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Aldebert
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Saint Nazaire occupation - Chapitre 113

Lien permanentde Aldebert le 06 Mar 2021, 19:10

De la tragédie du Lancastria aux empochés de Saint Nazaire.




Ce témoignage est celui de Clément, Nazairien depuis toujours et encore. Enfant, il a été trois fois particulièrement affecté par cette guerre. Il a bien voulu nous rapporter quelques uns des événements qu’il a vécus. Il ne souhaite pas révélé son entière identité. Je garantis cependant l’authenticité de ce récit, car Clément n’est pas un étranger pour moi et ma famille. J’espère avoir bien respecté sa pensée et n’avoir rien modifié dans la présentation de ses souvenirs. Merci à lui d’avoir accepté de nous transmettre la petite histoire, la sienne, toujours pleine de faits uniques.

Albert René Gilmet


Clément raconte:

Je me souviens très bien du drame du Lancastria le 17 juin 40, j’avais neuf ans à cette époque. Je n’ai pas été un témoin oculaire de cette tragédie, parce que nous n’habitions pas sur le bord de mer. Tout le monde en parlait à Saint Nazaire, certains fournissaient force détails, je ne pouvais donc pas l’ignorer. De nombreuses personnes de la région se sont mobilisées pour aller porter secours aux naufragés en fonction des moyens flottants dont ils disposaient. Ce drame a marqué les esprits des habitants des lieux pour bien longtemps.

J’habitais avec mes parents, à St Nazaire, à quatre kilomètres du port, et par conséquent tout aussi près de la forme Joubert. A l’époque de l’occupation, mon quartier ressemblait à un petit coin de campagne , malheureusement il devenait dangereux d’y demeurer.

En 1941 j’avais dix ans. Le ravitaillement en nourriture était une chose difficile dans la ville. Dès six heures le matin, ma mère allait faire la queue pour acheter de quoi nous alimenter. Ce qui était proposé à la vente était de bien piètre qualité. Quand elle partait faire ses courses, je restais dans mon lit cage installé dans la cuisine faute d’une autre place dans la maison. Un jour, lors d’une de ses absences, j’entends un bruit bizarre, c’était comme un bruit de mastication. Je ne distingue rien de mon lit et n’ose pas en sortir. Plus tard au retour de ma mère, nous nous sommes aperçus que nos tranches de jambon avaient été mangées. C’était un chat voleur, passant par là, le ventre vide qui était reparti, c’est certain, bien rassasié. Ce jambon là, nous a bien manqué.

Pendant que duraient les bombardements ma mère avait très peur. Mon grand père qui, pourtant, avait fait la guerre 1914-18 avait aussi très peur. Ma grand mère par contre était presque indifférente aux événements pourtant dangereux qui se produisaient. Par exemple lorsque des brûlots incendiaires tombaient dans la maison au risque d’y mettre le feu, elle les expédiait très loin dehors, à l’aide d’une pelle, sans crainte de ce qui pouvait lui arriver.

Avant chaque bombardement allié, des avions de reconnaissance larguaient préalablement des pots éclairants pour marquer le terrain à traiter. Malgré tout et souvent, les bombes dépassaient ces limites, elles tombaient en dehors, c’est à dire sur nos maisons et sur ses habitants. L’une d’entre-elles est notamment tombée à environs quinze mètres de chez nous.
Immédiatement après l’action des 27/28 mars 1942 menée par les britanniques contre la forme Joubert, cale sèche, les civils qui étaient absents ce jour là de leur maison pour diverses raisons, sont restés 48 heures sans pouvoir regagner leur logis. A ce moment là, je me trouvais chez des amis de mes parents à Pont Brien à environ quatre kilomètres du port de Saint Nazaire. Nous passions nos nuits là-bas par crainte des bombardements. La ville avait alors été verrouillée par les Allemands qui recherchaient les commandos en fuite. Ceux-ci tentaient de se cacher un peu partout dans les maisons pour échapper à la capture ou à la mort. Les Allemands étaient très nerveux, ainsi dans leurs recherches ils tiraient sans discernement, ils ont tué beaucoup de civils. Les habitants de notre ville imaginaient que cette action était l’avant garde d’un débarquement massif des alliés. Ils pensaient alors, qu’ils allaient rester après ce raid et que le jour de la libération était venu. Peu de temps après, quelle ne fut pas leur déconvenue quand ils constatèrent que l’opération avait échoué. Depuis ce jour, le coup de main sur la forme Joubert fut appelé par les habitants de la ville et de la proche région «Le débarquement».

