Marcel Crocquevieille
Pendant la période nommée drôle de guerre, le 2ème classe Marcel Crocquevieille du 39ème régiment d’infanterie est cantonné, avec sa compagnie, à Frignicourt (Marne). Il attend et s’occupe comme tous ses camarades. Il se lie d’amitié avec la famille Bertrand, ce sont des cultivateurs à qui il donne la main pour les travaux de la ferme et des champs. En contre partie il obtient nourriture et couchage sur de la paille dans un hangar. Ensemble ils ont tout le loisir de faire connaissance.
L’offensive des troupes allemandes met fin à leur tranquillité. Début mai 1940 son régiment est dirigé vers le front en Belgique. Les combats font rage, sur le bord des routes gisent des corps de femmes et d’enfants. Au cours des affrontements son régiment est fait en partie prisonnier par les Allemands. Il en réchappe.
Fin mai, début juin il est envoyé à Rivesaltes pour être intégré au 236ème régiment d’’infanterie qui rejoint le front dans le département de l’Eure. Là, Marcel est blessé au cours des combats qui font rage aussi dans cette région. Le 14 juin, aux abords de Louviers, il est atteint par des petits éclats de grenade qui se logent dans l’orbite de l’œil gauche. Des camarades l’évacuent vers l’arrière. Le 15 juin il est ausculté à l’hôpital de Saint Lo. Il est ensuite placé dans un train sanitaire qui l’emmène d’abord à Rennes. Il n’a bénéficié jusqu’alors que de quelques soins d’urgence et d’une radiographie. Le 17 juin 1940, de passage à Rennes, le train sanitaire dans lequel il est placé, a la chance de ne pas stationner dans la plaine de Baud au moment du terrible bombardement. Il échappe ainsi miraculeusement au désastre de la destruction de plusieurs trains dont un chargé de munitions et qui fit environ 1 millier de morts et des dégâts considérables.
Il est possible que le train sanitaire de Marcel ait été dirigé vers une autre destination devant l’ampleur des interventions à pratiquer par les hôpitaux rennais sur des centaines de blessés victimes du bombardement. Ces hôpitaux ne pouvaient probablement pas faire face à un surcroît de soins venus de ceux qu’il aurait fallu dispenser aux blessés du train sanitaire.
La radiographie faite le 24 juin 1940 ne révèle aucun corps d’origine métallique dans l’œil…et pourtant.
C’est dans un hôpital de Perpignan que le train sanitaire dépose enfin ses blessés. Pour extraire les éclats demeurés dans la région de l’œil, Marcel est opéré dans des conditions de grande souffrance. Il était attaché bras et jambes sur la table d’opération. L’hôpital ne dispose pas, semble t-il, de médicaments analgésiques. On lui fait absorber de la caféine (sic). Des témoins lui ont rapporté, après l’opération, que durant l’extraction des l’éclats de son œil gauche et l’énucléation : « Depuis les couloirs on l’entendait hurler de douleur ».
Déclaré consolidé mais fait prisonnier sur son lit d’ hôpital, Marcel rentre néanmoins chez lui à Landelles et Coupigny (Calvados). Fidèle en amitié, il contacte par écrit, en juillet 1941, ceux qui l’ont hébergés avec ses camarades et qui sont devenus pour lui de bons amis. Il fait parvenir de ses nouvelles et leur raconte les événements survenus depuis son départ de Frignicourt. En réponse la famille Bertrand lui fait sentir qu’elle est très heureuse de constater qu’il est en vie et lui manifeste beaucoup de sympathie et de compassion suite à sa blessure.
Cette lettre que Marcel reçoit de Frignicourt est intéressante de détails. Elle témoigne sur la ville qui a subi beaucoup de dommages lors de l’invasion allemande. Des bombes incendiaires et obus l’ont ravagée ainsi même qu’un de leur hangar détruit avec tout le matériel agricole qu’il contenait. Vitry le François « n’existe plus – Tout le centre est rasé ».Comme beaucoup de Français ils ont évacué. Ils sont allés dans le département de la Cote d’Or, plein sud. Ils sont revenus après huit jours d’errance.
Cette lettre précise aussi, s’agissant des troupes d’occupation, que les habitants de Fringnicourt ont eu à faire aux mêmes soldats demeurés dans son secteur de fin juillet 1940 jusque fin avril 1941. (Probablement sont-ils partis ensuite vers l’Est, intégrés au plan Barbarossa)
Elle nous informe aussi, à mots couverts, qu’une certaine L ... ne résistait pas au prestige de l’uniforme, tant à l’époque des Français qu’à celle des Allemands. Qu’il y aurait un mariage en perspective avec un Allemand, mais…
Si les Français avaient eu les moyens de mieux résister à l’invasion face à ses ennemis, c’est un mariage franco-français que la lettre évoquerait peut-être. L... est sans doute une des victimes collatérales de notre défaite. (Mais après tout, pourquoi une victime !!!)
Entre les deux mots griffonnés par des médecins, un des deux éclats extraits de l'orbite de l’œil de Marcel. On peut se rendre compte de sa dimension en la comparant à une écriture standard.
Remerciements à Pierrette Jugelé née Crocquevieille, pleine d’attention aux récits émouvants des mémoires de guerre que lui racontait son papa et ainsi permettre aujourd’hui de les faire partager. Merci aussi pour les documents personnels dont la famille autorise la publication.
Albert René Gilmet