juste assez pour qu'il s'enroule sans casser, mais pour qu'il se fragmente au déroulage !
Heureusement, les schleus ne s'aperçurent pas de notre manège, sinon nous l'aurions payé cher : „zabodache“ !!!

Ce chantier fut propice aux évasions : douze en mai, dont celle de notre interprète Mulkowski, celle de mon ami Perrier et celle de l'adjudant Gérard auquel nous fîmes une petite fête la veille de son départ.
Neuf autres en juin, seize en juillet jusqu'à notre départ, Marchand et moi, soit cinquante sur un effectif de cinq cents !

Quelques évasions furent rocambolesques telle celle du 1er mai. En Allemagne, le 1er mai et une fête qui revêt une certaine solennité : ce jour-là, repos pour tous, sauf pour les sentinelles qui se remplacent à tour de rôle, puis à onze heures le défilé en grande tenue et ensuite quartier libre.
Les partants étaient cette fois au nombre de cinq (une vraie folie d'après moi ! ). Il avaient déployés des trésors d'ingéniosité pour transformer leurs tenues en „civiles“ avaient récupéré ou transformé leurs coiffures en casquettes, bref, il ressemblait à des travailleurs étrangers dont toute l'Allemagne était sillonnée. Ils avaient décidé de partir à huit heures du matin, l'heure de la relève de la garde au mirador, profitant que la sentinelle montante avait le nez en l'air pour parler à la sentinelle descendante. Ils passèrent par-dessus les barbelés en se protégeant avec des couvertures. Aussitôt après leur escalade, ceux des baraques tiraient, non sans mal depuis leurs fenêtres les couvertures à l'aide des cordes qui y avaient été attachées.
En face, à leurs fenêtres ouvertes, les scheleus se rasaient, ciraient leurs bottes, buvaient leurs jus… L'évasion des cinq PG s'était déroulée sous leurs yeux !
Nos cinq voyageurs s'éloignèrent lentement, en promeneurs et … Ils arrivèrent à bon port !
Aussitôt arrivés, les évadés nous le faisaient savoir.
Une autre fois, aux travaux, trois avions nous survolèrent. Les schleus exultaient : c'étaient les Messerschmitt 110, les fameux appareils dont leur propagande avait annoncé la sortie prochaine, les plus beaux, les plus rapides, les plus performants, les Anglais allaient voir !
Trois ou quatre PG profitant que les gardes avaient le nez en l'air s'équipèrent…
Quand, rentrés au camp, les gardes rendaient compte, c'était leur fête !
Alors les camions repartaient avec un maximum d'effectif pour la chasse à l'homme : il ne valait mieux pas être repris et surtout par eux !!!
Par chance, il semble qu'aucun ne le fût jamais…
Par contre, un de nos camarades perdit la vie dans sa tentative de fuite.
Ils étaient (encore) cinq à tenter de s'évader en passant par l'intérieur d'un puit dont à mi-hauteur se trouvait un tuyau de trop plein qui donnait sur un talus à l'extérieur du camp.
Quatre parvient à s'extraire et détalaient déjà, mais des enfants qui jouaient là avertirent une sentinelle de la présence du cinquième qui s'apprêtait à sortir : elle n'hésita pas et tira un coup de feu dans le tuyau et le pauvre gars fut tué sur le coup !
Après chaque évasion nos gardiens étaient hargneux car ils nous considéraient complices et responsables de leurs punitions.
Après que la guerre avec la Russie eut été déclarée, ils étaient menacés d'être envoyés sur le front russe…

J'essayais d'établir des rapports cordiaux avec mon gardien. Le pauvre n'était pas très malin, mais il faisait son boulot du mieux possible, car s'était un brave type et je ne lui compliquais pas trop la vie.
Mais le Singer était toujours là, agressif et provocateur. Il avait fini par comprendre ce que nous murmurions dans son dos : assassin ! Et il était de plus en plus agressif, surtout avec moi : Muller m'avait déjà mis en garde à ce sujet :“ il veut te tuer ! „

Un jour, aux travaux dans la forêt, Singer vint nous chercher, Thiébault et moi (sous-officiers, nous ne travaillions toujours pas) pour nous entrainer assez loin, à l'écart, et désignant un stère de bois, nous proposa de nous reposer là, tandis que lui s'installerait de l'autre côté : il y avait longtemps que je n'avais eu aussi peur ! Il avait probablement décidé de nous tuer en l'absence de tout témoin prétextant que nous avions tenté de nous enfuir.
Profitant qu'un groupe de PG et leurs gardiens passaient à proximité, je lançais une buche assez loin dans un fourré : le Singer déjà monté sur le tas de bois tirait en direction du fourré tandis que le groupe de PG s'était arrêté entendant le coupe de feu… Ouf ! Nous avions cette fois déjoué son projet criminel. Il nous fit comprendre qu'il n'était pas dupe et que ce n'était que partie remise et qu'il finirait bien par avoir notre peau.
Il était grand temps de penser à mettre de la distance avec cet univers pitoyable et mortifère !

Fin juin, j'écrivis à mon père lui annonçant à mots couvert mon „auto libération“ prochaine.




Prochain post : mon évasion

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