Le 9 novembre 1942 entre midi et demi et treize heures un premier bombardement se produit. J’étais à la maison pour le déjeuner. A cette époque, pendant les jours de classes, je revenais manger le midi à la maison. Quand la fin de la première alerte se fait entendre, ma mère me dit que je pouvais maintenant rejoindre l’école. Quelques instants après mon départ la sirène retentit de nouveau, annonçant un second bombardement. Chacun est surpris de cette seconde alerte car nous n’étions pas habitués à ce qu’il y en ait deux successivement. Ma mère est inquiète de me savoir peut être en danger. Elle prend sa bicyclette et part à ma recherche aussi rapidement que possible. Elle espère me récupérer et me mettre en lieu sûr. Dans le même temps, sur le chemin de l’école j’avais trouvé un abri pour me réfugier durant cette alerte. C’était la cave d’une maison que j’ai aperçue et partagée avec d’autres personnes, un abri de fortune qui n’aurait sans doute pas résisté à une bombe mais qui nous rassurait.
Ma mère s’est dirigée directement vers l’école où elle pensait être certaine de me joindre. Elle trouve là, mon père qui, inquiet lui aussi, avait quitté son travail et s’était rendu à ma recherche. Mon père travaillait dans un autre secteur de Saint Nazaire où, jusqu’à cet instant, aucune bombe n’était encore tombée. Il était venu se rendre compte de ce qui se passait dans notre quartier. Au moment de leur rencontre, des avions volaient au dessus d’eux et larguaient des bombes en chapelets. Une d’entre elles tombe soudain dans un jardin tout à coté de mes parents. L’explosion fait écrouler sur mon père une partie d’un mur. Il est enseveli sous des décombres, blessé il a l’épaule fracturée . Cette même bombe a des conséquences plus tragiques pour ma mère car le souffle de la déflagration, fait exploser ses poumons, elle est tuée sur le coup. A la fin de l’alerte, des militaires allemands qui se déplaçaient dans un véhicule de marque Citroën, aperçoivent mes parents. Ils font alors immédiatement transporter mon père à l’hôpital et diriger ma mère vers la morgue après avoir constaté sa mort. Ce jour là, ce bombardement a eu de dramatiques conséquences. Beaucoup de victimes sont à déplorer ainsi qu’une destruction importante des habitations. La base sous marine et les installations militaires allemandes n’ont, par contre, pas ou peu souffert.

Les bombes ont atteint aussi le centre d’apprentissage des chantiers de Penhouët. En ce 9 novembre 1942 le bombardement a fait plus de 140 morts, apprentis et contremaîtres. Mon père qui était un des premiers à être transféré à l’hôpital suite à sa blessure a été rapidement rejoint par les nombreux autres apprentis plus ou moins sérieusement atteints.
Après cet événement tous les enfants de Saint Nazaire ont été évacués loin de la ville.

J’ai immédiatement été informé par mes grands parents de la mort de ma mère et de l’hospitalisation de mon père. Je suis donc demeuré avec eux pour encore longtemps.
Ils sont maintenant déterminés à quitter Saint Nazaire qui devient vraiment trop dangereux. En effet à quelques centaines de mètres de la maison, il y avait une batterie de DCA au lieu dit la Berthauderie, elle était souvent la cible des avions. Une des fenêtres de notre maison était d’ailleurs criblée d’éclats.
C’est à Campbon qu’ils ont souhaité rechercher un nouveau lieu plus calme. Dans l’attente de trouver un logement convenable, ce qui n’était pas simple parce que beaucoup de gens désiraient quitter Saint Nazaire, j’ai été placé dans une colonie de vacances à Port Saint Père où je suis resté cinq semaines.

