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Aldebert
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Mémoire : 1941-1956. Chapitre 83

Lien permanentde Aldebert le 29 Nov 2016, 22:44

Raphaël Pécoil que j’ai eu l’honneur de connaitre lorsque j’étais enfant à écrit un livre, à compte d’auteur, édition confidentielle, sur lequel il relate une partie de sa vie militaire. Il rapporte les événements auxquels il a été confrontés. Il les présente simplement, précis dans ses descriptions. Il met en lumière une suite de faits vécus prenants, qui semblent ne pas avoir été évoqués par ailleurs.
Les souvenirs que Raphaël a voulu passer à la postérité ne s’arrêtent pas aux 13 pages premières pages de son livre, ici présentées, intitulé : Mémoire : 1941-1956.

Ce livre est déposé à la Médiatec de Vezin le Coquet.
Remerciements à Corinne- Debel-Regereau, responsable de la médiathèque municipale de Vezin le Coquet qui a facilité cette présentation.

Albert René Gilmet

Raphaël Pécoil est décédé en décembre 2013 à l’âge de 91 ans.
Il est décoré:
Médaille militaire
Présidential Unit Citation
Médaille coloniale avec agrafe Extrème-Orient
Médaille commémorative AFN
Titre de reconnaissance de la Nation 1939-1945
Croix du combattant volontaire avec barrette 1939-1945
Croix du combattant volontaire avec barrette Indochine
Médaille des engagés de moins de 20 ans





Mémoire : 1941-1956. de Raphaël PECOIL

Chapitre 1

En 1941 travaillant dans les fermes, j’avais été recruté à la foire d’embauche sur le Mail à Rennes par un fermier de Cesson-Sévigné. Il s’agissait pour moi de faire chez lui la métive c’est-à-dire les fenaisons, la récolte et le battage pendant les trois mois d’été. Sa ferme était située près d’un petit château appelé Bourg-Chevreuil occupé par les Allemands. L’un d’eux parlant avec le fermier lui avait dit en me voyant : « Vous n’allez pas l’avoir longtemps, il va partir pour le Service du Travail Obligatoire en Allemagne » (1). Le fermier m’en fait part et me dit : « Si tu ne veux pas partir pour le S.T.O. tu dois passer en zone libre ». Je lui demande : «mais comment faire ? ». Il me répond : « Va te renseigner à la gendarmerie ».

Je gagne Rennes où le planton qui me reçoit me dit que la solution était de m’engager pour 5 ans à l’état major de la caserne Kergas (Elle se trouvait à la place de l’actuelle cité administrative). De là je suis envoyé à la caserne bon Pasteur près de la préfecture où je signe un engagement provisoire pour l’Infanterie Coloniale le 22 septembre 1941. J’ai 18 ans et 2 mois (La majorité était alors à 21 ans). Cet engagement me donnait légalement mon émancipation me plaçant hors de l’autorité de ma mère.

