L’affaire du BC 191 (SCR 193)
Dès mon arrivée au Bordj de la SAS de Bouhamama, en novembre 1958, ma préoccupation première est de connaitre le type d’appareil mis à ma disposition pour travailler. Mon patron me dirige vers une pièce sécurisée. Une seule petite fenêtre, garnie de gros barreaux de fer l’éclaire, pièce qui sert aussi à entreposer les armes. Il me désigne alors le poste radio qui servira à établir les liaisons avec Khenchela et les autres SAS. Je fais grise mine, je m’attendais à un appareil plus puissant qu’un ANGRC9 de 17 Watts. Il est déjà installé, près à fonctionner avec une génératrice à mains. Je suis inquiet de voir la GN, quand le Lt Gibier me montre un complément de matériel, un convertisseur DY88, des batteries et m'informe qu’il existe aussi un groupe électrogène pour le chargement des batteries. Ouf !
J’étais le premier radio en titre de la SAS. Dans l’immédiat j’assure les liaisons dans cette pièce plutôt exiguë, j’ai droit à toutes les recommandations d’usage en matière de sécurité compte tenu de la présence d’armes, munitions et grenades. J’aurai bientôt ma station, les travaux démarrent prochainement. Il faudra donner mes instructions à Saïd, l’homme qui intervient dans la construction et l’aménagement extérieur et intérieur des locaux de la SAS.
Fraichement libéré d’une période de trois années dans l’armée, je viens de quitter ma compagnie de transmissions. Je suis rempli de la connaissance des tâches du métier de radio que j’exerçais à plein temps, avec le SCR 399 où le SCR 193. L’effort d’adaptation qu’il me faudra fournir pour utiliser ce modèle, à mon avis bas de gamme mais néanmoins excellent, ne me réjouit pas. Je rétrograde dans le métier. La dernière fois que j’ai fait fonctionner cet appareil, c'était à l’occasion de l’examen de fin de stage à l’école des transmissions. Je n’oublie pas de dire aussi que le C9 était utilisé, comme moyen d’écoute, posé près de notre poste de travail au BCR de Djidjelli. Il servait à écouter les messages d’alerte émis par des appareils automatiques installés dans les exploitations agricoles de la région. Chaque ferme avait un indicatif mors, il suffisait pour celle qui était attaquée par les rebelles d’actionner un bouton qui déclenchait aussitôt l’émission.
Je range mon manipulateur vibreur dans un tiroir et j’enfourche la pioche (manipulateur simple), les relais du C9 ne supportent pas une manipulation trop rapide. Quelques mois plus tard, je fais part de ma déception à mon patron et lui demande s’il accepterait que je commande un émetteur BC 191 dans un magasin de surplus US à Paris. Je possède une documentation sur laquelle les tarifs sont précisés. Je fais l’article de ce produit en avançant les 75 watts au lieu de 17 watts. Mon patron, accède à ma demande, il me donne le feu vert. Il me fait confiance. L’affaire est lancée et la commande exécutée.
Quelques temps après, une information en provenance du port de Marseille nous parvient par le truchement de la Sous Préfecture, précisant que l’appareil radio est bien parti de Paris mais qu’il est bloqué par la douane. Cet achat en Métropole, peu orthodoxe pour l’époque, à destination de l’Algérie, sans demande d’autorisation préalable, n’a aucune chance de nous parvenir. Il s’agit de matériel dit, stratégique, visé par l’embargo comme les armes. Nous n’avions pas (je n’avais pas) envisagé cette situation. J’ai ainsi entraîné mon patron bienveillant à mon égard, dans des soucis administratifs et de comptes à rendre à la hiérarchie. Mon achat étant retenu comme suspect, une enquête est diligentée par la DST. Le Lt Gibier, qui goûte habituellement fort peu de rédiger des rapports, planche sur le sujet.
Quelques temps après deux inspecteurs de la DST viennent m’interroger sur place à Bouhamama, L’interrogatoire est très court, il se déroule au milieu de la cour du Bordj. Il me semble qu’à ce moment là, un des obusiers de 155 donnait de la voix. IL fait très chaud. Ce n’est pas un interrogatoire mais plutôt un échange de quelques paroles. Ces messieurs, ils étaient deux, ont visité ma station radio. Ils sont sympathiques, affables au demeurant. Présentant beau dans leur costume civil, au milieu de tous ces miliaires souvent mal attifés, dans un endroit aussi isolé des Aurès, J’ai l’impression qu’ils pensent avoir été parachutés dans le trou du c..du monde. Ils s’en retournèrent aussi vite qu’ils étaient venus, assurés de notre bonne foi.
Épilogue.
L’émetteur radio BC 191, m’a enfin été remis, il était provisoirement entreposé au STI à Khenchela. Il ne put jamais être mis en service. La Tu (tiroir) qui l’équipait ne correspondait pas à ma fréquence de travail.
ANGRC9
DY88
BC191