Mon père s’est rétabli mais trois mois lui ont été nécessaires pour se remettre de ses blessures. Peu de temps après son rétablissement il a été muté, pour son travail, dans une autre ville. Depuis ce moment là je ne l’ai jamais plus revu. Il a été tué à Paris au mois d’août au moment de la libération de la capitale. Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise.

Les bombardements de nuit sur Saint Nazaire étaient fréquents. Souvent la gare de triage était visée à cause des munitions qui y étaient entreposées. Quand les bombardiers survenaient dans le ciel, à Campbon, nous grimpions sur un four à pain. Cet endroit nous permettait d’avoir un excellent point de vue sur la ville. Depuis cette position nous étions bien placés pour le spectacle. Les lumières des projecteurs allemands qui éclairaient le ciel, les traces des tirs de la DCA et les incendies qui se propageaient dans la ville. C’était un beau, un bien tragique spectacle.

Après le débarquement du 6 juin 1944 quand les américains arrivent à Campbon et Bouvron je me souviens des chewing-gums, des cigarettes qu’ils distribuaient à profusion. Nous étions heureux et je n’avais jamais reçu autant de cadeaux. On peut imaginer notre déception lorsqu’ils se sont retirés 48 heures plus tard. Ils se sont arrêtés le long du canal de Nantes à Brest. Et nous nous étions demeurés, malgré nous, de l’autre coté, celui de l’ennemi. Décidément c’était une seconde désillusion après celle de mars 1942.
Nous devenions les empochés de Saint Nazaire et ce, jusqu’au 11 mai 1945.

Entre Campbon et Bouvron dans la Poche, pour ce qui nous concerne, nous n’avons pas manqué de nourriture. Nous avions du lait, du beurre et même de la viande. Il y avait quelquefois des vaches qui se faisaient tuer par le mitraillage des avions, elles étaient vite dépecées et la viande distribuée. Il y avait aussi du porc, du poulet. Non ! vraiment, la nourriture ne faisait pas défaut, nous ne manquions pratiquement de rien sauf de sel et de pain. Je peux ajouter aussi que le courant électrique nous faisait sérieusement défaut.

Les allemands avaient fait sauter tous les ponts, même les plus petits des plus petits ruisseaux. Ce n’était pas simple de se rendre à l’école. Comme les copains je m’étais armé d’un bâton pour faciliter le passage sur les ponts démolis. Les jours de canonnade je restais à la maison. Pour l’heure, je n’apprenais pas grand chose car je manquais souvent l’école. Les leçons que donnait l’instituteur les jours de mes absences ne m’étaient pas profitables et lors des interrogations suivantes j’étais muet et frustré.

Toujours, dans la poche, non loin du lieu de notre maison qui avait été atteinte un jour par des éclats d’obus, étaient positionnés plusieurs canons allemands, des 155mm, je pense, qu’ils tiraient en direction de la ligne de démarcation. Un avion allié passait parfois au dessus de nous et peu temps après son passage des obus explosaient un peu partout.
De jour, on voyait fort bien les avions alliés qui nous survolaient et qui allaient bombarder la base sous marine. Nous distinguions nettement les bandes blanches dessinées sur les ailes. Nous les appelions  les « Avions canadiens  ». Pourquoi ?…je n’en sais rien !
La ligne de front de la poche était à six ou sept kilomètres de notre maison. De ma fenêtre à l’étage, certains jours, je pouvais voir des allemands prendre cette direction. Je voyais aussi des chariots tirés par des chevaux qui en revenaient, ramenant des blessés et surtout des morts.

Cinq soldats allemands sont venus chez nous et en même temps chez le voisin. Ils nous ont demandé de tous nous aligner contre un mur en nous menaçant de leur armes. Ils voulaient que nous leur fournissions des effets civils. Ils ont fouillé les deux maisons, les armoires. Ils sont repartis avec des vêtements. Ils ont aussi dérobé nos bicyclettes. C’était des déserteurs qui ont été repris peu de temps après et amenés sous bonne escorte, devant nous, voisins et grands parents pour identification. Ils seront plus tard fusillés. Les autorités allemandes ont tenu à ce que nous assistions à leur exécution. Ma famille ne pouvait pas se déplacer sur le lieu où devait se dérouler la sentence. Les voisins par contre ont pu s’y rendre. Ils nous ont bien confirmé que cette exécution s’était effectivement déroulée dans l’enceinte du château de Caloin , résidence de Monsieur Lecour de Grand Maison.