J’ai reçu mes papiers 3 jours plus tard me disant de me présenter au bureau de la Croix-Rouge place de la gare à Rennes. Des officiers y tenant une permanence me délivrèrent un ordre de mission pour Marseille. J’ai fait connaissance de deux jeunes de la Guerches qui partaient pour le Maroc, ensemble nous avons pris le train pour Marseille via Bordeaux. Notre train s’arrêtera à La Réole qui était la ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone libre. Là des officiers allemands et français de la commission d’armistice contrôlent nos ordres de mission, puis après avoir été fouillés par les Allemands notre train est reparti. Nous sommes arrivés le soir sous un violent orage à Marseille, à notre descente du train. C’est une patrouille qui nous a conduits au camp Sainte Marthe (base de la cavalerie).
La nuit passée, je suis dirigé vers le camp de La Delorme (base de l’infanterie), puis je rejoins le fort Saint Jean où se trouvent l’Etat Major et les magasins d’habillement de la coloniale. Je touche 2 paquetages : le mien, l’autre est destiné aux futures recrues du 43ème Régiment de Tunis où j’étais affecté. Le fort Saint Jean est situé à l’entrée du vieux port de Marseille. Sur l’autre rive se situe le fort Saint Nicolas base de la légion étrangère, entre les deux, le pont transbordeur. Nous allions du camp au fort St Jean à pied en longeant le port de la Joliette. Bientôt nous apprenons que nous allions embarquer pour Bône en Algérie depuis le port de la Joliette sur un cargo moutonnier le Djebel Aurès aménagé en transport de troupes. Quand nous quittons Marseille, dans le golfe du Lion, nous essuyons une tempête, tout le monde est malade. En arrivant à Bougie en Algérie, nous sommes une fois de plus contrôlés par une commission d’armistice, puis dirigés vers Bône où nous sommes pris en charge par la garnison. Le lendemain matin, nous prenons la direction de Tunis en train, passons la frontière algéro-tunisienne à Gardimahou et arrivons à destination en début de l’après-midi. Nous sommes conduits dans un camp de transit où nous séjournons deux jours, puis mis par unités de régiment (cavalerie, coloniaux, zouaves). Pour moi c’est le 43ème Colonial situé à la caserne Saint Henri non loin du Bardo, le palais du Bey de Tunis.
Nous sommes une dizaine à nous présenter au chef de Bataillon qui nous fait un discours d’accueil, puis nous rejoignons la 9ème compagnie d’instruction où nous effectuerons nos six mois de classe. Le 43ème régiment d’infanterie coloniale était composé, entre-autre, de tirailleurs sénégalais, réputés imbattables en sport et en marche. Deux de ces bataillons et son état major étaient basés à Bizerte. Le 3ème bataillon, avec ses 4 compagnies et son commandement, casernait à Tunis. Logeant dans des chambres de 20, nous apprenons à faire nos paquetages et nos lits au carré. Sur une étagère au dessus de nos lits nous devons intercaler les vêtements blancs et kakis qui avaient des planchettes glissées à l’intérieur pour les tenir bien pliés et si par hasard ce n’était pas impeccable, le gradé de service fait tout tomber sur le lit et on recommence….. C’est le meilleur moyen d’apprendre, il parait !

Des sanctions venaient compléter le règlement.

La consigne : Punition à laquelle on répondait le soir à l’appel de la sonnerie du clairon. Interdit de sortir de la caserne durant la période de consigne.


La tenue de campagne : Consistait à se présenter à l’officier de service de semaine en tenue de guerre (sauf armement). On devait avoir dans la musette le nécessaire de toilette, de correspondance, un bidon de deux litres plein, la 2ème paire de brodequins sur le sac à dos. Si la tenue n’était pas correcte, il fallait la représenter à la prochaine sonnerie du clairon.

Le tombeau : Cette sanction ne s’appliquait qu’en manœuvre de 15 à 30 jours. Elle consistait à faire un trou de sa taille, profond de 30 à 40cm, la toile de tente étendue en travers pour protéger le corps pendant la nuit. En fait cette punition remplaçait la prison.

Horaire de travail : Réveil 6 heures – coucher 21 heures – extinction des feux 23 heures.

Tous les matins l’un de nous est désigné par le chef de chambre pour la corvée de café et un autre pour prendre les cinq boules de pain (1 pour 4 hommes) ainsi que les tablettes de chocolat du petit déjeuner. Un tour est institué pour la corvée de chambre (le ménage). Le rassemblement en tenue de sport a lieu sur la place en face du bureau du capitaine, cela permet de voir les malades. Ensuite direction le stade pour une heure de sport, puis la salle de théorie. Le jeudi était le jour de la piqûre TAB qui souvent nous rendait malade jusqu’au dimanche. La semaine suivante pour nous remettre dans l’ambiance sport, théorie, maniement d’armes et marche de 25 à 50 kms autour du lac de Sedjoumi, départ 6h retour 14h à la caserne et cela avec l’équipement et l’armement sur le dos. Pour moi c’était un fusil mitrailleur.
Après nos 6 mois de classe nous avons une permission de sortie à Tunis jusqu’à 21h, il fallait une permission supplémentaire pour rester jusqu’à 23h. Nous en profitons pour visiter la ville.

Entourée de remparts, il fallait franchir les portes Bab Sadoum ou Bab Souïka pour pénétrer dans la ville arabe, puis arriver sur la place du passage où se trouvait la gare TGM (Tunis-La Goulette-La Marsa). A proximité il y avait un cimetière israélite qui marquait le début de la ville européenne. Nous passons la Porte de France, la cathédrale, le palais du Bey et le site où est mort Saint Louis. Nous verrons aussi les ruines de Carthage-Salambo.

Fréquemment nous faisons de grandes marches en deux étapes pour nous rendre au camp de Bouficha (non loin du port d’Hammamet). Par le train nous allions à Béja puis delà, dans le Djebel Aurès à la frontière algéro-tunisienne pour une dizaine de jours. Pour le ravitaillement une corvée était désignée aidée de 4 mulets pour l’assurer. Nous apprenons avec stuppeur à notre retour d’une de ces missions que des camarades s’était engagés dans la légion de volontaires français pour aller combattre les Russes commandés par des Français alliés aux Allemands. Pour un bon nombre, la prime offerte était le seul argument idéologique qui les fit se compromettre dans ce mauvais choix. Il est dit que certains ne sont pas allés plus loin que le port de la Goulette où ils ont été jetés.

Les classes terminées, je demande à faire le peloton de caporal où je suis admis. Je pars pour Bizerte où se trouve le gros du régiment. Deux jours après mon arrivée, tout juste le temps de me mettre dans l’ambiance, nous partons sur les fortifications qui protègent l’entrée du port et toutes les installations militaires ainsi que le canal qui dessert le lac de Ferreville et les dépôts de carburant de la marine. Nous y restons plusieurs jours, puis nous sommes envoyés au camp de Ben-Negro.

Anecdote : Nous partons un jour avec deux fourragères (chariots de transports) pour aller chercher du ravitaillement pour nos mulets à Bizerte. Au retour nous passons le canal dans une barque. A peine au milieu, crépitements de mitrailleuses et explosions de bombes. Le café qui se trouvait à l’arrivée des passeurs disparait littéralement devant nous. Quand nous rejoignons le quai nous retrouvons le patron indemne sous un escalier. Nos mulets avec leurs fourragères partent au grand galop et s’engouffrent dans la cour d’une distillerie voisine, nous leur emboitons le pas. Arrivés au milieu de l’abri, nous sommes violemment projetés en avant par le souffle de l’explosion d’une bombe tombée devant l’entrée que nous venions de passer. Heureusement nous en sommes sortis seulement couverts de poussière sans aucune blessure.

Nous étions à Ben-Négro depuis huit jours lorsqu’une grosse surprise nous attend au réveil. Inimaginable ! Le camp est encerclé par deux compagnies italiennes sorties on ne sait d’où. Nos gradés sont venus nous dire de n’entreprendre aucune action contre eux, de rester dans nos chambres et d’attendre les ordres. Nous étions prisonniers des Italiens ! On est le 15 décembre 1942. Un rassemblement eut lieu et nos officiers nous expliquent les événements. On a alors remis notre armement sans avoir oublié de le rendre inutilisable, de même que les deux petits canons de 37mm dont la culasse fut bloquée par du sable et le canon de 75mm dont le frein de recul fut vidangé. Deux jours plus tard nous sommes escortés jusqu’au camp de Merzel Djelbab, on y stationne deux jours puis nous sommes escortés à la Baie des Carrières (dépôt et base de carburant de la marine).

Quelques jours plus tard, deux navires de guerre italiens accostent. Nous recevons l’ordre de faire nos sacs et d’embarquer à bord. Nous sommes le 7 Janvier 1943. Les navires appareillent et sortent du canal pour la haute mer A hauteur de l’Ile aux Chiens la mer était très forte avec de grands creux, les deux navires sont obligés de faire demi tour pour ne pas mettre la vie des passagers en danger. Il se trouve qu’en plus un convoi anglais fortement protégé, leur barre la route. Revenus à quai nous remettons pied à terre alors que les deux navires repartent en mission à vide. Environ deux jours plus tard, deux contre torpilleurs, le Ardito et le Ardente ( Basé à Brindisi) accostent. Un ordre résonne embarquement immédiat ! . Nous avons cette fois une mer d’huile entre le cap Bon et l’ile Pontélaria, pourtant nous remarquons par leurs sillages que les navires ont changé de direction. Nous interrogeons un marin parlant français qui nous répond « regardez de chaque coté… »
A notre grande stupéfaction on comprend pourquoi. Il venait d’être lancé contre nous des torpilles sous marines. De belles traînées blanches passaient de chaque coté, autrement dit si les navires n’avaient pas manœuvré, ils prenaient les torpilles à l’avant et à l’arrière. Bien sûr ils ont riposté. Le reste du voyage s’est bien passé, prisonniers nous ne savions pas où on allait.