A un autre moment je revenais de chez un copain qui habitait à un kilomètre ou deux de chez moi. Sur la route, je croise un Allemand qui porte un gros morceau de viande, il m’interroge pour savoir si j’avais vu ses camarades. Je n’ai pas compris immédiatement ce qu’il me demandait. A force d’échanges de paroles et de gestes j’ai enfin pu comprendre que le gros morceau de viande qu’il tient dans ses mains était tombé d’un chariot militaire sans que les occupants s’en aperçoivent. Je n’avais pas vu le véhicule hippomobile donc je ne pouvais pas le renseigner. Il le compris bien et me signifie donc de partir en m’offrant préalablement un beau morceau de pain de seigle. J’étais heureux d’apporter ce magnifique cadeau à la maison car nous en manquions particulièrement.

Mon grand père tenait beaucoup à son vélo mais un jour des Allemands viennent à la maison pour procéder à une réquisition de bicyclettes. Pour mon grand père il n’était pas question de se séparer de la sienne. Ayant aperçu les Allemands suffisamment à temps et compris la raison de leur visite, il enfourche rapidement son vélo qu’il était allé chercher précipitamment et file sur la route à grands coups de pédales. A ce moment un soldat qui sortait de chez nous l’interpelle et tire en l’air avec son fusil. Mon grand père n’obtempère pas et continue de fuir sans dommage. Il revient le soir à la maison heureux d’avoir pu conserver son bien. Malheureusement cet événement l’a tellement ébranlé qu’il tombe paralysé d’une congestion cérébrale le soir même.
Au cours des veillées, les soirs d’hiver, chacun y va de son histoire. J’en avais retenue une, celle qui consiste à inciser le lobe de chaque oreille quand une personne tombe paralysée. C’est en fait une saignée qui permet au malade de se rétablir disait-on. Je pris donc le rasoir de mon grand père et j’opérais cependant sans succès, mais avec le certitude de lui avoir malgré tout, sauvé la vie. Il restera hémiplégique jusqu’à sa mort, neuf années plus tard

La reddition des Allemands de la Poche de Saint Nazaire est enfin effective, le 11 mai 1945, trois jours après l’annonce officielle de la signature de l’armistice. C’est à Bouvron que se déroule l’organisation pour la signature des accords.

A Savenay, de la cour de l’école, nous voyons passer des colonnes de militaires allemands qui arrivent de Montoir de Bretagne pour se rendre dans un camp d’internement. Ils semblent tous très fatigués, abattus . La foule qui les regarde passer, crie et leur lance des mots, des phrases qui, sans être des insultes, ne sont pas pour autant bien tendres, des mots prononcés tout à coup en toute liberté sans crainte de représailles de la part l’ennemi enfin vaincu.
Avec mon grand père et ma grand-mère je demeure à Campbon jusqu’en 1949. J‘entre en apprentissage aux Chantiers de Saint Nazaire en 1946. Plus tard, je loge chez un oncle à Saint Nazaire.

Je ne suis pas certain de l'orthographe du nom du château cité - Caloin -

L'histoire se termine ainsi.
Albert René Gilmet.

Dernière édition par Aldebert le 22 Sep 2021, 15:43, édité 3 fois.

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Commentaires

Re: Saint Nazaire occupation - Chapitre 113

Lien permanentde brehon le 06 Mar 2021, 20:10

Bonjour Albert,

"Je ne suis pas certain de l'orthographe du nom du château cité - Caloin -"

Il s'agit du château de Coislin.

Amitiés
Dernière édition par Aldebert le 06 Mar 2021, 22:49, édité 1 fois.
Cordialement.
Yvonnick
brehon
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Re: Saint Nazaire occupation - Chapitre 113

Lien permanentde Aldebert le 07 Mar 2021, 12:23

Merci Vonnick !!!
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