Au loin, nous apercevons des lumières, on en croyait pas nos yeux, pensant arriver sur Marseille ou Toulon, un marin nous dit « Parlermo, Sicilia ». En fait nous sommes au large des cotes siciliennes et nous arrivons bien à Palerme. La ville et le port sont tout illuminés ce qui est une surprise par temps de guerre et de couvre-feu. Arrivés à quai nous débarquons, nous sommes chargés dans des camions qui nous transfèrent dans une caserne qui surplombe la ville entourée de montagnes truffées de DCA allemande. Le lendemain matin au réveil, nous avons observé le panorama de la ville et du port au grand jour. Des bateaux attendaient d’être chargés alors que nos deux contre-torpilleurs s’apprêtaient à larguer leurs amarres. De nouveau une attaque, ce sont des avions américains ou anglais qui passent sur le port et reviendront une deuxième fois larguer des bombes. Les deux navires de guerre sont touchés, l’un coulera en sortant du port et l’autre sur place. Le jour suivant gros remue-ménage, nous partons pour la gare par camion pris en charge par les Bersaglieri italiens. Mis dans trois wagons français portant l’inscription 40 hommes/8 chevaux, nous quittons Palerme pour une destination inconnue. Au matin nous arrivons à Messine, nos wagons sont mis sur le ferry-boat pour franchir le détroit et rejoindre Reggio de Calabre où nous sommes incorporés à un autre convoi qui quitte la ville et toujours sans connaitre notre destination.

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Nota bene hors texte:
Ardente
Le 12 janvier 1943 à 04h00 le contre torpilleur Ardente a été éperonné par le Grecale de la marine italienne. A 3 miles de Punta Baronr et 4,2 de Capo Sant Vito.

Ardito
Contre torpilleur Ardito a été récupéré par les Allemands suite à l’armistice italien et coulé le 6 juillet 1944 en face de Rapallo (Génes)



Anecdote : Les Italiens avaient fermé nos wagons. Le deuxième jour un camarade nous dit avoir dans son paquetage une corde assez longue pour tenter d’ouvrir la porte, ce qu’on a réussi en accrochant le fermoir et en le faisant basculer. Désormais nous pouvions voir le paysage, les uns assis les jambes ballantes, les autres debout. Un de nous qui avait deux drapeaux dans son sac profita, à l’insu des Italiens, lors d’un arrêt de nuit dans une gare, pour les poser sur le toit des wagons.
Nous quittons la pointe montagneuse de la botte calabraise, notre convoi arrive en plaine et longe la cote méditerranéenne, nous passons Salerne, Naples et le Vésuve, Rome et toujours sans connaitre la destination précise. Nous continuons le long des cotes passons la Sepia où nous franchissons plusieurs tunnels. A la sortie de l’un d’eux, nous devons laisser le passage à un convoi de chars et engins blindés allemands partant pour l’Afrikakorps. Celui-ci passé, notre train entre dans un des tunnels quand on entend des explosions. Alors que nous pensions qu’ils avaient bombardé les deux extrémités de notre tunnel, en fait c’était le convoi allemand qui avait été visé. Les avions alliés ont fait du beau travail car au bénéfice d’un virage, on a pu apercevoir tous les véhicules sans dessus-dessous. Les avions bombardaient en continu, il y eut de grosses pertes.
C’est en nous interrogeant toujours sur notre destination que nous passons à Gènes, puis Vintimille, Menton (zone sous occupation italienne) nous réalisons bientôt que nous sommes arrivés en France, pour finir à Marseille le 12 janvier 1943. Nous sommes mis pour la nuit dans un camp, le lendemain dirigés vers Lyon dans des bureaux où l’on nous annonce : « Vous êtes démobilisés pour le Allemands mais l’armée française vous ordonnera de rejoindre le lieu de votre affectation si besoin s’en fait sentir ».


Chapitre 2

Mon affectation était le 21ème régiment d’infanterie coloniale à Agen. Du 13 janvier 1943 au 12 avril 1943 je suis en permission de démobilisation, je rejoins Rennes et gagne Vezin le Coquet où ma mère tient un café épicerie. A l’heure où j’arrive, il est fermé, c’est le couvre feu, je frappe à la porte, j’entends une voix demander « qui est là ? ». Je donne mon nom et la réponse fuse : « Il n’est ici, il est en Tunisie » alors je frappe de nouveau en insistant :« Je vous dis que c’est moi, ouvrez ! » Sitôt dit, sitôt fait. Dans le café quelques-uns furent surpris de me voir en tenue militaire. La nuit et les émotions passées, je vais dans la matinée à la gendarmerie rendre mon uniforme.

J’ai travaillé presque trois mois dans les fermes du voisinage pour la récolte ainsi que pour un maçon du bourg. En France les événements s’accélèrent , le débarquement à lieu en Normandie le 6 juin 1944 et Rennes est libéré le 4 août 1944. Je vais à la caserne Mac Mahon plutôt qu’à Agen comme l’ordonnait mon titre de démobilisation, je m’engage pour la durée de la guerre. Je passe une visite et pars dès le lendemain. Je retrouve Pierre Dumont de Vezin dont les parents sont des réfugiés du Nord. Deux camions nous emmène à Juilley près de Pontorson à la base de renfort de la 2ème Division Blindée du général Leclerc de Haute-Clocque (Plus communément appelée 2ème DB).

Dès le lendemain on nous remet notre paquetage et armement américains (carabine, chargeurs et munitions). En effet, la France occupée n’avait plus de matériel pour son armée. Nous montons nos toiles de tentes pour la nuit, nous sommes du bataillon de renfort N°1. Nous faisons désormais partie de l’armée Leclerc dont le général a pour devise le serment fait à Koufra en Libye : « Libérer Paris et Strasbourg ». Nous faisons mouvement sur Saint Hilaire du Harcouët – Mortain – Domfront. Ayant appris que nous allions passer à St Georges du Rouelley, je griffonne un mot disant mon engagement sur un bout de papier que je lance avec un caillou lorsqu’on passe devant chez ma tante. Allant sur Alençon, nous sommes dirigés sur Sées où nous campons deux jours. La division avance assez vite sur les Allemands. Après de durs accrochages Alençon est libéré le 12 aout 1944. Nous poursuivons l’avance sur Chartres avec l’appui de l’infanterie américaine. Les Allemands se regroupent autour de Paris, pour y renforcer leurs positions et attendre des renforts dont faisait partie la tristement célèbre unité SS Das Reich, celle-là même qui le 10 juin 1944 avait détruit Oradour sur Glane faisant près de 650 victimes civiles.

Le général Leclerc voulait rentrer dans Paris avant les américains. Il le fit grâce à un groupe de FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) ou résistants en contacts avec nos avant-postes et qui nous avaient indiqué le chemin pour rentrer dans la banlieue parisienne. Apprenant que l’armée Leclerc était à proximité, la population parisienne se révolte et dresse des barricades, on est le 23 août 1944. Les Allemands surpris par l’arrivée de nos troupes lâchent du terrain malgré leurs snipers sur les toits qui tirent dans tous les azimuts. Le général commandant et l’état major se rendent et signent la capitulation dans le hall de la gare Montparnasse le 25 août 1944. Paris est libéré. Après avoir nettoyé la banlieue, nous continuons notre avancée sur les Vosges avec pour objectif Strasbourg. Le bataillon de renfort quitte Satory où il était cantonné pour St Germain en Laye. Nous occupons la caserne deux jours et partons à destination de Troyes où nous allons occuper l’école Edouard Vaillant que nos ennemis viennent d’abandonner. Nous effectuons des fouilles pour voir s’ils n’avaient pas piégé l’établissement, au contraire dans les caves nous découvrons des caisses de champagne, de bordeaux rouge et blanc.

Apprenant que le bataillon de renfort est dissous, nous rejoignons les unités auxquelles nous sommes affectés. Je pars au 1er régiment de marche de Spahis Marocains. C’est une unité de reconnaissance, c'est-à-dire que c’est elle qui ouvre la route aux autres unités. Nous arrivons à Châtel sur Moselle, je reçois mon poste, je suis affecté aux transmissions comme téléphoniste-traducteur, c'est-à-dire que je décrypte les messages codés et chiffrés, mon appareil est américain et appelé « converter» . Ce n’est pas le seul moyen de déchiffrage dont disposait l’état major, il y avait plusieurs systèmes. Partant en direction de Dompaire, en chemin, dans un village, nous nous trouvons nez à nez avec la 112ème brigade allemande et ses chars panzers de type « tigre», (référence au type de blindage). Nous engageons un combat soutenus par les Thunderbolts de l’aviation américaine venant du camp de Saint Jacques de la Lande près de Rennes. Après cette attaque les Allemands lâchent prise ayant perdu de nombreux chars. Nous fonçons sur Baccarat, Rambervillers, La Frimbole, dans ce mouvement nous bousculons une ligne de défense qui nous barrait la route vers Wasselonne.
L’offensive est déclenchée pour la libération de Strasbourg, l’étau se resserre sur la ville. De notre coté, la poche allemande surprise décroche, nous entrons dans Wasselonne accueillis par la population, qui avait hissé le drapeau tricolore. Nous occupons de suite la mairie avec précaution, elle aurait pu être piégée par les nombreuses pièces de matériel abandonnées dans la débandade.

Anecdote : Prenant un repas au Soleil d’Or, celui-ci terminé nous découvrons qu’il nous était offert avec la boisson. Les habitants nous demandent de quel coin nous venons, je dis que je suis Breton, de la région de Rennes. Une femme présente appelle sa fille au bar pour le lui dire. Son mari, le père de la jeune fille était prisonnier à Rennes. Il travaillait chez un charcutier de la rue de Nantes après avoir été enrôlé de force dans l’armée allemande comme bon nombre d’Alsaciens.

Nota Bene hors texte:

Groupe de Reconnaissance

1er Regiment de Marche de Spahis Marocains
Chars légers M1 Stuart, Automitrailleuses M8 "Greyhound" et Half-Tracks
Commandant : Colonel Remy
Adjoint : Lt-Colonel Roumiantzoff
1er Escadron : Cne Morel-Deville
2° Escadron : Cne Pallu
3° Escadron : Cne Da
4° Escadron : Cne Savelli
5° Escadron : Lt Kochanovsky


Notre groupement le GTR (Groupement Tactique Rémy) descend sur Molsheim, Rosheim, Obernai, Barr, Benfeld. Le PC s’installe à Kogenheim, deux jours après, direction le village D’Hattenheim où nous investissons le château avec tout l’état major et faisons le contrôle des lieux comme nous en avons l’habitude. L’ennemi l’avait abandonné avant d’aller se regrouper entre l’Ill et le Rhin en avant poste défensif. La majeure partie de leurs troupes avait déjà passé le Rhin.
Le serment de Koufra se réalise, Strasbourg est libéré le 23 novembre 1944. Nous, dans notre progression, ne comptons plus les prisonniers capturés depuis Wasselonne. Ces prisonniers sont conduits vers l’arrière à la base de l’état major. A cette occasion un vieil Allemand enrôlé nous désigna un SS dans le groupe de prisonniers, il l’avait démasqué car l’homme portait un tatouage typique sous un bras.

Les Allemands n’aiment pas se trouver face à nous, ils ont peur des diables rouges de Leclerc. En fait c’était surtout les Marocains de notre unité qui les effrayaient. Fin décembre 1944, nous laissons notre place à des éléments de la 1ère Armée de de Lattre de Tassigny pour enrayer une contre-offensive allemande de l’autre coté des Vosges. Des Américains étaient surpris de voir certains de leurs chars rebrousser chemin vers Dieuze, ceux-ci étant passés, les tourelles changeaient de position et à bout portant ouvraient le feu. En fait c’était des Allemands qui essayaient de passer derrière le front avec des chars pris aux Américains. Cela n’a pas fonctionné longtemps, les Américains ont récupéré leurs chars et fait des prisonniers. De Dieuze, on nous envoie jusqu’à Benestroff où on prend position, nous y restons plusieurs jours sur la défensive.

Anecdote : Le village n’ayant plus l’électricité, j’ai la charge d’un groupe électrogène pour éclairer les bureaux du colonel et le mess des officiers. Je loge chez l’habitant, en face du PC, je connecte donc une ligne sur le compteur de la maison afin que celle-ci profite du groupe. Le matin la propriétaire en apportant l’eau pour faire ma toilette me demande de la payer. La réponse ne se fait pas attendre car dans la journée je débranche le compteur ne laissant la lumière que dans ma pièce. Le soir venu en rentrant me coucher la propriétaire se plaint de ne plus avoir d’électricité. Je lui fais comprendre que c’est comme l’eau ça se paye, réponse du berger à la bergère, qui a vite rétabli la gratuité de nos échanges.
Ayant enrayé l’avance allemande et étant remplacés par des parachutistes américains, nous revenons en Alsace, mais stupeur les Allemands avaient repris du terrain. Il nous faudra plusieurs jours pour le reconquérir et les chasser au-delà du Rhin. C’est pendant cette période que je reçois une lettre de ma mère me disant que les gendarmes sont venus me chercher et que je suis porté déserteur par le 21ème RIC d’Agen. J’aurais dû en effet le rejoindre plutôt que de m’engager dans l’armée Leclerc. Ma mère leur explique que je suis en Alsace et m’informe que je dois demander à mon colonel un certificat de présence au corps. J’ai eu le certificat et l’ai envoyé à la gendarmerie de Rennes. C’était vital car un déserteur en temps de guerre est fusillé.

Le 28 février 1945 nous libèrerons Royan et sa région puis passerons Argenton sur Creuse, Saint jean d’Angély, Tonnay-Boutonne, Tonnay-Charente et ceci entre le 1er et le 22 avril 1945. Nous reprenons la destination du front de l’est et passons la frontière allemande le 30 avril 1945. Nous franchissons le Rhin à Frankenthal puis fonçons sur Mannheim et Ulm. A l’entrée d’Ulm les Allemands avaient tendus des câbles entre deux collines suffisamment hautes pour faire couloir et ainsi empêcher les avions d’emprunter ce passage. A la sortie d’Ulm, d’anciens camps de prisonniers étaient toujours occupés par des Russes. Au cours de notre avancée nous croisons des prisonniers français qui, eux, ont quitté leurs camps, divaguant avec l’intention de rentrer chez eux.

Anecdote : Lors d’un arrêt de notre convoi, alors que nous donnons une boite de corned-beef à un homme isolé, nous devons la lui reprendre car il mange avec trop de précipitation. Il faut dire que c’était un prisonnier civil allemand squelettique. Le convoi repart en croisant tous ces malheureux de nationalité différentes qui partent péniblement vers la liberté dans un bien piteux état.
En traversant la Forêt Noire, nous arrivons dans un gros bourg des environs de Munich, on y découvre l’horreur insupportable d’un camp, le tristement célèbre Dachau. Il y avait encore des cadavres dans les baraquements. Des fours crématoires et des douches sortait une odeur indéfinissable. Nous partons sur Munich et arrivons en Bavière où nous nous dirigeons sur Offteten sans aucune résistance, nous occupons le village. Toujours logés chez l’habitant, le PC était installé dans la mairie où près d’un mur il y avait une vingtaine de croix pour les hommes du village morts sur le front russe……..

(1) Le STO Institué par le gouvernement de Vichy par une loi du 4 septembre 1942

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Dernière édition par Aldebert le 26 Juin 2023, 17:01, édité 10 fois.

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J'aurai mon paradis dans les cœurs qui se souviendront - Maurice Genevoix




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